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NE 10.03.1997
discrimination salariale
licenciement discriminatoire

LEg

art 3, art 5, art 6

procédure

10.03.1997Jugement du Tribunal des prud’hommes du district de la Chaux-de-Fonds (CHX/PH/00104/1996 F)

en fait

La demanderesse a été engagée par la défenderesse dès le 1er février 1994 en qualité de cheffe du rayon textiles de la succursale de la Chaux-de-Fonds. A la suite du déménagement de l’entreprise dans de nouveaux locaux en avril 1996, la demanderesse a été évincée de son poste de cheffe de rayon. Le 15 mai 1996, la défenderesse lui a proposé avec effet immédiat un nouveau contrat de travail, prévoyant la réduction de son salaire. Refus de la demanderesse, qui est licenciée pour le 31 août 1996. Délai de congé prolongé au 30 septembre 1996 pour cause de maladie du 5 au 15 juin. Jusqu’à l’échéance du délai de congé, la demanderesse a continué à toucher son salaire de Fr. 4’000.- par mois. Le salaire de l’homme engagé à sa place comme chef du rayon textiles a été fixé à Fr. 5’400.-, dont Fr. 300.- à titre de rémunération spéciale pour ses déplacements. La demanderesse s’est opposée à son licenciement.

Le 24 octobre 1996, la demanderesse a ouvert action en réclamant Fr. 17’600.- pour discrimination salariale à raison du sexe et une indemnité de Fr. 10’000.- pour licenciement abusif. Les deux prétentions ont été limitées à Fr. 10’000.- chacune pour rester dans la compétence du Tribunal.

Le 10 mars 1997, le Tribunal des Prud’hommes admet l’action de la demanderesse.

en droit

En comparant le salaire de la demanderesse avec celui de son remplaçant, ainsi qu’avec le salaire d’autres chefs de rayon, compte tenu de la formation et de l’expérience de chacun-e, le Tribunal a présumé réelle la discrimination salariale à raison du sexe alléguée par la demanderesse, la défenderesse n’ayant apporté aucune preuve susceptible de renverser cette présomption.

Le Tribunal a considéré le licenciement de la demanderesse comme abusif, celui-ci ayant été donné parce que la demanderesse a refusé d’accepter la modification de son contrat de travail qui prévoyait la réduction de son salaire avec effet immédiat.

Le Tribunal a alloué à la demanderesse une indemnité de Fr. 10’000.- pour discrimination salariale à raison du sexe, étant d’avis qu’à compétences égales à la demanderesse, et pour l’exécution du même travail qu’elle, un homme n’aurait pas été payé moins de Fr. 4’400.- à Fr. 4’500.- brut par mois. Pour 32 mois d’activité, le montant de Fr. 10’000.- a été considéré comme bien-fondé.

Le Tribunal a accordé à la demanderesse une indemnité pour licenciement abusif équivalent à deux mois de salaire, soit Fr. 8’000.- net.

GE 19.02.1999
harcèlement sexuel

LEg

art 3, art 4, art 5, art 6

procédure

19.02.1999Jugement du Tribunal des Prud’hommes (no C/29153/98)

en fait

La demanderesse a été engagée le 16 juillet 1998 par X. SA en qualité d’info-graphiste. Dès le début de son engagement, la demanderesse a fait l’objet de harcèlement sexuel de la part de son supérieur hiérarchique Y., ce dernier lui faisant des avances, auxquelles elle s’est opposée sans succès. La demanderesse s’est plainte à la directrice administrative qui lui a dit qu’elle allait intervenir. Cependant, Y. a continué de la harceler, lui envoyant sans cesse des messages électroniques et d’autres lettres au contenu à connotation sexuelle. La demanderesse s’est à nouveau plainte à la directrice qui est finalement intervenue auprès de Y. au début du mois d’octobre 1998. Rien n’ayant changé et ne pouvant plus travailler dans ces conditions, la demanderesse a démissionné. Dans son nouvel emploi, elle a continué à recevoir de la part de Y. des messages électroniques la harcelant de manière continue.

Le 5 novembre 1998, la demanderesse a saisi le Tribunal des Prud’hommes, réclamant le paiement par X. SA de la somme de Fr. 12’900.-. Lors de l’audience du 19 février 1999, la demanderesse a modifié ses conclusions, réclamant le paiement de Fr. 1’400.-  à titre de solde de salaire de septembre 1998, Fr. 1’750.-  à titre de solde de salaire d’octobre 1998 et Fr. 21’200.-  à titre d’indemnité de quatre mois de salaire suisse moyen selon la LEg.

Le 19 février 1999, le Tribunal des Prud’hommes admet l’action de la demanderesse.

en droit

Tout d’abord, le Tribunal a pris acte que X. SA reconnaissait devoir à la demanderesse les salaires réclamés pour les mois de septembre et d’octobre 1998. Comme X. SA justifiait le non-paiement de ceux-ci en invoquant des problèmes de trésorerie, le Tribunal a précisé qu’il n’appartenait pas à l’employée de supporter les risques économiques de son employeur.

Le Tribunal a admis que la demanderesse avait subi un harcèlement sexuel de la part de son supérieur hiérarchique Y. et que le comportement importun de ce dernier avait rendu à tel point difficile et pénible l’ambiance de travail qu’elle avait été forcée de démissionner. Les juges ont précisé que même si Y. avait des sentiments forts pour la demanderesse, celle-ci lui avait fait comprendre on ne peut plus clairement qu’elle n’entendait pas sortir avec lui. Il a encore relevé que ce harcèlement avait commencé dès le début de l’engagement de la demanderesse, qu’il avait continué même après son départ de la société, et qu’en dépit de ses réclamations à la directrice administrative, rien n’avait été entrepris sérieusement par l’employeur pour le faire cesser, la demanderesse étant finalement contrainte et forcée de résilier son contrat. Les juges ont considéré que dans ces circonstances une indemnité de quatre mois de salaire suisse moyen devait être allouée à la demanderesse.

Le Tribunal a condamné X. SA à payer à la demanderesse la somme de Fr. 3’150.-  plus intérêts à 5 % l’an dès le 17 octobre 1998 à titre de salaire et la somme de Fr. 21’200.- à titre d’indemnité.

GE 04.07.2000
harcèlement sexuel

sujet

climat de travail à connotation sexuelle avec participation de la demanderesse
inadvertance manifeste

LEg

art 3, art 4, art 5, art 6, art 10, art 12

procédure

17.11.1998Jugement du Tribunal des Prud’hommes 08.11.1999Arrêt de la Chambre d’appel des Prud’hommes (C/32585/97) 04.07.2000Arrêt du Tribunal fédéral arrêt (4C.463/1999 - ATF 126 III 395 - SJ 2001, p. 145)

en fait

La demanderesse a été engagée par X. SA le 26 juin 1992 en qualité de secrétaire gestionnaire. Elle a été nommée conseillère d’entreprise à partir du 1er janvier 1996 et s’est vue confier la direction du département «clients privés et VIP» dès le 1er juillet 1996. Son dernier salaire mensuel brut s’est élevé à Fr. 6’330.-. Le 21 août 1996, la demanderesse a sollicité l’adaptation de son salaire en invoquant la LEg. X. SA a refusé cette requête et a persisté dans sa décision malgré les protestations de la demanderesse. Par lettre du 18 octobre 1996, la demanderesse a fait savoir qu’elle renonçait à sa revendication, par crainte des conséquences d’un licenciement sur sa situation personnelle. Le 6 septembre 1997, la demanderesse s’est plainte auprès du Président de la société qu’elle faisait l’objet de harcèlement de la part d’employés et de cadres de l’entreprise. Le 19 septembre 1997, X. SA a résilié le contrat de travail de la demanderesse avec effet immédiat en faisant valoir un certain nombre de griefs à son égard.

La demanderesse a saisi la juridiction des Prud’hommes le 7 novembre 1997. Le 27 janvier 1998, elle a modifié ses prétentions initiales, réclamant Fr. 14’886.- à titre de salaire du 19 septembre au 30 novembre 1997, Fr. 30’280.- à titre d’indemnité pour congé immédiat injustifié, Fr. 10’000.- à titre d’indemnité pour tort moral et Fr. 109’476.- à titre de différence de salaire en vertu du principe d’égalité de salaire entre femmes et hommes du 1er janvier 1993 au 30 novembre 1997.

Le 17 novembre 1998, le Tribunal des Prud’hommes admet que le licenciement avec effet immédiat de la demanderesse était injustifié, mais ne reconnaît pas que cette dernière a été victime de discrimination.

Les juges n’ont pas admis que la participation de la demanderesse à la rédaction d’un texte grivois sur la messagerie interne de l’entreprise pendant les heures de travail constituait un juste motif de renvoi immédiat. Ils ont relevé que vu le climat à connotation sexuelle qui régnait au sein de l’entreprise, la découverte de ce texte, certes plus que vulgaire, ne pouvait rompre irrémédiablement les liens de confiance entre les parties, d’autant plus que les deux autres co-auteurs de ce texte avaient pu continuer à travailler auprès de X. SA. Les juges ont considéré que la demanderesse avait droit à une indemnité, en raison notamment de la manière quelque peu cavalière dont elle avait été licenciée, en présence d’un huissier judiciaire. Les juges n’ont en revanche pas reconnu le droit de la demanderesse à une indemnité pour harcèlement sexuel, relevant que cette dernière participait elle-même à l’instauration d’un climat à connotation sexuelle dans l’entreprise. Les juges ont en outre considéré que la demanderesse n’effectuait pas le même travail que ses collègues masculins et qu’elle devait dès lors être déboutée de ses prétentions relatives à une différence de salaire. Enfin, le Tribunal a jugé que la demanderesse avait droit à un certificat de travail mentionnant que la date de la fin des rapports de travail était le 30 novembre 1997.

Les juges ont admis que la demanderesse avait droit à deux mois de salaire afférents au délai de congé du 19 septembre 1997 au 30 novembre 1997, soit Fr. 14’886.-. Ils lui ont également accordé une indemnité de Fr. 6’000.- pour licenciement immédiat injustifié. Ils ont aussi condamné X. SA à délivrer à la demanderesse un certificat de travail et un certificat de libre engagement mentionnant que la fin des rapports de travail était le 30 novembre 1997. Les parties ont été déboutées de toutes autres conclusions.

La demanderesse a interjeté appel contre le jugement rendu par le Tribunal des Prud’hommes le 17 novembre 1998, persistant dans ses prétentions de première instance. X. SA, par le biais d’un appel incident, a conclu à l’annulation de sa condamnation au paiement du salaire durant le délai de préavis et de l’indemnité de Fr. 6’000.-.

Le 8 novembre 1999, la Chambre d’appel des Prud’hommes augmente le montant de l’indemnité allouée à la demanderesse.

La Chambre d’appel a considéré que la demanderesse n’avait pas transgressé de manière immédiate et grave une obligation dérivant du contrat de travail en échangeant avec deux autres collègues des messages d’une vulgarité évidente sur le système informatique de l’entreprise, alors même qu’elle avait reçu un avertissement deux semaines plus tôt. Les juges ont précisé qu’une sanction telle qu’un licenciement immédiat ne se justifiait pas, d’autant que bon nombre de collaborateurs et même des membres de la direction de X. SA avaient coutume de formuler des réflexions à connotation sexuelle, parfaitement déplacées, en s’adressant à des collègues ou à des subordonnés. Ils ont donc admis que la demanderesse avait droit au paiement de son salaire durant le préavis. Les juges ont par ailleurs considéré que l’indemnité de Fr. 6’000.- était trop faible, tout en indiquant que le recours à un huissier judiciaire ne saurait être compris comme une mesure vexatoire, étant essentiellement destiné à sauvegarder des preuves, et que la demanderesse ne saurait imputer à son employeur les problèmes psychiques qu’elle avait rencontrés ensuite de son licenciement. La Chambre d’appel n’a pas admis que la demanderesse avait souffert d’une discrimination salariale et considéré que ses prétentions fondées sur la LEg devaient être rejetées. Enfin, la Chambre d’appel a estimé que le certificat de travail remis à la demanderesse le 7 janvier 1999 était suffisant et qu’il n’y avait pas lieu de le compléter par une mention sur la «direction du département clients privés» de X. SA.

La Chambre d’appel a annulé le jugement rendu le 17 novembre 1998 et condamné  X. SA à payer à la demanderesse la somme de Fr. 14’886.- brut plus intérêts au taux de 5 % l’an dès le 19 septembre 1997 et la somme de Fr. 12’000.- net plus intérêts au taux de 5 % l’an dès la même date. Elle a débouté les parties de toutes autres conclusions.

La demanderesse a interjeté un recours en réforme au Tribunal fédéral. A titre subsidiaire, elle a conclu au renvoi de la cause à la juridiction cantonale pour statuer sur la quotité du salaire dû en vertu de la LEg.
Le 4 juillet 2000, le Tribunal fédéral réforme partiellement l’arrêt de la Chambre d’appel et renvoie pour le surplus la cause à la Cour cantonale pour nouvelle décision.

en droit

Le Tribunal fédéral a précisé que l’application de l’art. 6 LEg impliquait que le juge se détermine d’abord sur la vraisemblance alléguée et fasse état de son appréciation dans la décision. Il a encore précisé que dans la mesure où le juge considérait que la discrimination était prouvée, ou qu’elle était plus vraisemblable que la non discrimination ou qu’elle était plutôt invraisemblable mais pas exclue, il lui appartenait d’examiner si la partie adverse avait rapporté la preuve de l’inexistence d’une discrimination ou la preuve de la justification objective de celle-ci. Le Tribunal fédéral a alors constaté que, dans le cas particulier, la Chambre d’appel ne se déterminait pas clairement sur la question de la vraisemblance au sens de l’art. 6 LEg, qu’elle ne semblait pas exclure d’emblée. Le Tribunal fédéral a ensuite relevé que les constatations de fait de la Cour cantonale ne portaient que sur les salaires versés à la demanderesse en 1996, alors que cette dernière avait constamment requis la production des attestations de salaire pour les années 1995 et 1997, et qu’il appartenait au juge de fonder son prononcé sur tous les faits pertinents résultant des débats, même si les parties ne les avaient pas invoqués à l’appui de leurs conclusions. Les juges ont considéré que la Cour cantonale avait commis une inadvertance manifeste en se limitant à justifier la différence de salaire entre la demanderesse et ses collègues masculins par la réorganisation du travail intervenue le 1er juillet 1996 et en se bornant à reprocher à la demanderesse de ne s’être plainte d’avoir perdu la responsabilité de plusieurs polices d’assurances à la suite de cette réorganisation que dans sa dernière écriture, au stade ultime des débats, alors que l’instruction avait déjà entièrement eu lieu. Le Tribunal fédéral a considéré qu’il appartenait à la Cour cantonale de se prononcer sur les circonstances de cette réorganisation et sur ses conséquences, en particulier sur le plan salarial et qu’il y avait donc lieu d’annuler l’arrêt attaqué sur ce point et de renvoyer la cause à l’autorité cantonale afin qu’elle procède aux constatations nécessaires et tranche cette question.
Le Tribunal fédéral a également considéré que la Cour cantonale avait commis une inadvertance manifeste en ne tenant pas compte de pièces produites par la demanderesse qui établissaient des faits juridiquement pertinents et dont elle avait l’obligation de tenir compte en vertu de l’art. 12 al. 2 LEg. Les juges ont ainsi constaté que la Cour cantonale n’avait pas tenu compte d’un certain nombre de critères pour comparer les salaires versés à la demanderesse et à ses collègues masculins entre 1995 et 1997. Le Tribunal fédéral a aussi constaté que la Cour cantonale n’avait pas statué sur différents points soulevés par la demanderesse, alors que ceux-ci pouvaient relever de la discrimination dans l’attribution des tâches et dans l’aménagement des conditions de travail et que si elles étaient avérées, ces discriminations pouvaient également fonder un droit à des indemnités.

Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal fédéral a considéré que l’on ne saurait exclure, contrairement à l’avis de la Cour cantonale, une vraisemblance, voire la constatation de discriminations fondées sur le sexe à l’encontre de la demanderesse.

S’agissant du harcèlement sexuel, le Tribunal fédéral a considéré que la demanderesse n’était pas tenue d’actionner le directeur personnellement comme le suggérait la Cour cantonale, mais pouvait s’en prendre à son employeur en vertu de l’art. 5 al. 3 LEg. Il a constaté que la demanderesse avait avisé le Président du Conseil d’administration du harcèlement et du mobbing subis et que l’employeur se devait d’intervenir et de prendre des mesures pour mettre fin au comportement incriminé ou pour prévenir tout comportement inadéquat. Les juges ont considéré que la mesure décidée par le Président ne pouvait pas être qualifiée d’appropriée puisqu’il s’était borné à annoncer à la demanderesse qu’il confierait l’ouverture d’une enquête à la direction, laquelle faisait également l’objet d’accusations. En outre, le Tribunal fédéral a considéré que le fait que la demanderesse avait recours au même vocabulaire ne saurait justifier l’admission par l’employeur de remarques sexistes, grossières ou embarrassantes, en particulier de la part d’un supérieur hiérarchique, dont le comportement pouvait déteindre sur celui de ses subordonnés. Le Tribunal fédéral a alors constaté que l’employeur n’était pas parvenu à démontrer qu’il avait rempli le devoir de diligence qui lui incombait. Il a donc admis que la demanderesse avait droit à une indemnité en application de l’art. 5 al. 3 LEg, correspondant à un mois de salaire suisse moyen en 1996.

Les juges ont relevé que l’application de l’art. 49 CO, parallèlement aux art. 336 a et 337 c al. 3 CO, ne peut entrer en ligne de compte que dans des circonstances exceptionnelles. Ainsi, une indemnité pour tort moral basée sur l’art. 49 CO ne peut être accordée cumulativement avec les indemnités prévues aux art. 336 a et 337 c al. 3 CO que si l’atteinte à la personnalité du travailleur est à ce point grave qu’un montant correspondant à six mois de salaire ne suffit pas à la réparer.

Dans le cas particulier, le Tribunal fédéral a considéré que la demanderesse avait droit à une indemnité fondée sur l’art. 337 c al. 3 CO, soit celle due en cas de résiliation immédiate injustifiée et que la Cour cantonale n’avait pas tenu compte de toutes les circonstances pour fixer celle-ci, ne tenant notamment pas compte de l’âge de la demanderesse, du fait que celle-ci s’était trouvée en incapacité totale de travail quatre jours après son licenciement et que l’atteinte à sa personnalité avait été particulièrement grave puisque son état de santé avait donné lieu à l’octroi d’une rente AI à 100 %. Le Tribunal fédéral a également considéré que la Cour cantonale aurait dû tenir compte du fait que l’employeur n’avait pas établi que la réclamation adressée au Président du Conseil d’administration par la demanderesse ne constituait pas la cause de son licenciement, précisant qu’un tel rapport de causalité est présumé dès qu’il y a réclamation au sens de l’art. 10 LEg. Enfin, le Tribunal fédéral a estimé que la présence de l’huissier judiciaire devait être considérée comme disproportionnée.

En revanche, le Tribunal fédéral n’a pas admis que l’attitude du directeur de X. SA avait entraîné, avant le licenciement et indépendamment de celui-ci, une atteinte à la santé de la demanderesse qui fonderait l’octroi de l’indemnité exceptionnelle prévue à l’art. 49 CO.

Le Tribunal fédéral a enfin considéré que le certificat de travail de la demanderesse devait être complété, en ce sens qu’il devait préciser que la demanderesse était l’unique responsable du service des clients privés et qu’elle ne s’occupait pas seulement des portefeuilles d’assurances des clients privés, mais également de ceux des entreprises.

Le Tribunal fédéral a alloué à la demanderesse un montant de Fr. 4’988.- plus intérêts à 5 % l’an dès le 19 septembre 1997, à titre d’indemnité pour harcèlement sexuel.

Le Tribunal fédéral a jugé par ailleurs que la décision cantonale faisait abstraction d’éléments pertinents qui justifiaient l’octroi à la demanderesse d’une indemnité pour licenciement abusif équivalent à cinq mois de son salaire mensuel en 1997, soit Fr. 31’900.-, plus intérêts à 5 % l’an dès le 19 septembre 1997.

Le Tribunal fédéral a confirmé le jugement cantonal en tant qu’il condamnait X. SA à verser à la demanderesse la somme de Fr. 14’886.- brut, plus intérêts à 5 % l’an dès le 19 septembre 1997.

Pour le surplus, la cause a été renvoyée à la Cour cantonale. Le Tribunal fédéral a précisé que dans la mesure où certaines constatations de fait faisaient défaut, il convenait de renvoyer la cause à la Cour cantonale afin qu’elle les complète et qu’elle tranche. Il a aussi précisé que si la Chambre d’appel concluait à l’existence de discriminations, il lui appartenait de statuer également sur les indemnités dues à ce titre.

GE 05.12.2000
discrimination salariale

sujet

action en constatation d’un syndicat - expertise

LEg

art 3, art 6, art 7

procédure

17.10.1997Jugement du Tribunal des Prud’hommes (cause no XI/1245/96) publié in Plädoyer 2/99, p. 55 (extrait) 23.09.1999Arrêt de la Chambre d’appel des Prud’hommes (C/1245/96 – XI) 05.12.2000Arrêt de la Cour d’appel des Prud’hommes (cause no C/38586/1996 – 3)

en fait

Le 30 avril 1996, X., exploitant une entreprise individuelle de culture de champignons, a soumis à ses employées et employés des contrats de travail écrits qui reprenaient pour l’essentiel les conditions auxquelles ceux-ci s’étaient oralement engagés à travailler. Selon ces contrats, la durée hebdomadaire de travail était de 44 heures pour les hommes et de 49 heures pour les femmes. Les premiers avaient droit à un salaire mensuel brut de Fr. 3’650.-, alors que les secondes recevaient un salaire horaire de   Fr. 17.20. Les hommes avaient en plus droit à des primes d’ancienneté mensuelles et à des indemnités mensuelles d’équipement. Le Syndicat interprofessionnel des travailleuses et travailleurs (ci-après : SIT), après être intervenu auprès de X., a saisi le Tribunal des Prud’hommes le 1er novembre 1996 afin de faire constater les discriminations que fait subir X. à ses travailleuses en tant qu’elles bénéficient de conditions salariales inférieures et de conditions de travail différentes pour une activité professionnelle équivalente. X. a contesté la qualité pour agir du SIT au motif que la procédure n’était pas susceptible d’affecter un nombre considérable de rapports de travail, son entreprise étant la seule à être active dans le canton de Genève, de sorte que seules neuf femmes pouvaient être concernées par l’issue du jugement.

Le 17 octobre 1997, le Tribunal des Prud’hommes reconnaît l’existence de discriminations envers les employées de X.

Tout d’abord, le Tribunal a admis la qualité pour agir du SIT, jugeant que son action ne concernait pas seulement les travailleuses de l’entreprise de X., car elle était susceptible de concerner toutes les travailleuses qui, sur sol genevois, exerçaient une activité comparable à celle exercée par les femmes dans l’entreprise de X. Le Tribunal a relevé par ailleurs que les différences de traitement en matière de rémunération et d’indemnisation des heures supplémentaires étaient susceptibles de se produire dans n’importe quelle branche professionnelle.

S’agissant du salaire des employées de X., les juges ont considéré qu’il n’y avait pas de discrimination et que la différence de salaire était justifiée par les circonstances, le travail exclusivement masculin devant être pratiqué dans des conditions particulièrement plus désagréables et préjudiciables que les travaux faits par les femmes. En revanche, les juges ont admis qu’il y avait discrimination s’agissant du temps de travail, de la rémunération des heures supplémentaires – les hommes recevant une indemnité de 25% de salaire pour toute heure accomplie au-delà de la 190.52ème heure mensuelle – et du versement de primes d’ancienneté.

Le Tribunal a constaté que X. exerçait des discriminations à l’égard de ses employées en imposant une durée de travail non identique aux femmes et aux hommes, en ne rémunérant pas les heures supplémentaires de son personnel féminin travaillant au-delà de la 195.52ème heure et en accordant pas d’indemnité d’ancienneté aux femmes. Le Tribunal a débouté les parties de toutes autres conclusions.

Le SIT et X. ont interjeté appel contre le jugement rendu le 17 octobre 1997 par le Tribunal des Prud’hommes. Le SIT s’est notamment plaint que les juges n’avaient pas ordonné d’expertise. X. a invoqué l’absence de qualité pour agir du SIT et l’inexistence de discrimination.

Le 23 septembre 1999, la Chambre d’appel des Prud’hommes reconnaît la qualité pour agir du SIT et annule le jugement du 17 octobre 1997 pour le surplus.
La Chambre d’appel a considéré que l’action intentée par le SIT visait manifestement un intérêt collectif, général et n’était nullement focalisée sur un cas ou plusieurs cas individuels. Elle a également considéré que le SIT avait un intérêt juridique actuel d’agir en constatation de droit. Les juges ont par ailleurs considéré que l’évaluation du travail effectué par les femmes et celui effectué par les hommes dans l’entreprise de X. nécessitait d’être spécialiste des techniques d’évaluation comparative de la valeur du travail.

Statuant à titre préjudiciel et séparément du fond, la Chambre d’appel a admis que le SIT avait qualité pour agir en constatation de discrimination, confirmant le premier jugement sur ce point. Elle a par contre annulé le jugement sur les autres points et ordonné une expertise destinée à évaluer le travail des femmes et des hommes de l’entreprise de X.

Le 5 décembre 2000, la Cour d’appel des Prud’hommes constate l’existence de discriminations à l’encontre du personnel féminin de X.

en droit

La Cour a tout d’abord considéré que le SIT avait encore un intérêt juridique à l’action malgré l’écoulement du temps. Elle a ensuite considéré que l’expertise (instruments d’analyse Abakaba) avait été conduite selon les règles de l’art et calculé les salaires des employés et employées de X. à partir des points attribués par celle-ci. En revanche, elle s’est écartée de l’expertise en tant qu’elle retenait seulement le salaire de base des hommes pour déterminer le taux du salaire horaire, pour comparer la masse salariale mensuelle brute totale des hommes (y compris les suppléments pour les heures supplémentaires et les primes d’ancienneté), divisée par le total des heures de travail fournies par les hommes, avec la masse salariale mensuelle brute totale des femmes, divisée par le total des heures fournies par les femmes. La Cour a ainsi constaté l’existence d’une discrimination salariale d’au moins 5%. La Cour a également considéré que les femmes et hommes devaient avoir le même horaire de travail, soit 44 heures, soit 49 heures hebdomadaire. La Cour a aussi considéré que le système de paie à l’heure ne se justifiait pas lorsque la personne employée effectuait de fait un horaire plein et que le maintien d’un tel système consistait en une discrimination indirecte dans la mesure où il frappait avant tout les femmes.

Les juges ont constaté que X. discriminait de façon indirecte son personnel féminin dans la mesure où il le rétribuait avec un écart discriminatoire d’au moins 5% en-dessous du salaire versé aux hommes. Ils ont également constaté que le mode de rémunération (salaire mensuel/salaire à l’heure), le mode d’emploi (travail à plein temps/travail à l’appel ou à temps partiel irrégulier), l’indemnisation des heures supplémentaires et l’octroi de primes d’ancienneté renforçaient l’écart discriminatoire, car constituant des formes de salaire déguisé.

VD 20.12.2000
discrimination salariale
licenciement discriminatoire

sujet

discrimination fondée sur le statut familial (mère de famille) et la grossesse

LEg

art 3, art 6

procédure

20.12.2000Jugement de la Cour civile du Tribunal cantonal

en fait

La demanderesse a été engagée le 4 janvier 1982 par la défenderesse X. SA en qualité d’aide-laborantine. Titulaire d’un CFC de couturière, elle n’avait aucune formation professionnelle en matière de travaux de laboratoire et s’est formée peu à peu, «sur le tas».

Le salaire brut versé à la demanderesse a passé de Fr. 1’070.- par mois lors de son engagement, en janvier 1982, à Fr. 3’704.30, treize fois l’an, en 1997.

A fin 1996, la demanderesse a pris un congé maternité de quatorze semaines. La défenderesse a engagé une personne à plein temps pour la remplacer. Il était prévu qu’au retour de la demanderesse, sa remplaçante partagerait son temps entre le laboratoire et un poste particulier au secteur dit «de contrôle des outils de mesure» manquant de main-d’œuvre.

La demanderesse a repris son travail le 9 avril 1997. La défenderesse a accepté qu’elle réduise son activité à 50% dès le 1er novembre 1997.

Le 8 septembre 1997, la direction de la défenderesse a préparé une lettre à l’attention de la demanderesse, indiquant que celle-ci avait un manco de 15,16 heures et lui demandant de rattraper le retard dépassant moins de dix heures dans le mois, sous peine de voir son décompte ramené à zéro avec déduction sur son salaire. Cette lettre n’a pas été envoyée à la demanderesse, mais R. s’est rendu auprès d’elle au laboratoire pour lui parler de son contenu. Le ton est monté entre la demanderesse et R. qui lui a alors dit qu’il pourrait la licencier si elle continuait à lui parler ainsi.

Croyant être licenciée, la demanderesse a quitté le laboratoire. Après avoir vainement essayé de prendre contact avec le directeur absent à ce moment-là, elle est rentrée chez elle. A la demande de la travailleuse, une confrontation a eu lieu le lendemain avec le directeur, R. et F., le représentant de la commission d’entreprise. Aucun accord n’est intervenu entre la demanderesse et R., chacun restant sur ses positions.

Par lettre du 15 septembre 1997, la défenderesse a licencié la demanderesse pour le 31 décembre 1997, en précisant qu’elle renonçait à lui demander de venir travailler d’ici-là.

Le 12 novembre 1997, la demanderesse a contesté son congé, relevant qu’elle n’avait cessé d’être l’objet de pressions depuis son congé maternité et que son licenciement paraissait motivé exclusivement par le fait qu’elle n’avait pas donné sa démission avant ledit congé.

La demanderesse a également relevé qu’en 1988, elle gagnait Fr. 400.- de moins que son collègue masculin M. pour le même travail et que la différence entre les deux salaires était de quelques Fr. 700.- en 1997. Elle a indiqué qu’elle réservait toute prétention à cet égard.

Le 19 juin 1998, la demanderesse a ouvert action devant la Cour civile du Tribunal cantonal, concluant à ce que la défenderesse X. SA soit reconnue sa débitrice et lui doive prompt paiement de la somme de Fr. 63’924.- avec intérêts à 5% l’an dès le 1er avril 1998.

D’une part, la demanderesse a réclamé Fr. 21’924.- à titre d’indemnité pour licenciement abusif, correspondant à six mois de salaire. D’autre part, elle a réclamé le paiement de Fr. 42’000.-, correspondant à la différence entre son salaire et celui de son collègue M. au cours des cinq années ayant précédé son licenciement.

La Cour civile du Tribunal cantonal déboute la demanderesse.

en droit

La Cour civile a considéré qu’il n’avait pas été rendu vraisemblable que R. ait exercé des pressions sur la demanderesse pour qu’elle donne sa démission, que ce soit au cours de la période du congé maternité ou à son retour.

Les juges ont relevé que le licenciement était intervenu longtemps après la reprise d’activité, soit quelques cinq mois après la fin du congé maternité, ce qui ne permettait pas d’admettre l’existence d’un lien de causalité entre le licenciement et le fait pour la demanderesse d’avoir formulé des prétentions prévues par son contrat de travail, à savoir un congé maternité de quatorze semaines et la reprise de son emploi au terme de celui-ci.

Par ailleurs, la Cour civile n’a pas admis que le statut de «femme enceinte» puisse être invoqué dans le cadre de l’art. 336 al. 1er let. a CO, car il fait déjà l’objet d’une protection accrue dans le cadre de l’art. 336c al. 1er let. c CO (nullité du congé donné pendant la grossesse). Elle a en revanche admis que la qualité de «mère» constituait un trait caractéristique de la personnalité protégée par l’art. 336 al. 1er let. a CO, mais a jugé que la demanderesse n’avait apporté aucun indice que le congé était fondé sur le fait qu’elle souhaitait reprendre son activité après la naissance de son enfant.

En définitive, la Cour civile a considéré que la demanderesse n’avait apporté aucun indice suffisant pour considérer que le motif invoqué par la défenderesse dans sa lettre de congé n’était pas celui qui avait réellement présidé à la décision de licenciement. Elle a admis que la perte de confiance invoquée était liée à la dispute qui avait eu lieu à propos des heures de travail manquantes et au fait que chaque partie était restée sur ses positions. Elle a également admis que la défenderesse était libre de choisir de licencier la demanderesse, considérant qu’une collaboration avec cette dernière n’était plus possible.

S’agissant de la différence entre le salaire de la demanderesse et celui de son collègue M., la Cour civile a relevé que l’art. 6 LEg consacrait non pas un renversement complet mais un allégement du fardeau de la preuve, de telle sorte que la vraisemblance d’une différence de traitement en matière de salaire n’emportait pas la présomption de sa nature sexiste.

Examinant la situation de la demanderesse et celle de son collègue masculin, les juges ont considéré que s’il y avait eu une différence de traitement, rien ne permettait de se convaincre qu’elle était discriminatoire et que la demanderesse n’ayant apporté aucun indice que l’écart de salaire entre elle et M. était fondé sur le fait qu’elle était une femme, il y avait lieu d’admettre que cette différence de traitement était justifiée par les responsabilités supplémentaires assumées par M.

A l’appui de sa décision, la Cour civile se réfère au jugement qu’elle a rendu dans la cause K. contre X. SA. le 19 octobre 1998. Cet arrêt a cependant été cassé par le Tribunal fédéral qui a jugé que les autorités cantonales n’avaient pas appliqué correctement l’art. 6 LEg (ATF 127 III 207 – cf VD 19.01.2001).

VD 19.01.2001
discrimination salariale
discrimination à la promotion

sujet

vraisemblance de la discrimination
motifs objectifs

LEg

art 3, art 6, art 17

procédure

13.03.1998Appréciation du Bureau cantonal de l’égalité entre les femmes et les hommes 15.10.1999Jugement de la Cour civile (01 94 0834 [404/98/GN]) 19.01.2001Arrêt du Tribunal fédéral (4 C.432/1999, publié in ATF 127 III 207 [extrait] et SJ 2001, p. 500 [extrait]) 10.07.2001Transaction judiciaire passée entre parties

en fait

La demanderesse K., juriste de formation, a été engagée en 1978 par l’Office X., association de droit privé subventionnée par la Confédération, comme collaboratrice du département «Promotion du commerce extérieur». Après le temps d’essai, K. a accédé à la fonction de déléguée. Dès la fin des années 1980, des difficultés sont survenues au sujet du montant du salaire de la demanderesse, celle-ci estimant qu’il ne tenait pas suffisamment compte de ses responsabilités et de la qualité de son travail. En mai 1991, la demanderesse a essayé de négocier un «rééquilibrage» de son salaire. Le directeur de l’Office a estimé que la demande était prématurée étant donné que K. avait obtenu une augmentation de 11,4% à compter du 1er janvier 1991. Peu après, une nouvelle attribution des fonctions a été décidée par la direction. Tous les collègues de la demanderesse, titulaires comme elle de la fonction de «délégué» ont été promu chef d’une unité régionale, exception faite d’un collègue qui a quitté le défendeur dans le courant de l’été 1991. La demanderesse n’a reçu que le titre de «conseiller à l’exportation». Le climat s’est par la suite dégradé et X. a résilié le contrat de travail de la demanderesse le 27 juillet 1992 pour le 31 octobre 1992. La demanderesse est restée au chômage de novembre 1992 à début décembre 1993.

La demanderesse a ouvert action contre X. le 6 octobre 1994. Dans ses dernières conclusions, elle a demandé à ce que le défendeur soit reconnu son débiteur de la somme de Fr. 140’405.50 en capital.

Le 15 octobre 1999, la Cour civile du Tribunal cantonal rejette la demande de K.

Tout d’abord, la Cour civile a relevé que la réclamation de la demanderesse, initialement fondée sur le respect du principe d’égalité de droit entre hommes et femmes consacré à l’article 4 al. 2 a Cst., trouvait maintenant son fondement dans la LEg. L’autorité cantonale a considéré que la politique salariale de X. n’était pas «sexuellement discriminatoire», mais ressemblait à des «rails» dont les collaborateurs ne sortaient que difficilement sous réserve de promotion, même si leurs responsabilités et la nature de leur travail se modifiaient avec le temps. Elle a estimé que l’écart de la rémunération tenait pour l’essentiel à la pratique salariale du défendeur, qui défavorisait objectivement les personnes – de sexe féminin ou masculin – engagées jeunes, peu après leurs études, alors qu’elles n’avaient pas d’expérience pratique de la vie économique. Considérant que l’article 6 LEg ne prévoyait qu’un simple allégement du fardeau de la preuve d’un comportement discriminatoire et non un renversement complet dudit fardeau en vertu duquel la vraisemblance d’une différence de traitement en matière de salaire ou promotion emporterait également la présomption de sa nature sexiste, la Cour civile a jugé que le caractère sexiste de la politique du défendeur en matière de rémunération et de promotion n’était pas établi, ni même rendu vraisemblable.

S’agissant des dépens d’expertise hors procès dont les parties se réclamaient réciproquement le remboursement, la Cour civile a admis que les dépens de la preuve à futur constituaient un élément du dommage qui pouvait être réclamé dans le procès au fond et que le droit à leur remboursement dépendait de la nécessité de la preuve à futur, de son résultat et de celui du procès au fond, donc du bien-fondé de la prétention du requérant.

La Cour civile a rejeté les conclusions prises par la demanderesse à l’encontre du défendeur.

S’agissant des dépens de la preuve à futur, la Cour civile a condamné la demanderesse à rembourser au défendeur la somme de Fr. 4’000.- avec intérêt au taux de 5% l’an dès le 26 août 1994, date de la décision du Juge de Paix arrêtant le montant de l’expertise hors procès, du fait qu’elle était déboutée de ses conclusions au fond.

S’agissant des émoluments et frais judiciaires, à savoir pour ces derniers les débours occasionnés par la procédure judiciaire, notamment les frais d’expertise et les indemnités aux témoins, les premiers juges ont admis qu’il se justifiait d’étendre la gratuité à l’ensemble de la procédure, soit également aux opérations antérieures à l’entrée en vigueur de la LEg puisque celle-ci peut s’appliquer aussi à des discriminations salariales survenues avant son entrée en vigueur le 1er juillet 1996. Les premiers juges ont ainsi décidé que les frais de justice avancés par les parties devaient leur être restitués à raison de Fr. 4’660.- pour la demanderesse et de Fr. 29’099.35 pour le défendeur. La Cour civile a toutefois relevé que la gratuité de la procédure n’excluait pas l’allocation de dépens à la charge de la partie qui succombe et a accordé au défendeur de pleins dépens arrêtés à Fr. 21’000.-, à savoir Fr. 20’000.- à titre de participation aux honoraires de son conseil et Fr. 1’000.- pour les débours de celui-ci.

La demanderesse a recouru au Tribunal fédéral en reprenant les mêmes conclusions. Elle fait valoir qu’elle a prouvé la vraisemblance d’une discrimination sexiste à son endroit, alors que le défendeur a échoué dans la contre-preuve d’une justification de cette discrimination par une autre cause.

Le 19 janvier 2001, le Tribunal fédéral admet partiellement le recours de la demanderesse, annule le jugement attaqué et renvoie la cause à la Cour civile pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

en droit

Le Tribunal fédéral a considéré que l’autorité cantonale méconnaissait l’art. 6 LEg car en application de celui-ci lorsque des travailleurs de sexe opposé ont une position semblable dans l’entreprise avec des cahiers des charges comparables, il est présumé, s’il y a une différence de rémunération entre eux, que celle-ci est de nature sexiste, l’employeur devant apporter la preuve de la non-discrimination. Si l’employeur ne réussit pas à rapporter cette preuve, l’action de la partie demanderesse doit être accueillie, sans que doive encore être établie l’existence dans l’entreprise d’une politique du personnel sexiste, comme l’a retenu à tort la Cour civile. Le Tribunal fédéral a rappelé qu’une discrimination à raison du sexe peut intervenir dans la classification générale de diverses fonctions au sein d’une échelle de traitement, ou bien dans la fixation de la rémunération d’une personne déterminée, lorsqu’on la compare avec celle d’autres personnes du sexe opposé. Il a également rappelé que la jurisprudence considérait comme non-discriminatoire les différences de salaire qui reposent sur des motifs objectifs. Parmi ceux-ci figurent d’abord les motifs qui peuvent influencer la valeur même du travail, comme la formation, l’ancienneté, la qualification, l’expérience, le domaine concret d’activité, les prestations et les risques encourus. En outre, des différences de salaire peuvent se justifier pour des motifs qui ne se rapportent pas immédiatement à l’activité de la travailleuse ou du travailleur, mais qui découlent de préoccupations sociales, comme les charges familiales ou l’âge. Des motifs objectifs ne peuvent légitimer une différence de rémunération que s’ils jouent un rôle véritablement important en regard de la prestation de travail et s’ils influent par conséquent sur les salaires versés par le même employeur. Enfin, le Tribunal fédéral a rappelé que la LEg ne s’appliquait qu’aux différences de traitement entre travailleurs, d’une part, et travailleuses, d’autre part, et qu’elle ne s’opposait pas à des discriminations entre hommes ou entre femmes, précisant encore que l’interdiction de discrimination entre hommes et femmes était inconditionnelle. Une discrimination entre hommes ou entre femmes ne justifie ainsi pas une discrimination entre femmes et hommes. Dans cette dernière hypothèse, il suffirait à un employeur de pratiquer des discriminations entre hommes ou entre femmes pour s’exonérer de toute interdiction de discrimination à raison du sexe des travailleurs. Le Tribunal fédéral a donc considéré qu’il fallait s’en tenir au principe que l’homme et la femme ont droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale, sous réserve seulement de l’existence d’un motif objectif justifiant une différence de traitement et qu’en s’écartant de ce principe, la Cour cantonale avait violé le droit fédéral.

Le Tribunal fédéral a relevé que si l’employeur justifiait une différence de traitement rendue vraisemblable au motif que l’intéressée a été engagée jeune, il lui incombait alors d’établir quel rôle l’expérience jouait pour l’exercice de l’activité en cause, en démontrant la valeur qu’il lui attribue et les raisons pour lesquelles l’expérience acquise au sein de l’entreprise ne vaut pas celle acquise à l’extérieur. Constatant que la demanderesse avait une longue ancienneté dans l’entreprise, soit plus de dix ans au moment où elle s’était plainte de discrimination à raison du sexe, que ses responsabilités s’étaient accrues au fil du temps et que selon la politique salariale de l’employeur, les écarts de rémunération tendaient à augmenter en chiffres absolus avec les années qui passaient, le Tribunal fédéral a considéré que la Cour cantonale avait méconnu la notion, posée par la jurisprudence, de motifs objectifs propres à justifier une disparité de traitement. En outre, le Tribunal fédéral a rappelé que l’interdiction de la discrimination fondée sur le sexe s’appliquait aussi bien aux discriminations non intentionnelles qu’aux discriminations intentionnelles et que dans le cas particulier l’autorité cantonale ne pouvait exonérer le défendeur de toute violation de l’art. 3 LEg parce qu’il n’avait pas eu l’intention d’opérer des discriminations à raison du sexe. Enfin, le Tribunal fédéral a jugé que la taille d’une entreprise, en l’occurrence petite, n’empêchait pas de comparer des activités pour déterminer si elles sont de valeurs égales. De même, lorsqu’une travailleuse invoque une discrimination à raison du sexe dans le cadre d’une comparaison avec le travail accompli par d’autres hommes, il est sans pertinence qu’aucune comparaison ne soit possible avec d’autres femmes et qu’il soit ainsi difficile de déterminer si d’autres femmes ont été victimes de la discrimination alléguée.

S’agissant d’une discrimination en matière de promotion, les juges ont admis que la demanderesse, seule «déléguée» de sexe féminin et seule à n’avoir pas reçu de fonction dirigeante, avait été victime d’une discrimination fondée sur le sexe lors des promotions en juin 1991.

Décision

Le Tribunal fédéral a jugé que les motifs retenus par l’autorité cantonale pour nier d’emblée la vraisemblance d’une discrimination étaient contraire au droit fédéral. Il a par conséquent admis partiellement le recours, annulé le jugement attaqué et renvoyé la cause à la Cour civile pour qu’elle établisse si la demanderesse avait été victime d’une disparité de traitement qui ne serait pas justifiée par des motifs étrangers au sexe. Il a précisé que l’autorité cantonale établira les faits d’office et procédera à toutes les constatations nécessaires quant aux tâches effectuées par la demanderesse et par les autres employés du défendeur, quant à la complexité des tâches en question, quant à l’accomplissement par les intéressés d’autres tâches administratives ou organisationnelles accessoires, quant à la rémunération de ces travailleurs, quant à la valeur de leur travail et, le cas échéant, quant aux motifs objectifs propres à justifier une disparité de traitement.

Les parties ont passé une transaction judiciaire devant l’autorité cantonale le 10 juillet 2001.

VD 12.03.2001
harcèlement sexuel

sujet

tort moral (cumul avec indemnités LEg)

LEg

art 4, art 5

procédure

26.04.2000Jugement du Tribunal de prud’hommes 12.03.2001Arrêt de la Chambre des recours du Tribunal cantonal (no 342)

en fait

La demanderesse, au bénéfice d’un CFC d’esthéticienne, s’est inscrite à un cours de naturopathie pour l’année 1995-1996 auprès de la défenderesse X. Parallèlement, la demanderesse a signé un contrat de bail avec la défenderesse pour une surface commerciale située dans les locaux de cette dernière où elle a installé un cabinet de consultation en esthétique. Vers la fin de l’année 1995, la demanderesse a entretenu une brève relation amoureuse avec le directeur de la défenderesse, marié et de vingt ans son aîné. Puis les deux intéressés ont décidé de rompre et n’ont plus entretenu de relations intimes. Le 1er février 1996, la demanderesse a été engagée en qualité d’aide de bureau auxiliaire de la défenderesse par le directeur de celle-ci. A côté de cette activité, elle a continué à exploiter son cabinet d’esthéticienne, mais a interrompu sa formation en naturopathie d’entente avec la défenderesse pour la reprendre au début de la cession de printemps 1996. Depuis janvier 1997, le directeur de la défenderesse a envoyé des lettres à la demanderesse, l’a harcelée continuellement, en lui faisant des propositions. Le 31 décembre 1997, la demanderesse a informé la défenderesse qu’elle cessait sa formation au 31 janvier 1998. Par courrier recommandé du 7 janvier 1998, la défenderesse a pris acte de la démission de la demanderesse et a joint un décompte et une facture relatifs à la situation du compte écolage de celle-ci. Dans une deuxième lettre du même jour, la défenderesse a «confirmé» à la demanderesse que les locaux loués devaient être libérés pour le 31 mars 1998 et dans une troisième correspondance, elle lui a signifié la résiliation de son contrat de travail pour le 28 février 1998 en invoquant une restructuration des services de l’entreprise, imposée par la réalité économique. Le 26 janvier 1998, le directeur de la défenderesse a informé la demanderesse qu’il n’avait plus de travail à lui confier jusqu’au 28 février 1998. La demanderesse a reçu son salaire jusqu’au 31 janvier 1998.
La demanderesse a sombré dans une profonde dépression durant les six premiers mois de l’année 1998.

La demanderesse a ouvert action le 30 septembre 1998 en concluant à ce que la défenderesse soit reconnue sa débitrice du montant de Fr. 8’010.- brut plus intérêt à 5% l’an dès le 15 mai 1998 et de Fr. 11’990.-.

Le 26 avril 2000, le Tribunal de prud’hommes d’Yverdon admet partiellement l’action de la demanderesse.

Les juges ont admis que la demanderesse avait droit à son salaire jusqu’à la fin des rapports contractuels même si elle avait été dispensée de travailler. Ils ont par ailleurs considéré que le directeur de la défenderesse avait eu un comportement importun de caractère sexuel, en la harcelant par des lettres à connotations clairement sexuelles et pleines d’ambiguïté, en lui faisant des remarques, des allusions, des plaisanteries et des propositions de caractère sexuel, en la mettant sous pression psychologique constante, alternant les stratagèmes de séduction et les bouderies et en se montrant désagréable lorsqu’il sentait qu’il n’aurait plus de relations sexuelles avec elle. Les juges ont aussi considéré que la défenderesse avait causé un préjudice important à la demanderesse tant sur le plan matériel que moral. Ils ont donc reconnu que la demanderesse avait droit à une indemnité correspondant au remboursement des frais engagés pour sa formation en naturopathie et à une indemnité pour tort moral (art. 49 CO) vu qu’à la suite du harcèlement dont elle avait été l’objet pendant plus d’une année, elle avait dû interrompre sa formation qui lui tenait à cœur et qu’elle avait subi une dépression consécutive à son licenciement et à l’effondrement de ses aspirations professionnelles.

Les juges ont alloué à la demanderesse son salaire pour le mois de février 1998 par Fr. 1’192.- brut et une indemnité pour harcèlement sexuel, ex æquo et bono, de Fr. 5’000.-. Ils lui ont également alloué une indemnité de Fr. 2’506.30 en remboursement des frais engagés pour sa formation inachevée et de Fr. 5’000.- pour tort moral. Les juges n’ont pas alloué d’indemnité pour licenciement abusif à la demanderesse, faute pour celle-ci d’avoir fait opposition par écrit en temps utile à son congé.

La défenderesse a recouru contre le jugement du Tribunal de prud’hommes d’Yverdon, concluant à sa réforme en ce sens que les conclusions prises par la demanderesse sont purement et simplement rejetées.

Le 12 mars 2001, la Chambre des recours du Tribunal cantonal rejette le recours de la défenderesse et confirme le jugement de première instance.

en droit

Après avoir relevé que la seconde hypothèse visée à l’article 4 LEg, à savoir tout autre comportement fondé sur l’appartenance sexuelle, avait une portée propre comprenant les propos sexistes, les juges ont admis que les actes du directeur de la défenderesse tels que décrits dans le jugement de première instance, consistant en des invitations gênantes, des avances accompagnées de promesses de récompenses, des commentaires embarrassants, bref des remarques sexistes, tombaient sous le coup de l’article 4 LEg. Ils ont donc confirmé que l’intéressée avait été victime de harcèlement sexuel et que le fait qu’elle ait entretenu une relation amoureuse avec le directeur de la défenderesse vers la fin de l’année 1995 n’y changeait rien, les faits litigieux étant postérieurs. La défenderesse n’ayant pas apporté la preuve disculpatoire qu’elle aurait pris les mesures - commandées par l’expérience et appropriées aux circonstances que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elle - pour prévenir le comportement de son directeur ou y mettre fin, sa condamnation au paiement d’une indemnité a été jugée justifiée. Le montant de Fr. 5’000.-, soit moins d’un mois du salaire moyen suisse (Fr. 5’500.-), a été reconnu adéquat, même s’il pouvait paraître modeste au vu de la gravité des actes commis par le directeur de la défenderesse et de la sanction maximale possible. Les juges ont également considéré que la demanderesse avait droit à des dommages-intérêts correspondant aux frais d’écolage engagés en pure perte puisqu’elle n’avait pu terminer sa formation en naturopathie en raison du comportement du directeur de la défenderesse. Finalement, l’autorité de recours a admis qu’en application de l’article 5 alinéa 5 LEg la demanderesse avait droit à une indemnité pour tort moral pour les raisons retenues par les premiers juges, relevant que cette indemnité était cumulable avec celle allouée pour harcèlement sexuel sur la base de l’article 5 alinéa 3 LEg, laquelle constitue une sanction pénale pour l’employeur qui s’abstient de prendre des mesures préventives ou rétroactives à l’encontre du harcèlement sexuel.

L’autorité de recours a rejeté le recours et confirmé le jugement de première instance.

NE 04.04.2001
discrimination à l'embauche

sujet

administration publique

LEg

art 3, art 5, art 13

procédure

04.05.2000Décision du Département des finances et des affaires sociales 04.04. 2001Arrêt du Tribunal administratif (TA.2000.197-FONC/yr)

en fait

La demanderesse M. a été engagée comme surveillante auxiliaire auprès de l’établissement mixte d’exécution des peines (EEP) Bellevue, à G., le 1er novembre 1994 et nommée à cette fonction le 1er janvier 1996. Le 1er juillet 1998, le Conseil d’Etat a décidé de supprimer toute mixité au sein de l’EEP Bellevue et averti la demanderesse que son poste était supprimé avec effet au 31 janvier 1999. Estimant être victime d’une discrimination à raison du sexe, l’intéressée a contesté cette mesure auprès du Conseil d’Etat. Sa requête a été écartée par une décision qui a été, en substance, confirmée par le Tribunal administratif, puis par le Tribunal fédéral (arrêt 1 A. 8/2000).
En janvier 2000, la demanderesse a postulé pour un poste de surveillant à l’EEP Bellevue réservé aux candidatures masculines. Refus d’engagement par le Directeur du service des établissements au motif que le poste ne devait être repourvu que par un homme.
Recours auprès du Département de la justice, de la santé et de la sécurité (DJSS) déclaré irrecevable, étant confirmé qu’il revenait au Service des ressources humaines de statuer sur la candidature de la demanderesse. Décision dudit service le 6 avril 2000, écartant la postulation de M. en exposant que son choix s’est porté sur un candidat de sexe masculin afin d’éviter toute friction ou tout contact de nature à dégrader les rapports d’autorité entre le personnel de surveillance et les détenus lui étant subordonnés.

M. a recouru contre la décision du Service des ressources humaines auprès du Département des finances et des affaires sociales.

Le 4 mai 2000, le Département des finances et des affaires sociales confirme la décision du Service des ressources humaines.
Le Département des finances et des affaires sociales a considéré que le choix de n’assigner aux prisonniers que des agents de surveillance de même sexe répondait à un véritable besoin, à savoir éviter que des relations affectives se tissent entre les membres de deux groupes de personnes se trouvant dans un rapport de subordination. Après avoir rappelé qu’une enquête administrative avait révélé un manque de distance entre une surveillante et les détenus, des relations privilégiées entre un surveillant et une détenue, ainsi que des relations sentimentales entre plusieurs gardiennes et quelques détenus, le Département intimé a estimé qu’il se justifiait non pas d’écarter toute femme du poste de surveillant, mais de prévoir dans ce contexte bien précis une correspondance des sexes entre les agents de surveillance et les détenus. Le Département a relevé par ailleurs que la provenance culturelle ou religieuse des détenus séjournant à l’EEP pouvait constituer un obstacle à un exercice optimal et entier des missions de surveillance par du personnel féminin.

Le Département des finances et des affaires sociales a rejeté le recours de M.

M. a recouru contre la décision du Département, concluant à ce qu’il soit constaté que le refus de l’embaucher constitue une discrimination prohibée et à ce que l’Etat de Neuchâtel soit condamné à lui verser une indemnité équivalant à trois mois de traitement brut servi aux surveillants de l’EEP Bellevue.

Le 4 avril 2001, le Tribunal administratif annule les décisions du Département des finances et des affaires sociales et du Service des ressources humaines.

en droit

Le Tribunal administratif a relevé que les événements à l’origine de l’enquête administrative étaient survenus dans des circonstances particulières et que l’on ne pouvait en déduire que les surveillantes devraient par principe être exclues des prisons pour hommes, au motif qu’elles viendraient immanquablement à développer avec les détenus des rapports sortant du cadre purement professionnel. Pour le Tribunal, on ne saurait d’emblée retenir que la fonction de surveillant dans un établissement d’exécution des peines destiné aux hommes dépend à ce point de caractéristiques propres au sexe masculin qu’elle devrait rester inaccessible aux femmes. Les juges ont d’ailleurs relevé que les conditions de travail pouvaient être aménagées de manière à éviter tout risque éventuel.

Le Tribunal a considéré que l’éviction de la candidature de l’intéressée, fondée sur le fait que le poste à repourvoir était exclusivement destiné à un homme, n’était justifiée par aucun motif objectif et constituait dès lors une discrimination à raison du sexe prohibée au sens de l’article 3 LEg.

Le Tribunal a admis que compte tenu de sa précédente expérience et de ses qualifications, l’intéressée aurait eu de bonnes chances de voir sa candidature aboutir si elle n’avait pas été victime d’une discrimination et lui a reconnu le droit à une indemnité, celle-ci ayant été réclamée et pouvant être octroyée en cas de discrimination lors de la création de rapports de travail régis par le droit public.

Le Tribunal administratif a reconnu à la recourante le droit à une indemnité correspondant à trois mois de traitement brut pour le poste mis au concours, à la charge de l’Etat, et renvoyé la cause au Service des ressources humaines pour qu’il arrête le montant de dite indemnité.

VD 06.04.2001
harcèlement sexuel

sujet

propos sexistes

LEg

art 4, art 5, art 7

procédure

27.07.1999Appréciation du Bureau cantonal de l’égalité entre les femmes est les hommes 11.10.1999Jugement du Tribunal de district de Lausanne 18.05.2000Arrêt de la Chambre des recours du Tribunal cantonal 06.04.2001Arrêt du Tribunal fédéral (4C.187/2000)

en fait

La demanderesse a été engagée par la défenderesse X. en qualité de sommelière dès le 1er juin 1998. Depuis le 24 juillet 1998, elle a été en incapacité de travail. Le 12 août 1998, son médecin traitant a établi une attestation médicale selon laquelle elle était dans l’incapacité totale de poursuivre son travail en raison du comportement de Y., gérant de l’établissement où elle était sommelière, celui-ci étant si choquant qu’elle en faisait une dépression. La demanderesse a résilié son contrat de travail pour le 31 août 1998.

Le 8 décembre 1998, la demanderesse a ouvert action, demandant à ce qu’il soit constaté qu’elle avait résilié son contrat de travail pour le 31 août 1998 pour justes motifs, que la défenderesse avait eu à son égard un comportement discriminatoire et qu’elle soit reconnue sa débitrice du montant de Fr. 20’000.- plus intérêts à 5% dès le 1er septembre 1998.

Le 11 octobre 1999, le Tribunal civil du district de Lausanne rejette l’action de la demanderesse.

Le premier juge a tout d’abord indiqué que le Bureau cantonal de l’égalité avait admis que les faits invoqués par la demanderesse entraient dans la définition du harcèlement sexuel sur la base des déclarations de celle-ci, de la procédure et du compte-rendu de l’audition de trois témoins, établi à la suite de la suspension de l’audience du 18 mars 1999, mais sans avoir eu connaissance du contenu des déclarations des huit témoins entendus lors de la reprise d’audience le 8 juillet 1999. Il a ensuite relevé que l’instruction menée à l’audience du 8 juillet 1999 avait permis d’établir que le gérant de l’établissement où travaillait la demanderesse était un personnage injurieux, souvent pris de boisson et qui s’exprimait de manière vulgaire, précisant qu’il parlait souvent de ses déboires avec les femmes en les traitant toutes de «salopes». Le premier juge n’a cependant pas admis l’existence d’un comportement discriminatoire, considérant que le comportement de Y., certes franchement grossier, n’était pas dirigé contre la demanderesse et que ce dernier s’adressait vulgairement tant à la clientèle de l’établissement qu’à son personnel. Il a par ailleurs considéré que la demanderesse ne s’était pas plainte immédiatement de la situation et qu’elle n’avait pas apporté la preuve de l’existence de justes motifs justifiant la résiliation immédiate de son contrat de travail.

Le Président du Tribunal civil du district de Lausanne a rejeté l’action de la travailleuse et alloué à son employeur des dépens arrêtés à Fr. 1’100.-.

La demanderesse a recouru contre le jugement rendu par le Président du Tribunal civil du district de Lausanne en concluant principalement à sa réforme en ce sens que la défenderesse lui doit la somme de Fr. 20’000.- et subsidiairement à son annulation.

Le 18 mai 2000, la Chambre des recours du Tribunal cantonal admet partiellement le recours de la demanderesse.

Les juges de seconde instance ont admis que la seconde hypothèse visée à l’art. 4 LEg, à savoir «tout autre comportement fondé sur l’appartenance sexuelle» avait une portée propre comprenant les propos sexistes. Ils ont considéré que les propos de Y. ne constituaient pas des actes de harcèlement sexuel au sens courant du terme mais qu’ils avaient toutefois un caractère sexiste tombant sous le coup de la seconde hypothèse de l’art. 4 LEg. Pour la Chambre des recours, le fait de s’entendre traiter régulièrement dans les termes retenus par le premier juge, à savoir «salope, connasse, sale pute» devant les clients et le personnel, ne pouvait être ressenti par la travailleuse que comme une atteinte grave à sa dignité rendant très pénible pour elle l’atmosphère de travail. Elle a donc admis que la recourante avait été victime de harcèlement sexuel au sens de l’art. 4 LEg et qu’elle en avait été atteinte dans sa santé. Les juges ont considéré par ailleurs que X. n’avait pas établi avoir pris des mesures pour empêcher les actes du gérant de l’établissement où travaillait la demanderesse. Ils ont ainsi reconnu à cette dernière le droit à une indemnité et fixé celle-ci en tenant compte, d’une part, du caractère répétitif des actes de Y., du fait que, matériellement, ils provenaient de l’employeur lui-même et avaient eu une incidence sur la santé de la travailleuse et d’autre part, du fait que le comportement litigieux était limité pour l’essentiel à des paroles grossières et injurieuses et que, sans que cela soit une excuse, l’atmosphère de travail n’était pas des plus raffinées.
S’agissant de la fin des rapports contractuels, les juges ont relevé que la demanderesse avait résilié son contrat le 26 août 1998, alors qu’elle se trouvait en incapacité de travail pour cause de maladie depuis le 24 juillet 1998 et qu’elle était par conséquent à tard pour donner son congé avec effet immédiat. Ils ont d’ailleurs considéré que la lettre de résiliation envoyée le 26 août 1998, mais pour l’échéance du 31 août 1998, devait être interprétée comme une proposition de mettre fin au contrat de manière anticipée, proposition qui avait été acceptée tacitement par l’employeur.

La Chambre des recours du Tribunal cantonal a admis partiellement le recours interjeté par la travailleuse et réformé le jugement de première instance en condamnant la défenderesse X. à verser à cette dernière une indemnité de Fr. 10’000.- et des dépens arrêtés à Fr. 700.-. L’employeur a également été condamné à verser à la travailleuse la somme de Fr. 600.- à titre de dépens de deuxième instance.

La défenderesse a recouru en réforme au Tribunal fédéral contre l’arrêt rendu par la Chambre des recours du Tribunal cantonal. Elle a conclu au rejet de la demande.

Le 6 avril 2001, le Tribunal fédéral rejette le recours de l’employeur.

en droit

Les juges ont rappelé que les remarques sexistes et les commentaires grossiers embarrassants entraient dans la définition du harcèlement sexuel.

Ils ont relevé que même si les exemples cités à l’art. 4 LEg se référaient uniquement à des cas d’abus d’autorité, la définition englobait tous comportements importuns de caractère sexuel, soit également ceux qui contribuent à rendre le climat de travail hostile, par exemple des plaisanteries déplacées.

Le Tribunal fédéral a considéré que la nature sexiste des propos de Y. était évidente, que de tels propos, tenus régulièrement devant la clientèle et le personnel, ainsi que l’attitude du gérant lui-même, ne pouvaient être ressentis par la travailleuse que comme une atteinte grave à sa dignité de femme.

De surcroît, il n’a pas admis, comme le faisait valoir la défenderesse, que la demanderesse avait consenti aux atteintes infligées par Y.; relevant que la brièveté des rapports de travail montraient que la demanderesse n’acceptait pas l’atmosphère que lui imposait son employeur. Il a également relevé que le montant de l’indemnité fixée par la Cour cantonale, soit un peu moins de deux mois du salaire moyen suisse, était justifié.

GE 28.11.2001
harcèlement sexuel

sujet

climat de travail hostile
tort moral
dommage-intérêt

LEg

art 3, art 4, art 6

procédure

23.01.2001Jugement du Tribunal des Prud’hommes 28.11.2001Arrêt de la Cour d’appel des Prud’hommes (cause no C/3803/2000)

en fait

La demanderesse a été engagée en qualité de secrétaire le 17 juillet 1997 par X., exploitant en raison individuelle une société de services. Son salaire mensuel brut, initialement de Fr. 3’500.-, a été porté à Fr. 3’600.- dès le 1er janvier 1998, montant auquel s’ajoutait une prime d’efficacité et de fidélité. Dès le 31 août 1998, la demanderesse a été promue au poste d’assistante de direction et a bénéficié d’une prime de Fr. 400.- versée sous forme de frais de repas. Le 30 novembre 1998, X. a licencié la demanderesse pour l’échéance du 31 janvier 1999, en invoquant comme motif qu’elle avait refusé les nouveaux horaires de travail instaurés suite à une restructuration complète de l’entreprise. La demanderesse ayant refusé de prendre possession de sa lettre de congé sur son lieu de travail, son licenciement lui a été confirmé par courrier du 1er décembre 1998. La demanderesse s’est alors plainte de harcèlement sexuel et de mobbing subis à partir de février 1998. Par courrier du 16 avril 1999, X. a libéré la demanderesse de son obligation de présence jusqu’au terme du délai de congé, reporté au 30 avril 1999 en raison des périodes successives de maladie intervenues depuis décembre 1998. Le 12 mai 1999, X. a déclaré avoir payé par erreur les salaires excédant son obligation selon l’échelle bernoise et en a demandé la restitution à la demanderesse. Par réponse du 25 mai 1999, la demanderesse a contesté tout devoir de restitution en faisant valoir qu’elle n’était plus enrichie.

La demanderesse a ouvert action le 17 février 2000, réclamant le paiement de Fr. 30’240.- à titre d’indemnité équivalant à six mois du salaire moyen suisse pour harcèlement sexuel, Fr. 10’000.- à titre d’indemnité pour tort moral et Fr. 4’800.- à titre de salaire pour 200 heures supplémentaires non indemnisées. L’employeur a conclu au rejet des conclusions de la demanderesse et pris des conclusions reconventionnelles, réclamant Fr. 3’731.90 à titre de remboursement d’un paiement indû et Fr. 1’100.- à titre de dommages et intérêts, soit en remboursement de dégâts causés à une voiture de fonction. La demanderesse a admis le décompte d’heures supplémentaires établi par X., faisant état d’un solde de 9 heures en sa faveur et réduit ses prétentions en conséquence.

Le 23 janvier 2001, le Tribunal des Prud’hommes reconnaît que la demanderesse a été victime de harcèlement sexuel.

Les juges ont considéré que les cas de harcèlement sexuel tombant sous le coup de la disposition de l’article 4 LEg n’étaient pas obligatoirement des cas d’abus d’autorité, mais concernaient également les actes portant atteinte à la dignité du travailleur en contribuant à rendre le climat de travail hostile, par exemple par des plaisanteries déplacées. X. ayant fait valoir que la demanderesse ne manquait pas de participer aux plaisanteries parfois grivoises qui avaient cours entre collègues, les juges ont relevé que le fait que l’employée ait eu recours au même vocabulaire ne saurait justifier l’admission par l’employeur de remarques sexistes, grossières ou embarrassantes, en particulier de la part d’un supérieur hiérarchique dont le comportement peut déteindre sur celui de ses subordonnés. Le Tribunal a par ailleurs relevé que même si les propos déplacés étaient intervenus à une certaine époque dans une atmosphère de bonhomie et de convivialité, la situation avait radicalement changé avec l’engagement d’un nouveau chef du personnel et qu’il était établi que suite aux nouveaux rapports hiérarchiques induits par ce changement de situation, la demanderesse s’était effectivement sentie agressée par les propos et comportements de ses collègues masculins. Les juges ont ainsi admis l’existence d’un comportement relevant d’un harcèlement sexuel à l’encontre de la demanderesse. Ils ont considéré que la demanderesse avait droit à une indemnité fondée sur l’article 5 al. 3 LEg puisque son employeur n’avait pas apporté la preuve qu’il aurait pris les mesures appropriées pour prévenir les actes incriminés ou y mettre fin.

Les juges ont rejeté les conclusions reconventionnelles de l’employeur, admettant que la demanderesse, en passe de s’inscrire au chômage, avait affecté les montants versés à titre de salaire au paiement de ses besoins vitaux et qu’il n’y avait dès lors pas lieu à restitution puisqu’elle s’en était dessaisie de bonne foi. S’agissant des frais de réparation d’une voiture de fonction, les juges ont constaté qu’aucun justificatif n’avait été versé au dossier.

Le Tribunal des Prud’hommes a condamné X. à payer à la demanderesse la somme nette de Fr. 11’000.- avec intérêt à 5 % l’an dès le 17 février 2000 à titre d’indemnité fondée sur l’article 5 al. 3 LEg. En revanche, il a rejeté les conclusions relatives à une indemnité fondée sur les articles 27 CC et 49 CO, au motif que la LEg constitue une loi spéciale par rapport aux dispositions du Code des obligations et que le travailleur n’a droit qu’à une seule indemnité pour la même atteinte, nonobstant le fait que la réparation du même préjudice est prévue dans les deux lois. Le Tribunal a en outre condamné X. à verser à la demanderesse la somme de Fr. 216.- plus intérêt à 5 % l’an dès le 17 février 2000 à titre d’heures supplémentaires. Les parties ont été déboutées de toutes autres conclusions.

X. a formé appel contre le jugement rendu par le Tribunal des Prud’hommes le 23 janvier 2001, soutenant que la demanderesse devait être déboutée car elle ne s’était pas plainte des propos et gestes litigieux sur le moment et que même après l’arrivée du nouveau chef du personnel, les propos et actes incriminés n’avaient été qu’occasionnels et ne présentaient donc pas un caractère de harcèlement. Il a par ailleurs conclu à l’admission de ses conclusions reconventionnelles.

Le 28 novembre 2001, la Cour d’appel des Prud’hommes réduit l’indemnité allouée à la demanderesse.

en droit

Les juges ont considéré que les propos et l’attitude de X. n’étaient manifestement pas admissibles, même dans un contexte où les relations entre les intéressés étaient assez libres et amicales, et même si l’employée qui en a été la cible comprenait la plaisanterie. Ils ont relevé que ces propos et cette attitude étaient particulièrement choquants en tant qu’ils émanaient du patron lui-même, auquel incombait le rôle de garant du respect qui doit exister entre collaborateurs, car ils étaient ainsi susceptibles d’induire ou de conforter le personnel dans un comportement grossier et méprisant à l’égard de la demanderesse. A l’instar des premiers juges, la Cour d’appel a admis que la demanderesse avait été victime de harcèlement sexuel de la part de X. et que ce dernier, ayant manifestement failli à ses obligations d’employeur, devait réparation de ce fait. Les juges ont cependant considéré que l’amitié qui liait initialement la demanderesse à X. et la liberté des relations qui existaient entre eux avait pu donner à ce dernier – bien qu’à tort – l’impression d’un consentement de la part de celle-ci, ce qui justifiait une légère réduction de l’indemnité allouée en première instance.

La Cour d’appel a modifié le jugement du Tribunal des Prud’hommes uniquement en ce qui concernait l’indemnité due par X., celle-ci étant réduite au montant de Fr. 8’000.- avec intérêt à 5 % l’an dès le 17 février 2000. Les parties ont été déboutées de toutes autres conclusions et le jugement a été confirmé pour le surplus.

VD 13.12.2001
discrimination salariale

LEg

art 3, art 5, art 6

procédure

16.03.2001Jugement du Tribunal de prud’hommes 13.12.2001Arrêt de la Chambre des recours du Tribunal cantonal (no 610)

en fait

La demanderesse X. a été engagée en juin 1995 par la défenderesse X. SA pour un salaire mensuel brut de Fr. 2’400.-. Cet engagement faisait suite à un travail temporaire par l’intermédiaire d’une agence de placement intérimaire.

La demanderesse a tout d’abord travaillé au perçage, puis elle est passée au marquage-découpage. Elle a ensuite été occupée au tour 102, activité traditionnellement donnée à des hommes, bien que les femmes y travaillaient occasionnellement.

Le 6 février 1998, la travailleuse X. a demandé a être rémunérée à égalité avec ses collègues masculins.

Par lettre du 25 février 1998, X. SA a résilié le contrat de travail de la demanderesse pour le 30 avril 1998. Cette dernière a ouvert action pour contester son congé. Le 24 avril 1998, la défenderesse a renoncé au licenciement.

Le 8 juin 1998, la demanderesse a ouvert action afin de faire constater le caractère discriminatoire du salaire reçu depuis juin 1995 et la fixation d’un salaire justifié, son employeur devant payer la différence entre le salaire reçu et celui dû, avec intérêt au taux de 5% l’an dès le 1er juin 1995.

Lors de la première audience du 9 décembre 1998, la demanderesse a modifié partiellement ses conclusions tendant à ce que son employeur lui verse la différence de salaire entre celui fixé par le Tribunal et celui reçu depuis juin 1995, mais au maximum un montant de Fr. 20’000.-.

La défenderesse a soulevé le déclinatoire, moyen qui a été écarté par le Tribunal.

Lors de la troisième audience du 19 décembre 2000, la travailleuse a précisé que la somme de Fr. 20’000.-se comprenait comme un montant brut. En cours d’instruction, le Tribunal a mis en œuvre une expertise et confié celle-ci à G., ergonome à l’Institut universitaire romand de santé au travail. G. avait pour mission de répondre à deux questions: dire si la travailleuse a été victime d’une discrimination directe (salaire de la part de son employeur) et si elle a été victime de discrimination indirecte (possibilité de perfectionnement). L’expert a répondu oui à la première question en précisant «dans la mesure où les collègues masculins de la demanderesse ont effectué le même travail pour un salaire différent».

Lors de l’audience du 28 novembre 2000, la défenderesse a requis qu’une seconde expertise soit ordonnée. Le Tribunal a rejeté cette requête immédiatement et la défenderesse l’a renouvelée à l’occasion de l’audience du 19 décembre 2000.

Le 16 mars 2001, le Tribunal de prud’hommes de Renens et environs déboute la demanderesse.

Le Tribunal a estimé qu’il devait dans un premier temps examiner si la défenderesse avait pris des mesures en matière de politique salariale et si celles-ci avaient un caractère discriminatoire à raison du sexe. Comparant les différents salaires des employés de X. SA, le Tribunal a considéré comme justifiées les différences de salaire entre la demanderesse et ses collègues masculins, estimant notamment que dans un cas c’étaient les années de service qui donnaient un avantage au travailleur; considérant dans un autre cas que la différence de salaire en faveur du collègue masculin résultait du fait que les compétences professionnelles de celui-ci étaient supérieures à celles de la demanderesse. En conséquence, le Tribunal a jugé qu’il n’existait aucun fait faisant apparaître comme vraisemblable une discrimination à raison du sexe.

Le Tribunal a décidé que la conclusion de l’expertise relative à la première question ne pouvait être suivie et déclaré qu’une discrimination indirecte n’avait pas pu être établie. Il a également rejeté la requête tendant la mise en ouvre d’une seconde expertise.

La demanderesse a recouru contre le jugement rendu par le Tribunal de prud’hommes de Renens et environs, concluant principalement à son annulation et subsidiairement à sa réforme en ce sens que la défenderesse lui doit la somme de Fr. 20’000.-, charges sociales comprises.

Le 13 décembre 2001, la Chambre des recours du Tribunal cantonal admet le recours de la demanderesse.

en droit

La Chambre des recours a tout d’abord rappelé que l’interdiction de discrimination entre hommes et femmes est inconditionnelle et qu’on ne saurait subordonner son application à la condition que l’employeur ne discrimine pas entre hommes ou entre femmes.

Se référant à la jurisprudence du Tribunal fédéral, il a considéré que lorsque des travailleurs de sexe opposé ont une position semblable dans l’entreprise avec des cahiers des charges comparables, il est présumé, s’il y a une différence de rémunération entre eux que celle-ci est de nature sexiste.

Dans ce cas, il appartient à l’employeur d’apporter la preuve de la non-discrimination. S’il n’y parvient pas, l’action de la partie demanderesse doit être accueillie, sans qu’il y ait encore lieu d’établir l’existence d’une politique du personnel sexiste pour l’entreprise.

La Chambre des recours a considéré que les premiers juges s’étaient demandé à tort si l’entreprise avait pris des mesures de nature discriminatoire à raison du sexe et qu’ils devaient se limiter à déterminer concrètement si une discrimination à raison du sexe était rendue vraisemblable. Comparant le salaire de la travailleuse avec celui de ses collègues masculins, les juges de deuxième instance ont admis que l’existence d’une discrimination fondée sur le sexe avait été rendue vraisemblable.

Les juges ont ensuite constaté que l’employeur avait échoué dans la preuve d’un motif objectif qui justifierait une différence de salaire, considérant que la différence de rendement entre la travailleuse et ses collègues masculins était minime et ne justifiait pas une différence de salaire. Les juges ont également considéré que l’employeur de la demanderesse n’avait pas établi le besoin concret de s’écarter temporairement de l’égalité du salaire en raison du marché.

Les juges ont pris comme base de comparaison le salaire du collègue masculin V. de la demanderesse, engagé la même année que celle-ci et jusqu’à sa promotion à un poste différent en 1998. Ils ont alors constaté que le salaire de celui-ci avait été de Fr. 500.- plus élevé durant un mois, puis de Fr. 350.- supérieur durant six mois, pour être finalement de Fr. 420.- plus élevé durant 45 mois, soit jusqu’en septembre 1999, date à laquelle la demanderesse a quitté l’entreprise, après avoir résilié son contrat de travail. Au total, la différence de salaire s’élevait à Fr. 21’500.-. Les conclusions ayant été limitées à Fr. 20’000.- pour rester de la compétence du Tribunal de prud’hommes, les juges ont admis que la demanderesse avait droit au paiement de ce dernier montant. Le jugement de première instance a ainsi été réformé en ce sens que la travailleuse avait droit à la somme de Fr. 20’000.-, sous déduction des charges sociales, à titre de salaire complémentaire.

JU 25.11.2002
harcèlement sexuel
licenciement discriminatoire

LEg

art 2, art 3, art 4, art 5, art 13

procédure

en fait

La demanderesse a été engagée en juin 1997 par la République et Canton du Jura en qualité de responsable de l’atelier «couture» des Ateliers de formation pratique, à X. Le 27 octobre 1999, elle s’est plainte du comportement de son supérieur B. au chef du Service du personnel. Par décision du 9 décembre 1999, le Ministre de l’économie et de la coopération a résilié le contrat de travail de la demanderesse pour l’échéance du 31 mars 2000. La résiliation était motivée par les résultats insatisfaisants obtenus par l’atelier dirigé par cette dernière, ainsi que par l’insuffisance de ses compétences en matière de direction du personnel et de gestion. Par lettre adressée le 29 décembre 1999 au Ministre précité, la demanderesse a sollicité la reconsidération de la décision de résiliation du 9 décembre 1999 et l’ouverture d’une enquête à l’encontre de B. pour mobbing et propos sexistes. Le 14 janvier 2000, la demanderesse a recouru auprès de la Chambre administrative du Tribunal cantonal contre son licenciement, invoquant également un déni de justice du fait que sa plainte contre B. était restée sans suite.

Le 13 octobre 2000, la Chambre administrative du Tribunal cantonal invite le Département de l’économie et de la coopération à rendre une décision formelle au sujet de la plainte de la demanderesse

La Chambre administrative a constaté que le Département de l’économie et de la coopération avait commis un déni de justice en refusant de rendre une décision au sujet de la plainte déposée par la demanderesse le 27 octobre 1999, confirmée formellement le 29 décembre 1999. Les juges ont relevé que le droit de plainte était reconnu à tout fonctionnaire victime d’un traitement illégal ou incorrect de la part de ses supérieurs ou collaborateurs et allait plus loin que le droit de dénonciation, de sorte qu’il impliquait le droit d’obtenir une décision. Les juges ont également considéré que la LEg trouvait application puisque la demanderesse avait dénoncé les propos sexistes tenus par son chef. Ils ont relevé que la personne discriminée qui s’était adressée à l’autorité administrative avait le droit d’obtenir une décision.

La Chambre administrative a renvoyé l’affaire au Département de l’économie et de la coopération pour qu’il statue sur la plainte de la demanderesse et rende une décision formelle.

en droit

Licenciement

Le 3 avril 2000, la Chambre administrative a rendu un arrêt constatant que le litige relatif au licenciement de la demanderesse relevait du droit public. Elle a transmis le dossier au Département de l’économie et de la coopération pour qu’il le traite comme une opposition à la décision de licenciement du 9 décembre 1999. Par décision sur opposition du 20 juin 2000, le Département a confirmé la cessation des rapports de travail, reportant toutefois l’échéance de ceux-ci au 30 septembre 2000. La demanderesse a interjeté recours auprès de la Chambre administrative du Tribunal cantonal le 13 juillet 2000.

Le 21 décembre 2000, la Chambre administrative du Tribunal cantonal confirme la décision de licenciement de la demanderesse

Les juges ont considéré que le licenciement de la demanderesse reposait sur des motifs objectivement fondés. Ils ont constaté que la demanderesse ne suivait pas toujours les instructions de son chef et que cette attitude expliquait les reproches formulés par ce dernier. Ils ont également relevé que la demanderesse n’avait pas amélioré ses prestations malgré l’intervention et l’appui de ses supérieurs. Les juges n’ont pas admis que le licenciement de la demanderesse était la conséquence directe de sa plainte contre B. et qu’il était de ce fait abusif. En revanche, ils ont reconnu que le délai de congé était prolongé en raison de la grossesse et de l’accouchement de la demanderesse. Les juges ont confirmé le licenciement de la demanderesse, mais admis que l’échéance des rapports de service devait être fixée au 30 avril 2001.

La demanderesse a formé un recours de droit public auprès du Tribunal fédéral, concluant notamment à l’annulation de l’arrêt rendu le 21 décembre 2000 par la Chambre administrative du Tribunal cantonal et à l’allocation d’une indemnité de Fr. 5’000.— en réparation des torts subis.
Le 24 avril 2001, le Tribunal fédéral rejette le recours de droit public formé par la demanderesse et met à la charge de la demanderesse un émolument judiciaire de Fr. 2’000.—.

Le Tribunal fédéral a considéré que la Chambre administrative du Tribunal cantonal n’avait pas abusé de son pouvoir en matière d’appréciation des faits et des preuves. Il n’a donc pas admis le grief d’arbitraire. Par ailleurs, les juges ont relevé que les autres griefs invoqués par la demanderesse, tel que celui tiré de la violation du principe de la bonne foi, étaient irrecevables faute d’être suffisamment motivés.

Plainte

Par décision du 11 janvier 2001, le Département de l’économie et de la coopération a décidé de ne pas donner suite à la plainte déposée par la demanderesse contre son supérieur B. Le 7 février 2001, la demanderesse a recouru contre cette décision auprès du Gouvernement. Sur le fond, la demanderesse a fait valoir l’existence d’une discrimination fondée sur le sexe du fait que seules des femmes avaient pu participer aux cours donnés dans son atelier, alors que les participants aux autres ateliers étaient presque exclusivement des hommes. Elle a notamment conclu à l’allocation d’une indemnité d’un montant de Fr. 50’000.— en réparation des torts subis. Le Gouvernement a transmis ce recours à la Chambre administrative, laquelle a reconnu sa compétence par arrêt du 27 juin 2001. La demanderesse a recouru contre cet arrêt le 19 juillet 2001, concluant notamment à la récusation des membres de la Chambre administrative. Par arrêt du 21 août 2001, la Cour constitutionnelle a déclaré ce recours irrecevable et s’est déclarée pour le surplus incompétente pour traiter de la demande de récusation. Le dossier a donc été transmis au Plenum du Tribunal cantonal qui a rejeté cette requête en récusation par arrêt du 20 septembre 2001.

Les juges ont considéré que la demanderesse n’avait pas établi l’existence d’un harcèlement sexuel dont elle aurait été victime de la part de son supérieur. Ils ont constaté qu’elle n’avait pas démontré que B. aurait tenu des propos misogynes ou sexistes à son égard, relevant que seules les déclarations de ce dernier avaient permis d’établir qu’il avait dit que le mari de la demanderesse pouvait demeurer à la maison puisque celle-ci travaillait. Selon la Chambre administrative, de telles déclarations ne constituent à l’évidence pas des propos misogynes ou sexistes au sens de la LEg. En outre, les juges ont écarté l’argument concernant une discrimination au sein de l’atelier de couture, constatant que les chômeurs choisissaient eux-mêmes leur atelier et que l’absence d’hommes tenait à l’activité déployée, ce dont le supérieur de la demanderesse ne pouvait être tenu pour responsable. Par ailleurs, les juges ont considéré que la demanderesse n’avait pas établi avoir été victime de mobbing ou d’une atteinte quelconque à sa personnalité dans le cadre de ses rapports de travail. Ils ont précisé que si son supérieur se montrait exigeant à son égard, il l’était avec l’ensemble des collaborateurs et des participants aux activités des différents ateliers. S’agissant de la procédure soumise à la LEg, soit une discrimination fondée sur le sexe en raison des propos sexistes, les juges ont considéré que la demanderesse n’avait pas fait preuve de témérité, de sorte qu’elle pouvait être gratuite en application de l’article 13 al. 5 LEg. En revanche, ils ont appliqué les règles ordinaires à la procédure fondée sur le mobbing et alloué à l’appelé en cause B. une indemnité à titre de dépens.

Le 25 novembre 2002, la Chambre administrative du Tribunal cantonal rejette toutes les conclusions de la demanderesse, dans la mesure où elles sont recevables.
Elle met un émolument de Fr. 500.— à la charge de la demanderesse pour la partie de la procédure ne se rapportant pas à la LEg et condamne celle-ci à verser à l’appelé en cause B. une indemnité de Fr. 4’500.— à titre de dépens.

GE 27.11.2002
harcèlement sexuel

LEg

art 3, art 4, art 6

procédure

13.12.2001Jugement du Tribunal des Prud’hommes (C/19962/2001–1) 27.11.2002Arrêt de la Cour d’appel des Prud’hommes

en fait

Le demandeur a été engagé par la défenderesse X. Sàrl en juin 1998 en qualité de caissier de la station-service exploitée par cette dernière. Il avait été précisé sur le formulaire de demande d’emploi que le salaire était de Fr. 21.- de l’heure pour une durée de travail de «12 heures par semaine, + vacances». Le 7 janvier 2001, la patronne du demandeur l’a surpris en train d’embrasser son amie et l’a licencié avec effet immédiat. Le demandeur a expliqué que sa patronne venait tous les dimanches soirs à la station-service pour passer des commandes et qu’elle restait systématiquement jusqu’à la fermeture, lui racontant ses problèmes privés, se plaignant de sa vie sexuelle et lui montrant des revues pornographiques. Il a précisé qu’elle l’avait invité à sortir à plusieurs reprises et avait tenté de l’embrasser par deux fois. La défenderesse a quant à elle exposé que le demandeur avait été surpris durant ses heures de travail en train d’enlacer une jeune femme derrière le comptoir et que son comportement constituait une faute grave justifiant un licenciement immédiat car ce n’était pas la première fois qu’il agissait ainsi et qu’il avait déjà reçu plusieurs avertissements.

Le 13 décembre 2001, le Tribunal des Prud’hommes a considéré que le licenciement avec effet immédiat du demandeur était injustifié, mais n’a pas admis que celui-ci avait été victime de harcèlement sexuel.

Le 25 juin 2001, le demandeur a ouvert action devant la juridiction des Prud’hommes, concluant au paiement de la somme totale de Fr. 27’995.65 plus intérêts moratoires à 5 % l’an dès le 25 juin 2001. Le 17 juillet 2001, il a déposé une nouvelle demande, réclamant le paiement de Fr. 5’114.15 à titre d’indemnité de vacances, Fr. 1’496.- à titre de vacances non prises, Fr. 2’541.- à titre de pauses non prises, Fr. 5’542.50 à titre de salaire du délai de congé du 15 janvier au 31 mars 2001, Fr. 13’302.- à titre d’indemnité pour licenciement immédiat injustifié et Fr. 30’600.- à titre d’indemnité pour tort moral et atteinte à la personnalité.

Considérants

Le Tribunal a relevé que les décomptes de salaire du demandeur ne précisaient nullement la part du salaire destinée à l’indemnisation des vacances et qu’il était manifeste que l’indemnité de vacances n’était pas incluse dans le salaire horaire de Fr. 21.- et qu’elle devait donc y être ajoutée. Le Tribunal a par ailleurs constaté que le demandeur travaillait de 14 h. à 22 h. 30, soit 8 h. 30 par jour, sans pouvoir prendre de pause puisqu’il n’était pas autorisé à quitter son lieu de travail et qu’il n’y avait aucun local où il pouvait se retirer pour se reposer. En application de l’art. 15 LTr (loi sur le travail), le Tribunal a admis que le demandeur devait être rémunéré pour les demi-heures de pauses non prises durant les 242 jours travaillés. Le Tribunal a par ailleurs considéré le licenciement immédiat du demandeur comme injustifié, celui-ci ayant été décidé uniquement parce qu’il avait été surpris en train d’embrasser son amie durant les heures de travail. Les juges ont considéré que ce comportement n’était pas grave au point de constituer un juste motif de résiliation immédiate, d’autant moins que le demandeur n’avait jamais reçu aucun avertissement écrit au préalable. Les juges ont donc admis que le demandeur avait droit à son salaire du délai de congé de deux mois pour la fin d’un mois, soit du 7 janvier au 31 mars 2001, plus le 8,33 % d’indemnité de vacances. En revanche, ils ont débouté le demandeur de ses conclusions tendant à une indemnité pour tort moral en raison du harcèlement sexuel qu’il aurait subi de la part de sa patronne. Les juges ont indiqué que le demandeur n’avait apporté aucun indice objectif sérieux suffisant autre que ses propres allégués de manière à établir la vraisemblance d’un harcèlement sexuel.

Décision

Le Tribunal a alloué le montant de Fr. 5’114.15 à titre d’indemnité de vacances au demandeur, soit le 8,33 % de la somme globale de Fr. 61’394.- touchée à titre de salaire de juin 1998 au 7 janvier 2001. Pour les pauses non prises, il lui a alloué la somme de   Fr. 2’541.-, soit 242 jours x 0.5 (demie heure) x Fr. 21.-. A titre de salaire et d’indemnité de vacances du 7 janvier au 31 mars 2001, le Tribunal a accordé au demandeur le total de Fr. 5’628.80. En outre, le Tribunal a considéré que le demandeur avait droit à une indemnité correspondant à deux mois de salaire, soit Fr. 4’156.70. Enfin, le Tribunal a condamné X. Sàrl à délivrer au demandeur un certificat de travail.

Le 27 novembre 2002, la Cour d’appel des Prud’hommes réduit les montants alloués au demandeur et confirme le jugement pour le surplus.

La défenderesse X. Sàrl a interjeté appel contre le jugement rendu par le Tribunal des Prud’hommes, concluant à son annulation et au déboutement intégral du demandeur. Ce dernier a conclu à la confirmation du jugement attaqué.

en droit

Les juges ont admis que les modalités particulières du contrat de travail, notamment le caractère variable du taux d’activité du demandeur, autorisait l’employeur à lui verser une indemnité en lieu et place de l’octroi de vacances en nature. Ils n’ont cependant pas admis que cette indemnité était incorporée dans le salaire fixé à Fr. 21.–  l’heure. Les juges ont relevé que les manquements du demandeur n’étaient pas d’une gravité telle qu’ils justifiaient un licenciement immédiat. Ils ont donc reconnu que le demandeur avait droit à son salaire jusqu’à l’échéance du contrat, le 31 mars 2001. En revanche, la Cour n’a pas admis que le demandeur avait droit à une indemnité pour les pauses, considérant qu’il avait librement renoncé à prendre celles-ci. Quant à l’indemnité pour licenciement immédiat injustifié, les juges ont considéré le montant de deux mois de salaire comme excessif et réduit par conséquent celui-ci de moitié.

Les juges ont confirmé que le demandeur avait droit au paiement de Fr. 5’144.15 à titre d’indemnité de vacances jusqu’au 7 janvier 2001. Ils ont également confirmé que le demandeur avait droit au paiement de Fr. 5’628.80 à titre de salaire et d’indemnité de vacances pour la période du 7 janvier au 31 mars 2001. L’indemnité pour les pauses a été supprimée et l’indemnité pour licenciement injustifié réduite de moitié, soit à Fr. 2’078.35.

VS 14.02.2003
discrimination salariale

sujet

administration publique
comparaison des fonctions
profession typiquement féminine

LEg

art 3, art 5, art 6, art 13, art 17

procédure

16.05.1989Jugement du Tribunal administratif cantonal (P 271/86 et 272/86 ; P 211/87 et 212/87) 14.12.1989Arrêt du Tribunal fédéral (2 P. 245 et 2 P. 246/1989) (renvoi de la cause au Tribunal cantonal) 09.10.1997Jugement du Tribunal cantonal (renvoi au Conseil d’Etat pour nouvelle décision) 13.10.1999Décision de rejet du Conseil d’Etat suite à la demande de reconsidération 23.05.2001Jugement du Tribunal cantonal (A1 99 200) 14.02.2003Arrêt du Tribunal fédéral (2 A.301/2001) 12.05.2003Arrêt du Tribunal fédéral sur les dépens (2 A.301/2001)

en fait

Le 20 mars 1986, la demanderesse A., secrétaire du chef du département de l’instruction publique et des affaires sociales du canton du Valais, et la demanderesse B., secrétaire du chef du département de l’intérieur et de l’économie publique, devenu par la suite département de l’économie publique et de la santé publique, du canton du Valais, ont demandé au Conseil d’Etat de colloquer leur fonction en 10e classe de l’échelle des traitements, en se référant à la fonction de chef du secrétariat de la Chancellerie du canton du Valais.

Le Conseil d’Etat a rejeté ces requêtes par décision du 3 septembre 1986. Il a confirmé sa décision le 8 juillet 1987, rejetant la demande de reconsidération formulée par A. et B. le 23 décembre 1986 et maintenant la collocation de leur fonction en 16e classe de l’échelle des traitements.

Le 16 mai 1989, le Tribunal administratif cantonal rejette le recours des demanderesses contre la décision du 8 juillet 1987 du Conseil d’Etat, refusant de reconsidérer sa décision du 3 septembre 1986.

Comparant la teneur du cahier des charges du chef du secrétariat de la Chancellerie d’Etat avec celui des demanderesses, le Tribunal a considéré que la fonction du premier avait un caractère plus marqué de fonction de direction que la fonction des deuxièmes. Les juges ont ainsi admis que la différence de classement dont se plaignaient les demanderesses tenait à un motif objectif, soit à la différence de degré de difficultés entre le poste de secrétaire de chef de département et le poste de chef du secrétariat de la Chancellerie d’Etat.

Le Tribunal a rejeté les recours des demanderesses, jugeant que la décision du Conseil d’Etat ne violait pas la garantie de l’égalité de traitement au sens de l’art. 4 al. 1 aCst., ni l’interdiction de l’inégalité de rémunération en raison du sexe; la valeur du travail des demanderesses ne pouvant être reconnue comme égale à celle du chef du secrétariat de la Chancellerie au sens de l’art. 4 al. 2 aCst.

Le 14 décembre 1989, le Tribunal fédéral admet le recours de droit public des demanderesses et annule l’arrêt du Tribunal administratif cantonal

Considérants

Selon le Tribunal fédéral, le Tribunal administratif cantonal ne pouvait refuser les offres de preuves des demanderesses en affirmant que l’objet du procès se limitait à une comparaison de leur fonction avec celle du chef du secrétariat de la Chancellerie. Les juges ont précisé qu’il était nécessaire d’élargir la comparaison à d’autres fonctions et que les juges cantonaux auraient dû examiner librement et globalement si la classification des intéressées était conforme à l’art. 4 aCst., en particulier si leur rétribution était conforme à l’art. 4 al. 2 3e phrase aCst. dont elles avaient expressément invoqué la violation.
Le Tribunal fédéral a annulé l’arrêt du 16 mai 1989 et renvoyé la cause au Tribunal administratif cantonal pour complément d’instruction et nouvelle décision.

La demanderesse B. a pris sa retraite le 31 décembre 1987 et la demanderesse A. le 12 juin 1992. Le 9 octobre 1997, la Cour de droit public du Tribunal cantonal, qui a remplacé le Tribunal administratif cantonal, a rendu un nouvel arrêt après complément d’instruction. Elle a admis le recours des demanderesses et renvoyé l’affaire au Conseil d’Etat pour nouvelle décision.

Le 13 octobre 1999, le Conseil d’Etat rejette la demande de reconsidération présentée par les intéressées.

Considérants

Le Conseil d’Etat a relevé que la LEg avait été reconnue applicable à cette affaire par le Tribunal cantonal, notamment l’art. 6 LEg selon lequel l’existence d’une discrimination était présumée pour autant que la personne qui s’en prévaut la rende vraisemblable. Il a également indiqué qu’il n’y avait pas lieu de s’écarter du constat déjà opéré antérieurement selon lequel la différence de qualification entre les fonctions des demanderesses et celle du chef du secrétariat de la Chancellerie était justifiée par les caractéristiques spécifiques de ces deux fonctions. Le Conseil d’Etat a ensuite comparé la fonction des demanderesse aux autres fonctions de secrétariat pour arriver à la conclusion que la classification de leur poste était en harmonie avec l’ensemble du système de classification, puis il a étendu la comparaison à des fonctions autres que celle de secrétariat. Il a ainsi examiné les formations requises pour les fonctions rangées en classes 10 à 14 et constaté qu’elles impliquaient des tâches de direction et des responsabilités supérieures à la fonction des demanderesses. Le Conseil d’Etat a aussi relevé que la fonction des demanderesses aurait pu être en classe 15 compte tenu des exigences psychiques, soit la disponibilité et le stress qui y étaient liées, mais que le maintien en classe 16 se justifiait du fait que les demanderesses étaient au bénéfice du régime spécial de la prime au mérite valant pour le personnel féminin. Il a précisé que les demanderesses avaient ainsi bénéficié d’un avantage correspondant à une double prime au mérite, soit 13%, ce qui compensait de loin les incidences financières liées à la non-attribution d’une classe supplémentaire, de l’ordre de 4,9%.

Le Conseil d’Etat a rejeté la demande de reconsidération au motif que les demanderesses n’avaient pas été victimes d’une discrimination, que ce soit au regard du principe de l’égalité de traitement ou de la LEg.

Les demanderesses ont recouru contre la décision du Conseil d’Etat, concluant à son annulation, ainsi qu’à la collocation de leur poste en classe 10 durant les rapports de service et au versement de la différence entre le salaire dû et le salaire perçu.

Le 23 mai 2001, la Cour de droit public du Tribunal cantonal rejette le recours des demanderesses.

Considérants

Les juges ont confirmé que le poste de chef du secrétariat de la Chancellerie avait un caractère de fonction de direction, contrairement au poste des demanderesses. Ils ont relevé qu’il était usuel et conforme à la garantie de l’égalité de traitement que des fonctions impliquant des responsabilités de direction soient mieux classées et payées que des fonctions qui, à d’autres titres, leur sont comparables sans impliquer ces responsabilités. Les juges ont considéré qu’un écart de 5 classes entre la fonction de chef du secrétariat de la Chancellerie et celle de secrétaire de chef de département ne constituait pas une discrimination et que les demanderesses n’avaient par ailleurs pas rendu vraisemblable l’existence d’une discrimination avec d’autres fonctions.
La Cour de droit public a rejeté le recours des demanderesses, sans frais ni dépens.

Les demanderesses ont formé un recours de droit administratif et un recours de droit public auprès du Tribunal fédéral contre l’arrêt du 23 mai 2001.

en droit

Le recours de droit administratif étant recevable dans la mesure où il invoque une violation de la loi sur l’égalité, le recours de droit public a été considéré comme irrecevable.

Le 14 février 2003, le Tribunal fédéral annule l’arrêt de la Cour de droit public du Tribunal cantonal.

Les juges ont considéré que le Conseil d’Etat avait rendu une décision sur la demande de reclassification du 20 mars 1986, le 13 octobre 1999 seulement, puisque les décisions précédentes avaient été annulées, et admis que la LEg s’appliquait au regard de l’article 17. Le Tribunal fédéral a également considéré que les demanderesses avaient rendu vraisemblable qu’elles avaient été victimes d’une discrimination salariale. Il a en outre relevé que le fait de créer un régime de fonctions féminines comportant un système de rattrapage salarial constituait en soi l’indice d’une discrimination liée au sexe et qu’un tel rattrapage ne compensait pas une classification discriminatoire.

Le Tribunal fédéral a constaté que B. avait effectué le travail d’un chef administratif sans en porter le titre, ni avoir le sexe prétendument adéquat puisqu’à sa retraite elle devait être remplacée par un chef administratif ayant un secrétariat sous ses ordres et qui ne pouvait être qu’un homme.

Les juge ont considéré que le Conseil d’Etat n’était pas parvenu à prouver que le chef du secrétariat de la Chancellerie devait assumer des tâches de direction nettement différentes que celles qui incombaient aux secrétaires de chef de département, ni qu’il avait des fonctions de gestion sensiblement plus importantes que celles-ci. Comparant les deux fonctions, les juges sont arrivés à la conclusion qu’elles étaient équivalentes, comportant un certain nombre de tâches analogues, mais également des charges propres à chacune. Ils ont relevé qu’elles demandaient toutes deux des compétences intellectuelles, le sens des responsabilités, de l’esprit d’initiative, de la discrétion, ainsi qu’une grande disponibilité et qu’une différence de 6 classes de traitement ne s’expliquait pas objectivement.

Les juges ont par ailleurs constaté que les fonctionnaires hommes situés dans la 16e classe de l’échelle des traitement devaient satisfaire à des exigences moins élevées que les demanderesses. Selon le Tribunal fédéral, la comparaison entre la fonction des demanderesses, typiquement féminine, colloquée en 16er classe, et la seule fonction équivalente attribuée à un homme colloquée en 10eclasse, ainsi que la comparaison de leur fonction avec les autres fonctions colloquées en 16ème classe attribuées à des hommes, amenait à la conclusion que les demanderesses avaient été victimes d’une discrimination directe liée au sexe.

Les juges ont décidé que les demanderesses devaient être rémunérées de la même façon que le chef du secrétariat de la Chancellerie. Ils ont admis le recours de droit administratif et annulé l’arrêt cantonal du 23 mai 2001. La cause a été renvoyée au Conseil d’Etat du canton du Valais pour qu’il prenne formellement la décision de ranger la fonction occupée par A., du 1er janvier 1987 au 12 juin 1992, et la fonction occupée par B., du 1er janvier au 31 décembre 1987, dans la 10ème classe de l’échelle des traitements; qu’il établisse le montant du salaire revenant à chacune des intéressées pour la période concernée, ainsi que les prestations afférentes à ce salaire auxquelles elles avaient droit et qu’il ordonne le versement de ces sommes aux demanderesses. Le Tribunal fédéral a renvoyé la cause au Tribunal cantonal pour qu’il statue à nouveau sur les dépens de la procédure cantonale. Il a condamné le canton du Valais à verser aux demanderesses, créancières solidaires, une indemnité de Fr. 3’000.— à titre de dépens.

Le 12 mai 2003, le Tribunal fédéral condamne l’Etat du Valais à verser des dépens aux demanderesses.

Considérants

Les juges ont considéré que l’indemnité de dépens due aux demanderesse pour la procédure cantonale devait couvrir les frais nécessaires qui leur ont été occasionnés devant le Conseil d’Etat et devant la Cour de droit public depuis l’arrêt rendu par celle-ci le 9 octobre 1997, précisant qu’elle devait être fixée d’après la nature et l’importance de la cause, des difficultés, de l’ampleur du travail, du temps utilement consacré, de la situation financière de la partie et qu’elle devait également tenir compte de la valeur litigieuse.

Relevant, notamment, que l’affaire avait présenté une certaine complexité, nécessité la rédaction d’un mémoire de recours de droit administratif, et au vu du temps écoulé depuis l’arrêt du 9 octobre 1997, les juges ont décidé que l’Etat du Valais devait verser aux demanderesses, créancières solidaires, le montant de Fr. 4’000.— à titre de dépens pour la procédure cantonale. L’arrêt a été rendu sans frais.

JU 07.03.2003
discrimination salariale

sujet

administration publique action collective profession typiquement féminine

LEg

art 3, art 5, art 6

procédure

20.09.2000Décision sur opposition du Département de l’Education 07.03.2002Arrêt de la Chambre administrative du Tribunal cantonal (arrêt 105/00) 07.03.2003Arrêt du Tribunal fédéral (2A.192/2002)

en fait

Le 5 janvier 2000, 23 maîtresses d’activités créatrices textiles (ACT) ont demandé formellement au Département de l’Education que leur traitement soit fixé en classe 3 comme pour les enseignants de l’école primaire (EP) et les enseignantes en économie familiale (EF), prodiguant le même enseignement et comme pour les maîtresses ACT prodiguant l’enseignement d’activités créatrices manuelles (ACM) et l’éducation visuelle (EV).

Le Département de l’Education a rejeté la requête des 23 maîtresses ACT en date du 12 juillet 2000.

Le 20 septembre 2000, le Département de l’Education rejette l’opposition formée par les 23 maîtresses ACT contre sa décision du 12 juillet 2000.

Le Département a considéré que la formation des enseignantes ACT n’était pas équivalente à celle des enseignants primaires dont elles revendiquaient la classe salariale, relevant par ailleurs que c’était à la suite d’une erreur qu’elles étaient rémunérées en classe 3 pour les leçons ACM et EV et qu’elles bénéficiaient d’un privilège contraire à la légalité.

Le Département a jugé que la différence de classification entre enseignantes ACT et enseignants primaires n’apparaissait d’aucune façon comme illégale ou arbitraire.

Les 23 enseignantes ACT ont recouru auprès de la Chambre administrative du Tribunal cantonal contre la décision du Département de l’Education. Elles ont demandé a être rémunérées en classe 3 pour les leçons ACT et que le canton du Jura soit condamné à leur verser à chacune le montant de l’arriéré correspondant à la différence de traitement entre les classes 2 et 3 pour les leçons ACT dispensées à compter du 1er janvier 1995, avec intérêt à 5%. En substance, les enseignantes ont fait valoir que les leçons ACT et les leçons ACM sont regroupées dans une même rubrique et un même concept, à savoir les activités manuelles (AM) et que ces deux matières font l’objet d’une seule note dans le carnet scolaire. Elles ont relevé qu’elles étaient payées différemment pour deux activités de même valeur et qu’il s’agissait d’une discrimination fondée sur le sexe, les ACT étant un travail typiquement féminin.

Le 7 mars 2002, la Chambre administrative du Tribunal cantonal rejette le recours des intéressées.

Considérants

Les juges ont admis que la profession exercée par les 23 enseignantes ACT était typiquement féminine et qu’elles avaient rendu l’existence d’une discrimination à raison du sexe vraisemblable, étant possible que leurs allégations soient fondées. Les juges ont alors examiné si le Département avait rapporté la preuve que la différence de classe ne défavorisait pas les demanderesses en raison de leur sexe, mais qu’elle avait une justification objective. Après avoir comparé la profession d’enseignante ACT avec celle de maître primaire, les juges sont arrivés à la conclusion que le niveau de formation plus élevé des maîtres primaires, nécessaire compte tenu de l’éventail plus large des disciplines à enseigner, constituait un critère objectif justifiant une différence dans la rémunération.

Selon la Chambre administrative, le Département a rapporté la preuve que la différence de rémunération entre les enseignantes ACT et les enseignants primaires n’était pas basée sur des motifs liés au sexe, mais sur des considérations objectives. Il a donc rejeté le recours à cet égard. Le Tribunal cantonal a aussi écarté les griefs d’inégalité de traitement et d’arbitraire. Il a relevé qu’on ignorait pour quelles raisons les recourantes étaient rémunérées en classe 3 pour les leçons ACM et EV, en précisant que cette mesure s’inscrivait vraisemblablement dans une volonté de préserver la situation des enseignantes ACT qui se dégradait.

Les 23 enseignantes ACT ont déposé un recours de droit administratif au Tribunal fédéral. Elles ont conclu à l’annulation de l’arrêt attaqué et demandé au Tribunal fédéral de dire qu’elles devaient être rémunérées en classe 3 pour les leçons ACT et de condamner le canton du Jura à les rémunérer en classe 3 depuis le 1er janvier 1995, ainsi qu’à leur payer l’arriéré correspondant à la différence de traitement entre les classes 2 et 3 avec un intérêt au taux de 5%. Subsidiairement, les recourantes ont demandé le renvoi de la cause au Tribunal cantonal pour nouvelle décision.

Le 7 mars 2003, le Tribunal fédéral rejette le recours des 23 enseignantes ACT

en droit

Le Tribunal fédéral a considéré que le Tribunal cantonal n’avait pas violé le droit d’être entendues des intéressées et que le moyen tiré par ces dernières d’une prétendue violation de l’article 29 Cst. devait être écarté. Les juges ont constaté que l’autorité intimée avait examiné le grief soulevé par les recourantes d’une discrimination salariale liée au sexe résultant des rémunérations différentes qu’elles-mêmes touchaient selon qu’elles enseignaient les ACT ou une autre branche sous l’angle de la violation des principes de l’égalité au sens de l’article 8 alinéa 1 Cst. et de l’interdiction de l’arbitraire au sens de l’article 9 Cst.. Le Tribunal fédéral a ainsi considéré qu’on ne pouvait reprocher au Tribunal cantonal d’avoir commis un déni de justice formel. Par ailleurs, le Tribunal fédéral a considéré qu’il ressortait de la comparaison des formations respectives des enseignantes ACT et des enseignants primaires que ces derniers avaient acquis une formation plus poussée. Ils ont estimé que ces qualifications supérieures constituaient une formation utile à l’enseignement de toutes les disciplines confiées aux enseignants primaires et que ceux-ci pouvaient en tirer parti lorsqu’ils donnaient des cours ACT. Selon le Tribunal fédéral, le fait que les enseignants primaires reçoivent une rémunération supérieure à celle des enseignantes ACT même quand ils enseignent les ACT repose sur une justification objective. En outre, il a constaté que la différence de traitement était de l’ordre de 6%, soit dans les limites admises par la jurisprudence. Le Tribunal fédéral a enfin considéré qu’il n’y avait pas une discrimination fondée sur le sexe dans le fait que les enseignantes obtenaient un salaire plus élevé pour les leçons ACM et EV que pour les leçons ACT. Il a constaté que la rémunération des recourantes en classe 3 pour les cours ACM et EV était contraire à l’article 18 de l’ordonnance jurassienne du 6 octobre 1992 concernant le passage de maîtres primaires dans l’enseignement secondaire et vice-versa et l’accès des maîtresses ACT à l’enseignement des activités manuelles, tout en relevant que cet article 18 paraissait contestable au regard du principe de l’égalité et de l’interprétation qui en a été donnée, alors que la pratique plus généreuse du Département cantonal apparaissait sensée.

Le Tribunal fédéral a relevé qu’à l’époque où les recourantes avaient entrepris leur formation de base, on avait tendance à orienter les jeunes filles vers une formation de durée courte ou moyenne, soit en apprentissage. Selon les juges, une telle orientation a des répercutions sur toute la carrière professionnelle car les personnes n’ayant pu faire des études sont souvent cantonnées dans des postes inférieurs. Ils ont constaté que cette orientation était discriminatoire, mais que tel n’était pas le cas de la situation professionnelle et du salaire des intéressées qui en découlent, ceux-ci correspondant à une différence objective. Les juges ont conclu en indiquant que cet état de fait ne pouvait changer qu’avec l’évolution des mentalités.

Le Tribunal fédéral a rejeté le recours. Il a jugé que le Tribunal cantonal avait constaté les faits ni de manière manifestement inexacte ou incomplète ni au mépris de règles essentielles de procédure. Il a également jugé que le Tribunal cantonal n’avait pas violé le droit fédéral, en particulier la loi sur l’égalité.

VD 06.05.2003
discrimination salariale

LEg

art 3, art 6

procédure

06.05.2003Jugement du Tribunal de Prud’hommes de l’arrondissement de la Broye et du Nord vaudois

résumé

La partie demanderesse n’a pas démontré la vraisemblance d’une discrimination salariale (art. 3 al. 2 LEg). Par ailleurs, l’employeur a apporté la preuve que la différence entre le salaire de la demanderesse et celui de son collègue masculin est fondée sur des motifs objectifs et partant n’est pas discriminatoire à raison du sexe. Les motifs objectifs suivants ont été retenus: la différence de formation et de qualification entre la demanderesse et son collègue, ainsi que les différences quant aux domaines concrets d’activités et quant à leurs prestations respectives.

en fait

Le défendeur, Monsieur R, exploitait dans le canton de Vaud un atelier mécanique de précision en raison individuelle.

Monsieur R a engagé la demanderesse, Madame N, par contrat de travail de durée indéterminée du 3 juin 1997, en qualité d’aide-mécanicienne, pour un salaire horaire de 15 frs pendant le temps d’essai de 3 mois, adaptation ultérieure réservée. Madame N, née en 1958, était une ressortissante française domiciliée en France. Le permis pour frontalier ne lui ayant été délivré que le 1er juillet 1997, elle a effectivement débuté son emploi le 14 juillet 1997.

Le salaire horaire de la demanderesse a été augmenté à 15 frs 50 dès le 1er janvier 1998, puis est passé à 16 frs en 1999 et à 16 frs 50 en 2001.

Suite à un arrêt maladie, le défendeur a donné son congé à Madame N par lettre du 18 juillet 2001, remise en main propre et contresignée le même jour. Il y était prévu que le congé prendrait effet au 30 septembre 2001. Mais le lendemain 19 juillet, la demanderesse a adressé un courrier au défendeur lui demandant de pouvoir mettre fin aux rapports de travail au 31 juillet. Au mois d’août, Madame N a consulté un syndicat qui a contesté la validité du congé, faisant valoir que cette dernière aurait été forcée de signer la lettre du 19 juillet. Par la suite, la demanderesse a admis avoir signé la lettre du 19 juillet librement et que son contenu correspondait à sa réelle volonté.

Le 28 septembre 2001, le défendeur a adressé à la demanderesse un décompte final du salaire qui lui était encore dû, à hauteur de 1’140, 40 frs, pour solde de tout compte. Le 16 novembre 2001, la demanderesse a renvoyé ce document, signé et daté du 21 octobre 2001.

Le 25 janvier 2002, Madame N a déposé une demande au Tribunal des Prud’hommes de l’arrondissement de la Broye et du Nord vaudois, contre Monsieur R. Parmi d’autres prétentions sur lesquelles les parties sont parvenues à un accord ultérieurement, la demanderesse, persuadée d’avoir été moins payée que ses collègues masculins pour effectuer le même travail, a fait valoir une prétention en violation de l’interdiction de la discrimination salariale sur la base de la loi sur l’égalité entre femmes et hommes (art. 3 al. 2 LEg). Ignorant alors le salaire de ses collègues, elle n’a pas chiffré ses conclusions.

Par lettre du 16 décembre 2002, après échec de la conciliation, la demanderesse a précisé ses conclusions basées sur la LEg. Faisant valoir que son collègue Monsieur B, touchait un salaire horaire de 17 frs pour effectuer le même travail qu’elle, elle réclamait la différence entre le salaire total qu’elle avait touché pendant son engagement et celui qu’avait touché Monsieur B pour une période équivalente, ce qui représentait un montant de 13’454 frs 10 brut.

Monsieur B a travaillé pour le défendeur, en tant qu’ouvrier mécanique non qualifié depuis mars 1998, pour un salaire horaire de 16 francs 50, puis pour un salaire horaire de 17 frs 50 de janvier à fin novembre 2001, date à laquelle il a quitté son emploi.

Concernant les niveaux de formation et parcours professionnels de Madame N et de Monsieur B, les éléments suivants ont été établis lors de l’instruction:

Madame N

Monsieur B

Par ailleurs concernant les activités effectives de la demanderesse et de Monsieur B au sein de l’entreprise du défendeur, il ressortait du témoignage de Monsieur K, un collègue de ces derniers, que:

en droit

Dans la présente affaire, seules étaient litigieuses les conclusions de la demanderesse en paiement de 13’454 frs 10, fondées notamment sur l’art. 3 al. 2 LEg.

Question préalable

Le Tribunal s’est demandé, à titre préalable, si la quittance pour solde de tout compte signée par la demanderesse le 21 octobre 2001 et retournée le 16 novembre 2001 faisait obstacle ou non à sa prétention fondée sur la LEg.

A cet égard, le tribunal a rappelé qu’en vertu de l’art. 341 al. 1 CO, «le travailleur ne peut pas renoncer, pendant la durée du contrat et durant le mois qui suit la fin de celui-ci, aux créances résultant de dispositions impératives de la loi ou d’une convention collective». A contrario toutefois, passé ce délai d’un mois, le travailleur ou la travailleuse peut valablement renoncer à des créances résultant de dispositions impératives, comme en particulier les dispositions de la Constitution ou de la loi sur l’égalité. Seules sont réservées les dispositions sur les vices de la volonté.

En l’espèce, le Tribunal a envisagé deux hypothèses:

Bien que rejetant cette dernière hypothèse, le Tribunal a examiné les prétentions de la demanderesse fondées sur la LEg.

La discrimination salariale a-t-elle été démontrée (art. 6 LEg)?

Le Tribunal a rappelé que l’art. 6 LEg instaure un allègement du fardeau de la preuve en matière de discrimination, notamment salariale, à raison du sexe.

L’existence d’une discrimination salariale à raison de ce critère est présumée pour autant que la personne qui s’en prévaut la rende vraisemblable. Cela signifie que si la discrimination salariale est rendue vraisemblable par la partie demanderesse, le fardeau de la preuve est renversé et il appartient à la partie défenderesse d’établir l’inexistence d’une discrimination (ATF 127 III 207, consid. 3b).

Selon la jurisprudence, l’absence de discrimination peut être rapportée par la partie défenderesse, de manière positive, en démontrant que la différence de salaire entre l’homme et la femme repose sur des motifs objectifs.
Sont considéré comme objectifs, notamment, les motifs qui influencent la valeur même du travail, comme la formation, l’ancienneté, la qualification, l’expérience, le domaine concret d’activité, les prestations et les risques encourus.

En l’espèce, le Tribunal a retenu que la demanderesse n’avait pas rendu vraisemblable l’existence d’une discrimination salariale.

Il a par ailleurs considéré que la différence de salaire entre Madame N et Monsieur B reposait sur les motifs objectifs suivants:

Absence de nécessité d’une expertise

Le Tribunal a retenu qu’une expertise n’était pas nécessaire en l’espèce, compte tenu des explications du témoin Monsieur K, qu’il a qualifiées de claires et convaincantes et que la demanderesse n’avait du reste pas contestées.

Absence de discrimination salariale

Au final, le Tribunal a retenu que la différence de salaire entre la demanderesse et Monsieur B reposait sur des motifs objectifs, partant n’était pas discriminatoire. Par conséquent, les conclusions de la demanderesse fondées sur la LEg ont été rejetées.

Résumé par Emmanuelle Simonin, assistante diplômée à la faculté de droit et des sciences criminelles, Université de Lausanne, IDAT, sous la supervision du Prof. Rémy Wyler.

VD 06.08.2003
discrimination à la promotion

sujet

qualité pour agir d’une association
discrimination fondée sur la grossesse

LEg

art 3, art 5, art 6, art 7

procédure

02.07.2002Appréciation du Bureau de l’égalité entre les femmes et les hommes au Tribunal des Prud’hommes de Lausanne 17.07.2002Jugement préjudiciel du Tribunal de prud’hommes de Lausanne (recevabilité) 06.08.2003Jugement du Tribunal de prud’hommes de Lausanne (TT02.005970)

en fait

La greffière substitute X. engagée par contrat de droit privé au Tribunal cantonal s’est vue proposer le poste de première greffière substitute du Tribunal, mais n’a finalement pas obtenu ce poste parce qu’elle était enceinte.

L’Association vaudoise pour les droits de la femme (ADF) a ouvert action contre l’Etat de Vaud afin de faire constater que la candidature de l’intéressée a été écartée pour des motifs discriminatoires, que ne pas retenir un dossier de candidature du seul fait que la postulante est enceinte constitue une discrimination contraire au principe de l’égalité entre les hommes et les femmes et que la différence entre le salaire de la candidate et le salaire du poste pour lequel elle a posé sa candidature constitue une discrimination salariale. L’Etat de Vaud a conclu à l’irrecevabilité de la requête, estimant que l’ADF n’avait pas qualité pour agir s’agissant d’un refus d’embauche. Subsidiairement, il a conclu au rejet des conclusions.

Le Bureau de l’égalité entre femmes et hommes a estimé que l’ADF avait qualité pour agir, les quatre conditions posées par l’article 7 al. 1 LEg étant réalisées. S’agissant de savoir si l’issue du procès affectera un nombre considérable de travailleurs, le Bureau a indiqué être «fréquemment sollicité par des femmes travaillant au sein de l’Administration cantonale vaudoise, et en particulier dans l’Ordre judiciaire, pour répondre à des renseignements ayant trait à la maternité, précisant que de telles demandes lui parvenaient lorsque des femmes qui avaient annoncé leur grossesse à leur supérieur hiérarchique étaient l’objet de pressions.

Le 17 juillet 2002, le Tribunal de prud’hommes de Lausanne déclare recevable la requête de l’ADF.

Le Tribunal a admis qu’il était compétent ratione materiae, relevant que les personnes engagées par contrat d’une collectivité publique pouvaient saisir les autorités compétentes en matière de juridiction du travail et que le Tribunal de prud’hommes était compétent indépendamment de la valeur litigieuse lorsque la demande ne comportait aucune conclusion tendant au paiement d’une somme d’argent. Le Tribunal a également admis que les conditions posées à l’article 7 LEg étaient remplies, considérant notamment que l’issue de la procédure aura très probablement une incidence sur les autres rapports de travail au sein de l’Ordre judiciaire et dans le reste de l’Administration cantonale dans l’hypothèse où il retiendrait une discrimination en raison de la grossesse. Le Tribunal a donc admis qu’en se saisissant d’une situation particulière au sein du Tribunal cantonal, l’ADF défendait un intérêt collectif, susceptible en cas d’admission de l’action, de clarifier judiciairement une question de principe en matière d’égalité. Enfin, le Tribunal a admis que l’on se trouvait dans le cas d’un refus de promotion et non de refus d’embauche et que l’ADF pouvait donc agir.

Le Tribunal de prud’hommes de Lausanne a déclaré recevable la requête de l’Association vaudoise pour les droits de la femme dirigée contre l’Etat de Vaud et prononcé qu’il était passé à l’instruction de la cause.

Le 6 août 2003, le Tribunal de prud’hommes de Lausanne constate que la candidature de la greffière substitute a été écartée par le Tribunal cantonal pour des motifs discriminatoires.

en droit

Selon le Tribunal, l’annonce de la grossesse apparaît bien comme l’élément déterminant qui a amené la Greffière en titre à retirer la proposition faite à X. d’occuper le poste de premier greffier substitut. Il a donc admis que la demanderesse avait rendu vraisemblable l’existence d’une discrimination.
Les juges n’ont pas suivi l’Etat de Vaud qui affirmait avoir retiré sa proposition non pas en raison de la grossesse de X., mais à cause de l’absence qui allait résulter de celle-ci et de l’accouchement. Pour le Tribunal, on ne peut distinguer la grossesse et les absences qui y sont liées, car celles-ci ne peuvent être déplacées.

Les juges ont considéré que l’Etat de Vaud n’avait pas apporté la preuve de la non-discrimination en démontrant l’existence de motifs objectifs et admis que c’est effectivement pour des motifs discriminatoires que la candidature de X. au poste de premier greffier substitut du Tribunal cantonal avait été écartée.

Par contre, le Tribunal a déclaré douter que l’issue du procès puisse affecter un nombre considérable de rapports de travail, au sens de l’art. 7 al. 1 LEg, comme cela pouvait apparaître avant l’instruction de la cause. Les juges n’ont pas décelé d’indice que le personnel féminin du Tribunal cantonal ait pu être désavantagé à raison de son sexe en général ou de la grossesse en particulier, pas plus que l’ensemble du personnel de l’Ordre judiciaire.

S’agissant de la conclusion tendant à prononcer qu’il est discriminatoire de ne pas retenir une candidature du fait que la postulante est enceinte, le Tribunal a déclaré qu’il n’avait pas à constater de manière générale l’existence d’une règle légale, mais à dire si elle a été appliquée ou non dans un cas particulier.

Quant à la discrimination salariale invoquée par l’ADF, le Tribunal a relevé que le poste de premier greffier substitut se trouvait en classe 27 à 31 de l’échelle des traitements de l’Administration cantonale vaudoise, alors que celui de greffier substitut se trouvait en classe 24 à 28, de sorte que la nomination de X. au premier poste pouvait entraîner une augmentation de classe et par conséquent une augmentation de traitement. Le Tribunal a cependant considéré qu’il n’était pas en mesure de constater l’existence d’une discrimination salariale, la demanderesse n’ayant pas établi quel salaire aurait perçu ou pu percevoir X. au poste de première greffière substitute. Les juges ont cependant rappelé que X. gardait la possibilité d’ouvrir elle-même action contre son employeur et de lui demander réparation pour le dommage qu’elle estime avoir subi.

Le Tribunal de prud’hommes a admis partiellement la requête de l’ADF. Il a constaté que la candidature de X. avait été écartée pour des motifs discriminatoires et rejeté toutes autres ou plus amples conclusions.

GE 25.08.2003
discrimination salariale

LEg

art 3, art 5, art 6

procédure

18.12.2001Jugement du Tribunal des Prud’hommes (cause no C/10073/2001–4) 25.08.2003Arrêt de la Cour d’appel des Prud’hommes.

en fait

La demanderesse a été engagée le 8 juin 1999 en qualité de trust officer par X. SA, société ayant pour activité la gestion de trusts, l’administration de sociétés, ainsi que les conseils et les services y relatifs. Le travail de la demanderesse consistait à assurer l’administration de divers trusts et sociétés, sous la supervision d’un manager. Son salaire annuel brut, fixé initialement à Fr. 90’000.-, a passé à Fr. 100’000.- à partir du 1er février 2000. La demanderesse a sollicité à plusieurs reprises une augmentation de salaire. Lors d’une réunion du 18 décembre 2000, il a été décidé de mettre fin au contrat de travail de la demanderesse. Cette décision a été confirmée par écrit par Y., le manager de la société, le 19 décembre 2000. Dans ce courrier, il a été précisé que le contrat de travail viendra à échéance le 31 mars 2001, mais que X. SA s’engageait à libérer immédiatement la demanderesse dans l’hypothèse où elle trouverait un emploi avant cette date. En outre, X. SA a décidé d’accorder à la demanderesse un mois de salaire supplémentaire, payable en avril 2001. Le 23 février 2001, la demanderesse a été libérée de son obligation de travailler. Les parties sont ensuite entrées en conflit au sujet du salaire attribué à la demanderesse.

Par demande du 9 mai 2001 au Tribunal des Prud’hommes, la demanderesse a conclu au paiement de Fr. 183’073.50 à titre de différence entre le salaire dû et le salaire perçu et de Fr. 105’000.- à titre d’indemnité pour licenciement abusif, soit six mois de salaire à Fr. 17’500.—. Lors de l’audience tenue le 11 septembre 2001, la demanderesse a corrigé ses conclusions en réclamant un montant brut total de Fr. 425’999.70, convertissant ainsi les montants nets en montants bruts.

Le 18 décembre 2001, le Tribunal des Prud’hommes déboute la demanderesse de ses conclusions principales
Le Tribunal des Prud’hommes a considéré que la demanderesse avait été engagée en qualité de trust officer et qu’ayant accepté cette fonction au moment de la conclusion des rapports de travail, elle ne pouvait la remettre en question sur la base d’expériences professionnelles relatives à des fonctions antérieures de manager ou d’éventuelles compétences professionnelles idoines. Les juges ont constaté que les activités de la demanderesse au sein de la société ne correspondaient pas à celles que doit assumer un manager et qu’il était établi que la fonction de manager était remplie de manière effective par Y. Le Tribunal a également relevé que la demanderesse n’avait pas rendu vraisemblable qu’elle aurait déployé une activité attribuée au manager selon son cahier des charges, ni produit d’indices permettant de penser qu’elle aurait eu les qualifications requises pour ce faire. Le Tribunal a donc considéré que la différence de salaire existant entre celui perçu par la demanderesse et celui touché par Y., le manager de X. SA, reposait sur des critères objectifs.
Le Tribunal n’a pas non plus admis que le licenciement de la demanderesse était abusif. En revanche, il a considéré que la société devait respecter son engagement de verser à la demanderesse un salaire supplémentaire.
Le Tribunal des Prud’hommes a condamné X. SA à payer à la demanderesse un salaire mensuel net, soit la somme de Fr. 8’333.35 plus intérêts à 5 % l’an dès le 23 mars 2001. Il a débouté la demanderesse de toutes autres conclusions.
La demanderesse a interjeté appel, concluant préalablement à la réouverture des enquêtes, soit à l’audition de témoins et, principalement au paiement des sommes nettes de Fr. 183’073.50 et Fr. 105’000.— avec intérêt à 5 % dès le 23 mars 2001. Par appel incident, X. SA a conclu à l’annulation du jugement s’agissant de sa condamnation à payer à la demanderesse le capital de Fr. 8’333.35.

Le 25 août 2003, la Cour d’appel des Prud’hommes confirme le jugement de première instance.

en droit

Les juges ont reconnu que la qualification formelle de la fonction de la demanderesse n’était pas décisive. Ils ont toutefois considéré que celle-ci constituait un indice permettant de déterminer la fonction réellement exercée, dans la mesure où cette fonction était décrite dans un cahier des charges distinct de celui d’autres fonctions. Selon la Cour d’appel, la demanderesse n’est pas parvenue à rendre vraisemblable le fait qu’elle effectuait des tâches et endossait une responsabilité équivalentes à celles du directeur de X. SA, de sorte que la discrimination salariale n’apparaissait pas injustifiée. En outre, les juges n’ont pas reconnu l’existence d’une discrimination fondée sur le sexe du fait que X. SA avait nommé un homme au poste de directeur. La Cour d’appel a également considéré que la demanderesse n’avait pas rendu vraisemblable l’existence d’un motif abusif de congé et que son licenciement était lié à une insatisfaction relative à ses prestations de travail. Par ailleurs, les juges n’ont pas admis que X. SA pouvait invoquer l’erreur essentielle s’agissant de son offre de payer un salaire mensuel supplémentaire à la demanderesse à titre d’indemnité de départ, n’ayant pas fait valoir ce moyen en première instance.

La Cour d’appel des Prud’hommes a déclaré recevable l’appel interjeté par la demanderesse et irrecevable l’appel incident formé par X. SA. Elle a confirmé le jugement du Tribunal des Prud’hommes, débouté les parties de toutes autres conclusions et mis à la charge de la demanderesse un émolument d’appel de Fr. 4’000.—.

GE 26.09.2003
discrimination salariale

sujet

profession typiquement féminine
action collective
administration publique

LEg

art 3, art 5, art 6, art 13

procédure

08.10.2002Jugement du Tribunal administratif 26.09.2003Arrêt du Tribunal fédéral (2A.556/2002)

en fait

Des infirmières et infirmiers fonctionnaires invoquent une discrimination salariale indirecte affirmant que la politique salariale du canton, les critères utilisés et la procédure appliquée lors de l’établissement de la grille des salaires ont pour effet de discriminer la profession d’infirmière, exercée principalement par des femmes. Les demandeurs se fondent sur un rapport en mains de leur association professionnelle (l’association suisse des infirmières – section de Genève) qui relève entre autre que la grille d’analyse des fonctions utilisées par Genève est discriminatoire par défaut car elle ne contient pas de critères psycho-sociaux et relationnels alors que ceux-ci correspondent à une exigence majeure dans la profession d’infirmière. Ils demandent une réévalution de leur fonction. Comparant leur fonction, en classe salariale 12, avec celle des gendarmes en classes 12 à 14, les demandeurs revendiquent d’être colloqués en classe 16, comme les brigadiers de gendarmerie. Ils ont conclu au paiement de la différence de salaire entre celui reçu et celui dû selon la classe 16 pour les cinq dernières années et à être désormais rémunérés selon cette classe.

Le 8 octobre 2002, le Tribunal administratif rejette les demandes dans la mesure où elles ont conservé un objet.
Constatant que les fonctions de tous les demandeurs avaient été réévaluées depuis le 1er janvier 2002 - passant des classes 12 et 13 en classe 15 et de la classe 14 à la classe 16 -, les juges ont considéré que les demandes avaient perdu tout objet, exception faite du paiement du rétroactif réclamé du 1er mai 1996 au 30 avril 2001. Les juges n’ont pas admis que la fonction d’infirmière était comparable à celle de brigadier et aurait dû être colloquée dans la même classe 16, relevant qu’un gendarme ne devenait brigadier qu’après 22 ou 25 ans de service, que cette nomination n’était pas automatique et qu’elle supposait une expérience certaine. Le Tribunal a ainsi admis l’existence d’un motif objectif justifiant la différence de salaire entre les demandeurs et les brigadiers et considéré que la discrimination alléguée n’avait pas été rendue vraisemblable.

Les demandes ont été rejetées dans la mesure où elles étaient recevables, un émolument de Fr. 1’200.— étant mis à la charge des demandeurs.

Le 26 septembre 2003, Le Tribunal fédéral admet le recours s’agissant des frais et le rejette pour le surplus.

en droit

Le Tribunal fédéral n’a pas reconnu l’existence du déni de justice invoqué par les demandeurs du fait que les premiers juges ne s’étaient pas prononcés sur leur demande à être colloqués en classe 16. Les juges ont considéré que le Tribunal administratif n’avait pas à examiner la question de la reclassification et du paiement d’un rétroactif dès lors qu’il avait estimé que les demandeurs n’avaient pas rendu vraisemblable l’existence d’une discrimination liée au sexe. S’agissant de celle-ci, le Tribunal fédéral a confirmé que les demandeurs n’avaient pas établi la vraisemblance d’une discrimination en comparant leur situation avec celle des gendarmes, ne reconnaissant d’ailleurs pas que les deux fonctions étaient comparables. En ce qui concerne les frais de justice, le Tribunal fédéral a considéré que le Tribunal administratif avait mis à tort un émolument à charge des demandeurs, ceux-ci n’ayant pas agi avec témérité.

Le Tribunal fédéral a admis partiellement le recours et annulé l’arrêt du Tribunal administratif dans la mesure où il mettait un émolument de Fr. 1’200.— à charge des demandeurs. Il l’a rejeté pour le surplus. Le canton de Genève a été condamné à verser aux demandeurs des dépens réduits à Fr. 500.—.

VD 22.12.2003
discrimination salariale

sujet

expertise (méthode)

LEg

art 3, art 5, art 6, art 9

procédure

31.10.2002Jugement de la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois (CR 99.002511, 305/2001/MEP) 20.08.2003Arrêt de la Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois 22.12.2003Arrêt du Tribunal fédéral sur recours de droit public contre l’arrêt de la Chambre des recours (4 P.205/2003) 22.12.2003Arrêt du Tribunal fédéral sur recours de droit public contre le jugement de la Cour civile (4 P.253/2002) 22.12.2003Arrêt du Tribunal fédéral sur recours en réforme contre le jugement de la Cour civile (4 C.383/2002)

en fait

La demanderesse, licenciée en sciences politiques et en droit, titulaire d’un brevet d’avocat, a été engagée en août 1993 en qualité de juriste/secrétaire générale par X. SA, société multinationale avec de nombreuses filiales à l’étranger, ayant pour but la prise de participation dans des affaires financières, commerciales, industrielles, mobilières et immobilières.

Le salaire mensuel brut de la demanderesse fixé initialement à Fr. 9’320.—, a été porté à Fr. 10’770.— dès le 1er janvier 1994, versé treize fois l’an. En dérogation au règlement général du personnel, la demanderesse avait droit à cinq semaines de vacances par année et bénéficiait d’un délai de résiliation de trois mois après le temps d’essai.

Le 23 septembre 1993, le conseil d’administration de X. SA a nommé la demanderesse secrétaire dudit conseil et sous-directrice. Il a précisé qu’elle pourra être proposée au rang de directrice-adjointe dans un proche avenir.

En décembre 1994, la demanderesse a demandé l’adaptation de ses conditions salariales à celles des collaborateurs ayant les mêmes responsabilités qu’elle au sein de la société, invoquant notamment le fait que son prédécesseur percevait un salaire supérieur au sien de Fr. 52’000.— par année. Elle a obtenu que son revenu annuel brut passe de Fr. 140’000.— à Fr. 150’000.— dès le 1er janvier 1995.

En octobre 1995, la demanderesse a réclamé une augmentation de salaire avec effet rétroactif au 1er juillet, équivalant à Fr. 208’000.— par an. La demanderesse a obtenu seulement une augmentation de 3% pour 1996, ce qui a porté son traitement annuel brut à Fr. 154’500.—, et l’extension de son délai de congé à six mois.

Le 22 novembre 2001 (31 octobre 2002), la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois reconnaît l’existence d’une discrimination salariale et fixe le salaire dû à la demanderesse.

La demanderesse a ouvert action le 22 mai 1996. Elle a conclu au paiement de Fr. 282’750.— plus intérêt à 5% dès le 30 avril 1995 à titre de différence de salaire et à ce que le salaire annuel dû par X. SA soit fixé à Fr. 250’000.— dès et y compris le 1er janvier 1997.

Les juges ont admis que l’action de la demanderesse trouvait son fondement dans la loi fédérale du 24 mars 1995 sur l’égalité entre femmes et hommes, entrée en vigueur le 1er juillet 1996, et qu’il se justifiait de comparer le salaire fixe de la demanderesse avec celui de son prédécesseur. Constatant que la rémunération de ce dernier était nettement plus élevée, ils ont jugé que la vraisemblance d’une discrimination sexiste était largement acquise. Ils ont également constaté que la demanderesse avait rendu vraisemblable l’existence d’une discrimination s’agissant des bonus annuels auxquels avaient droit presque tous les cadres de X. SA, et de l’absence de promotion du fait qu’elle n’avait pas été nommée au poste de directrice-adjointe. En revanche, ils n’ont pas admis que la vraisemblance d’un comportement discriminatoire avait été rapportée s’agissant des conditions de travail, du paiement des frais forfaitaires et de la participation à un plan d’intéressement autorisant la souscription d’actions.

Les juges ont ensuite constaté que X. SA n’avait pas établi l’existence de motifs objectifs justifiant une différence de traitement dans les cas où la discrimination avait été rendue vraisemblable, s’écartant ainsi des conclusions de la première expertise. Les juges ont alors déterminé le préjudice salarial subi par la demanderesse en retenant la méthode de calcul du deuxième expert mis en œuvre, fondée sur les données internes de X. SA et centrée sur le personnel administratif auquel la demanderesse appartenait. Ils ont également suivi les conclusions de cet expert et considéré qu’il y avait lieu de valoriser le salaire des années où le brevet d’avocat de la demanderesse s’était révélé un atout indispensable, ce qui permettait également d’indemniser ex æquo et bono la discrimination liée à sa non-nomination au poste de directrice-adjointe.

La Cour civile a décidé que la demanderesse avait droit au paiement du montant de Fr. 212’716.— plus intérêts au taux de 5% l’an dès le 30 avril 1995, sous déduction des charges sociales usuelles.

Les juges ont également fixé le salaire annuel non discriminatoire de la demanderesse depuis le 1er janvier 1997 au montant de Fr. 199’814.50, bonus annuel par Fr. 7’000.— compris. Par ailleurs, ils ont alloué à la demanderesse Fr. 26’250.— à titre de dépens.

Le 24 février 2003 (20 août 2003), la Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois rejette le recours en nullité formé par X. SA.

Par acte déposé le 11 novembre 2002, X. SA a recouru en nullité contre le jugement de la Cour civile. Dans son mémoire du 6 janvier 2003, elle a développé ses moyens, faisant valoir en substance que la première expertise a été écartée à tort et que la méthode utilisée par le deuxième expert ne répond pas aux exigences posées par la LEg et la jurisprudence. Elle a également critiqué la composition de la Cour civile, favorable selon elle à la cause de la demanderesse.

La Chambre des recours a considéré que les premiers juges avaient procédé à une analyse soignée et détaillée des deux expertises et que leur appréciation de celles-ci n’était pas arbitraire. Elle a par ailleurs examiné tous les griefs soulevés par X. SA, les rejetant ou les déclarant irrecevables. Elle a également affirmé que la composition de la Cour civile ne donnait pas matière à récusation.

Par arrêt motivé du 20 août 2003, la Chambre des recours a rejeté le recours dans la mesure où il était recevable et confirmé le jugement de la Cour civile.

en droit

X. SA a formé un recours de droit public auprès du Tribunal fédéral contre l’arrêt de la Chambre des recours, concluant à son annulation.

Le 22 décembre 2003, Le Tribunal fédéral rejette le recours de droit public interjeté par X. SA contre l’arrêt de la Chambre des recours.

Les juges ont considéré que la cour cantonale n’avait pas commis d’arbitraire dans l’appréciation des preuves en se ralliant aux conclusions de la deuxième expertise puisqu’elle a motivé son choix et que son argumentation n’est nullement insoutenable au vu des pièces du dossier. Ils ont par ailleurs relevé que les conclusions finales du deuxième expert, selon lesquelles la demanderesse a été victime d’une discrimination salariale par rapport à des cadres masculins de X. SA, étaient parfaitement claires et exemptes de toutes contradictions. Les juges ont considéré que la Cour civile avait pu se rallier sans arbitraire au résultat de la deuxième expertise, car celle-ci était absolument exempte des nombreux défauts que lui prêtait X. SA. Ils ont précisé que la Cour civile avait largement motivé sa décision et qu’elle pouvait retenir le résultat final du calcul effectué par l’expert sans avoir à reproduire dans le jugement l’équation salariale posée par celui-ci à partir des données internes de X. SA. Le Tribunal fédéral a aussi considéré que X. SA commettait un abus de droit caractérisé en critiquant la composition de la Cour civile, faisant valoir qu’elle était formée de trois juges présentés par des partis de gauche, dont la sensibilité «monocolore» se serait manifestée par l’adhésion «quasi aveugle» à la deuxième expertise. Ils ont déclaré que si X. SA mettait en doute l’impartialité des juges vaudois, elle aurait dû demander leur récusation d’entrée de cause et ne pas invoquer ce moyen après coup, alors que la procédure devant la Cour civile a duré plus de six ans.

Le Tribunal fédéral a rejeté le recours et condamné X. SA a versé à la demanderesse une indemnité de Fr. 10’000.— à titre de dépens.

Parallèlement à un recours en réforme, X. SA a formé un recours de droit public au Tribunal fédéral contre le jugement de la Cour civile. Invoquant la violation des articles 8 alinéa 3 et 9 de la Constitution fédérale (Cst.), elle a conclu à l’annulation de la décision cantonale.

Le 22 décembre 2003, le Tribunal fédéral déclare irrecevable le recours de droit public interjeté par X. SA contre le jugement de la Cour civile

Les juges ont relevé que la norme constitutionnelle de l’article 8 alinéa 3 Cst., qui dispose que l’homme et la femme ont droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale, a été concrétisée par la Loi sur l’égalité entre femmes et hommes et que sa violation devait être invoquée par la voie du recours en réforme lorsque les rapports de travail litigieux relèvent du droit privé, comme dans le cas particulier. Les juges ont également relevé que la violation de la LEg devait aussi être soumise au Tribunal fédéral par la voie du recours en réforme. Ils ont donc déclaré les griefs invoqués par X. SA irrecevables en raison de la subsidiarité absolue du recours de droit public. Les juges ont par ailleurs constaté qu’en reprochant à la Cour civile d’avoir écarté la première expertise au profit de la deuxième et de s’être fondée sur la méthode de calcul du deuxième expert, X. SA s’en prenait à l’appréciation des preuves. Relevant que le grief utilisé de l’appréciation arbitraire des preuves pouvait faire l’objet d’un recours en nullité au niveau cantonal, ils ont déclaré ce moyen irrecevable faute d’épuisement au préalable des instances cantonales. Les juges ont encore examiné les différents moyens invoqués par X. SA sous l’angle de l’interdiction de l’arbitraire, les déclarant tous irrecevables.

Le Tribunal fédéral a déclaré le recours irrecevable et dit que X. SA versera à la demanderesse une indemnité de Fr. 10’000.— à titre de dépens.

Parallèlement à un recours de droit public, X. SA a exercé un recours en réforme au Tribunal fédéral contre le jugement rendu par la Cour civile le 2 novembre 2001.

Elle a conclu, principalement, à ce que la décision soit réformée en ce sens qu’elle n’est pas la débi-trice de la demanderesse de la somme de Fr. 212’716.— avec intérêt à 5% l’an dès le 30 avril 1995, sous déduction des charges sociales usuelles, et que le salaire annuel de la demanderesse depuis le 1er janvier 1997 n’est pas fixé à Fr. 199’814.50, bonus annuel par Fr. 7’000.— compris. Subsidiairement, X. SA a conclu à l’annulation du jugement attaqué, l’affaire étant renvoyée à la Cour civile pour rectifier l’état de fait et statuer à nouveau.

Le 22 décembre 2003, Le Tribunal fédéral rejette le recours en réforme interjeté par X. SA contre le jugement de la Cour civile.

Les juges ont relevé que dans sa seconde analyse, le deuxième expert avait estimé l’équation salariale régissant les salaires chez X. SA à partir des données internes fournies par celle-ci et que les magistrats de la Cour civile n’avaient pas à discuter les variables et les coefficients intégrés par l’expert dans sa formule, n’ayant pas de compétences spéciales en sciences du travail et en économétrie. Ils ont admis que la méthode d’évaluation utilisée par le deuxième expert répondait aux exigences posées par la loi sur l’égalité. A propos de l’évaluation comparative de la fonction occupée par la demanderesse chez X. SA, ils ont relevé qu’il avait été établi que le poste de celle-ci était comparable à celui occupé par son prédécesseur par d’autres modes de preuves que l’expertise.

Les juges ont également rappelé que l’interdiction de discriminer était absolue et qu’elle valait dans tous les domaines de la vie professionnelle, de sorte qu’une avocate salariée pouvait invoquer la protection de la loi sur l’égalité, comme n’importe quel travailleur ou travailleuse.

Relevant qu’il avait été retenu définitivement que la demanderesse occupait un poste à responsabilités comparable à celui de son prédécesseur, les juges ont constaté que le salaire d’engagement de la demanderesse était de 27% inférieur à celui de ce dernier. Ils ont également relevé que cette différence ne s’était pas réduite avec le temps puisque le salaire du prédécesseur de la demanderesse avait progressé annuellement de 6,1% durant sept ans, alors que la progression annuelle de la rémunération de la demanderesse avait été identique pendant quatre ans.

Relevant encore que le successeur de la demanderesse, qui est son cadet de 10 ans, a touché d’entrée de cause la rémunération que celle-ci avait atteinte en fin de contrat, le Tribunal fédéral a jugé que la vraisemblance d’une discrimination de nature sexiste quant au salaire fixe était patente.

S’agissant des bonus, les juges ont constaté que même si le prédécesseur de la demanderesse n’en avait jamais perçus, la comparaison concrète entre la demanderesse et tous les autres cadres masculins de X. SA, ayant reçu chacun un bonus entre 1993 et 1995, rendait hautement vraisemblable que l’intéressée avait été victime d’une discrimination fondée sur le sexe par rapport à l’octroi de cette gratification.

Ils ont encore relevé que la demanderesse avait également établi la vraisemblance d’une discrimination en matière de promotion, ce que ne contestait plus X. SA. Les juges ont considéré que la politique salariale de X. SA, laquelle consisterait à fixer assez bas les rémunérations initiales des nouveaux employés, puis de les augmenter rapidement au fil des années, ne constituait pas une justification objective de différence de traitement.

De même, ils ont constaté que X. SA n’avait pas prouvé qu’elle aurait procédé dans les années 1990 à une correction générale à la baisse des salaires trop élevés hérités des années 1980, qui justifierait la discrimination pratiquée à l’encontre de la demanderesse. Ils n’ont pas non plus admis que l’octroi de cinq semaines de vacances par année constituait un motif objectif, pas plus que l’extension à six mois du délai de congé, obtenue d’ailleurs en 1996.

Les juges ont encore considéré qu’ayant établi avoir subi une discrimination salariale, la demanderesse avait droit à la différence entre le salaire effectivement encaissé et celui qui aurait dû être versé pendant toute la durée des rapports de travail. Ils ont rappelé que la Cour civile avait fixé le salaire non-discriminatoire en se ralliant, sans arbitraire, au calcul du deuxième expert et qu’elle n’avait pas violé le droit fédéral en complétant ces chiffres et en y intégrant une valorisation du salaire, également déterminée par l’expert, pour les années de crise 1995 et 1996, où il s’est révélé nécessaire que la juriste/secrétaire générale soit titulaire d’un brevet d’avocat.

Quant au bonus, les juges ont considéré qu’il devait être payé rétroactivement à la demanderesse, dont les capacités professionnelles ont été particulièrement louées, et qu’il était également dû au prorata en 1997 puisque X. SA, ayant licencié la demanderesse pour le 31 août 1997, l’avait libérée de son travail le 5 février 1997, tout en lui demandant d’être disponible.

Le Tribunal fédéral a rejeté le recours et dit que X. SA versera à la demanderesse une indemnité de Fr. 10’000.— à titre de dépens.

GE 12.10.2004
attribution des tâches
harcèlement sexuel
licenciement discriminatoire
discrimination à la promotion

sujet

climat de travail hostile
langage grossier et familier réciproque

LEg

art 3, art 4, art 5, art 6, art 12

procédure

20.01.2003Jugement du Tribunal des Prud'hommes (cause n° C/6724/2002-5) 02.10.2003Arrêt de la Cour d'appel des Prud'hommes 12.10.2004Arrêt du Tribunal fédéral sur recours de droit public (4P.178/2004) 12.10.2004Arrêt du Tribunal fédéral sur recours en réforme (4C.276/2004)

en fait

La demanderesse A. a été engagée par la société X. SA, à Zürich, en qualité de journaliste dès le 1er janvier 1991 pour son bureau de Genève. Les tâches de la demanderesse consistaient à rédiger et à traiter les diverses dépêches reçues par l’agence de façon à les communiquer à la clientèle, à suivre l’équipe suisse de football lors des camps d’entraînement, à rédiger des articles et des comptes rendus des manifestations sportives, en général, et des matchs de football en particulier, son domaine de prédilection. Le bureau de Genève était dirigé par B., journaliste sportif réputé, considéré comme l’un des connaisseurs les plus expérimentés du football helvétique, lequel était également responsable de la rubrique football. En 1995, B. alors âgé de 65 ans, a transmis la direction du bureau à C., mais a gardé son activité de chef de la rubrique football. Deux ans plus tard D., fils de B., a été nommé rédacteur en chef. Lorsque C. est devenu directeur, un contrat de travail a été formellement signé le 20 novembre 1995 entre X. SA et la demanderesse. Le salaire mensuel de cette dernière a été fixé à Fr. 5’500.— brut, plus Fr. 300.— de frais de représentation ainsi qu’un treizième salaire. Il a été précisé que «pour tous les points n’étant pas traités par le présent contrat, on se réfère au Code des obligations et à la Convention collective de travail URJ/FSJ», soit à la CCT conclue entre l’Union romande des éditeurs de journaux et périodiques (URJ) et la Fédération suisse des journalistes (FSJ) le 23 décembre 1994. Depuis lors, A. a constaté une détérioration importante de sa situation professionnelle, estimant notamment souffrir d’atteinte à sa personnalité, considérant que le travail le plus intéressant lui était retiré, qu’elle ne partait plus aussi souvent en déplacement, que son travail était fréquemment et publiquement critiqué, qu’elle était souvent insultée par le nouveau rédacteur en chef et victime de brimades et que des commentaires tendancieux lui étaient adressés. La demanderesse est tombée malade le 10 juillet 2000. En guise de vacances, elle est allée suivre une cure anti-stress du 13 au 26 août 2000. A son retour le 28 août 2000, C. lui a signifié son licenciement pour le 28 février 2001. La demanderesse étant alors toujours en incapacité de travail, son congé lui a à nouveau été signifié le 12 mars 2001 pour le 30 septembre 2001. Souffrant de dépression depuis le 10 juillet 2000 et étant dans l’incapacité totale de travailler, la demanderesse a déposé une requête auprès de l’assurance invalidité.

La demanderesse a ouvert action le 28 mars 2002, réclamant à X. SA le paiement de Fr. 595’318.52, soit :

La défenderesse X. SA a reconnu devoir la somme de Fr. 6’869.— avec intérêt à 5 % dès le 16 mai 2001 à titre de vacances pour l’année 2000. Ce montant a été payé en capital et intérêts, y compris la part afférente au 13ème salaire, en juin 2002. Pour le surplus, la défenderesse a conclu au déboutement de la demanderesse.

Le 20 janvier 2003, Le Tribunal des Prud’hommes déboute la demanderesse de toutes ses conclusions.
Les juges ont indiqué que le travail au sein d’une agence de presse spécialisée dans les informations sportives se déroulait dans une ambiance particulière. Rappelant que les rapports de travail entre les parties avaient duré plus de douze ans, ils ont relevé que le langage familier, voire grossier, était monnaie courante, que le comportement de la demanderesse ne constituait pas une exception sur ce point dans la mesure où elle n’avait, elle non plus, pas un langage particulièrement châtié et qu’elle appelait «bichounet» celui à qui elle reprochait de l’avoir appelée «bichounette». Les juges ont par ailleurs constaté que la demanderesse blâmait ses employeurs et collègues d’avoir négligé d’utiliser son nom de femme mariée après son changement d’état civil, le 23 octobre 1998, alors qu’elle même avait continué à signer ses correspondances et articles de son nom de jeune fille. Ils n’ont pas admis que la demanderesse avait apporté la preuve que son mariage ait donné lieu à des médisances sur son lieu de travail ni que la tâche de préparer le café lui ait été assignée dans une mesure inacceptable. En revanche, le Tribunal a considéré que le travail de la demanderesse avait fait l’objet de nombreuses critiques durant les derniers mois de son activité, qu’il était établi que celle-ci avait ressenti une profonde frustration de ne pas se voir confier la responsabilité de la rubrique football, et ce même après la retraite de B. du poste de directeur de la défenderesse X. SA. Les juges n’ont pas admis que la demanderesse pouvait prétendre à une telle promotion, mais ont constaté qu’elle avait souffert de cette frustration et des déceptions qui en ont découlé au point que des changements sensibles sur son humeur et son caractère avaient été déplorés, aussi bien par ses collègues de travail que par des personnes extérieures à la société X. SA. Par ailleurs, les juges ont indiqué qu’il n’était pas démontré que la demanderesse ait porté à la connaissance de son employeur les faits constitutifs du harcèlement dont elle s’estimait victime. Ils n’ont pas non plus admis que la demanderesse ait établi l’existence d’un rapport de causalité entre les atteintes dénoncées et la profonde dépression dont elle souffrait. Le Tribunal a donc considéré qu’aucune violation de l’article 328 CO ne pouvait être retenue.

Par ailleurs, les juges ont rappelé que les seuls éléments déterminants pour qu’un congé soit abusif sont le motif du congé et la causalité entre ce motif et le congé lui-même. Le Tribunal n’a pas suivi la demanderesse, laquelle estimait que les reproches formulés à son encontre à l’appui de son licenciement, notamment en ce qui concernait la qualité de son travail et de son attitude au sein de la rédaction, avaient précisément été causés par l’attitude de la défenderesse, tout comme son état de santé était dû au harcèlement psychologique et à la discrimination sexuelle qu’elle avait subie de la part de C. notamment. Pour les juges, les rapports entre les parties se sont notablement dégradés sans que la responsabilité puisse en être imputée à l’une ou l’autre. Ils ont considéré que les raisons invoquées par X. SA à l’appui du licenciement de la demanderesse apparaissaient comme légitimes et que son comportement ne pouvait être qualifié d’abusif.

Vu l’absence d’un rapport de causalité entre les atteintes alléguées par la demanderesse et la profonde dépression dont elle souffre, les juges ont débouté cette dernière de sa prétention en paiement d’une indemnité pour tort moral. N’ayant retenu aucune violation de l’article 328 CO, les juges ont également débouté la demanderesse de ses prétentions en dommages et intérêts. Ils ont aussi rejeté les conclusions relatives au versement d’une indemnité pour licenciement abusif équivalent à trois mois de salaire. Dans le dispositif du jugement, le Tribunal des Prud’hommes a déclaré débouter la demanderesse de toutes ses conclusions et débouter les parties de toutes autres conclusions.

La demanderesse a interjeté appel le 19 mai 2003, concluant préalablement à la réouverture des enquêtes et à l’audition d’un certain nombre de témoins. Elle a demandé ensuite l’annulation du jugement et que X. SA soit condamnée à lui payer Fr. 62’191.— net avec intérêt à 5 % l’an dès le 1er octobre 2001, Fr. 10’513.75 brut, sous déduction des charges sociales et avec intérêt à 5 % l’an dès le 1er octobre 2001 ainsi que Fr. 510’005.— à titre de dommages et intérêts, sous déduction des prestations éventuelles d’assurance invalidité. La demanderesse a invoqué la violation de l’article 3 LEg en contestant l’attribution des tâches qui lui était défavorable, relevant que B. était favorisé et que s’agissant de promotion, elle aurait dû être nommée au poste de cheffe de la rubrique football en lieu et place de celui-ci en raison de ses compétences et de son expérience. La demanderesse a invoqué la violation de l’article 4 LEg, affirmant que c’était en raison de sa condition de femme que ses collègues lui donnaient des surnoms et l’injuriaient. Se fondant sur l’article 5 alinéa 3 LEg réprimant le harcèlement sexuel, elle a réclamé une indemnité d’un montant minimum de trois salaires moyens suisses, soit Fr. 15’489.—. La demanderesse a maintenu sa prétention en une indemnité pour tort moral de Fr. 24’511.— pour mobbing, expliquant que la différence entre la conclusion de Fr. 40’000.— pour tort moral et les Fr. 24’511.— réclamés résultaient du fait qu’une partie de l’indemnité était réclamée dans le cadre du harcèlement sexuel (Fr. 15’489.—). La demanderesse a maintenu les conclusions prises en première instance, à l’exception de ses prétentions concernant les vacances et le 13ème salaire.

La défenderesse X. SA a conclu à la confirmation du jugement du 20 janvier 2003 et à ce que la demanderesse soit condamnée au paiement d’une indemnité de procédure à titre de participation à ses frais d’avocat.

Le 2 octobre 2003, la Cour d’appel des Prud’hommes confirme le jugement du 20 janvier 2003 et déboute les parties de toutes autres ou contraires conclusions.

Les juges ont constaté que le contrat de la demanderesse ne renvoyait au Code des obligations et à la Convention collective de travail URJ/FSJ que pour les points non prévus par celui-ci. Relevant que la défenderesse X. SA n’était pas membre de l’URJ, ils ont considéré que la convention collective de travail ne pouvait avoir d’effet impératif sur les contrats de travail conclus par cette dernière. Les juges ont constaté que le salaire initial de la demanderesse était différent de celui prévu par la CCT romande et que les augmentations subséquentes n’avaient pas été basées sur le tarif conventionnel. Ils ont dès lors admis que X. SA avait manifesté, par actes concluants, son intention de ne pas appliquer la convention collective de travail s’agissant du salaire et que la demanderesse ne pouvait réclamer l’adaptation de celui-ci suivant la convention.

La Cour d’appel s’est déclarée convaincue que les éléments caractéristiques du mobbing n’étaient pas réalisés dans le cas de la demanderesse. Les juges ont relevé que cette dernière était déjà sujette à des dépressions et avait des problèmes de concentration en 1995 et que le fait de ne pas avoir été nommée en tant que cheffe de rubrique avait été une très grande déception suivie d’un changement de comportement. Les juges ont relevé que l’usage du langage familier, voire parfois grossier était de mise au sein du bureau et que la demanderesse n’avait pas été traitée de manière différente et que ses conditions salariales n’étaient pas inférieures à celles de ses collègues. Suivant les juges de première instance, ils ont considéré que la demanderesse ne s’était pas offusquée d’être appelée «belle enfant» par son patron, qu’elle répondait «bichounet» à celui qui l’appelait «bichounette» et qu’elle n’avait pas un langage particulièrement châtié. Ils ont relevé par ailleurs que l’employeur avait formulé de nombreux reproches à la demanderesse, s’était plaint tant oralement que par écrit de son comportement et qu’il s’agissait de faits objectifs et non de faux prétextes destinés à l’écarter de l’entreprise. Les juges ont ainsi considéré que l’isolement progressif, l’agressivité et la baisse de performances de la demanderesse étaient liés à la dépression dont elle souffrait depuis au moins 1995.

Les juges n’ont pas non plus admis l’existence d’une discrimination au sens de l’article 3 LEg parce que B., fondateur de l’agence, occupait le devant de la scène et était chef de la rubrique football. Ils ont considéré que ce journaliste, réputé et connaissant très bien le football, était particulièrement qualifié pour exercer cette fonction, alors que la demanderesse avait moins d’expérience, même si elle avait une meilleure maîtrise des outils informatiques et des langues. La Cour d’appel a considéré que la désignation de B. reposait bien sur des critères objectifs et que la demanderesse, qui n’avait d’ailleurs pas postulé pour le poste de cheffe de rubrique, n’avait pas été évincée parce qu’elle était une femme.
La Cour d’appel n’a pas admis que la défenderesse X. SA était à l’origine du comportement de la demanderesse ayant entraîné son licenciement. Après avoir considéré que depuis 1995, les contacts de la demanderesse avec ses collègues de travail étaient devenus difficiles, qu’elle manifestait une insatisfaction quasi permanente, que sa susceptibilité exacerbée rendait impossibles les relations de travail avec ses collègues, en particulier de sexe féminin, les juges ont déclaré être convaincus que le licenciement n’était pas intervenu pour un motif inhérent à la personnalité de la demanderesse.
La Cour d’appel a confirmé le jugement rendu par le Tribunal des Prud’hommes le 20 janvier 2003 et débouté les parties de toutes autres ou contraires conclusions. Elle a décidé de ne pas prélever d’émoluments d’appel dans la mesure où le litige portait en grande partie sur la LEg et que les parties n’avaient pas usé de procédés déloyaux.

Parallèlement à un recours en réforme, la demanderesse a interjeté un recours de droit public au Tribunal fédéral contre l’arrêt du 2 octobre 2003, invoquant la violation de son droit d’être entendue et l’arbitraire. Elle a conclu à l’annulation de l’arrêt attaqué.

Le 12 octobre 2004, le Tribunal fédéral rejette le recours de droit public formé contre la décision de la Cour d’appel.

en droit

Recours droit public

Les juges ont considéré que la violation du droit d’être entendu, plus particulièrement celui d’obtenir une décision motivée, invoquée par la demanderesse était sans fondement. Ils ont relevé que le droit à obtenir une décision motivée, qui découle du droit d’être entendu, sanctionne la violation par l’autorité de son devoir minimum d’examiner et de traiter les problèmes pertinents ; précisant qu’il fallait cependant que l’autorité ait été matériellement en mesure de se prononcer. Dans le cas particulier, les juges ont constaté que la requête de la demanderesse du 27 février 2004, tendant à faire entendre de nouveaux témoins, était postérieure à l’arrêt attaqué, celui-ci datant du 2 octobre 2003, quand bien même les considérants avaient été notifiés à la demanderesse par la suite.

Le Tribunal fédéral a rappelé que la Cour cantonale, chargée d’apprécier les preuves, était libre de choisir parmi les déclarations des différents témoins, la version qui lui paraissait la plus crédible, sans tomber dans l’arbitraire. Les juges ont ainsi considéré que ce n’était pas de manière insoutenable qu’il avait été constaté que l’origine des difficultés relationnelles et la baisse de la qualité du travail de la demanderesse provenaient de son état dépressif et de la déception liée à la non promotion au poste de chef de la rubrique football survenue en 1995.

Le Tribunal fédéral a rejeté le recours de droit public formé par la demanderesse. Relevant qu’une partie des prétentions de la demanderesse était indissociable de l’existence de discrimination à raison du sexe et que son recours était dirigé pour l’essentiel contre le refus de la Cour cantonale d’admettre que l’origine de ses difficultés résidaient dans les actes de harcèlement, il a admis que la procédure devait être gratuite. Cependant, le Tribunal fédéral a décidé que la demanderesse devait verser à X. SA une indemnité de Fr. 8’000.— à titre de dépens.

La demanderesse a interjeté un recours en réforme au Tribunal fédéral contre l’arrêt de la Cour d’appel des Prud’hommes du 2 octobre 2003. Elle a conclu à l’annulation de la décision attaquée et à la condamnation de X. SA à lui verser la somme totale de Fr. 583’204.75, à savoir Fr. 40’000.— pour tort moral, Fr. 22’191.— à titre d’indemnité pour licenciement abusif et Fr. 10’513.75 sous déduction des charges sociales, plus intérêts à 5 % dès le 1er octobre 2001. Elle a également conclu au paiement de Fr. 510’500.— à titre de dommages-intérêts liés à son incapacité de travail, sous déduction des prestations éventuelles de l’assurance invalidité.

Le 12 octobre 2004, le Tribunal fédéral rejette le recours en réforme formé par la demanderesse contre l’arrêt de la Cour d’appel des Prud’hommes.

Recours en réforme

Constatant que la demanderesse invoquait l’existence d’inadvertances manifestes de la part de la Cour cantonale en se fondant sur des faits qui ne ressortaient pas de l’arrêt entrepris, le Tribunal fédéral a rappelé que l’absence de mention d’une pièce dans le cadre de l’appréciation des preuves ne signifiait pas encore qu’il y ait inadvertance manifeste. Il a précisé qu’il fallait que ladite pièce n’ait pas été examinée, même implicitement, c’est-à-dire que le juge n’en ait pas pris connaissance ou l’ait purement et simplement laissée de côté. Selon les juges, l’inadvertance manifeste ne saurait être confondue avec l’appréciation des preuves et dès l’instant où une constatation de fait repose sur l’appréciation, même insoutenable, d’une preuve, d’un ensemble de preuves ou d’indices, une inadvertance est exclue. Le Tribunal fédéral a ainsi considéré que si les juges n’avaient pas retenu l’existence de propos de nature sexiste, ce n’était à l’évidence pas à la suite d’inadvertances manifestes répétées, portant sur de nombreuses pièces versées au dossier, mais à la suite d’une appréciation des preuves.

Les juges ont constaté que si le langage utilisé au sein du bureau de Genève n’était pas des plus châtié, rien ne permettait de conclure qu’il ait eu une connotation sexuelle ou qu’il ait été grossier au point de pouvoir être qualifié de comportement importun de caractère sexuel. Ils ont d’ailleurs relevé qu’au sein de la société X. SA, chacun s’exprimait de façon crue et ce depuis de nombreuses années, sans qu’il n’ait été constaté que la demanderesse se serait plainte des propos de ses collègues auprès de son employeur. Les juges ont retenu que si la demanderesse avait été traitée de «conne», d’»arpette» et qu’il lui avait été dit que ses articles était de la «merde», ces remarques, faites dans le feu de l’action, étaient dues à de l’énervement suite à la mauvaise qualité du travail de la demanderesse. Il a été considéré qu’il s’agissait de critiques objectivement fondées et exprimées dans le langage habituel de l’agence qui ne pouvaient être qualifiées de harcèlement sexuel. Quant au fait que la demanderesse ait été à l’occasion traitée de «bel enfant» par B. et que C. l’ait appelée «bichounette», les juges ont considéré que ces propos avaient été tenus lorsqu’il régnait dans l’agence une ambiance détendue et que les relations de travail étaient bonnes. Ils n’ont donc pas admis qu’il s’agissait de propos déplacés, de nature à rendre le climat de travail hostile. Le Tribunal fédéral a ainsi considéré que la Cour cantonale pouvait nier l’existence de harcèlement sexuel sans violer le droit fédéral.

Les juges ont par ailleurs considéré que les faits constatés par l’autorité cantonale ne permettaient pas de déduire que X. SA ou ses employés se soient acharnés sur la demanderesse en vue de la marginaliser ou de l’exclure de son lieu de travail, par des propos ou des agissements hostiles et répétés. Reprenant les éléments retenus par les juges de deuxième instance, à savoir que le comportement de la demanderesse avait notamment changé en 1995 en raison de sa déception de ne pas avoir été nommée cheffe de la rubrique football et d’épisodes dépressifs, liés à des problèmes de concentration, le Tribunal fédéral a considéré qu’aucun indice permettant de conclure à l’existence de mobbing ressortait des faits retenus par l’autorité inférieure, même si la dégradation de ses relations de travail avait pu être ressentie de manière douloureuse par la demanderesse.

Relevant que les faits retenus dans l’arrêt attaqué ne permettaient pas de conclure à l’existence d’actes de harcèlement sexuel ou de mobbing à l’encontre de la demanderesse, le Tribunal fédéral a considéré que X. SA ne pouvait être tenue pour responsable de la baisse de la qualité du travail de la demanderesse et de son comportement difficile, lesquels ont donné lieu à son licenciement. Ils ont admis que les juges cantonaux pouvaient considérer que le congé signifié à la demanderesse n’était pas abusif sans violer le droit fédéral.

Considérant qu’il ressortait de l’arrêt attaqué que B. avait été désigné comme chef de la rubrique football en fonction de critères objectifs, à savoir parce qu’il était un journaliste réputé, fondateur de X. SA et connaissant très bien le football, le Tribunal fédéral a considéré que les juges cantonaux n’avaient violé ni l’article 3 ni l’article 6 LEg en ne retenant pas l’existence d’une discrimination à la promotion, relevant au demeurant qu’aucun des éléments du jugement ne laissait transparaître la vraisemblance d’une telle discrimination. S’agissant des montants réclamés à titre de salaires dus selon la convention collective de travail, le Tribunal fédéral a relevé que X. SA n’était pas membre de l’URJ ni personnellement partie à la CCT et qu’il n’avait pas été allégué que X. SA aurait fait une déclaration de soumission volontaire à la Convention, laquelle aurait été admise par les parties. Par conséquent, les juges ont considéré que les parties restaient libres de déroger au salaire prévu conventionnellement et que X. SA n’était pas tenue d’accorder à la demanderesse les augmentations de salaire prévues par le tarif conventionnel. Le Tribunal fédéral a ainsi admis que la Cour cantonale était en droit de rejeter les prétentions salariales de la demanderesse fondées sur la convention collective de travail.

Le Tribunal fédéral a rejeté le recours de la demanderesse dans la mesure où il était recevable. Il a décidé de ne pas percevoir de frais, mais en revanche dit que la demanderesse devait verser à X. SA une indemnité de Fr. 8’000.— à titre de dépens.

GE 03.03.2005
harcèlement sexuel

sujet

obligation de diligence de l’employeur
(mesures appropriées, préventives et correctives)

LEg

art 4

procédure

21.08.2003Jugement du Tribunal des prud’hommes 03.03.2005Arrêt de la Cour d’appel des prud’hommes

en fait

Dès le mois de septembre 2006, T a été engagée par l’entreprise ESA en tant que vendeuse de kiosques. Dès le mois de novembre 2007, elle a travaillé, du lundi au vendredi auprès du kiosque A, et durant le week-end au kiosque B, géré par Monsieur C (ci-après C), son supérieur hiérarchique.

T aurait fait l’objet de remarques déplacées, bises, petites fessées de la part de C, dès ses premiers jours de travail au kiosque B [1].

Dès le mois d’avril 2000, T a demandé à réduire son taux d’activité auprès du kiosque B.

C ne conteste pas que dès cette période, il a eu un comportement déplacé à l’égard de T, notamment, par la tenue de propos sexistes, de commentaires sur des revues pornographiques, en les lui exhibant. Il reconnaît également avoir eu des contacts physiques ambigus [2].

Le 19 juillet 2000, le psychiatre de T a diagnostiqué auprès de sa patiente un état dépressif grave et l’a mis en arrêt de travail depuis ce jour.

Selon l’état de fait retenu par la Cour d’appel des prud’hommes, malgré les visites régulières du responsable régional d’ESA, T ne s’est pas plainte, dans un premier temps, du comportement de C à son égard. En juillet 2000, T a fait part au responsable régional des relations difficiles avec son supérieur hiérarchique, sans en préciser la nature [3]. Le responsable régional lui a conseillé de prendre contact avec Madame D (ci-après : D), responsable des ressources humaines.

Le 20 juillet, T a contacté D et s’est plainte pour la première fois auprès de sa hiérarchie du comportement de C, en faisant état de propos et de gestes déplacés. D lui a communiqué les coordonnées de différents organismes pouvant la soutenir, et lui a proposé de la rencontrer, ce que T a refusé. D lui a assuré qu’elle ne serait plus en contact avec son supérieur. D a également proposé une médiation entre T et C.

Convoqué le 26 juillet 2000 aux ressources humaines, C a reconnu avoir eu un comportement déplacé à l’égard de T, et lui a écrit le lendemain une lettre d’excuses.

En date du 28 juillet 2000, ESA a adressé un unique et ultime avertissement à C, le mettant en demeure de cesser immédiatement son comportement déplacé à l’égard de T et «d’adopter des relations professionnelles respectueuses, dans un climat de travail sain» [4].

En août 2000, ESA a proposé, à ses frais, une médiation entre T et C. Après l’avoir accepté, T a refusé finalement d’y prendre part. Après avoir appris que son supérieur hiérarchique travaillait toujours auprès du kiosque B et qu’il n’avait pas été déplacé, T a déposé une plainte, le 17 octobre 2000, pour harcèlement sexuel auprès de l’Office cantonal de l’inspection et des relations du travail (ci-après : OCIRT). Interrogé par l’OCIRT en décembre 2000, C a reconnu avoir tenu des propos déplacés à l’égard de T, tout en contestant que son attitude et ses gestes puissent être qualifiés de harcèlement sexuel.

Par courrier du 9 janvier 2001, ESA a expliqué à l’OCIRT ne plus avoir pris d’autres mesures, vu la multitude des intervenants auprès de T. Celle-ci était en effet défendue par une connaissance dans le cadre de ses rapports de travail, par un avocat pour le litige l’opposant à C. De plus, une association soutenait l’ensemble des démarches de T.

L’OCIRT a condamné C à une amende de 2’500, réduite à 500. — par le Tribunal de police, rendu le 19 décembre 2001.

Dès le mois d’août 2001, T a recommencé à travailler à 50 % auprès du kiosque L, puis a augmenté son taux d’activité à 75 %, dès le mois d’octobre 2001. Ce kiosque était géré par une femme.
Selon la Cour d’appel, ESA aurait suivi les recommandations de médecins et de l’assurance maladie suggérant une reprise de travail à un autre lieu que le kiosque B.

Suite au jugement rendu par le Tribunal de police, ESA a déplacé C au kiosque K, beaucoup moins important que le kiosque B, et générant ainsi un chiffre d’affaires moindre. En raison de son déplacement, C a perçu un revenu moins important [5].

T a déposé une demande en justice devant le Tribunal de prud’hommes, en date du 26 février 2002. Elle a assigné E SA en paiement de CHF 30’420 à titre d’indemnité pour harcèlement sexuel, et CHF 10’000, à titre de tort moral.

Par courrier du 20 mars 2002, ESA a également été informée que T souhaitait reprendre son activité auprès du kiosque B, dont elle avait été déplacée.

Statuant en premier ressort, le Tribunal des prud’hommes a condamné ESA à payer la somme de 5’220, avec intérêts à 5 % dès le 26 février 2002. En substance, le Tribunal des prud’hommes avait estimé que le comportement de C était constitutif d’un harcèlement sexuel, et que les mesures conséquentes prises par ESA, n’avaient pas été suffisantes. Il a également considéré que les mesures préventives prises par ESA en matière de harcèlement sexuel étaient insuffisantes. Au vu de l’absence de gravité suffisante, seule une pénalité d’un mois avait être retenue. Considérant l’absence de causalité adéquate entre la tardivité de la réaction de l’employeur et la dépression de T, l’instance saisie n’a pas retenue de tort moral [6].

Par son appel, l’entreprise ESA demande à la Cour d’appel d’annuler le jugement rendu, en ce qu’il le condamne à payer la somme de 5’220. Interjetant un appel incident, T a conclu à l’annulation du jugement, et conclut à ce qu’ESA soit condamnée à lui payer la somme de CHF 28’710, avec intérêts à 5 % dès le 26 février 2002.

La Cour d’appel a fait droit à l’appel interjeté par ESA, en déboutant T de toutes ses conclusions.

en droit

La Cour d’appel des prud’hommes (ci-après : la Cour d’appel) a retenu que le comportement de C était certes constitutif de harcèlement sexuel.

Conformément à la jurisprudence fédérale, elle a rappelé que la définition de l’article 4 LEg, englobe tous les comportements importuns de caractère sexuel, soit également ceux qui contribuent à créer un climat de travail hostile, tels que des plaisanteries déplacées, des commentaires grossiers ou embarrassants, et pas seulement de cas d’abus d’autorité.

C a admis eu les gestes suivants à l’égard de T : l’avoir embrassé sur la joue à plusieurs reprises, l’avoir touché à la taille, l’avoir appelé «chouchou», s’être frotté à T dans l’espace restreint du kiosque et avoir commenté des revues à connotation sexuelle. De tels actes constituent des comportements discriminatoires selon l’article 4 LEg.

Ensuite, la Cour a examiné si l’entreprise ESA avait rempli son obligation de diligence, en examinant les deux aspects suivants.

Premièrement, elle s’est demandée si l’entreprise ESA avait pris les mesures appropriées aux circonstances et raisonnablement exigibles pour mettre fin au cas de harcèlement sexuel subi par T. A cet égard, la Cour d’appel a relevé que trois mesures ont été prises par ESA : a) une proposition de médiation, b) la réinsertion de T dans un autre kiosque que le kiosque A, et c) enfin la mutation de C, plus d’une année après la dénonciation des faits.

a) Contrairement au tribunal des prud’hommes, la Cour d’appel a jugé que la médiation constituait une mesure adéquate, permettant à la victime «d’une part, d’exprimer ses souffrances et ses reproches sans crainte, et d’autre part de les faire entendre à son agresseur pour qu’il les reconnaisse et en prenne conscience»[7]. L’employeur se devait donc de la proposer, et le fait qu’elle n’ait finalement pas eu lieu ne constitue pas un élément déterminant pour juger de l’opportunité de la mesure.

b) Quant à la reprise du travail de T, la Cour a estimé qu’il ne fallait pas, pour des raisons d’ordre psychologique, «réintégrer l’intimée dans le kiosque où elle avait été harcelée, même en l’absence de son supérieur»[8]. En outre, pour des motifs de santé, alors que T devait reprendre, le travail de façon thérapeutique, il n’aurait pas été indiqué de la soumettre à un rythme de travail très soutenu, vu la grande fréquentabilité du kiosque A.

c) le déplacement de C à un autre kiosque que le kiosque A a certes eu lieu, mais seulement une fois le jugement du Tribunal de police rendu. Aurait-il fallu déplacer C plus tôt, soit dès le dépôt de la plainte de T, en juillet 2000? A cette question, la Cour d’appel répond par la négative, considérant que des mesures moins incisives, telles que l’avertissement unique ultime, avait été prises. De plus, le déplacement ne s’imposait pas, vu que T était en congé-maladie.

En outre, avant de décider du déplacement de C en kiosque moins fréquenté, la Cour a considéré que l’employeur devait attendre l’issue de la procédure pendante devant le Tribunal de police avant de prendre une telle sanction.

Ainsi, sous ces trois aspects, la Cour a jugé qu’ESA avait pris les mesures suffisantes pour mettre fin au harcèlement sexuel.

Deuxièmement, la Cour d’appel a vérifié si des mesures préventives ont été prises, de façon générale dans le cadre du travail, par l’entreprise ESA.

Mentionnant l’existence du département des ressources humaines au sein d’ESA, et que l’information est fournie aux vendeurs et aux vendeuses de kiosques de la disponibilité de celles-ci, la Cour d’appel a constaté que seule «une information très générale est donnée»[9].

Néanmoins, elle a retenu qu’ «il est notoire que tout travailleur connaît l’existence du service du personnel et des ressources humaines, parce qu’il intervient dans le recrutement et l’élaboration du contrat de travail. Il est en outre notoire que l’une de ses activités est de répondre aux préoccupations des travailleurs et des travailleuses et de les aiguiller vers la bonne personne.»[10]. Se basant sur un tel raisonnement, la Cour a alors considéré que T «savait ou devait raisonnablement savoir, qu’elle pouvait contacter les ressources humaines ou le service du personnel si elle avait un problème».

Au vu de ces motifs, la Cour d’appel a donc considéré qu’ESA avait rempli son obligation de diligence à l’égard de T, et qu’aucun reproche ne pouvait lui être imputé.

  • [1] Allégation de T dans sa demande en justice.
  • [2] Arrêt de la Cour d’appel des prud’hommes du 3 mars 2005, cause no. C/3842/2002-3, lettre b, page 2.
  • [3] Ibid., lettre d, page 2
  • [4] Ibid., lettre h, page 3.
  • [5] Ibid., lettre o, page 4.
  • [6] Ibid., lettre A, page 1.
  • [7] Ibid., considérant 5, page 7.
  • [8] Ibid., considérant 5, page 7.
  • [9] Ibid., considérant 6, page 8.
  • [10] Ibid., considérant 6, page 8.
  • [11] Cf. notamment :Véronique Ducret, Pour une entreprise sans harcèlement sexuel, 2001. p. 64

FR 14.03.2005
discrimination à l'embauche

sujet

mesure d’encouragement de la relève universitaire - quotas

LEg

art 3, art 5

procédure

20.03.2002Décision de la Commission de recours de l’Université de Fribourg 31.03.2003Jugement du Tribunal administratif du canton de Fribourg 14.03.2005Arrêt du Tribunal fédéral (2A.279/2004)

en fait

L’Université de Fribourg fait paraître en octobre 2001 dans diverses publications une annonce pour recruter, dans le cadre des mesures fédérales en faveur de l’encouragement de la recherche universitaire, un professeur associé ou un maître assistant en droit public. L’annonce ajoute «En raison des critères fixés par le programme de relève universitaire, seules des candidatures féminines peuvent entrer en ligne de compte pour l’occupation du poste.»

B., de sexe masculin, se porte candidat au poste le 1er novembre 2001. Son dossier n’est pas pris en considération par la commission chargée d’évaluer les candidatures. Sur les trois autres dossiers reçus, tous de candidates, un seul remplit les exigences du poste. Il est donc proposé, retenu puis la candidate est élue au poste le 18 février 2002.

B. demande à ce qu’une décision formelle soit rendue sur sa candidature.

Le 4 janvier 2002, le doyen de la faculté lui écrit que son dossier n’a pas été retenu car le poste mis au concours était réservé aux candidatures féminines en raison des critères fixés par le programme fédéral d’encouragement de la relève universitaire.

Le 2 février 2002 B. recourt auprès de la Commission de recours de l’Université de Fribourg, et demande la constatation que la mise à l’écart de sa candidature est une discrimination à raison du sexe ainsi que le paiement de CHF 1.—(un franc) à titre d’indemnité.

Le 20 mars 2002 le Président de la Commission de recours déclare le recours de B. irrecevable au motif que la lettre du 4 janvier 2002 n’est pas une décision, que le domaine en cause ne rentre pas dans les compétences de la Commission et que B. n’a pas d’intérêt à recourir dès lors que ses conclusions ne tendent ni à l’annulation ni à la modification de l’acte attaqué.

B. recourt alors au Tribunal administratif du canton de Fribourg (avril 2002) pour se plaindre d’un déni de justice formel (art. 29 Cst), reprenant pour le surplus ses conclusions antérieures.

Le 31 mars 2004, le Tribunal administratif rejette le recours. Pour le Tribunal, la loi, dans les cas de discrimination à l’embauche, ne permet que de demander une indemnité punitive. La demande d’une indemnité équivalente à un franc symbolique est en fait plus constatatoire que punitive, d’où l’irrecevabilité d’une telle conclusion. Pour le surplus, les quotas féminins constituent une mesure de discrimination positive fondée sur une base légale suffisante et répondant au principe de proportionnalité.

B. recourt alors au Tribunal fédéral en reprenant ses conclusions.

Le 14 mars 2005, le Tribunal fédéral admet le recours, annule l’arrêt attaqué et condamne l’Université de Fribourg à verser CHF 1.—(un franc) à B. à titre d’indemnité symbolique pour discrimination à l’embauche.

en droit

Le Tribunal fédéral rappelle qu’en vertu des art. 13 al. 1 LEg et 98 let. g OJ, les décisions prises en dernière instance cantonale sur des rapports de travail soumis au droit public cantonal peuvent être déférées devant lui par la voie du recours de droit administratif. Pour le surplus, le recourant, quand bien même le cadre des mesures d’encouragement à la relève universitaire a changé, garde un intérêt actuel à faire examiner la constitutionnalité de telles mesures de quota dans la mesure où il entend se consacrer à la recherche et à l’enseignement universitaires et que d’autres mesures positives pourraient lui être opposées.

Contrairement au Tribunal administratif, le Tribunal fédéral constate, au terme d’une interprétation historique, téléologique et systématique de l’art. 5 al. 2 LEg, qu’il est tout à fait possible de demander le paiement d’une indemnité «symbolique» en cas de discrimination à l’embauche, nonobstant le caractère plus constatoire que condamnatoire d’une telle conclusion. La constatation qui découle de cette condamnation symbolique a en effet en elle-même un effet réparateur et préventif. Le recours de B. devant la Commission de recours de l’Université ainsi que devant le Tribunal administratif devait donc être déclaré recevable.

Pour la question des quotas féminins en matière d’emploi, le Tribunal fédéral rappelle d’abord la distinction entre, d’une part, l’interdiction de discriminer en raison du sexe conçue comme un droit constitutionnel subjectif à l’égalité juridique et, d’autre part, le mandat donné au législateur de traduire dans les faits l’égalité entre les sexes dans tous les domaines de l’existence, cas échéant par le biais d’adoption de mesures positives en faveur des femmes. Ces deux principes, qui peuvent entrer en contradiction, doivent être appliqués de manière égale, dans une situation donnée, en tenant compte de toutes les circonstances du cas. C’est dire, dans ce contexte, que la constitutionnalité de mesures positives de discrimination visant à assurer l’égalité entre les sexes dans la pratique est étroitement lié à l’examen du principe de proportionnalité, compte tenu des autres garanties constitutionnelles par ailleurs.

Le Tribunal fédéral fait donc la différence entre des quotas «flexibles» ou «souples», qui donnent la préférence aux femmes à qualifications égales ou équivalentes, et les quotas «fixes» ou «rigides», qui accordent la préférence aux femmes indépendamment de leurs qualifications en raison du seul critère du sexe. Ces derniers ne respectent donc généralement pas le principe de proportionnalité, comme dans le cas d’espèce, où le dossier de B. n’a même pas été pris en considération. La décision déférée apparaît donc inconstitutionnelle pour cette raison déjà. Mais de toute façon, elle le serait également faute de base légale dans la mesure où des mesures positives de type «quotas rigides» empiétant gravement sur l’égalité au sens formel pour favoriser l’égalité dans les faits doivent être prévues dans une loi, l’art. 3 al. 3 LEg ne constituant pas une base légale suffisante pour la mise en œuvre de mesures positives. Ce n’était pas le cas pour les mesures d’encouragement appliquées par l’Université de Fribourg. Pour cette raison, la décision de l’Université de ne pas entrer en matière sur la candidature de B. est bien discriminatoire à raison du sexe.

Le recours de B. est admis et l’arrêt attaqué est annulé. L’Université de Fribourg est condamnée à verser au recourant un montant d’un franc (1 fr.) à titre d’indemnité symbolique pour discrimination à l’embauche. Il n’est pas perçu de frais de justice.

VD 23.03.2005
harcèlement sexuel
licenciement discriminatoire

sujet

mesures correctives suffisantes

LEg

art 3, art 4, art 5, art 10

procédure

13.05.2004Décision sur mesures pré-provisionnelles 27.08.2004Décision sur mesures provisionnelles 23.03.2005Jugement du Tribunal d’arrondissement (cause n° PT04.009683)

en fait

Mme T a été engagée par EMS comme aide-infirmière le 1er février 2002. Elle se plaint d’avoir été harcelée sexuellement par un collègue, M. H. engagé à un taux variant de 40 à 20% comme assistant de l’équipe de direction.

Selon ses collègues et supérieurs, Mme T est une personne assez individualiste. Elle a de la peine à travailler en équipe et se montre souvent critique, voire dure à l’égard de ses collègues et des résidents. Son humeur est instable. Elle peut être euphorique ou en colère et tenir des propos désobligeants. Mme T désirait entreprendre une formation en emploi et, en date du 4 novembre 2002, sa directrice Mme D ainsi que son infirmière référente Mme I lui ont établi de très bonnes références, pour qu’elle puisse être admise à l’école des infirmières.

Le 30.01 2004, lors d’une soirée du personnel M. H et Mme T, qui ont été assis ensemble se sont retrouvé par hasard à la sortie des toilettes. M. H. a alors fait à Mme T des propositions d’ordre sexuel. Il a notamment tenté de l’embrasser en la plaquant contre le mur. Mme T en a tout de suite parlé à Mme D qui a interrogé M. H qui ne s’est pas exprimé sur l’incident. La soirée bien arrosée s’est terminée peu avant minuit et Mme T l’a quittée au même temps que les autres.
Le 2.02. 2004, la directrice a convoqué Mme T pour faire toute la lumière sur les événements du 30.01.04. Mme T avait alors dit avoir subi du harcèlement depuis près d’une année et avait exigé que son collègue soit licencié sur le champs à défaut d quoi elle déposerait une plainte pénale. Le même jour, la directrice a entendu M. H qui avait avoué avoir fait des avances à Mme T, qu’elle aurait déclinées. Il n’aurait pas utilisé de contrainte pour parvenir à ses fins.

Le 9 février 2004, à la suite d’une séance à laquelle les deux protagonistes ont été convoqués, (seul M. H s’est présenté) l’EMS a envoyé à M. H «un avertissement sérieux» avec une menace de licenciement à la récidive et ceci alors même que les dépositions de deux employés n’étaient pas concordantes. Pour séparer les employés, M. H devait désormais travailler dans le bureau de la directrice. Le 24 février 2004 Mme T a été informée de mesures prises à l’égard de son collègue. Par la suite M. H ne s’est plus rendu dans l’EMS et travaillait dans un bureau aménagé à son domicile.
Mme T n’était pas satisfaite de mesures prises et la situation se dégradait d’avantage sur le lieu de travail au point que la direction pensait licencier la demanderesse mais en même temps voulait donner à Mme T la possibilité de valider son semestre d’enseignement à l’école des infirmières ce qui présupposait le maintien de l’emploi.

Pour des impératifs pratiques, M. H est revenu travailler dans l’EMS le 5 mars 2004, mais avec des consignes strictes qui l’empêchaient de rencontrer Mme T dans les locaux. Ayant appris la nouvelle le jour même, Mme T a eu une réaction violente se sentant trahie et a affirmé n’avoir plus confiance ni en son infirmière référente, ni en la direction.

Après avoir pris l’avis du président du Conseil d’administration, la direction a licencié Mme T pour le 31 mai 2004 en la libérant de l’obligation de travailler avec effet immédiat.

Avant la fin de son contrat Mme T avait demandé par le biais des mesures préprovisionnelles son réengagement, une somme de 21’000.- CHF à titre d’indemnité pour harcèlement sexuel et 20’000.- CHF en réparation du tort moral. Au cours de l’audience de jugement sur le fond, la demanderesse a fait usage de l’art.10 al. 4 LEg et en lieu et place de la poursuite des rapports de travail Mme T a demandé une indemnité pour le licenciement abusif.

Le 23 mars 2005 le Tribunal civil de l’arrondissement de Lausanne a rejeté les conclusions de la demanderesse sans frais et l’a condamnée à la participation aux dépens de la partie adverse à la hauteuru de 3’000.- CHF.

en droit

Le Tribunal de l’arrondissement rappelle que l’art.5 al. 3 LEg lui permet de condamner l’employer à verser au travailleur harcelé, une indemnité, à moins que l’employeur ne prouve qu’il a pris les mesures que l’expérience commande, qui sont appropriées aux circonstances et que l’on peut équitablement exiger de lui pour prévenir le harcèlement sexuel ou y mettre fin.

En effet, la LEg ne traite pas de la responsabilité de l’auteur des actes mais de celle de l’employeur. Le comportement de M. H était inacceptable et il était impératif que des mesures soient prises à son encontre. La réaction de l’employeur a été rapide. Il y a eu immédiatement une enquête interne et les mesures prises peuvent être considérées comme adéquates. M. H a reçu un avertissement formel et il a été écarté. Son retour à l’EMS a été soigneusement organisé de nature à préserver la demanderesse de tout contact avec son agresseur. L’employeur a dès lors prouvé avoir pris des mesures adéquates dès la première réclamation de son employée. Une indemnité pour harcèlement sexuel n’est donc pas due.

La demanderesse fait valoir cumulativement les articles 4, 5 al.2 et 9 et ss LEg et relève qu’elle a été licenciée durant la période de protection résultant de l’art. 10 al. 2 LEg. Elle affirme qu’il s’agit du congé représailles et que la direction a choisi de la licencier elle par rapport à son collègue parce qu’elle était une jeune femme en formation occupant un poste subalterne. Selon le Tribunal, ce raisonnement ne tient pas. M. H n’était pas un supérieur hiérarchique de Mme T, occupé qu’accessoirement, il ne faisait pas partie du personnel soignant. De surcroît toute la direction est féminine et le personnel l’est en majorité.
De surcroît l’employeur a démontré que le licenciement reposait sur des motifs justifiés ayant leur origine bien avant le 30 janvier 2004. Les critiques formulées à l’égard de la demanderesse avaient trait à la qualité de son travail, au manque d’empathie et de communication avec les résidents, manque de collaboration avec l’équipe et son attitude irrespectueuse et dénigrante envers certaines de ses collègues. Malgré les reproches formulés, de nombreux conseils prodigués et des rapports négatifs qu’elle avait reçus, la demanderesse n’a pas changé d’attitude ni amélioré la qualité de ses prestations professionnelles. Et après la crise, alors que la défenderesse a pris des mesures adéquates, la demanderesse faisant preuve d’intransigeance et pratiquant la surenchère au niveau de ses prétentions a rompu tout espoir d’une poursuite de la collaboration.

Ainsi, l’employeur disposait des motifs justifiés pour licencier la demanderesse.

L’art.5 al. 5 LEg prévoit que «sont réservés les droits en dommages-intérêts et en réparation du tort moral, de même que les prétentions découlant de dispositions contractuelles plus favorable au travailleur. Les conditions de telles actions sont soumises aux règles ordinaires de la responsabilité civile. La demanderesse a beaucoup souffert et a subi un préjudice important. (Formation interrompue, incapacité de travail pour maladie, chômage) Cependant l’indemnité ne peut lui être allouée car il ne peut être reproché à la défenderesse de l’avoir discriminée, tant en ce qui concerne le comportement de M. H qu’en matière du licenciement. L’EMS ne s’est pas rendu coupable des manquements graves à l’art.328 CO. La prétention en tort moral doit être écartée.

GE 06.04.2005
aménagement des conditions de travail
attribution des tâches
discrimination salariale
harcèlement sexuel
discrimination à la promotion

sujet

allègement du fardeau de la preuve

LEg

art 4, art 6, art 12

procédure

27.03.2003Jugement du Tribunal des prud'hommes 08.11.2004Arrêt de la Cour d'appel des prud'hommes 06.04.2005Arrêt du Tribunal fédéral (4C.473/2004)

en fait

Dès le mois de mai 1983, X a été engagée par ASA, une entreprise fournissant des services relatifs à la conception et à la conduite de transactions financières et commerciales conformément aux principes, lois et traditions islamiques. X avait pour fonction la coordination des données et la planification de ASA.

Après plusieurs mois d’activité, X a été licenciée pour des raisons d’ordre budgétaire. Dès le mois de novembre 1983, X a été engagée par BSA, une société possédant le même ayant droit que ASA, en tant qu’assistante de direction.

Durant l’été 1988, ASA a décidé de créer une bibliothèque, appelée centre F, destiné à la culture islamique, et ouverte au public. Maîtrisant quatre langues et ayant une bonne connaissance de la culture islamique, X a alors été engagée en tant que bibliothécaire. Occupant ce nouveau poste à mi-temps parallèlement à son poste auprès de BSA, X a ensuite travaillé à plein temps auprès de ASA, dès le mois de septembre 1990.

Le travail de X consistait à la participation dans la mise en place de la bibliothèque de l’entreprise, et à son organisation. Dès le mois de mai 1989, un nouvel employé a été engagé en tant qu’assistant bibliothécaire, sur demande de X. Au début de l’année 1992, les relations entre cet assistant et X se sont détériorées ; selon X, le comportement de celui-ci aurait été différent si elle avait été un homme. Cet employé a été transféré dans un autre département, sans que son poste ne soit repourvu.

En 1999, suite à la nomination d’un nouveau directeur, le centre F a été progressivement abandonné, et la bibliothèque, fermée au public, a été reconvertie en salle de bureaux, sans que X n’ait été consultée. X a été en incapacité de travailler du 13 avril au 2 mai 2000. A son retour, le bureau qu’elle occupait avait été transformé en salle de prières, et on lui a attribué un autre bureau, plus petit, à côté de son supérieur hiérarchique.

X a ensuite été transférée dans un autre département, à une autre poste «évolutif», qui consistait à «assurer les contacts avec les agents de publicité, de faire le suivi de la publicité et d’assurer un certain nombre de tâches de coordination, de contacts divers et de contrôles administratifs et logistiques»[1]. A cette période, d’autres employé-e-s ont été licencié-e-s pour cause de restructuration.

X a été, à nouveau, en congé-maladie du 15 mai au 12 septembre. A son retour, elle a reçu une lettre de licenciement pour le 31 décembre 2000, avec dispense immédiate de l’obligation de travailler. X a refusé de signer l’accusé de réception de la lettre de congé, remise par la cheffe du personnel. X est en congé-maladie depuis le 27 novembre 2000 ; une dépression aigue a été diagnostiquée sur le plan médical, et une rente d’invalidité complète lui est allouée.

Par lettre du 21 décembre 2000, X s’est opposé à son congé.

Saisissant le Tribunal des prud’hommes du canton de Genève, X a assigné ASA en paiement de CHF 263’380.—, se composant de CHF 60’000 pour tort moral, 31’320.—à titre d’indemnité pour discrimination à raison du sexe, et de CHF 172’620 à titre d’indemnité de départ. Elle a également conclu à la délivrance d’un certificat de travail. Par jugement du 27 février 2003, le Tribunal des prud’hommes a condamné ASA à délivrer un certificat de travail, et l’a débouté de toutes ses autres conclusions.

Sur appel de X, la Cour d’appel des prud’hommes a confirmé le jugement attaqué, pour les motifs suivants. En premier lieu, elle a estimé que A n’avait pas apporté la preuve de propos sexistes à son encontre, donc elle a écarté le grief du harcèlement sexuel. Aucun témoin direct n’en avait confirmé la teneur, et les témoins indirects, la mère et la sœur de X, faisant état de propos rapportés par leur parente X, n’ont pas emporté la conviction de la Cour d’appel des prud’hommes[2].

En outre, selon la juridiction d’appel, les faits ne permettaient pas de retenir une discrimination salariale ou discrimination à la promotion. Quant à la discrimination salariale, X avait contesté le raisonnement du Tribunal des prud’hommes, en ce qu’il ne comparait pas ses fonctions exercées avec celles des autres employé-e-s ; elle estimait qu’il convenait de comparer son salaire avec celui de ses collègues exerçant un travail de valeur égale. En particulier, X a estimé qu’elle devait toucher le même salaire qu’un de ses collègues, X, ayant un salaire supérieur au sien, ayant des responsabilités importantes et 14 personnes sous ses ordres.
La Cour d’appel des prud’hommes a écarté le grief de discrimination salariale, en retenant que les fonctions décrites par X n’étaient comparables à celles d’autres collaborateurs. «Même si son travail nécessitait un sens des responsabilités, de l’organisation, du sens des relations humaines et justifiait plusieurs déplacements, on ne saurait le comparer à celui d’un directeur, ayant de nombreuses personnes sous son ordre. Un titre universitaire n’est pas suffisant à donner droit à un poste dirigeant dans une entreprise, pas plus qu’à un salaire élevé».[3]

Quant au grief de discrimination à la promotion, la Cour d’appel des prud’hommes a retenu que X ne s’était pas opposé à la promotion de son collègue Y, et que pendant sa période d’engagement, elle n’avait pas posé sa candidature à un autre poste. La Cour a donc écarté ce grief, car on ne pouvait soutenir que X avait été écarté de la promotion à une fonction de directrice, liée au fait qu’elle était une femme[4].

La Cour d’appel des prud’hommes a également rejeté les autres conclusions de X (soit une indemnité pour harcèlement moral, une indemnité à titre de prime de licenciement).

Par arrêt du 6 avril 2005, le Tribunal fédéral a rejeté le recours en réforme interjeté par X contre l’arrêt de la Cour d’appel des prud’hommes.

en droit

Sous l’angle de la loi fédérale sur entre femmes et hommes, du 24 mars 1995 (LEg), tous les griefs soulevés par la recourante X ont été rejetés par le Tribunal fédéral.

X a reproché à la cour cantonale de ne pas avoir tenu compte de l’allègement du fardeau de la preuve selon l’article 6 LEg.

L’article 6 LEg introduit certes «un assouplissement du fardeau de la preuve par rapport au principe général de l’article 8 du code civil, du 10 décembre 1907 (CC), dans la mesure où il suffit à la partie demanderesse de rendre vraisemblable l’existence de la discrimination dont elle se prévaut». Lorsqu’une discrimination liée au sexe a été rendue vraisemblable, il incombe alors à l’employeur d’apporter la preuve complète que la différence de traitement repose sur des facteurs objectifs[5].

Il appartient donc à la personne qui se prévaut de la LEg d’apporter des indices sur l’existence d’une discrimination selon l’article 3 LEg. A cet égard, TF a estimé que «le juge n’a pas à être convaincu du bien-fondé des arguments de la partie demanderesse ; il doit simplement disposer d’indices objectifs suffisants pour admettre que les faits allégués présentent une certaine vraisemblance, sans devoir exclure qu’il puisse en aller différemment»[6].

Ainsi, dans le cadre d’un recours en réforme, le TF pouvait donc vérifier si l’autorité cantonale aurait dû ou non admettre la vraisemblance d’une discrimination en vertu de l’article 3 LEg, selon les constatations de fait retenues par l’autorité cantonale. L’article 6 LEg ne permet pas de remettre en cause, par un recours en réforme, les constatations de fait de l’autorité cantonale. La comparaison des salaires de X avec ceux d’autres collaborateurs n’avait pas mis en évidence «le moindre indice objectif de discrimination» salariale, reprenant en substance le raisonnement effectué par la Cour d’appel.

Le TF a également considéré qu’aucune discrimination dans l’attribution des tâches ne pouvait être relevée ; l’attribution d’une activité moins intéressante à X, dès le mois de mai 2000, ne constituait pas une telle discrimination, compte tenu du contexte dans lequel se trouvait son employeur. A cette époque, la bibliothèque était fermée, et BSA en phase de liquidation, de sorte que le TF a considéré qu’ASA aurait pu licencier X, comme elle l’avait fait avec d’autres. Ainsi, en gardant X au même salaire, mais en en lui offrant un poste certes moins intéressant, mais évolutif, le comportement de ASA ne pouvait être qualifié de discriminatoire, selon le TF. De plus, le déménagement de X dans un bureau plus petit ne constituait pas non plus une discrimination selon l’article 3 LEg, dès lors qu’il s’intégrait dans des mesures de réorganisation générale de l’entreprise, pour la création d’espaces ouverts. Quant à la discrimination à la promotion, à l’instar de la Cour d’appel des prud’hommes, le TF l’a écarté, puisque X elle-même a reconnu n’avoir postulé à aucune fonction différente dans l’entreprise[7].

Compte tenu de ces éléments, les faits retenus par la Cour d’appel ne laissait pas apparaître «la vraisemblance que la demanderesse aurait été discriminée»[8].

Elle a également invoqué une violation de l’article 3 LEg, au motif que la cour cantonale n’a pas admis de discrimination lors de l’attribution des tâches, l’aménagement des conditions de travail, la rémunération et la promotion. Dès lors que ce grief revient à invoquer une violation de l’article 6 LEg, le TF a renvoyé la recourante à son argumentation sur cet article.

La recourante a également soutenu que la cour cantonale avait violé les articles 4 et 5 al.3 LEg, faute d’avoir retenu qu’elle avait été victime de harcèlement sexuel. En ce sens, le TF a estimé que «les règles sur le fardeau de la preuve ne sauraient être invoquées pour faire corriger l’appréciation des preuves, qui ressortit au juge de fait»[9] 4) Enfin, le Tribunal fédéral a rappelé que l’article 12 LEg, renvoyant à l’article 343 al.4 CO, prévoit notamment la règle de l’appréciation libre des preuves. Cette règle n’autorise néanmoins pas la remise en cause en instance fédérale des constatations de fait par l’autorité cantonale[10].

Dans cet arrêt, le TF rappelle l’importance des règles de procédure, prévues aux articles 6 et 12 LEg. C’est en effet par le biais de l’application de l’article 6 LEg que le TF a décidé de ne pas entrer en matière sur la vraisemblance d’une discrimination selon l’article 3 LEg invoquée en recours en réforme par la recourante. D’autre part, conformément à l’article 12 LEg, se considérant lié par les constatations de fait par l’autorité cantonale, le TF a jugé qu’il ne lui appartenait pas d’apprécier des preuves relatives à un harcèlement sexuel, car l’appréciation des preuves, et les constatations de fait sont de la compétence des autorités cantonales.

  • [1]Arrêt de la Cour d’appel des prud’hommes, du 8 novembre 2004, lettre h, page 4.
  • [1]Arrêt de la Cour d’appel des prud’hommes du 8 novembre 2004, cause no. C/5302/2002-4, considérant 5.
  • [3] Ibid., considérant 7.
  • [4] Ibid., considérant 7.
  • [5] ATF du 6 avril 2005, 4C/472/2004/grl, consid. 4.1.
  • [6] Ibid., consid. 4.1.
  • [7] Ibid., consid.4.2.
  • [8] Ibid., consid.4.2.
  • [9] Ibid., consid. 7.
  • [10] Ibid., consid.10

GE 23.05.2005
attribution des tâches
discrimination salariale
harcèlement sexuel
licenciement discriminatoire
discrimination à la promotion

sujet

gratuité de la procédure (allégation manifestement infondée)

LEg

art 3, art 4, art 5, art 6, art 12

procédure

25.03.2004Jugement du Tribunal des Prud’hommes (cause N° C/3981/2003-5)28.01.2005Arrêt de la Cour d’appel de la Juridiction des Prud’hommes23.05.2005Arrêts du Tribunal fédéral (4P.81/2005 et 4C.91/2005)

en fait

Mme A a commencé à travailler le 14.09.98 pour le Centre international de déminage humanitaire à Genève sur la base d’un contrat de placement temporaire. A partir du 15.10.1998, elle a été engagée comme conseillère en stratégie et communication pour une durée indéterminée. Le 21.03.2002, l’employeur a résilié le contrat de travail de l’employée avec effet au 31 mai 2002, prolongé au 31 août 2002 en raison de la maladie de l’employée.

Le défendeur, créé en 1998, est une fondation de droit privé soutenue par la Confédération et d’autres états pour promouvoir le déminage humanitaire et encourager la coopération internationale dans ce domaine. Dans le courant de l’année 1999, l’effectif du demandeur a été étoffé par l’engagement des spécialistes en matière de déminage et d’autres personnels dans le domaine administratif dont un directeur suppléant. Les états parties à la Convention d’Ottawa ont confié aux défendeurs en automne 2001 la mission de créer une unité d’appui à l’application de la convention et une offre d’emploi pour le responsable de cette unité a été mise au concours. Près de 80 personnes ont postulé dont la demanderesse qui a figuré parmi les 8 derniers candidats en lice. Le choix s’est finalement porté sur un homme d’origine canadienne. La demanderesse a été active pour le compte du défendeur essentiellement dans le cadre du soutien à la Convention d’Ottawa. Elle s’est occupée notamment du secrétariat des comités permanents et du comité de coordination. Elle a également représenté les Défendeurs dans les réunions d’organisations internationales, d’administrations nationales ou d’organisations non-gouvernementales. Son cahier des charges prévoyait parmi d’autres tâches qu’elle participait à l’élaboration et à la mise en œuvre de la stratégie du défendeur qu’elle représentait celui-ci lors des séances de travail, qu’elle établissait maintenait des contacts avec des administrations nationales, l’ONU, les OI, le CICR et les ONG, qu’elle rédigeait des rapports à l’usage interne et externe ainsi que la correspondance destinée aux administrations nationales, à l’ONU, aux organisations internationales, au CICR et aux ONG et enfin qu’elle élaborait la documentation destinée aux médias.

La rémunération brute de la demanderesse a été fixée au départ à 91’000.— CHF par an. Elle a successivement été portée à 115’000.— CHF. à partir du 1er juillet 1999, puis à 116’149.-CHF. en 2000, à 120’554.— CHE. en 2001 et finalement à 124’365.— CHF. en 2002.

Ayant souffert de harcèlement psychologique au sein du Centre, Mme A. a demandé au nouveau directeur entré en service en juin 2000 d’intervenir afin de protéger sa personnalité. La direction a contesté l’existence du harcèlement psychologique. La demanderesse allègue avoir dû effectuer 205 heures supplémentaires en fin de l’année 2000 dont elle a réclamé le paiement au mois de mars 2001. Le Centre a qualifié la demande de Mme A. de tardive et lui reprochait de ne pas avoir utilisé la procédure en vigueur pour remplir correctement le formulaire d’heures supplémentaires. A cette époque Mme A. a demandé à ce que ses fonctions soient consacrées par un titre. Le Centre a refusé dans la mesure où l’employée n’avait pas de responsabilité hiérarchique ni de pouvoir décisionnel.

Mme A. a demandé également à la direction qu’une augmentation de salaire lui soit accordée afin que son niveau de rémunération atteigne au moins celui des collaborateurs masculins spécialistes en déminage subordonnés au directeur technique, M. B. Elle motivait sa requête par le fait que son travail avait un grand impact au niveau gouvernemental et des représentations diplomatiques et du fait que sa formation juridique et en philosophie ainsi que sa spécialisation dans le domaine de la Convention d’Ottawa valait largement celle de ses collègues masculins dans le secteur des mines antipersonnelles et des explosifs. La direction a refusé cette augmentation de salaire sous le prétexte qu’elle n’avait de responsabilité ni au niveau hiérarchique ni au niveau budgétaire. Courant 2001, la demanderesse s’est plainte de la direction d’être écartée des réunions de la direction alors que selon l’organigramme elle occupait un poste d’état-major. Le Centre de son côté estimait que la demanderesse méconnaissait tant son propre rôle que le rayon d’activités du Centre et considérait que la demanderesse ne faisait pas partie de la direction.

Après avoir découvert par hasard en mai 2001 un fichier informatique contenant les décomptes de salaires de l’intégralité du personnel du Centre, Mme A. s’est adressée au président de la Fondation en lui réclamant une augmentation de salaire car il ressortait des documents que toutes les collaboratrices du Centre recevaient un salaire inférieur à celui des hommes. L’augmentation de salaire lui a été refusée. Le candidat canadien retenu pour le poste du responsable de l’unité d’appui à l’application de la Convention d’Ottawa a été engagé au même salaire que les spécialistes masculins en déminage.

Mme A. a refusé de collaborer, en tant que subordonnée, avec le nouveau responsable du Centre d’appui. Le Centre a proposé à Mme A. un contrat de durée d’un an en Afrique après l’avoir envoyée en formation technique que la demanderesse a terminé avec succès. Mme A. refusant de renoncer à son contrat à Genève, elle a été licenciée.

Le 25 mars 2004, le Tribunal des prud’hommes a débouté Mme A. des fins de sa demande et l’a condamnée à rembourser à l’Etat de Genève la somme de 2’150.— à titre d’indemnité versée aux témoins et à leur interprète dans le cadre de la procédure.

Considérant que la résiliation des rapports de travail, une indemnité basée sur les articles 9 LEg et 336b CO, le Tribunal considère que la demanderesse a échoué dans la preuve de ce qu’elle alléguait, à savoir d’avoir été licenciée uniquement parce qu’elle était une femme et que depuis le début de son engagement elle avait réclamé l’application de l’égalité avec ses collègues masculins. Selon le Tribunal des prud’hommes il était ressorti de la procédure que le fait que la demanderesse refuse de collaborer avec le nouveau chef d’unité et ne donne pas suite à la proposition d’aller en Afrique est à l’origine du licenciement qui lui a été signifié, licenciement qui ne saurait dès lors être qualifié d’abusif. Concernant la discrimination salariale, le Tribunal constate que le Centre n’avait à proprement parlé de politique salariale et que selon le défendeur un barème existait prévoyant 3 niveaux de salaire, le premier est rémunéré à raison de 80’000.— CHF. relatif au personnel administratif n’assumant pas de fonction de direction, le second prévoyant un salaire de 120’000.— applicable aux collaborateurs scientifiques ou ayant une formation universitaire et le troisième avec une rémunération de 160’000.— CHF. pour le personnel au bénéfice d’une importante spécialisation tel que les experts techniques ou les hommes ayant une expérience sur le terrain. S’il n’était pas contesté que la demanderesse fournissait un travail important, tant en qualité qu’en quantité, il était, selon le Tribunal, patent qu’elle n’avait ni expérience sur le terrain, ni responsabilité au niveau de prise de décision, des budgets ou de personnel et qu’elle n’occupait dès lors pas une position élevée au niveau de la hiérarchie du Centre. Dès lors le salaire de la défenderesse ne peut pas être qualifié de discriminatoire. Concernant les heures supplémentaires, le Tribunal constate que le salaire de Mme A. était de 116’000.— CHF. et qu’un nouveau règlement du personnel prévoyait que les heures supplémentaires ne peuvent en aucun cas être payées à des personnes dont les salaires étaient supérieurs à 120’000.— CHF. Concernant l’allégation de harcèlement psychologique et sexuel, le Tribunal a constaté que Mme A. n’a jamais été victime de propos grossiers ni sexistes ou d’attouchements et, conformément à la règle générale de l’article 8 CC, la demanderesse a été déboutée de ses prétentions pour ne pas avoir prouvé le comportement pouvant être qualifié du mobbing ou du harcèlement sexuel. Mme A. a réclamé un certificat de travail selon un projet soumis à la Juridiction des prud’hommes, mais le Tribunal a considéré que celui que l’employeur lui avait fourni était bienveillant et qu’il n’y avait pas lieu de le modifier.

En considérant que la demande de Mme A. était à la limite de la témérité, le Tribunal a mis à la charge de la demanderesse les indemnités qui ont été versées aux témoins.

Le 28 janvier 2005, la Cour d’appel des Prud’hommes a déclaré recevable l’appel formé par Mme A. tout en le rejetant et confirmant la décision du Tribunal des prud’hommes sauf en ce qui concerne le montant des frais. Les frais de 2’150.— CHF. ont été en effet augmentés à 2’482.50 CHF.

Tout d’abord la Cour rejette la demande de Mme A. d’entendre d’autres témoins et produire d’autres pièces en procédant à une appréciation anticipée des preuves. Selon la Cour, Mme A. s’est plainte qu’on ne lui donnait pas de tâches à responsabilité et qu’elle n’avait pas de personnel sous ses ordres en tentant de faire passer comme discrimination sexiste les mécontentements qu’elle ressentait dans l’attribution des tâches qui lui étaient confiées. L’existence d’une discrimination de nature sexiste dans l’attribution des tâches n’a pas été rendue vraisemblable par l’appelante qui en réalité a établi des comparaisons non pas avec la position qu’elle occupait mais avec celle qu’elle estimait devoir occuper. Elle est en conséquence déboutée de ses conclusions. Concernant la discrimination dans la promotion, la Cour constate que bien que faisant partie des derniers candidats en lice, Mme A. n’a été soutenue par aucun conseiller et il fallait une candidature convenant à tous les états membres, ce qui a été trouvé en la personne de M. C. dont les qualifications étaient connues et reconnues des états parties. Dès lors, la nomination de M. C. au poste de responsable d’unité a été motivée par des raisons objectives, soit une meilleure formation et une expérience des affaires multilatérales que Mme A. ne possédait pas. Concernant la discrimination dans la rémunération, la Cour considère qu’à aucun moment l’appelante n’a prouvé que les cahiers des charges et donc les postes des spécialistes techniques étaient comparables au sien. Au contraire les enquêtes ont démontré que M. X. avait une grande habitude de gestion de personnel et de budget et M. Y., quant à lui, était un ancien officier général, avait une longue expérience des terrains et il élaborait des projets dont il avait l’entière responsabilité. L’appelante quant à elle n’avait pas de personnel sous ses ordres, ne gérait pas de budget et n’était pas chef de département. Dès lors, elle ne gérait pas de projet.

Il y avait donc, selon la Cour, des critères objectifs que sont la formation, la qualification et les risques encourus en exerçant son métier sur le terrain. Ainsi le salaire versé à Mme A. ne pouvait pas être considéré comme discriminatoire. Concernant la discrimination dans la résiliation des rapports de travail, la Cour constate que Mme A. n’a pas apporté la preuve ni des indices suffisants de l’existence d’un motif abusif de licenciement. Les enquêtes résumées par la Cour d’appel ont démontré que Mme A. n’était pas satisfaite de son travail, qu’elle ne se sentait pas estimée et qu’elle était frustrée par rapport au fait qu’il n’y avait aucune femme au sein de la direction. De plus, malgré la proposition de l’employeur de lui trouver un nouveau poste en Afrique, cette dernière a refusé d’aller y vivre pour des raisons personnelles et a refusé de travailler sous les ordres du nouveau chef d’unité. En conséquence, son licenciement ne saurait être qualifié d’abusif. Concernant les heures supplémentaires, la Cour constate à l’instar du Tribunal que Mme A. gagnait 116’149.— CHF. et dès lors ne pouvait en aucun cas se faire rémunérer les heures supplémentaires conformément au nouveau règlement du personnel entré en vigueur le 26 mai 2000. Concernant le certificat de travail, la Cour déclare qu’il ne peut être exigé de l’employeur qu’il produise un certificat de travail rentrant dans tous les détails de l’activité de Mme A. et que par ailleurs il n’a pas été prouvé que celui, qualifié de bienveillant par le président du Conseil de Fondation, était incomplet ou mensonger. Selon la Cour, Mme A. n’a pas été victime de mobbing car ses allégations n’ont pas été corroborées par les enquêtes, que les tâches des photocopies de préparation de chevalet ou des cours de conférenciers faisaient partie de son cahier des charges en tant qu’organisatrice des rencontres, qu’il était normal qu’elle ne participe pas aux séances de la direction, puisqu’elle n’en faisait pas partie, que la formation technique qu’on lui a demandé d’effectuer a été proposée uniquement dans le but de lui trouver une autre activité au sein de l’employeur et que Mme A. avait de mauvaises relations avec plusieurs personnes. Par ailleurs, l’employeur a adressé immédiatement une remontrance à un directeur qui a eu un comportement désobligeant, voire agressif, à l’égard de Mme A. Mme A. est dès lors déboutée de toutes ses prétentions basées sur l’article 328 CO. Concernant les frais de la procédure, la Cour d’appel considère que les conclusions disproportionnées prises par l’appelante et les différentes discriminations alléguées par cette dernière ne sont en réalité fondées que sur ses propres déceptions notamment le fait de ne pas avoir obtenu un poste de travail convoité.

A défaut d’infliger une amende il n’apparaît en tout cas pas choquant de mettre au moins les frais d’indemnité versées aux témoins et interprètes à la charge de l’appelante, dont on peut considérer qu’elle a fait un emploi abusif de la procédure, ce qui a nécessité l’audition de nombreux témoins dont aucun n’a confirmé l’existence d’une quelconque discrimination à l’égard de Mme A. L’appel est donc rejeté et les frais mis à la charge de Mme A. à hauteur de 2’482.50 CHF.

La travailleuse a recouru au Tribunal fédéral par voie du recours en réforme et du recours du droit public.

Le recours de droit public a été rejeté dans la mesure où il était recevable que la recourante a été condamnée à verser à l’intimée une indemnité de 6’000.— CHF. à titre de dépens.

en droit

Recours de droit public

Selon le Tribunal fédéral, le droit d’être entendu de la recourante n’a pas été violé par le refus de la Cour d’appel de produire des pièces nouvelles sans même lui demander sur quoi ces pièces porteraient. Le Tribunal fédéral ne voit pas du tout en quoi cette simple affirmation serait propre à établir une violation de l’article 29 al. 2 de la Constitution. Il en va de même pour le refus d’audition des deux autres témoins. En effet, la Cour n’a pas violé le droit d’être entendu, la recourante a expliqué que la solution juridique donnée au problème litigieux rendait inutile l’audition de témoins. Le Tribunal fédéral rejette également le grief d’arbitraire et reproche à la recourante de confondre le recours de droit public avec le recours en réforme et de ne pas avoir suffisamment motivé le facteur arbitraire du résultat de la décision. Pour ce qui est de la violation de l’art. 30 al. 1 Cst, le Tribunal fédéral rappelle que la simple affirmation de la partialité ne suffit pas, mais doit reposer sur des faits objectifs lesquels peuvent consister en un comportement particulier du juge mis en cause ou dans certaines circonstances de nature fonctionnelle et organisationnelle. La suspicion est légitime même si elle ne se fonde que sur des apparences pour autant que celles-ci résultent de circonstances examinées objectivement. La recourante soutient que la Cour cantonale a eu une préférence pour l’intimé et qu’elle a violé l’égalité des parties à plusieurs reprises.

Cependant, elle ne motive pas ses griefs par le fait que l’autorité intimée aurait traité de manière différente les parties dans la même situation. Elle reproche bien plutôt à cette autorité de n’avoir pas administré un certain nombre de preuves qu’elle a offertes ni d’avoir apprécié des témoignages dans un sens favorables à l’intimé. La recourante critique enfin en fait l’appréciation des preuves et l’application du droit. Quoi qu’en pense la recourante, on ne saurait voir la manifestation d’une prévention à son égard dans la critique objective de la manière dont la Cour a conduit le procès, telle qu’elle ressort de la motivation de l’arrêt attaqué. La recourante tire de certaines remarques de la Cour une conclusion qui n’est pas objectivement fondée lorsqu’elle soutient que la Cour cantonale aurait d’elle «une opinion d’une hystérique querelleuse». En réalité, la formulation de l’arrêt attaqué, examinée objectivement, ne permet pas de tirer une telle conclusion. Les considérations émises par les juges cantonaux consistent bien plutôt dans une appréciation objective de la situation de fait et la recourante n’y est aucunement tournée en ridicule. La recourante oublie que le jugement d’une affaire cause toujours une appréciation de la situation en faveur d’une partie et au préjudice de l’autre. N’est pas davantage propre à fonder un soupçon de prévention, non plus qu’un grief de déni de justice, selon une pratique constante, le fait que la Cour cantonale ne se soit pas exprimée sur tous les arguments avancés par les parties. Que la Cour cantonale soit parvenue à la conclusion que la demande avait été formée de manière abusive et qu’elle ait mis une partie des frais à la charge de la recourante pour cette raison, n’est qu’une conséquence de l’appréciation de la situation, sur la vue des preuves administrées telle qu’elle a été faite par la Cour cantonale au désavantage de la recourante, sans que l’on discerne les circonstances extérieures au procès qui auraient pu influer de manière inadmissible sur l’issue du litige au profit d’une partie et au détriment de la partie adverse. Le recours sera donc rejeté dans la mesure où il est recevable.

Le recours en réforme a été rejeté dans la mesure où il était recevable et la recourante a été condamnée à verser à l’intimée une indemnité de 6’000.– CHF.

Recours en réforme

La demanderesse requiert un complément de l’état de frais de l’arrêt attaqué et estime indispensable d’y intégrer l’ensemble des salaires des hommes et des femmes employés par le défendeur et d’y constater que M. C a été engagé le 14 janvier 2002 en tant que responsable de l’unité avec un salaire annuel brut de 160’000 CHF, que le juriste, M. D, est entré au service du défendeur le 1er janvier 2002 en qualité d’assistant du directeur, qu’elle-même a souffert depuis l’automne 2001 d’une dépression qui s’est traduite par une incapacité de travail dès le 1er mai 2002 et que selon le certificat médical y relatif, un conflit professionnel grave a été le facteur ayant déclenché le syndrome dépressif chez elle. La demanderesse n’indique pas quelles normes du droit fédéral interprétées correctement nécessiteraient la prise en considération de ces faits. Selon le Tribunal fédéral, ce complément ne contient pas les constatations nécessaires à l’application du droit fédéral. Le Tribunal fédéral refuse donc de compléter l’état de fait retenu par la Cour d’appel au titre d’inadvertance manifeste, la demanderesse s’en prend ensuite à la constatation de la Cour cantonale, selon laquelle elle n’aurait prouvé à aucun moment que le cahier des charges de l’employé, M. C. était comparable au sien. En l’occurrence, la demanderesse ne soutient pas avec son grief d’inadvertance manifeste que la constatation incriminée serait incompatible avec une pièce déterminée. Sous le couvert d’un tel grief, elle critique en réalité l’appréciation des preuves à laquelle se livrait la Cour cantonale, ce qui est exclu devant la juridiction fédérale de réforme. La demanderesse se plaint de la violation de l’art. 6 LEg, à savoir, l’allègement du fardeau de la preuve. Cependant, il ne suffit pas d’établir l’existence d’une différence de salaire entre n’importe quels travailleurs pour que le fardeau de la preuve soit renversé ; encore faut-il prouver que les travailleurs de sexe opposé aient une position semblable dans l’entreprise avec des cahiers des charges comparables. Le Tribunal fédéral a ainsi considéré qu’une discrimination salariale était vraisemblable dans le cas d’une travailleuse dont le salaire était d’environ 15 à 25 % plus bas que celui du travailleur qui accomplit le même travail. Il en va de même si une femme qui présente des qualifications équivalentes à son prédécesseur de sexe masculin, est engagée à un salaire moins élevé que lui. Quoi que l’on dise, la demanderesse en faisant état sur un plan général d’une différence de salaire entre les femmes et les hommes travaillant au service du défendeur n’a pas rendu vraisemblable l’existence d’une discrimination salariale. Elle s’écarte par ailleurs des constatations souveraines de la Cour cantonale lorsqu’elle soutient que M. C., responsable de l’unité d’appui, qui a emporté lors de la mise au concours du poste convoité par la demanderesse, a perçu un salaire de 40 % supérieur au sien. La même remarque s’applique aux allégations de la demanderesse se rapportant à une prétendue discrimination dans l’attribution des tâches et la promotion. Sur la base de ces constatations de fait, qui lient la juridiction fédérale de réforme, la Cour d’appel a nié, sans violer le droit fédéral, la vraisemblance d’une discrimination.

Les griefs tirés de la violation des articles 5 al. 1 let d LEg, 3 LEg, 41 et 328 CO et 8 CC reposent sur la prémisse selon laquelle la demanderesse aurait rendu vraisemblable l’existence d’une discrimination dans la rétribution, la répartition du travail, la promotion et le licenciement. Or, cette prémisse est erronée. Par ailleurs, on ne discerne pas à la lecture du recours en réforme, en quoi la Cour cantonale aurait violé les dispositions citées en appliquant le droit fédéral aux constatations faites par elle.

Concernant le certificat de travail, celui délivré par l’employeur reflétait correctement l’activité déployée par la travailleuse et ne contenait aucune remarque négative ou désobligeante sur le travail ou la personnalité de la demanderesse. La Cour d’appel n’a ainsi nullement violé l’art. 330 a CO.

Au titre de la violation de l’art. 12 LEg, la demanderesse fait grief à la Cour d’appel d’avoir mis à sa charge la somme de 2’482,50 CHF représentant le montant des indemnités versées aux témoins et leur interprète. Le Tribunal fédéral considère que les allégations de la demanderesse étaient, en partie du moins, non seulement infondées, mais, manifestement infondées. Tel était le cas par exemple du prétendu harcèlement sexuel qu’elle avait allégué en première instance mais au sujet duquel elle n’avait à l’évidence pas été en mesure de fournir le moindre indice objectif. Les allégations formulées sans le moindre fondement laissent présumer qu’elles l’ont été de mauvaise foi. Par conséquent, dès lors que la Cour d’appel, au terme de la procédure probatoire, était arrivée à la conclusion que les allégations de la demanderesse ne reposaient sur aucun fondement objectif, elle pouvait qualifier le comportement procédural de cette partie de téméraire sans violer le droit fédéral. Ainsi, il était justifié de mettre les frais à la charge de la demanderesse par ce motif, le Tribunal fédéral a rejeté le recours dans la mesure où il était recevable et a condamné la recourante à verser à l’intimé une indemnité de 6’000.- CHF à titre de dépens.

GE 24.05.2005
harcèlement sexuel

LEg

art 4

procédure

01.12.2004Jugement du Tribunal des prud'hommes 24.05.2005Arrêt de la Cour d'appel des prud'hommes

en fait

T a été engagée dès le 1er janvier 2000, en qualité de secrétaire au service du département de la trésorerie d’ESA, société anonyme, active dans le domaine de la négociation de valeurs et d’opérations de gestion de portefeuilles, d’investissements, de financement et de placement fiduciaires.

Dès le mois de juillet 2000, elle a été mutée dans un autre département, dirigé par A, son supérieur, et composé de trois personnes : T, A et C.

Dans un premier temps, T et A s’entendaient bien ; ils sortaient parfois le soir avec d’autres collègues, et se donnaient des «surnoms» tels que «… ouna» et «… Chou».[1]

Un soir de juin 2001, alors que T avait ramené en voiture son supérieur hiérarchique à son domicile, celle-ci a refusé la proposition de prendre un verre chez A, dans son appartement.

Dès le mois d’août 2001, les rapports de travail entre T et A ont commencé à se dégrader.

En date du 15 août 2001, lors d’un entretien individuel, A a adressé plusieurs reproches à T pour des négligences et des erreurs dans le cadre de son travail. Deux jours plus tard, T a fait part du comportement de son supérieur à I, vice-président de l’entreprise, qui lui a conseillé d’en parler au directeur général.
Par courriel du 20 août 2001, T a indiqué à I qu’elle ne pouvait atteindre ses objectifs, en raison du manque de délégation de A à ses subordonnés.

En date du 24 août 2001, un échange de courriels a eu lieu entre T et A, car celui-ci lui reprochait d’avoir classé un document sans l’avoir lu. Dans le cadre de cet échange, A a traité T de «bornée». Le même jour, T s’est plainte auprès de I de subir un «mobbing» de la part de son supérieur, et a demandé des conseils sur la façon de répondre à cette situation.

En date du 29 août 2001, A a fortement critiqué T au sujet d’un rapport contenant plusieurs fautes, et a, notamment écrit l’annotation suivante : «cerveau, où es-tu ?». T s’est emportée, et a crié les mots suivants : «Assez. C’est la troisième fois que vous m’attaquez».

Par mémo interne du 31 août 2001, T s’est adressée au directeur général de l’entreprise. T a indiqué qu’au début, leur relation de travail était fructueuse, mais qu’à présent elle subissait une forme de mobbing, et faisait état de l’entretien du 15 août 2001. Elle indiquait ne plus pouvoir travailler sous la direction de A. Dans son mémo, elle n’a cependant fait état d’aucun acte de la part de A, constitutif de harcèlement sexuel.
Le même jour, T a été informée de son transfert auprès d’un autre département.

Un comité d’enquête a été constitué et a rendu son rapport en date du 27 septembre 2001. A a reçu un blâme, notamment pour les motifs suivants. En tant que manager, il lui a été reproché «un comportement excessivement familier avec sa subordonnée et il devait bannir de son vocabulaire toute expression triviale» [2].

T a également reçu de la part du comité un blâme, en raison de son comportement et de sa conduite.
Par courrier du 23 avril 2002, ESA a mis fin au contrat de travail de T avec effet au 30 juin 2002, avec libération immédiate de travailler. En raison du certificat d’incapacité de T dès le 24 juin 2002 jusqu’à fin février 2003, l’échéance du contrat a été reportée à la fin de ce mois.

T a déposé une demande en justice le 25 mars 2003 à la juridiction des prud’hommes, en concluant notamment au versement de CHF 20’880 à titre d’indemnité pour harcèlement sexuel, selon l’article 5 al. 3 LEg. Déboutée en première instance, elle a fait appel.

en droit

Confirmant le jugement rendu en première instance, la Cour d’appel des prud’hommes a retenu que les relations de travail entre T et son supérieur étaient bonnes, avant leur soudaine détérioration en août 2001. Ils se donnaient des surnoms affectueux, et se voyaient en dehors du cadre professionnel. La Cour d’appel des prud’hommes a estimé que ni les pièces, ni les témoignages n’avaient permis de démontrer que le comportement du supérieur était constitutif d’un harcèlement sexuel. L’instance saisie a également relevé que «l’appelante n’a expressément porté une telle accusation qu’à l’occasion du dépôt de sa demande en justice, et qu’elle n’avait jusqu’alors parlé que de harcèlement moral». [3]


Ainsi, faute d’avoir été démontré, le grief du harcèlement sexuel n’a pas été retenu, ni en première instance, ni sur appel. Pour le surplus, la Cour d’appel des prud’hommes a débouté T de toutes ses autres conclusions.

  • [1] Jugement du Tribunal des prud’hommes du 1.12.2004, C/6400/2300-4, lettre F, page 1.
  • [2] ACAPH, du 24 mai 2005, page 3, lettre s ;cf. jugement du 1er décembre 2004, cause N° C/6400/2003-4
  • [3] Ibid., page 5, considérant 3.2.

GE 31.05.2005
discrimination salariale
licenciement discriminatoire

LEg

art 3, art 5, art 6, art 9, art 10

procédure

11.03.2004jugement du Tribunal des Prud’hommes (C/2388/2003-4) 10.02.2005arrêt de la Cour d’appel des prud'hommes 31.05.2005arrêt du Tribunal fédéral (4C.109/2005)

en fait

Mme T a été engagée par E SA comme responsable des relations publiques et assistante de l’administrateur de la SA le 5 avril 1998. Le salaire mensuel brut payable 13 fois l’an fut fixé à 6’500 CHF en 1998, 7’000.-CHF en 1999 et 7’200.- CHF dès le 1er 01.2001. L’employée a reçu des gratifications annuelles de 1’070.- CHF, 5’350.- CHF et deux fois 4’000.- CHF.

Mme T, née en 1949, est mère de trois enfants et diplômée en sciences économiques de l’Université de Lausanne.

Après l’audience de délibération du jeudi 11 mars 2004 le Tribunal des prud’hommes a débouté la demanderesse de toutes ses conclusions concernant la LEg.

La demanderesse n’a pas rendu vraisemblable que l’employeur pratiquait la discrimination sexuelle au sein de l’entreprise. Bien que la demanderesse soit la seule parmi les quatre employés à posséder une formation universitaire, la description des postes produites par l’employeur exigeait soit une formation universitaire soit une maturité fédérale avec formation continue. Les trois hommes bénéficiaient d’autres formations et manifestaient de l’intérêt pour la formation continue. Elle avait des tâches d’exécutante et gérait un budget de 650’000.- CHF alors que les hommes avaient les postes de directeurs avec un grand pouvoir décisionnel et géraient des budgets de l’ordre de six millions de francs. Il n’était donc pas possible de prétendre que l’employeur pratiquait la discriminations sexuelle en faisant la moyenne du salaire des hommes occupant trois fonctions à responsabilité et la comparer au salaire de la demanderesse dont la fonction relevait du secrétariat et des relations publiques.

La demanderesse n’a pas prouvé avoir été licenciée de manière abusive. En revanche l’employeur a démontré à satisfaction de droit que le seul motif de résiliation du contrat de Mme T était la suppression de son poste suite à la fusion et la restructuration de la société. Les relations publiques ont été ainsi rattachées à la direction du marketing et Mme T n’a pas voulu travailler comme subordonnée de M. P.

Le 10 février 2005 la Cour d’appel de la Juridiction des prud’hommes confirme le jugement du Tribunal.
La Cour rappelle que la jurisprudence considère comme non discriminatoire les différences de salaire qui reposent sur des motifs objectifs.

La vraisemblance doit être admise lorsqu’une employée perçoit une rémunération inférieure de 15 à 20 % à celle d’un collègue masculin accomplissant un travail identique ou similaire, alternativement lorsqu’une femme présentant des qualifications équivalentes à son prédécesseur du sexe masculin est engagée à un salaire inférieur. La comparaison à laquelle procède Mme T ne convainc point. Certes, M. P plus jeune et sans diplôme universitaire a été engagé au salaire supérieur mais seulement de 7,8 % et les tâches qui lui ont été confiées de commercialiser un produit se distinguent des relations publiques et peuvent légitimement expliquer la situation.

Les mêmes conclusions s’imposent pour les cas des MM. W et C. Sans formation universitaire mais avec une bonne expérience commerciale, ils avaient assumé des responsabilités. Les deux départements de vente leur ont été confiés ainsi que la direction de plusieurs collaborateurs.

Une discrimination n’a ainsi ni été établie ni rendue vraisemblable, sans qu’il soit nécessaire de recourir à une expertise pour s’en convaincre.

Le grief de discrimination à la promotion a été écarté par la Cour au motif qu’on a proposé à une femme comptable de reprendre le back office et la demanderesse n’a jamais présenté sa candidature au poste de M. P.

Selon la Cour, la demanderesse n’a pas prouvé que le licenciement est discriminatoire alors que les explications de l’employeur concernant l’intégration des relations publiques dans le service du marketing apparaissent crédibles. Comme la demanderesse n’a pas souhaité de travailler sous les ordres de M. P son licenciement était inévitable.

Le 31 mai 2005 le Tribunal fédéral prononce que le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. Il n’est pas perçu de frais. La demanderesse doit payer à la défenderesse 7’000.- CHF à titre de dépens.

en droit

Le Tribunal fédéral déclare recevable le recours en réforme. Le Tribunal fédéral doit conduire son raisonnement juridique sur la base des faits constatés dans la décision attaquée à moins que les dispositions en matière de preuve n’aient été violées, qu’il y ait lieu de rectifier des constatations reposant sur une inadvertance manifeste ou qu’il faille compléter les constatations de l’autorité cantonale parce que celle-ci n’a pas tenu compte de faits pertinents régulièrement allégués et clairement établis.

La recourante a plaidé l’inadvertance manifeste de la Cour notamment dans l’analyse de son curriculum vitae.

Le Tribunal fédéral considère qu’il ne s’agit pas d’une inadvertance manifeste mais de l’appréciation de preuve et la contestation d’une telle appréciation ne peut se faire que par le biais du recours en droit public.

La recourante a tenté de compléter les faits constatés par la Cour d’appel mais le Tribunal fédéral a considéré qu’elle le faisait en méconnaissance de l’article 64 OJF car elle n’a pas motivé sa demande de complément de faits par la violation de certaines dispositions de droit fédéral.

La recourante faisait grief à la Cour d’appel de violer l’article 6 LEg portant sur l’allégement du fardeau de la preuve. En effet, elle se comparait à un collègue masculin nommé directeur de marketing et qui avait un salaire sensiblement supérieur au sien. La Cour d’appel considérait que les deux parcours professionnels ne pouvaient pas être comparés de sorte qu’une différence de salaire ne constituait pas l’indice convaincant d’une discrimination. Selon le Tribunal fédéral la demanderesse n’expliquait pas en quoi cette appréciation devait être tenue pour contraire au droit fédéral en se bornant à affirmer qu’elle était engagée dès 1998 à un niveau hiérarchique plus élevé que celui de son collègue avec un salaire inférieur. Or, cette circonstance ne ressort pas de l’arrêt attaqué. Selon le Tribunal fédéral, la Cour d’appel n’a donc pas violé l’article 6 LEg en retenant que la demanderesse n’a pas rendu vraisemblable une discrimination à caractère sexiste dans sa rémunération. Il ne lui était donc pas nécessaire de rechercher, sur la base de preuves offertes par la défenderesse, si les différences de salaire répondaient à des motifs objectifs.

L’allégement prévu à l’article 6 LEg concerne aussi la preuve d’un éventuel congé abusif. La demanderesse prétend avoir établi que depuis son entrée en service de la défenderesse, six femmes ont été licenciées et/ou ont quitté d’elles-mêmes l’entreprise, qu’elle a réclamé à plusieurs reprises l’égalité salariale, qu’elle s’est plainte de mobbing et qu’une autre femme a été engagée pour lui succéder. Les constations correspondantes ne se trouvent cependant pas dans l’arrêt de la Cour d’appel. Hormis la plainte pour mobbing, la demanderesse n’établit pas qu’elle ait valablement allégué ces faits en procédure cantonale et elle n’indique pas non plus en quoi lesdits faits, à supposer qu’ils soient constatés, devraient être considérés comme des indices d’une discrimination. La Cour d’appel a jugé que le mobbing n’était pas prouvé et que le comportement peu diplomate d’un de ses responsables n’équivalait pas à un harcèlement. En conséquence il ne s’agissait pas d’un congé représailles suite à la réclamation de bonne foi concernant la violation de la LEg. Pour le surplus, la Cour a jugé crédibles les explications données par la défenderesse au sujet des motifs du licenciement. On ne discerne dès lors pas en quoi ce jugement serait contraire au droit fédéral.

Les griefs concernant la violation de l’article 328 CO ont été écartés par le Tribunal fédéral au motif que la Cour d’appel n’a constaté aucun fait correspondant aux accusations élevées par la demanderesse mais a, au contraire, relevé que l’on n’a jamais observé de comportement ou de réflexion grossiers à l’égard de l’employée. Le Tribunal fédéral a rejeté le recours dans la mesure où il était recevable, il n’a pas perçu d’émolument judiciaire en vertu de l’article 12 al. 2 LEg, mais il a condamné la demanderesse à verser à son employeur une indemnité de Fr. 7’000.— à titre de dépens.

GE 20.10.2005
harcèlement sexuel
licenciement discriminatoire

LEg

art 4, art 5, art 6, art 7, art 8, art 9, art 10

procédure

22.06.2004Jugement du Tribunal des prud'hommes 20.10.2005Arrêt de la Cour d'appel des prud'hommes

en fait

En avril 1998, T a été engagée en tant que «Product Support Specialist» par l’entreprise E, active dans le domaine de l’information financière sur le plan mondial. Travaillant sous l’autorité de A, T a été intégrée dans un groupe de travail incluant six autres employé-e-s, dont F et G, deux collègues masculins.

Entre le 7 avril 1998 et fin novembre 2002, les rapports de travail entre T et ses collègues étaient très bons. Durant l’été 2002, le groupe de travail a été réorienté vers un domaine d’activité différent, soit le «private banking», sollicitant dorénavant plus un travail d’équipe qu’un travail indépendant.

Il est établi qu’en novembre 2002, lors d’un voyage professionnel de T et de certains de ses collègues en Allemagne, F a traité T «d’Ispesse de couniasse» en imitant l’accent de l’une des marionnettes de l’émission télévisée «Les guignols de l’info» [1]. Entendu comme témoin en première instance, F a précisé que tous les collègues présents, y compris T, participait à cette plaisanterie. Le 6 décembre 2002, T refusa de recevoir des ordres de la part de F, et s’en est plainte auprès de A. Peu de temps après, T a été en congé maladie jusqu’au 16 janvier 2003. Les instances cantonales ont relevé que pendant sa période de congé maladie, T avait organisé une soirée pour fêter son anniversaire en date du 11 janvier 2003, tout en y conviant ses collègues.

En février 2003, dans le cadre professionnel, une dispute verbale opposa T à G. Lors des enquêtes en première instance, celui-ci a admis avoir exclamé «ta gueule»à T. Il a expliqué que sa collègue n’avait pas un caractère facile et voulait toujours avoir raison. G a également exposé avoir été choqué par l’invitation de T pour son anniversaire, alors qu’elle était en congé-maladie. Il a encore ajouté qu’il ne pensait pas l’avoir choqué, en s’exprimant de la sorte, ni avoir tenu un comportement sexiste.

Depuis lors, les relations entre T et ses collègues sont devenues difficiles.

Suite au refus de T de se rendre à une séance de formation prévue en février 2003, A organisa une réunion. Au cours de celle-ci, T s’est plainte de l’attitude de F et de G à son égard. A décida alors de saisir la direction des ressources humaines, qui fit ouvrir une enquête interne.

Inquiète en raison de l’ouverture de cette enquête, T alla consulter un médecin, en date du 17 mars 2003, qui diagnostiqua un état anxieux. T fut absente pour cause de maladie dès le 24 mars 2003.

Selon un courrier du 8 avril 2004 adressé par l’avocat de T à E, le comportement de certains de ses supérieurs et collègues, en particulier de F et de G, relevait du droit pénal. F et G ont été sommés par la direction des ressources humaines de E de donner leur version des faits. F a fait état du comportement «inadéquat» de T, de sa difficulté à s’intégrer dans l’équipe, de son manque de sérieux compte tenu des nouvelles activités de l’entreprise, et estimait que T devait être licenciée. Quant à G, il a décrit T comme une personne avec un ego important et une sensibilité démesurée. Tant F que G ont contesté avoir harcelé T.

Après une courte période de reprise de travail, T a, à nouveau, été en arrêt pour cause de maladie du 21 mai 2003 au 1er juin 2003. Alors que T souhaitait reprendre son travail à 50% dès le 1er juin 2003, E lui signifia sa dispense de venir travailler, mais ne lui signifia pas encore son licenciement. En outre, E lui demanda des éclaircissements sur les allégations contenues dans le courrier du 8 avril 2004.

T ne fournit pas d’explications, mais déposa une demande auprès du Tribunal de première tendant à être réintégrée dans sa fonction; celle-ci fut rejetée.

Par courrier du 23 août 2003, E a licencié T avec effet au 30 septembre 2003. T s’est opposé à ce congé, par courrier du 6 octobre 2003.

Sur dénonciation de T de ces faits auprès de l’Office cantonal des l’inspection des relations et du travail, celui-ci procéda à une enquête. Au cours de celle-ci, il fut constaté que la manière de s’exprimer auprès de l’entreprise était assez libre. Notamment, un des collègues avait répondu à T, se plaigna"nt de maux de tête: «Toi, tu n’as pas fait l’amour cette nuit…» ou encore, au sujet du compagnon de T, de grande taille: «Comment fais-tu pour baiser avec ton OGM?».

Parallèlement à sa dénonciation auprès de l’OCIRT, T a également saisi la justice genevoise. Par acte déposé en date du 7 octobre 2003 auprès du greffe de la juridiction des prud’hommes, T a assigné E par devant la Commission de conciliation en matière d’égalité entre hommes et femmes, transmise ensuite à la juridiction des prud’hommes.

Dans ses écritures, T a conclu à ce qu’il soit constaté qu’elle avait fait l’objet d’une discrimination fondée sur le sexe, à l’annulation de son licenciement, à sa réintégration, et au paiement de CHF 70’697, soit 60’697 à titre d’indemnité pour licenciement abusif et CHF 10’000, à titre d’indemnité pour tort moral. T a également conclu au paiement de CHF 19’716.20 à titre d’indemnité pour vacances non prises en nature. En première instance, E a reconnu devoir un montant de 16’744. — bruts. Par jugement du 22 juin 2004, le tribunal des prud’hommes a condamné E à payer un montant de CHF 16’744 pour vacances non prises; il a débouté T de toutes ses autres conclusions.

Saisie par T, la Cour d’appel de prud’hommes (ci-après: la Cour d’appel) a retenu le grief de harcèlement sexuel, et a condamné E à payer une indemnité de CHF 10’000 à T, et CHF 12’000, en raison du licenciement.

en droit

La Cour d’appel rappelle d’abord la notion de harcèlement sexuel, selon l’article 4 LEg.

Selon l’article 4 LEg, on entend par comportement discriminatoire, «tout comportement importun de caractère sexuel ou tout autre comportement fondé sur l’appartenance sexuelle, qui porte atteinte à la dignité de la personne sur son lieu de travail …».

Selon l’article 5 al. 3 LEg, en cas de harcèlement sexuel, l’autorité compétente peut condamner l’employeur-euse au versement d’une indemnité à l’employé-e, à moins que l’employeur-euse ne prouve avoir pris toutes les mesures raisonnablement exigibles, compte tenu des circonstances, pour prévenir ou mettre fin à ces actes.

Ainsi, faute de preuve libératoire apportée par l’employeur-euse, l’employé-e ayant prouvé le cas de harcèlement sexuel est fondé à réclamer une indemnité. En effet, selon la jurisprudence constante du TF, le devoir de diligence imposée aux employeurs et employeuses doit s’examiner à la lumière de l’article 328 CO, selon lequel ceux-ci doivent non seulement s’abstenir de porter atteinte à la personnalité de leurs employé-e-s, mais sont également tenus de protéger leur personnel contre les atteintes émanant de supérieur-e-s hiérarchiques, de collègues ou de tiers [2].

En l’espèce, la Cour d’appel a retenu que T s’est vu adresser des propos tout à fait inacceptables, soit «espèce de connasse», «ta gueule» ou des questions choquantes sur sa vie intime, telles que de savoir si ses maux de tête provenaient de l’absence de relations sexuelles durant la nuit, et de savoir comment elle s’y prenait pour faire l’amour avec son OGM [3].

Au vu des faits constatés, la Cour de céans a jugé qu’il existait ainsi «un comportement globalement discriminatoire» [4] à l’encontre de T.

Il régnait certes au sein de l’entreprise une certaine liberté de ton et de paroles. Même T n’a pas contesté s’être également exprimé légèrement et avoir également diffusé des documents, parfois grossiers, par courriel. Cependant, l’entreprise ne saurait se prévaloir de liberté de ton généralisée, qu’elle a laissée, à tort, s’instaurer dans le cadre professionnel, ni du prétendu consentement de la personne visée à se voir adresser les propos litigieux, pour se soustraire à ses plus élémentaires devoirs de respect et de protection envers son personnel [5].

En outre, face à de tels indices de discrimination apportés par T, l’entreprise n’avait pas apporté la preuve libératoire selon l’article 328 CO. En effet, l’entreprise ne pouvait se soustraire à sa responsabilité, en se prévalant de la documentation fournie à son personnel, lors de son engagement, destinée à indiquer la procédure à suivre en cas de harcèlement ou de mobbing. La Cour de céans a considéré que cette documentation avait un caractère très théorique, et que vu sa diffusion, elle était restée «lettre morte» auprès des collaborateurs et des collaboratrices, faute de rappels, d’informations, ou d’instructions complètes. Par ailleurs, l’ouverture de l’enquête, diligentée par la direction des ressources humaines, a été jugée trop sommaire pour constituer une preuve libératoire de la part de E.

Ainsi, l’intimée a été condamnée à verser un montant de CHF 10’000, en raison du comportement discriminatoire selon l’article 4 LEg, et imputable à E.

L’article 10 al. 1 LEg prévoit que le congé est annulable, s’il ne repose sur aucun motif justifié et qu’il fait suite à une réclamation fondée sur la LEg. L’employé-e peut néanmoins renoncer à solliciter l’annulation du congé, et demander en lieu et place, une indemnité selon l’article 10 al. 4 LEg pour licenciement.

En l’espèce, en cours de procès, T a renoncé à demander l’annulation du congé, et sa réintégration à son poste de travail. En lieu et place, elle a sollicité le versement d’une indemnité pour licenciement selon l’article 10 al. 4 LEg.

Se référant à l’article 5 al .2 LEg et à l’article 336a CO, la Cour de céans a rappelé qu’une indemnité pour discrimination ne saurait dépasser un montant supérieur à 6 mois de salaire.

Au vu de l’ensemble des circonstances, et notamment de l’effet négatif des sous-entendus excessivement alarmants contenus dans le courrier du 8 avril 2004, la Cour d’appel a fixé l’indemnité due à T à un montant équivalent à un salaire mensuel brut de CHF 12’000.-.

Enfin, quant à l’indemnité prévue à l’article 49 CO, la Cour de céans a relevé que l’atteinte subie par T n’était pas à ce point grave pour entrer en ligne de compte, faute de circonstances exceptionnelles justifiant une telle indemnité.

commentaire

A la lecture de cet arrêt, trois remarques peuvent être formulées.

Premièrement, la Cour d’appel des prud’hommes a rappelé l’exigence des conditions relatives à la preuve libératoire de l’article 328 CO. En effet, un-e employeur-euse ne saurait se contenter de se prévaloir d’une liberté de ton généralisée dans le cadre professionnel pour faire état d’un éventuel consentement des employé-e-s à des comportements sexuellement discriminatoires. Ainsi, il appartient aux employeurs et aux employeuses de prévenir et de mettre fin à de tels actes, et non de laisser s’installer de tels comportements, inacceptables au regard de la LEg.

Deuxièmement, la Cour d’appel a constaté qu’une seule documentation relative au harcèlement sexuel, fournie au moment de l’engagement d’un-e employé-e ne saurait satisfaire en soi le respect de leur personnalité. Ainsi, est déterminante l’information réellement transmise et connue par les employé-e-s, par les soins d’un-e employeur-euse.

Enfin, il sied de relever que la Cour n’a pas appliqué le raisonnement selon lequel l’indemnité de l’article 5 al. 3 LEg constituerait une indemnité absorbant celle de l’article 49 CO. Au contraire, de par son raisonnement, on pourrait soutenir que des circonstances exceptionnelles fonderaient en effet un droit à une indemnité supplémentaire à l’article 5 al.3 LEg.

  • [1] Jugement du Tribunal des prud’hommes du 22 juin 2004, page 5, lettre Q ; arrêt de la Cour d’appel des prud’hommes du 20 octobre 2005, cause C721343/2003-5, page 2, lettre b.
  • [2] Cf. notamment, GE 13.
  • [3] Arrêt de la Cour d’appel des prud’hommes du 20 octobre 2005, ibid, page 6, considérant 3.
  • [4] Ibid., considérant 3.
  • [5] Ibid., page 7 considérant 3

FR 20.12.2005
discrimination salariale

LEg

art 3, art 5

procédure

16.05.2002Avis de la Commission cantonale de conciliation en matière de contestation portant sur une discrimination en raison du sexe dans les rapports de travail 11.06.2003Décision du Conseil d’Etat 20.12.2005Arrêt au Tribunal administratif (ATA 1A 03 73)

en fait

Mme A. est engagée en 1973 en tant qu’aide-infirmière par l’hôpital psychiatrique cantonal (ci-après « HPC »). Elle est nommée en cette qualité le 12 juin 1990 par le Conseil d’Etat. Elle suit de janvier à décembre 1995 une formation d’animatrice auprès des personnes âgées. L’HPC transfère Mme A. le 1er juin 1997 dans le secteur de l’animation, sans modification formelle de sa fonction initiale et de son cahier des charges.

Après plusieurs démarches de la part de Mme A., l’HPC reconnaît le 14 septembre 2001 le statut d’animatrice de Mme A. et adapte son traitement de classe 7 échelon 10 à la classe 8 échelon 9.

Le 29 septembre 2001, Mme A. recourt au Conseil d’Etat en concluant à ce qu’elle soit mise au bénéfice de la classe 10-12, avec paiement rétroactif du salaire dès le 1er juin 1997. Elle invoque l’arrêté du Conseil d’Etat relatif à la classification des fonctions, d’une part, qui prévoit que les animateurs sont en classe 10-12, et une inégalité de traitement avec son collègue masculin d’autre part, celui-ci bénéficiant de la classe 12. Mme A demande aussi l’avis de la Commission cantonale de conciliation en matière de contestation portant sur une discrimination en raison du sexe dans les rapports de travail. Cette dernière, le 16 mai 2002, considère que l’écart salarial entre Mme A. et son collègue doit être examiné sous l’angle de la LEg, ce d’autant plus que l’écart de rémunération est important (plus de CHF 1’000.—) Mme A. ayant démontré de surcroît la vraisemblance de la discrimination dont elle est la victime, il appartient à l’Etat de Fribourg de prouver qu’il n’y a pas discrimination à raison du sexe.

Le 11 juin 2003, le Conseil d’Etat rejette le recours, au motif qu’une formation de trois ans équivalente à un CFC est exigée pour atteindre la classe de fonction réclamée.

Mme A. ne remplissant pas cette exigence, son traitement peut être fixé à un niveau inférieur. L’inégalité de salaire est également écartée au motif que le CFC du collègue de Mme A. (peintre en bâtiment) n’est plus en rapport direct avec son métier d’animateur, la classe dont il bénéficie est donc indue. Il ne saurait donc être question d’égalité dans l’illégalité. Le Conseil d’Etat relève également que seule Mme A. et son collègue masculin exercent la fonction d’animateur à l’Etat de Fribourg.

Le 15 septembre 2003, Mme A. saisi le Tribunal administratif en concluant à l’annulation de la décision du Conseil d’Etat et l’adaptation rétroactive de son salaire avec suite de frais et dépens.

Le 20 décembre 2005, le Tribunal administratif du canton de Fribourg admet le recours, annule la décision attaquée et renvoie l’affaire au Conseil d’Etat pour nouvelle décision dans le sens des considérants, le tout avec suite de dépens.

en droit

Le Tribunal rappelle que selon l’art. 3 LEg il est interdit de discriminer les travailleurs à raison du sexe, soit directement soit indirectement, et ce notamment en matière de rémunération. Cette interdiction s’applique aussi au droit public.

Le principe de l’égalité salariale repose sur la notion de travail de valeur égale. Dans le cas d’espèce, il est incontesté que Mme A. et son collègue masculin exercent une fonction strictement semblable, et qu’il n’y a pas d’autres animateurs à l’Etat de Fribourg. Le travail de ces deux personnes est donc de valeur égale.

Selon l’art. 6 LEg, l’existence d’une discrimination à raison du sexe est présumée pour autant que la personne qui s’en prévaut la rende vraisemblable. Si elle y parvient, le fardeau de la preuve est renversé et c’est à l’employeur d’établir l’absence de discrimination. Quand des travailleurs de sexe opposé ont une position semblable dans l’entreprise avec des cahiers des charges comparables, une différence de rémunération est présumée discriminatoire à raison du sexe. Si l’employeur ne parvient pas à prouver l’inexistence de la discrimination, l’action de la travailleuse doit être admise. Une différence de salaire n’est pas discriminatoire si elle repose sur des motifs objectifs (formation, ancienneté, qualification, etc. ) ou des préoccupations sociales.

Dans le cas d’espèce, la différence de salaire est patente, Mme A. recevant un traitement en fonction d’une classe très en dessous de celle de son collègue. Le fait est reconnu par le Conseil d’Etat, qui n’avance aucun motif objectif pouvant le justifier. Le caractère sexiste de la discrimination est aussi manifeste, dans la mesure où le Conseil d’Etat a aussi admis que la classe de traitement attribuée au collègue de Mme A. était injustifiée. Dans ces circonstances, le Conseil d’Etat devra payer le salaire non discriminatoire. L’argument de l’égalité dans l’illégalité (en raison de l’attribution injustifiée d’une classe de traitement supérieure au collègue de Mme A.) est écarté.dans la mesure où l’HPC a maintenu une situation illégale sur une longue période et doit donc se voir opposer sa politique salariale. Aucun intérêt privé ou public prépondérant ne s’oppose à cette solution. Le Tribunal administratif renvoie toutefois l’affaire au Conseil d’Etat pour que soit fixé dans le détail le traitement non discriminatoire de Mme A. en tenant compte des facteurs objectifs du cas.

Le recours de A. est admis et l’arrêt attaqué est annulé. L’affaire st renvoyée au Conseil d’Etat pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Une indemnité de partie est octroyée, à la charge de l’Etat. La procédure est gratuite.

GE 07.02.2006
discrimination salariale
licenciement discriminatoire

sujet

expertise

LEg

art 3, art 5, art 6, art 10

procédure

19.01.2004Jugement du Tribunal des prud’hommes 07.02.2006Arrêt de la Cour d’appel des prud’hommes

en fait

ESA est une société de placement de personnel auprès des entreprises, dont le siège est sis dans le canton de Vaud. Elle dispose de plusieurs succursales, dont l’une est située dans le canton de Genève.

Par contrat de travail du 12 octobre 1998, T a été engagée par ESA, en qualité de conseillère en personnel, auprès de la succursale de Genève.

Titulaire d’un BEPC (Brevet d’études du premier cycle) et d’un CAP (Certificat d’aptitude professionnelle) délivrés par une institution française, T avait travaillé, auparavant, pendant deux années auprès d’un service administratif d’une agence de placement, et pendant quelques mois, en qualité de collaboratrice commerciale auprès d’une autre agence.

Lors de son engagement par ESA, un cahier de charges de «Responsable de secteur- conseiller-ère en personnel» a été remis à T. Parmi les tâches décrites, figuraient notamment le recrutement, la sélection des employé·e·s temporaires et fixes, l’exécution des commandes de la clientèle, les relations avec les entreprises, clients existants et potentiels, les relations avec les collaborateurs·trices temporaires et fixes. ESA a déclaré lors des enquêtes, que ce cahier des charges constituait un document type pour tous les collaborateurs·trices de l’entreprise, et ne reflétait pas leur activité réelle 1.

A l’époque de l’engagement de T, la succursale de Genève était divisée en deux départements, soit le département commercial, et le département des bâtiments et métiers techniques (BMT) ; ce dernier était composé de trois secteurs, soit le secteur «gros œuvre», animé par B, le secteur «second œuvre», animé par T, et le secteur «industrie», animé par C, jusqu’à son affectation comme responsable du département commercial. En juillet 2000, les activités du secteur «second œuvre» furent séparées en deux zones d’activité, l’une toujours sous la responsabilité de T, l’autre sous celle de D, engagé à cet effet.

Engagé en mai 1999 pour travailler auprès du département commercial, F a travaillé jusqu’à fin avril 2000. Il a été remplacé ensuite par G et H.

Sur le plan des rémunérations salariales, la Cour d’appel a retenu les faits suivants:

Après avoir eu connaissance des salaires de certains de ses collègues, T s’est entretenue avec B pour demander une augmentation de salaire. B lui a dit que si elle pouvait augmenter son chiffre d’affaires, son salaire serait rééquilibré. Un entretien fut prévu avec l’administrateur d’ESA, mais n’eût pas lieu.

Par courrier du 2 mars 2000, T s’est adressée à l’administrateur d’ESA, et lui a mentionné sa déception du fait que son salaire mensuel avait fait l’objet dès le 1er janvier 2000, d’une augmentation de seulement CHF 100. Elle a également souligné que le salaire mensuel de F, était de plus de CHF 1’300 supérieur au sien, car il touchait en fait 5’400.- à titre de salaire mensuel, ainsi que CHF 300.- à titre de frais de représentation, alors que F n’avait pas atteint ses objectifs et était entré plus tard qu’elle dans la succursale.

Lors des enquêtes en première instance, T a également allégué que dès le mois de janvier 2000, les rapports de travail se sont dégradés. On lui a attribué des tâches la détournant de son travail, tels que contrôles, réception d’appels téléphoniques, et réception de candidatures d’autres secteurs. Elle a déclaré avoir subi des actes de mobbing 3.

T a en outre déclaré que suite aux pressions subies, elle avait fait une dépression et ne s’était plus nourrie. Elle a été en incapacité de travail entre le 27 septembre et le 9 octobre 2000 4.

En date du 24 janvier 2001, ESA a remis à T un avenant à son contrat de travail, fixant le montant de son salaire mensuel dès le 1er janvier 2001 à un montant de CHF4’500. T a refusé de signer cet avenant, insatisfaite de la nouvelle proposition de salaire.

En date du 30 janvier 2001, un entretien fut fixé, réunissant T, B, ainsi que le directeur commercial de la succursale et l’administrateur d’ESA. Sur interrogation de ce dernier, T a répondu qu’elle souhaitait une égalité de salaire avec F, soit une rémunération mensuelle brute de CHF 5’400. —. Pendant la discussion, l’éventualité d’un départ de T fut évoquée. Suite au refus de T d’accepter la proposition d’augmentation de CHF 300, une lettre de licenciement, préparée avant l’entretien, lui fut remise en mains propres, avec effet au 31 mars 2001, et la libérant de son obligation de travailler.

Par courrier du 31 janvier 2001, T a fait opposition au congé notifié par ESA, car elle l’a considéré abusif selon l’art. 336 CO. S’appuyant sur l’art. 10 LEg, elle a également demandé sa réintégration immédiate à son poste de travail, aux mêmes conditions salariales que ses collègues, et à ce que son salaire soit porté à CHF 5’800. —. Par courrier du 2 février 2001 émanant d’un syndicat agissant pour le compte de T, les prétentions de T ont été réitérées.

Par courrier du 25 février 2001 adressé au syndicat, ESA a observé que le licenciement de T était consécutif à son comportement dans le cadre professionnel, qui causait un grave préjudice dans le travail d’équipe, et engendrait des tensions insupportables avec les autres collègues 5. Relevant que T ne s’était pas présentée à son poste de travail le 29 janvier 2001 au motif que la proposition d’augmentation de salaire ne lui convenait pas, ESA a considéré que la relation de confiance était rompue, et que seul le congé pouvait être notifié à T. Il était donc exclu de réintégrer T au sein de l’entreprise.

Par demande du 31 mars 2001, T a assigné ESA en constatation de la discrimination salariale et du caractère abusif du licenciement. Par la suite, T a fait valoir une prétention de CHF 50’513, à titre de différence salariale (soit à raison de 5’333 pour l’année 1998, CHF 18’930 pour l’année 1999, CHF 18’930 pour l’année 2000, et CHF 7’300 pour l’année 2001), ainsi que CHF 35’160, à titre d’indemnité pour licenciement abusif et discriminatoire (à raison de 6 fois un salaire mensuel de CHF 5’860).

Par jugement du 19 janvier 2004, le Tribunal des prud’hommes a condamné ESA à payer à T la somme brute de CHF 35’898.10, à titre de différence de salaire en vertu du principe de l’égalité des salaires entre femmes et hommes. Il a également condamné ESA à payer à T la somme nette de CHF 27’000, à titre d’indemnité pour licenciement abusif discriminatoire.

En substance, le Tribunal a retenu que les conditions de rémunération de T au sein d’ESA procédaient d’une discrimination salariale en raison du sexe, prohibée notamment par l’art. 3 LEg. Sur la base des témoignages recueillis dans la procédure, le Tribunal des prud’hommes a retenu que cette différence avait été rendue vraisemblable au sens de l’art. 6 LEg et que l’employeur n’avait pas apporté la preuve de l’existence de motifs objectifs justifiant cette différence salariale. Ainsi, pour arrêter la somme à laquelle T avait droit à titre de différence de salaire, la juridiction prud’homale a considéré que T aurait eu droit à une rémunération mensuelle de CHF 4’500 à l’engagement, qui devait être portée ensuite à CHF 5’400, sur la base des salaires accordés aux collègues de T, également conseillers en personnel.

La juridiction prud’homale a également fixé l’indemnité pour licenciement abusif discriminatoire à un montant de CHF 27’000, soit l’équivalent de 5 mois d’un salaire mensuel de CHF 5’400.—

Par acte du 31 mars 2004, ESA a appelé du jugement rendu en première instance.

La Cour d’appel des prud’hommes a ordonné une expertise, et rendu son arrêt, en date du 7 février 2006, admettant partiellement l’appel de ESA, en fixant la différence de salaire due à T à un montant de CHF 25’976.35, et l’indemnité pour licenciement abusif à un montant de CHF 16’755.

en droit

Expertise ordonnée par la Cour d’appel des prud’hommes

ESA a sollicité de la part de la Cour d’appel des prud’hommes (ci-après: la Cour d’appel), une expertise destinée à évaluer le travail et la rémunération de T et de ses collègues masculins, car selon l’appelante, le domaine d’activités de T était différent de celui de ceux-ci. Pour justifier la différence salariale, ESA a également invoqué les formations différentes et le niveau de connaissance des langues étrangères.
La Cour d’appel a d’abord rappelé les principes suivants. Lorsque «l’équivalence entre les fonctions dans une entreprise n’est pas patente ou si elle ne peut être établie autrement, c’est à l’expert qu’il revient de dire si lesdites fonctions peuvent se comparer les unes aux autres et de déterminer les critères qui entrent alors en ligne de compte» 6. Compte tenu des motifs invoqués par ESA, la Cour d’appel a donc considéré nécessaire de recourir au service d’un spécialiste en valeurs comparatives, pour déterminer l’influence de ces critères sur la disparité de ces salaires.
Une expertise a donc été ordonnée, en date du 1er décembre 2004 et L. maître d’enseignement à l’Université, a été désigné en tant qu’expert pour remplir la mission ordonnée par la Cour d’appel 7. Celle-ci consistait en la rédaction d’un rapport descriptif et analytique des travaux communs confiés à T et à ses collègues masculins auprès d’ESA, ainsi que les différents travaux confiés à ces mêmes personnes, afin de répondre aux questions suivantes8:

Déposé au greffe de la juridiction des prud’hommes en date du 18 mai 2005, le rapport d’expertise a été établi, en se fondant sur l’évaluation du contenu du travail sur la base d’entretiens individuels avec les personnes concernées, à l’exclusion de F, non atteignable. Pour les éléments de comparaison du travail, l’expert a retenu les points suivants:

L’expert a donc considéré que les emplois des différents conseillers et celui de T visés étaient comparables 9.
Quant à la valeur du travail, l’expert a retenu que les exigences imposées à T et à ses autres collègues étaient équivalentes. Il a estimé que le contenu des tâches réalisées, à savoir les prestations fournies par T et ses collègues, étaient de valeur égale.

Au regard de l’ensemble des salaires des conseillers chez ESA, l’expert a fixé un salaire moyen à l’embauche d’un montant de CHF 4’500, pondéré par une augmentation moyenne de CHF 37.41 par mois. L’expert a ainsi retenu une grande disparité des augmentations salariales, constatant des augmentations rapides données aux autres salariés, tandis que T n’avait bénéficié que d’une maigre augmentation, en dépit de sa fidélité. Retenant une différence de salaire de 11.27% inférieur pour T par rapport aux hommes conseillers, l’expert a estimé que «le manque à gagner» par T était équivalent à CHF 23’733.35 auquel il fallait ajouter une prime de fidélité de CHF 1’300, donc une somme totale de CHF 25’033.35 arrondis à CHF 25’000.-

En l’espèce, la Cour d’appel a considéré que l’allégation de disparité des salaires alléguée par T. avait été rendue vraisemblable par l’expertise sollicitée par la Cour d’appel. Se fondant sur les quatre éléments susmentionnés par l’expertise, elle a considéré que les fonctions exercées étaient comparables entre T et ses collègues masculins, et que leurs travaux effectués étaient également de valeur égale.

Absence de motifs objectifs

La Cour d’appel a considéré qu’en l’absence de motifs objectifs, la différence salariale entre T et ses collègues masculins ne se justifiait pas. En effet, ESA n’avait pas apporté la contre-preuve, imposée par l’art. 6 LEg, justifiant une différence de traitement. En particulier, ni la formation universitaire, ni les connaissances linguistiques, ne constituaient des motifs objectifs pouvant justifier une différence de salaire, car ces critères n’étaient pas indispensables à l’exécution des tâches requises. A ce même titre, l’entreprise n’étant pas informatisée à l’époque, les connaissances informatiques des employé-e-s n’étaient pas relevantes.

ESA ne pouvait non plus se prévaloir de l’expérience professionnelle pour justifier le versement d’un salaire moins important à T, puisqu’il a été établi que le salaire de D, sans aucune expérience préalable dans la branche, était supérieur à celui de T.

Indemnité selon l’art. 5 al. 1 LEg

Ainsi, retenant une différence de salaire non justifiée par des critères objectifs, et se fondant sur la méthode de calcul appliquée par l’expert, la Cour d’appel a ainsi retenu la somme totale de CHF 23’733.35, à laquelle il convenait de rajouter la somme de CHF 2’243 au titre de différence liée au 13ème salaire. Ainsi, la Cour d’appel a arrêté le montant du préjudice subi à la somme totale de CHF 25’976.35, fondée sur l’art. 5 al.1 let.d LEg.

Indemnité selon l’art. 10 al. 4 LEg

Selon l’art. 10 al. 4 LEg, l’employé-e peut renoncer, au cours du procès, à poursuivre les rapports de travail et demander une indemnité selon l’art. 336c CO. En l’espèce, T a finalement renoncé à demander sa réintégration et a sollicité une indemnité; c’est une somme nette de CHF 16’755 que la Cour d’appel lui a accordée, équivalent à trois mois de salaire fixée à CHF 5’585.—

1Jugement du tribunal des prud’hommes du 19 janvier 2004, cause C/6628/2001-4, page 2, lettre D ; Arrêt de la Cour d’appel des prud’hommes du 7 février 2006 (CAPH/29/2006), page2 lettre D 4.
2 Arrêt de la Cour d’appel des prud’hommes, ibid., pages 2 et 3, paragraphe 6.
3 Jugement de la juridiction des prud’hommes, ibid., page 6, lettre O.
4 Jugement de la juridiction des prud’hommes, ibid., page 6, lettre Q.
5 Jugement de la juridiction des prud’hommes, Ibid., page 8, lettre X.
6 Arrêt de la Cour d’appel des prud’hommes, Ibid., page 4, lettre I.
7 Arrêt de la Cour d’appel des prud’hommes, Ibid., page 4, lettre I.
8 Arrêt de la Cour d’appel des prud’hommes, Ibid., page 4, lettre I.
9 Arrêt de la Cour d’appel des prud’hommes, Ibid., page 5, lettre J.

VD 20.02.2006
discrimination salariale

sujet

Vraisemblance de la discrimination ; notion d’inégalité de traitement

LEg

art 3, art 6

procédure

20.02.2006 Jugement du Tribunal de Prud’hommes de l’Administration cantonale.

résumé

Enseignante faisant valoir une inégalité de traitement sur le plan salarial. Absence de violation de la Loi fédérale sur l’égalité lorsqu’il n’est pas possible de rendre vraisemblable une discrimination entre hommes et femmes. Il n’y a pas non plus d’inégalité de traitement lorsque deux situations différentes sont traitées de manière différente.

en fait

Madame X. est titulaire d’une licence en biologie, d’un certificat d’études supérieures en zoologie et en biochimie et d’un doctorat ès sciences mention biologie.
Elle a travaillé en tant qu’assistante doctorante puis est partie aux Etats Unis d’Amérique où elle a été employée comme assistante post-doctorante à la division biologie ensuite comme enseignante en biologie.
De retour en Suisse, elle a travaillé comme assistante de recherche pour une société privée. Elle a également effectué deux remplacements de courte durée en qualité d’enseignante pour le compte de l’Etat de Vaud dans des établissements secondaires.

Le litige concerne la place qu’occupe Madame X. dans le Gymnase Y. en tant qu’enseignante en biologie. Sa rétribution n’a pas été fixée immédiatement.

Le Secrétariat général de l’Office du personnel enseignant a adressé à Madame X. une demande d’information en vue d’ouvrir un dossier et de rédiger un contrat de durée déterminée. Sur le formulaire joint il était notamment précisé que seuls les titres vaudois et les titres des Haute Ecole pédagogique (HEP) de Suisse étaient reconnus. Les titres d’autres cantons ainsi que les titres étrangers devaient, en revanche, faire l’objet d’une validation par la commission des équivalences pour pouvoir obtenir un contrat de durée indéterminée. En outre, en l’absence d’une formation pédagogique reconnue, Madame X. était invitée à prendre contact avec la HEP afin de prévoir une formation en fonction du profil représenté. A défaut l’engagement était limité à un maximum de deux années.

L’Etat de Vaud a adressé un contrat de travail à Madame X. Celui-ci prévoyait un engagement en qualité de maîtresse remplaçante de biologie, classe de rémunération 21-24 plus une annuité afin de tenir compte de l’expérience professionnelle de Madame X à l’Etat de Vaud. Le salaire était, en outre, réduit de 10 % compte tenu de l’absence de titre pédagogique.

Madame X. a refusé de signer ce contrat car il ne correspondait pas à ses exigences en matière de salaire.

La Directrice du Gymnase de Y. a informé Madame X. que ses expériences professionnelles dans le secteur privé ne pouvaient être prises en compte puisqu’elle n’avait pas fourni de certificat de travail correspondant. De plus, elle ne pouvait être considérée comme maître spécialiste car sa licence universitaire ne comportait qu’une seule branche, son doctorat ne pouvant entrer en considération seulement si elle obtenait une équivalence. Dès lors, son contrat ne pourrait être modifié qu’une fois ces éléments complétés et ce sans effet rétroactif.

Par conséquent, Madame X. fit parvenir ses certificats de travail et adressa à la HEP une demande d’équivalence.

L’Etat de Vaud a adressé un nouveau contrat de travail à Madame X. pour l’avenir, se basant sur la même classe mais accordant six annuités de plus afin de tenir compte de l’expérience professionnelles de Madame X. tant à l’Etat de Vaud que dans le secteur privé. Le salaire étant toutefois toujours réduit de 10 % dû à l’absence de titre pédagogique.

Madame X a également refusé de signer ce contrat.

La demande de Madame X.  auprès de la HEP ayant reçu un préavis favorable, elle fut dès lors considérée comme maîtresse auxiliaire secondaire spécialiste. Son salaire s’est vu recalculé selon la classe 24-28, auquel furent ajouté une annuité et une promotion de classe. Ce montant devait encore être réduit de 10 %.

Madame X. n’a pas non plus voulu signer ce contrat.

Par courrier adressé à la Direction de l’enseignement postobligatoire au sujet de son traitement, Madame X. faisait valoir que ses titres universitaires et son expérience professionnelle lui donnaient droit à une rémunération supérieure et ce depuis le début de son engagement. En réponse, le responsable des ressources humaines de la direction des gymnases vaudois a refusé d’entrer en matière, considérant que sa rémunération avait été correctement calculée au vu des circonstances.

Madame X. faisait de plus valoir une inégalité de traitement par rapport à certains de ses collègues. Elle a ouvert action contre l’Etat de Vaud en paiement d’une somme d’argent en réparation du fait que sa rémunération violerait le principe de l’égalité de traitement ainsi que le principe de l’égalité entre hommes et femmes.

en droit

Madame X. conclut au paiement par l’Etat de Vaud d’une somme d’argent valant complément de salaire pour la période courant depuis son engagement jusqu’au jour de l’introduction de la demande. Elle considérait que son salaire aurait dû être fixé sur la base d’une classe 28-31, subsidiairement 24-28. Elle invoquait une inégalité de traitement par rapport à ses collègues enseignant dans le Gymnase Y.

L’application du droit public aux rapports de travail entre l’Etat et ses employés a pour corollaire que l’Etat est tenu de respecter les principes constitutionnels régissant l’ensemble de son activité, telles la légalité, l’égalité de traitement ou l’interdiction de l’arbitraire.

A. Fixation de la rémunération

En matière d’évaluation des fonctions de l’administration et de leur classification, le Tribunal se limite, en général, à examiner si l’administration a respecté les principes généraux du droit administratif. Sous cette réserve, l’autorité administrative doit donc se voir reconnaître un large pouvoir d’appréciation dans le choix des critères envisageables pour la fixation de la rémunération.

Après analyse du salaire de Madame X. il est apparu que son salaire correspondait aux bases légales établies (LS, loi scolaire ; et RLS, règlement d’application de la loi scolaire) et à la fixation des conditions de rémunération arrêtées par le Conseil d’Etat.

La classification du contrat de Madame X. était correcte au vu de ses diplômes et eu égard aux exigences fixées par le Conseil d’Etat. Il n’était dès lors pas arbitraire, pour l’autorité administrative, d’exiger de Madame X. qu’elle soumette son dossier à la commission des équivalences de la HEP. Madame X. soumit donc une demande et reçut un préavis favorable, qu’elle transmit à l’Office du personnel enseignant.
Sur cette nouvelle base, la classification de Madame X. fut réévaluée. Elle fut colloquée en classe 24-28.

Cette requalification ne fut pas contestée par Madame X. Cependant, elle considérait que son traitement aurait dû être adapté non pas pour l’avenir mais dès le début de son engagement, arguant qu’elle remplissait les conditions relatives à cette classification dès le départ. Cet argument n’a pas été validé par le Tribunal. En effet, il n’était pas arbitraire de colloquer Madame X.  en classe 21-24 puisqu’ à cette période elle ne pouvait pas enseigner deux branches.

B. Egalité de traitement

Madame X. estimait que sa rémunération faisait l’objet d’une inégalité de traitement à l’égard de ses collègues enseignant au Gymnase Y. puisque ceux-ci étaient colloqués en classe 28-31.

« Une décision ou une norme viole le principe de l’égalité lorsqu’elle établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou lorsqu’elle omet de faire des distinctions qui s’imposent au vu des circonstances, c’est-à-dire lorsque ce qui est semblable n’est pas traité de manière identique et ce qui dissemblable ne l’est pas de manière différente. Il faut que le traitement différent ou semblable injustifié se rapporte à une situation de fait importante » (ATF 125 I 1 c. 2b/aa).

Dans le domaine de la rémunération des fonctions publiques, le principe selon lequel une rémunération égale doit être réservée à un travail égal ne peut être battu en brèche que pour des motifs objectifs.

En l’espèce, il y avait deux catégories de professeurs soumis à une rémunération différente de celle de Madame X. Ceux disposant d’un titre de pédagogie délivré par la HEP et ceux soumis au régime précédent bénéficiant d’un droit acquis. Madame X. ne se situait dans aucune des ces deux catégories. De fait, il était objectivement justifié que sa rémunération soit moindre. Sa situation salariale était par conséquent conforme au principe de l’égalité de traitement.

C. Egalité sous l’angle de la LEg

Madame X. soutenait, par ailleurs, être victime d’une violation de la LEg, et plus précisément une violation de l’article 3 al. 2 LEg, lequel proscrit notamment, la discrimination à l’embauche, à l’attribution des tâches, à l’aménagement des conditions de travail, à la rémunération, à la formation et au perfectionnement professionnels, à la promotion et à la réalisation des rapports de travail.

L’article 6 LEg prévoit au titre d’allégement du fardeau de la preuve que l’existence d’une discrimination est présumée pour autant que la personne qui s’en prévaut la rende vraisemblable.

En l’espèce, il n’a pas été considéré que Madame X. ait rendu vraisemblable l’existence d’une discrimination fondée sur le sexe. L’inégalité de traitement dont elle se plaignait, à savoir la collocation de ses collègues enseignant au Gymnase Y. était vérifiée tant pour des maîtres de sexe masculins que féminins.

Il n’y a donc pas eu de violation de la LEg dans la manière dont le traitement de Madame X. a été défini.

D. Effet rétroactif

Madame X. souhaitait également que son salaire recalculé puisse couvrir toute la période de son engagement. Ce à quoi s’opposait l’Office du personnel enseignant. Le Tribunal a considéré, au vu des principes de droit administratif applicables aux maîtres enseignant dans les gymnases, que les annuités ajoutées au salaire de Madame X. correspondant à ses titres universitaires et expériences professionnelles devaient être appliquées avec effet au début de l’engagement.

Résumé par Virginie Panchaud, assistante diplômée à la faculté de droit et des sciences criminelles, Université de Lausanne, IDAT, sous la supervision du Prof. Rémy Wyler.

GE 27.02.2006
harcèlement sexuel

LEg

art 4

procédure

27.02.2006Jugement du Tribunal des prud'hommes

en fait

T a été engagée, à compter du 19 mars 2004, en qualité de vendeuse par la société E_SA, exploitante de diverses boutiques, dont une à Genève.

Le 28 mars 2005, E_SA a notifié à T son licenciement avec effet au 31 mai 2005.

En date du 6 avril 2005, T a envoyé, par l’intermédiaire de son syndicat, une lettre s’opposant à son licenciement. E_SA a contesté cette opposition.

T a été en incapacité de travail du 31 mars 2005 au 30 juin 2005.

Le 25 avril 2005, T a saisi le greffe de la Juridiction des prud’hommes d’une demande tendant au paiement par E_SA de la somme de CHF 37’484.30.

Les arguments à l’appui de la demande de T étaient que, à son retour de vacances d’été 2004, le chef de vente, J, lui aurait déclaré ses sentiments, aurait insisté dans ses avances suite à son refus et l’aurait insultée.
Après plusieurs modifications de ses prétentions, la demande de T s’est finalement élevée à CHF 35’241.51, soit: CHF 31’200.- à titre d’indemnité pour harcèlement sexuel et tort moral, CHF 3’166.56 à titre d’indemnité de vacances pour 2005 et CHF 875.95 à titre de rémunération pour heures supplémentaires.

Plusieurs témoins furent entendus durant la procédure. Ils rendirent compte du fait que T rencontrait des difficultés avec K, sa gérante.

J, le chef de vente, a pour sa part reconnu avoir éprouvé des sentiments pour T, précisant que T lui aurait dit ne pas y être insensible.

Certains témoins ont qualifié J de très sociable et ouvert, parfois un peu trop, mais globalement apprécié de ses collègues. D’autres ont fait remarqué que J s’adressait à ses collègues de manière vulgaire, exprimant des propos pas toujours appropriés au monde professionnel et qu’il se montrait parfois collant.

T, entendue également comme témoin, a confirmé s’être plainte de K, sa gérante, mais jamais de J auprès de ses supérieurs car elle ne voulait pas qu’il ait des ennuis.

Au vu de ces témoignages, le Tribunal des prud’hommes a estimé que T n’avait pas prouvé avoir été victime de harcèlement sexuel et que par conséquent, sa demande en réparation d’un tort moral pour harcèlement sexuel devait être rejetée. Ses autres prétentions ont également été rejetées.

en droit

L’article 328 du Code des obligations (ci-après: CO) impose à l’employeur ou l’employeuse l’obligation de protéger et respecter, dans les rapports de travail, la personnalité de ses employé-e-s. Le harcèlement sexuel est un cas particulier d’atteinte à la personnalité au sens de l’article 328 CO. En vertu de l’article 4 de la loi fédérale sur l’égalité entre hommes et femmes est considéré comme harcèlement sexuel «tout comportement importun de caractère sexuel ou tout autre comportement fondé sur l’appartenance sexuelle, qui porte atteinte à la dignité de la personne sur son lieu de travail, en particulier le fait de proférer des menaces, de promettre des avantages, d’imposer des contraintes ou d’exercer des pressions de toute nature sur une personne en vue d’obtenir d’elles des faveurs de nature sexuelle».

La violation des règles prévues à l’article 328 CO entraîne l’obligation pour l’employeur ou l’employeuse de réparer le préjudice matériel et le tort moral causés par sa propre faute ou par celle d’un-e autre employé-e.

Les conditions suivantes doivent être réunies pour qu’il y ait lieu à indemnisation: une violation du contrat consécutive à une atteinte illicite à la personnalité, un tort moral, une faute, un lien de causalité naturelle et adéquate entre la violation du contrat et le tort moral, et l’absence d’autres formes de réparation.

En l’espèce, et au vu des témoignages recueillis, le Tribunal retient que rien n’indique que T a été victime de harcèlement sexuel de la part de J.

Le Tribunal relève en outre l’absence de plainte de T pour le harcèlement prétendument subi avant l’assignation en justice de E_SA.

Il note également qu’il est étonnant que T ait accepté de faire un voyage seule en voiture avec J en mars 2005 alors qu’elle fait aujourd’hui valoir qu’elle a été victime de harcèlement sexuel de la part de J depuis septembre 2004.

Au vu de ce qui précède, le Tribunal considère que T «n’a apporté aucun commencement de preuve, ni de l’existence d’un quelconque comportement susceptible d’être constitutif de harcèlement sexuel, ni de celle d’un quelconque tort moral subi.»1 Or, en matière de harcèlement sexuel, le fardeau de la preuve incombe à la victime.

T n’ayant pas réussi à prouver le harcèlement sexuel, le Tribunal n’examine pas les autres conditions de réparation du tort moral et rejette la demande de T.

  • 1 Jugement du Tribunal des prud’hommes du 27 février 2006, point 3b

GE 27.02.2006
harcèlement sexuel

LEg

art 4, art 12

procédure

10.01.2005Jugement du Tribunal des prud'hommes 18.07.2005Arrêt de la Cour d'appel des prud'hommes 27.02.2006Arrêt du Tribunal fédéral sur recours en réforme (4C.321/2005) et recours de droit public (4P.2005/4P.245)

En date du 27 février 2006, le Tribunal fédéral a rendu deux arrêts, l’un sur recours en réforme, l’autre sur recours de droit public. Alors que le premier concernait essentiellement l’invocation de griefs relatifs au droit du travail, le deuxième a été rendu sous l’angle de l’appréciation arbitraire des preuves et du droit d’être entendu.

Pour une compréhension directe de la portée des jurisprudences du TF dans l’affaire susmentionnée, lire les arrêts.

en droit

Les éléments de cette affaire, relatifs à la LEg ont été résumés ci-après.

La personne se prévalant d’un cas de harcèlement sexuel doit apporter au moins, des indices objectifs suffisants pour que les faits allégués présentent une certaine vraisemblance, sans devoir exclure qu’ils puissent en être autrement. En l’espèce, les seuls éléments dont la Cour d’appel disposait étaient «les récriminations» [1] de l’employée invoquées dans sa demande en première instance, puis en appel. Le témoignage de la sœur de l’employée n’étant aucunement direct, il ne saurait être pris en ligne de compte. La Cour d’appel des prud’hommes a également relevé que l’employée ne s’était jamais plainte auprès de son employeur, avant le mois de décembre 2003, alors qu’elle travaillait auprès de son employeur, depuis le 30 novembre 1999, soit depuis plus de quatre ans.

Dans le cadre de son recours en réforme, la recourante s’était plainte d’une violation de l’art. 12 al. 2 LEg, en liaison avec l’art. 343 al. 3 CO [2], car la Cour d’appel avait perçu des frais de justice. Or, le TF a jugé qu’ «il ne suffit pas d’élever une prétention liée à un soi-disant harcèlement sexuel pour obtenir la gratuité de toute une procédure visant essentiellement à l’octroi de dommages-intérêts et autres indemnités dans une contestation de droit du travail d’une valeur litigieuse supérieure à 30’000» [3].

commentaire

De cette affaire, on peut tirer les conclusions suivantes:

Pour prouver un harcèlement sexuel, des preuves par indices peuvent suffire; un témoignage indirect ne constitue pas une telle preuve. Toutefois, selon une jurisprudence postérieure, datée du 19 décembre 2006 (résumé dans le GE 22), le TF a relevé que le harcèlement sexuel se passait souvent, dans le cadre professionnel, en l’absence de témoins directs ou oculaires. Ainsi, dans cette hypothèse, “les déclarations des personnes auxquelles la victime s’est confiée sont des indices probants, lorsque les témoins directs font défaut” (Paso Doble, 2007-2008, novembre 2007, page 6).

La gratuité de la procédure n’est pas liée à la simple allégation d’une discrimination sexuelle ; encore faut-il que celle-ci présente une certaine vraisemblance. Dans le recours en réforme, non seulement l’allégation ne paraissait pas vraisemblable, mais en plus elle constituait un aspect mineur du dossier.

1 Arrêt de la Cour d’appel des prud’hommes, 18 juillet 2005, cause C/617/2004-5, considérant 5.
2 ATF du 27 février 2006, 4C.321/2005, considérant 10.
3 Ibid., considérant 10.

VD 07.04.2006
discrimination salariale

sujet

maxime d’office sociale

LEg

art 1

procédure

07.04.2006Jugement incident de la Cour civile du Tribunal cantonal (CT05.012065 70/2006/PBH)

en fait

Mme R, la demanderesse, a été employée par la défenderesse depuis le 1er novembre 1984. Mme R estime avoir été licenciée pour cause de restructuration dans l’entreprise et demande le versement, à ce titre, d’une indemnité de départ correspondant à 3 semaines de salaire par année de service, à l’instar de ce qu’ont toujours touché les cadres masculins de l’entreprise dans la même situation.

La défenderesse allègue quant à elle que la raison du licenciement de la demanderesse est le transfert de son poste à l’étranger et non une restructuration. Par ailleurs, la défenderesse conteste que tous les cadres masculins aient touchés une indemnité de trois semaines de salaire par année de service en cas de licenciement pour restructuration. La défenderesse prétend que des indemnités de départ n’ont que rarement été versées et que les montants alloués, très variables, ont toujours été négociés individuellement.

Par demande déposée le 25 avril 2005 auprès de la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois, Mme R, la demanderesse, a notamment conclu au versement d’une indemnité de départ conforme au barème ci-dessus mentionné, soit CHF 160’293.75.

Plusieurs échanges d’écritures entre les parties ont ensuite eu lieu dans lesquelles chacune des parties a introduit, sous le terme de nova, de nouveaux allégués.

Par requête incidente, la défenderesse a ensuite conclu au retranchement de la procédure de certains allégués de la demanderesse. Cette dernière, lors de l’audience devant le Tribunal du 7 avril 2006, s’est opposée à la production d’une pièce par la défenderesse, à savoir une liste des employés de la défenderesse, estimant qu’il ne s’agissait pas d’une preuve nécessaire à l’établissement de la vérité, et a conclu au rejet de la requête incidente de la défenderesse. La demanderesse a encore sollicité l’autorisation d’introduire certains allégués comme nova et requis la production par la défenderesse de plusieurs documents.

Par jugement incident du 7 avril 2006, la cour civile du Tribunal cantonal a rejeté la requête incidente de la défenderesse en tant qu’elle concluait au retranchement de certains allégués de la demanderesse et l’a admise partiellement en tant qu’elle visait à introduire certains allégués. La requête de la demanderesse du 7 avril 2006 a, quant à elle, été admise en tant qu’elle demandait l’introduction de certains allégués dans la procédure et la production de certaines pièces par la défenderesse. Des délais ont été fixés aux deux parties pour produire leurs allégués et pièces ainsi que pour se prononcer sur les allégués et pièces de sa partie adverse.

en droit

Sur le fond, le litige opposant les parties est un conflit du droit du travail relevant de la loi fédérale sur l’égalité (ci-après LEg). La demanderesse estime avoir été victime d’une discrimination entre hommes et femmes dans l’octroi de l’indemnité de départ.

Toutefois avant de régler le fond du litige, le Tribunal doit se pencher sur une question de procédure, à savoir l’introduction en cours de procédure de nouveaux allégués par une partie et refusée par la partie adverse.

Le Tribunal s’est prononcé en faveur de l’introduction d’allégués ou offres de preuve tardifs, dans la mesure où ils revêtent une importance pour l’établissement des faits, au nom de la maxime d’office.

L’article 343 du Code des obligations (ci-après CO), qui est applicable indépendamment de la valeur litigieuse, prévoit que la maxime d’office, c’est-à-dire que le juge établit d’office les faits et apprécie librement les preuves, est appliquée. Il ressort par ailleurs de l’article 1 LEg que le but de cette loi est de promouvoir dans les faits l’égalité entre femmes et hommes. Or, cet objectif de politique sociale, d’intérêt public, implique que l’on ne peut pas laisser aux parties à la procédure, la tâche de réunir les éléments du procès mais qu’il appartient au juge de s’assurer lui-même que les faits sont établis de façon conforme à la réalité. Les parties sont bien entendu tenues de collaborer, soit d’alléguer les faits à l’origine du litige et d’indiquer leurs moyens de preuve. Le juge doit donc fonder sa décision sur tous les faits pertinents établis, qu’ils aient été ou non allégués par les parties.

Le présent jugement relève encore que «la maxime inquisitoire ne vise pas seulement à protéger la partie économiquement et socialement la plus faible, mais aussi à réaliser dans les faits l’égalité entre hommes et femmes (art.1 LEg)». Il faut donc admettre que le juge ne peut exclure des allégués en raison de leur tardiveté s’ils sont importants pour l’établissement des faits.

Cependant, en droit vaudois, l’article 17 alinéa 2 de la loi sur la juridiction du travail (ci-après LJT) renvoie aux articles 336 et 343 du code de procédure civile (ci-après CPC), qui interdit toute allégation nouvelle après le dépôt de la réponse. Cette disposition est ainsi en contradiction avec le droit fédéral et ne peut s’appliquer telle quelle in casu.

Le juge estime, dans le cas présent, que les allégués dont la production a été contestée par les parties revêtent une importance primordiale pour l’établissement des faits de la présente cause et que, en vertu de la maxime inquisitoire, laquelle prévaut dans la présente procédure, on ne saurait les écarter sous prétexte qu’ils ont été tardivement allégués. Par ailleurs, et toujours afin d’établir les faits, le juge ordonne à la défenderesse de produire certaines pièces.

En conclusion, la requête incidente de la défenderesse visant au retranchement de la procédure de certains allégués est rejetée. La requête de la demanderesse formée lors de l’audience du 7 avril 2006 est admise en tant qu’elle demande l’introduction de certains allégués dans la procédure et la production de certaines pièces par la défenderesse.

GE 22.05.2006
harcèlement sexuel
licenciement discriminatoire

sujet

ambiance de travail «familière»

LEg

art 4, art 5

procédure

07.03.2005Jugement du Tribunal des prud’hommes 10.01.2006Arrêt de la Cour d’appel des prud’hommes 22.05.2006Arrêts du Tribunal Fédéral sur recours en réforme et sur recours de droit public (4C.60/2006 et 4P.48/2006)

en fait

Mme T, la demanderesse, a été engagée par E SA, la défenderesse, en qualité d’employée de bureau/réceptionniste dès le 1er octobre 1999. Très vite, M. A, dirigeant de E SA, prit des habitudes très familières avec Mme T : entre autres, il l’appelait «ma petite», «ma grande», «chouchou», «ma chérie», «ma petite T» et lui imposait des tâches dégradantes à son service personnel. En 2003, un entretien sollicité par Mme T, afin de faire valoir ses griefs à l’encontre de M. A a été refusé par E SA, estimant que M. A n’avait pas un comportement inadéquat. Par pli du 24 février 2004, Mme T somma E SA de prendre les mesures adéquates afin que cesse les pressions psychologiques et les actes de harcèlement sexuel dont elle s’estimait victime. E SA a, par lettre du 4 mars 2004, licencié Mme T pour le 31 mai 2004. Donné durant une période d’incapacité de travailler, la nullité de ce congé fut invoquée ; un nouveau congé, auquel Mme T s’opposa, lui fut notifié le 1er avril pour le 30 juin 2004, avec libération de l’obligation de travailler.

Le 3 mai 2004, Mme T a saisi le Tribunal des prud’hommes du canton de Genève concluant à ce que E SA lui verse la somme de CHF 32’502.— à titre d’indemnité pour harcèlement sexuel et CHF 15’000.— à titre de congé représailles. Dans sa demande, Mme T indiquait que le climat de travail était progressivement devenu un enfer : petits surnoms, courses personnelles, insultes, commentaires sexistes et grossiers, attouchements physiques ; en outre un entretien direct avec E SA lui avait été refusé. E SA, tout en admettant le dernier point relevé, a contesté tous les reproches formulés par Mme T et a conclu au rejet de sa demande dans sa totalité.

Par jugement du 7 mars 2005, le Tribunal des Prud’hommes a condamné la société E SA à verser Mme T la somme nette de CHF 31’251.— , soit CHF 16’251.— correspondant à 3 mois de salaire moyen suisse à titre d’indemnité pour le tort moral subi (harcèlement sexuel) et CHF 15’000.—, correspondant à 6 mois de salaire à titre d’indemnité pour congé abusif.

Le Tribunal des prud’hommes a, en résumé, estimé que les conditions des articles 4 et 5 de la loi fédérale sur l’égalité (ci-après LEg) étaient réalisées en l’espèce et que E SA avait violé les obligations prévues par l’article 328 du code des obligations (ci-après CO). L’article 328 CO prévoit en effet que l’employeur-euse doit protéger le/la travailleur-euse contre toute atteinte à sa personnalité, en particulier, il/elle doit veiller à ce que les travailleur-euse-s ne soient pas harcelé-e-s sexuellement. L’article 4 LEg précise ce qu’on entend par comportement discriminatoire : «… tout comportement importun de caractère sexuel ou tout autre comportement fondé sur l’appartenance sexuelle, qui porte atteinte à la dignité de la personne sur son lieu de travail, en particulier le fait de proférer des menaces, de promettre des avantages, d’imposer des contraintes ou d’exercer des pressions de toute nature sur une personne en vue d’obtenir d’elle des faveurs de nature sexuelle». En vertu de la jurisprudence, entrent dans cette définition tous les comportements importuns de caractère sexuel, soit également ceux qui contribuent à rendre le climat de travail hostile, par exemple des plaisanteries déplacées, des commentaires grossiers ou embarrassants. Celui qui invoque être victime de harcèlement sexuel doit prouver que son/sa employeur-euse a violé son devoir de protéger la personnalité du/de la travailleur-euse. A noter que la LEg prévoit, pour les discriminations autres que harcèlement sexuel et à l’embauche, le principe de l’allègement du fardeau de la preuve, ce qui signifie que l’existence d’une discrimination est présumée dès que la victime l’a rend vraisemblable.

En l’espèce, le Tribunal a admis que, en faisant notamment usage de petits noms pour s’adresser à Mme T, M. A a dépassé les limites de ce que Mme T entendait tolérer. En outre, malgré le malaise de Mme T, malaise constaté par E SA, M. A a persisté dans ses actes et E SA a refusé d’intervenir. Sur cette base, le Tribunal a considéré que les conditions des articles 4 et 5 LEg étaient réalisées et que Mme T avait droit à une indemnité. Le montant de l’indemnité, lequel doit être fixé en tenant compte de toutes les circonstances du cas et ne peut pas dépasser l’équivalent de 6 mois de salaire moyen suisse, a été arrêté à 3 mois, soit CHF 16’251.—. Le Tribunal a en outre considéré que le congé adressé à Mme T était abusif (congé représailles) au sens de l’article 336 CO dès lors qu’il avait été donné en raison des démarches entreprises et des griefs soulevés par Mme T contre E SA. A ce titre, le Tribunal lui a alloué une indemnité équivalent à 6 mois de salaire, soit CHF 15’000.—.

Sur appel de E SA et sur appel incident de Mme T, la Cour d’appel des prud’hommes, par arrêt du 10 janvier 2006, a annulé la décision du Tribunal et a condamné E SA à verser à Mme T la somme de CHF 15’000.—, et a débouté les parties pour le surplus.

La Cour a essentiellement retenu, en fait, qu’une ambiance très familière régnait au sein de E SA et que tout le monde y trouvait son compte ! La Cour a également considéré que les petits noms utilisés par M. A ne procédaient pas d’une intention malveillante et n’étaient pas destinés à choquer Mme T. Par ailleurs, la preuve d’attouchements, d’insultes, de commentaires sexistes et grossiers n’a, selon la Cour, pas été établie. La Cour a donc retenu que Mme T n’avait pas prouvé la réalité du harcèlement sexuel dont elle prétendait avoir été victime et a annulé le jugement du Tribunal sur ce point. En d’autres termes, aucune indemnité n’a été allouée à Mme T par la Cour. La Cour a ensuite considéré que le congé avait été donné par E SA parce que Mme T s’était plainte d’être victime de harcèlement sexuel et a dès lors suivi le Tribunal des prud’hommes en ce qu’il avait considéré le congé comme abusif. Que les accusations de Mme T soient ou non fondées n’y changent rien. En outre, la Cour a suivi le Tribunal dans la fixation de l’indemnité et a condamné E SA à payer CHF 15’000.— à Mme T à ce titre.

Le Tribunal Fédéral, par arrêt du 22 mai 2006, a rejeté tant le recours en réforme de la demanderesse que celui de la défenderesse.

en droit

Ndlr: Le TF, dans le cadre d’un recours en réforme, est, sous réserve de quelques rares exceptions (articles 63 et 64 loi fédérale d’organisation judiciaire), lié par les faits contenus dans la décision attaquée. Hormis ces exceptions, le/la recourant-e ne peut présenter de griefs contre les constatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve nouveaux.

Au vu des faits retenus par la Cour d’appel des prud’hommes, il a estimé que l’instance inférieure n’a pas violé les articles 328 CO et 4 LEg en niant l’existence d’un harcèlement sexuel. Le TF a ensuite confirmé le caractère abusif du congé signifié à Mme T par E SA dès lors que les prétentions émises par Mme T étaient le motif principal du congé. S’agissant du montant de l’indemnité, le TF a estimé que la Cour n’avait pas abusé de son large pouvoir d’appréciation, et a confirmé l’arrêt de la Cour sur ce point également.

Un recours de droit public pour appréciation arbitraire des preuves déposé par E SA a également été rejeté par le TF.

GE 19.12.2006
harcèlement sexuel
licenciement discriminatoire

sujet

preuve du harcèlement sexuel par témoignages et indices

LEg

art 4

procédure

10.01.2006Jugement du Tribunal des prud’hommes 10.08.2006Arrêt de la Cour d’appel des prud’hommes 19.12.2006Arrêt du Tribunal fédéral (4P.214/2006)

En date du 19 décembre 2006, le Tribunal fédéral a rendu un arrêt sur recours de droit public concernant une affaire dont avaient été saisies les instances genevoises. Cet arrêt concerne le droit d’être entendu et l’interdiction de l’arbitraire dans l’appréciation des preuves et dans l’établissement des faits.

en fait

Y a été engagé par la société X à compter du 1er juillet 2003. En date du 7 mars 2003, il a reçu une attestation d’engagement comme «Country Manager» auprès de cette société; aucun contrat écrit n’a été établi.

A son entrée en fonction, soit le 1er juillet 2003, Y fut informé qu’il ne serait pas «Country Manager» comme prévu initialement, mais «Station Manager». Cette modification était due au fait que A, l’une des directrices de la société X, suite à des problèmes personnels, n’avait pas réduit son temps de travail comme envisagé.

A partir du mois de septembre 2003, les employés de la société X ont constaté que des divergences professionnelles opposaient Y et la direction de la société X.

Au mois de septembre ou octobre 2003, Y a pris contact avec une spécialiste en ressources humaines afin de lui faire part des problèmes rencontrés avec sa directrice, soit notamment qu’il se sentait agressé, voir harcelé sexuellement: «sa directrice tentait de l’embrasser et l’avait une fois plaqué contre le mur à cette fin. Il a également fait état de griffures sur le torse, sans les montrer; il a fait lire à la spécialiste consultée un SMS de sa directrice à caractère coquin, sexuel.» 1.

Les collègues de Y n’ont cependant pas remarqué que Y aurait été victime de harcèlement sexuel. Cependant lors d’un déjeuner d’affaires au mois d’août 2003, un client potentiel, que Y connaissait, a été surpris par la teneur des propos de A, qu’il a qualifiés de «chauds», à connotation sexuelle.

A l’occasion d’un repas avec des camarades d’études, dont faisait partie D, ancienne collègue de Y, celui-ci a indiqué être victime de harcèlement sexuel de la part de sa directrice, «qui lui faisait des avances à caractère sexuel, doublées d’une relation de pouvoir» 2 et qu’il avait peur de perdre son emploi s’il refusait ses avances.

Il a été établi par les enquêtes que «A négligeait régulièrement les obligations découlant de sa fonction de directrice, déconsidérait ses employés ou procédait par règlements de comptes.» 3

En date du 28 novembre 2003, la société X a résilié le contrat de travail de Y avec effet au 31 décembre 2003, le libérant de son obligation de travailler. Les motifs invoqués du licenciement étaient les suivants: un manque de communication, un manque d’intérêt pour son travail, une attitude négative pour le personnel et que l’absence de réalisation des projets annoncés. Le 9 décembre 2003, Y s’est opposé à son congé estimant qu’il était abusif.

Y a été en incapacité complète de travail du 1er décembre 2003 au 31 décembre 2004, puis en incapacité partielle (50%) du 1er janvier 2005 au 31 mars 2005. Selon les indications du médecin de Y, ce dernier se plaignait de harcèlement sexuel et psychologique de la part de sa directrice, soit des avances puis des agressions physiques. Y avait expliqué que sa directrice l’avait plaqué contre le mur et s’était assise sur lui en mimant une copulation. «Le médecin a constaté que Y était dans un état d’agitation peu ordinaire, dépressif et insomniaque». 4

Le 11 mars 2004, Y a saisi le Tribunal des prud’hommes du canton de Genève concluant à ce que la société X lui verse, notamment les sommes de CHF 66’450.— à titre d’indemnité pour licenciement abusif et CHF 20’000.— pour tort moral.

Il ressort du rapport d’expertise psychiatrique du 5 septembre 2005, expertise ordonnée par le Tribunal des prud’hommes, que Y avait été victime d’un épisode dépressif majeur manifesté de façon assez brutale en décembre 2003. Il avait présenté des symptômes caractéristiques des états de stress post-traumatiques. L’expert précise qu’ «un état anxieux et dépressif fait partie des symptômes habituellement observés chez les victimes de diverses formes de harcèlement.» 5

Par jugement du 10 janvier 2006, le Tribunal des Prud’hommes a admis le caractère abusif du licenciement de Y et a condamné la société X à lui verser, à ce titre, la somme de CHF 74’311.20 nets, équivalant à 6 mois de salaires, ainsi que CHF 10’000.— nets pour tort moral.

La Cour d’appel de la juridiction des prud’hommes, statuant sur appel de X, a confirmé, par arrêt du 10 août 2006, l’indemnité pour congé abusif ainsi que celle pour tort moral. Elle a toutefois annulé le jugement sur un point, la somme de CHF 74’311.20 doit être comprise brute et non pas nette.
Sur recours de droit public de la société X, le Tribunal fédéral a estimé que la décision de la Cour d’appel des prud’hommes n’était pas arbitraire et a rejeté le recours.

en droit

Par son recours de droit public auprès du Tribunal fédéral, la société X se plaint d’arbitraire dans l’appréciation des preuves et dans l’établissement des faits.

«Selon la jurisprudence, une décision est arbitraire au sens de l’article 9 de la constitution lorsqu’elle est manifestement insoutenable, qu’elle méconnait gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté, ou lorsqu’elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l’équité; il ne suffit pas qu’une autre solution paraisse également concevable, voire préférable; pour que la décision soit annulée, encore faut-il qu’elle se révèle arbitraire, non seulement dans ses motifs, mais aussi dans son résultat.

S’agissant de l’appréciation des preuves et des constatations de fait, l’autorité tombe dans l’arbitraire lorsqu’elle ne prend pas en compte, sans aucune raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu’elle se trompe manifestement sur son sens ou sa portée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments recueillis, elle en tire des constatations insoutenables. Il appartient au recourant d’établir la réalisation de ces conditions en tentant de démontrer, par une argumentation précise, que la décision incriminée est insoutenable. Lors de son examen, le Tribunal fédéral base son arrêt sur les faits constatés dans la décision attaquée, à moins que le recourant ne démontre que la cour cantonale a retenu ou omis certaines circonstances déterminantes de manière arbitraire.» 6

Dans le cas présent, le Tribunal fédéral a estimé que l’appréciation de la cour cantonale, laquelle était convaincue que Y avait été harcelé psychologiquement et sexuellement par A, en se basant sur des témoignages indirects et sur une expertise, n’est pas arbitraire. En effet, dans ce domaine les témoignages directs existent rarement et il est dès lors tout à fait soutenable de se fonder sur des indices, notamment sur les témoignages de personnes auxquelles la victime se serait confiée.

In casu, les témoins entendus se sont tous montrés convaincus de la réalité des faits relatés par Y et les conclusions de l’expert sont les mêmes que celles auxquelles avaient abouti, au moment des faits, le médecin traitant de Y.

Les juges cantonaux ont ensuite considéré que les reproches avancés par la société X à l’encontre de Y n’ont pu être prouvés et que les motifs de licenciement n’étaient que des prétextes pour les raisons suivantes:

Les juges fédéraux sont arrivés à la conclusion que ces considérations échappent à tout arbitraire.

La société X soutient encore que l’arrêt attaqué est arbitraire dans son résultat car elle estime que le montant au versement duquel elle a été condamnée (CHF 84’311,20) est disproportionné avec la durée des rapports de travail (5 mois). Les juges fédéraux rappellent à ce propos que la fixation de l’indemnité pour congé abusif ressort du pouvoir d’appréciation du juge. Or, le point de savoir si le juge a ou non excédé son pouvoir d’appréciation en fixant cette indemnité relève du droit fédéral (article 336a alinéa 2 du code des obligations) qui ne peut être examinée dans le cadre d’un recours de droit public. Ce grief aurait pu être examiné dans le cadre d’un recours en réforme, voie de droit qui n’a pas été utilisée par la société X. Il en va de même du grief de la société X, au terme duquel les juges cantonaux auraient déplacé le fardeau de la preuve de façon inadmissible, qui relève également du droit fédéral (article 8 du code civil).

Pour tous ces motifs, le Tribunal Fédéral, par arrêt du 19 décembre 2006, a rejeté le recours de droit public de la société X.

1 ATF 4P.214/2006, let A § 11
2 ATF 4P.214/2006, let A § 12
3 ATF 4P.214/2006, let. A § 6
4 ATF 4P.214/2006, let. A § 17
5 ATF 4P.214/2006, let. B § 2
6 ATF 4P.214/2006, consid. 2.1

GE 05.02.2007
harcèlement sexuel

sujet

climat de travail hostile
frais de procédure devant le TF

LEg

art 4

procédure

19.08.2005Jugement du Tribunal des prud'hommes 19.06.2006Arrêt de la Cour d'appel des prud'hommes 05.02.2007Arrêt du Tribunal fédéral sur recours en réforme (4C.289/2006) 05.02.2007Arrêt du Tribunal fédéral sur recours de droit public (4P.197/2006)

En date du 5 février 2007, le Tribunal fédéral a rendu deux arrêts, l’un sur recours en réforme, l’autre, suite à un recours de droit public, concernant une même affaire, dont avaient été saisies les instances genevoises.

Alors que le premier a été rendu sous l’angle du droit du travail et de la loi fédérale sur l’égalité, du 24 mars 1995 (LEg), le deuxième concerne plus particulièrement le droit d’être entendu et l’interdiction de l’arbitraire dans l’appréciation des preuves et de l’établissement des faits, griefs invoqués dans le recours joint.

en fait

En résumé, l’état de faits était le suivant. Dès le mois de septembre 2002, ESA a engagé Mme T, en tant qu’assistante à plein temps. T avait été introduite par une connaissance, Monsieur A, également employé par le même entreprise. Compte tenu du lieu du travail et des distances par rapport à l’endroit où elle habitait, T est venue s’installer chez A.

Dans un premier temps, T a travaillé sous les ordres de B, et travaillait en étroite collaboration avec A ; son poste consistait en un travail de secrétariat, tout en s’initiant au fonctionnement d’un logiciel informatique. En raison de tensions apparues entre T et A, celle-ci a quitté l’appartement de ce dernier à une date indéterminée.

En substance, la source de conflits était la suivante. Selon A, T refusait de recevoir, de sa part, des instructions pour l’exécution de son travail. Quant à T, elle a reproché à A de la harceler, par l’installation ostensible sur son écran d’ordinateur d’icônes ou de femmes nues, et en tenant de façon permanente en sa présence, des propos à connotation sexuelle.

Après plusieurs semaines de congé maladie, T a repris son travail à 50 % dès le 15 mai 2003. Souffrant de troubles alimentaires, l’employée soutient avoir perdu à cette époque près de 16 kilos.

Suite à l’affichage du 17 juin 2003, en plusieurs endroits de l’entreprise, d’un courriel de T indiquant qu’elle travaillait « dans une boîte de fous », ne respectant que ses bénéfices et non ses employé-e-s, T a été licenciée par ESA pour le 31 juillet 2003. En raison d’un certificat médical attestant de l’incapacité de travailler de T entre le 11 juillet au 12 septembre 2003, le délai de congé a été reporté au 30 septembre 2003.
Saisissant la Tribunal des prud’hommes du canton de Genève, T a assigné ESA en paiement de CHF 25’800.— pour congé abusif, et de CHF 50’000 pour harcèlement psychologique et sexuel. Il ressort notamment des enquêtes que B savait que T ne voulait pas recevoir d’ordres de la part de A, et tout en connaissant la relation difficile entre A et T, B n’en a pas fait part à la direction. Par jugement du 19 août 2005, la juridiction cantonale a condamné ESA à payer CHF 4’000.— net, en retenant le grief du harcèlement sexuel, avec intérêt à 5 % dès le 23 décembre 2003.

Sur appel des deux parties, la Cour d’appel de la juridiction des prud’hommes (ci-après : la Cour) a retenu, dans ses considérants, le grief de l’interdiction du harcèlement sexuel, et rejeté l’argumentation de licenciement pour congé abusif. Ainsi par arrêt du 19 juin 2006, la Cour a modifié le jugement de première instance, en condamnant ESA à payer à T la somme de CHF 12’000.— net avec intérêt à 5 %, à compter du 23 décembre 2003.

Par arrêts du 5 février 2007, le TF a rejeté tant le recours en réforme que le recours de droit public interjetés par ESA.

en droit

La jurisprudence rendue par notre Cour suprême dans ses deux arrêts précités est remarquable à plusieurs égards.

Premièrement, le Tribunal fédéral a rappelé que «les remarques sexistes et les commentaires grossiers ou embarrassants rentrent dans la définition de harcèlement sexuel»[1], au sens de l’article 4 LEg.

Il a en outre précisé que l’article 4 LEg ne contient pas une énumération exhaustive des cas de harcèlement, et que les exemples cités dans l’article se réfèrent à des comportements discriminatoires et révélant des cas d’abus d’autorité.

D’autres actes non énumérés et ne relevant pas d’un cas d’abus d’autorité peuvent porter atteinte à la dignité du travailler, lorsqu’ils contribuent à créer un «climat de travail hostile», par exemple par des «plaisanteries déplacées» ou «l’affichage de photos indécentes» [2].

Deuxièmement, le Tribunal fédéral a rappelé que «la LEg ne traite que de la responsabilité de l’employeur et de l’employeuse et non de celle de l’auteur-e du harcèlement sexuel» [3], régie par les articles 41 et ss du Code des obligations, du 30 mars 1911 (CO). Le devoir de diligence imposée aux employeurs et employeuses doit d’examiner à la lumière de l’article 328 CO, selon lequel ceux-ci doivent non seulement s’abstenir de porter atteinte à la personnalité de leur employé-e-s, mais sont également tenus de protéger leur personnel contre les atteintes émanant de supérieur-e-s hiérarchiques, de collègues ou de tiers[4].

En l’espèce, le Tribunal fédéral a jugé que la connaissance par B de la situation de harcèlement subie par T était imputable à ESA, et que celle-ci n’avait donc pas apporté la preuve libératoire de l’article 5, al. 3 LEg. En effet, faute d’avoir pris des mesures commandées par l’expérience, appropriées aux circonstances et que l’on pouvait raisonnablement exiger de ESA, la connaissance par B de la situation subie par T lui est donc imputable.

Enfin, dans le cadre de son arrêt rendu sur recours de droit public [5], le Tribunal fédéral a précisé ceci. Conformément à la nouvelle teneur du chiffre 1 de l’annexe de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF), en vigueur depuis le 1er janvier 2007, l’article 12 al.2 LEg ne prévoit plus la gratuité de la procédure, indépendamment de la valeur litigieuse devant toutes les instances, mais seulement devant les tribunaux cantonaux. Ainsi, pour tout acte cantonal rendu en dernière instance après le 1er janvier 2007, et porté en procédure devant le Tribunal fédéral, les procédures sont désormais régies par la LTF. Dans cette hypothèse, la procédure n’est pas gratuite, mais le montant maximal des frais judiciaires est en principe limité à CHF 1’000.—.

  • [1]ATF du 5 février 2007, 4C.289/2006/ech, consid. 3.1.
  • [2]Ibid., consid.1
  • [3]Ibid., consid. 4.1.
  • [4]Karine Lempen, Aperçu de la jurisprudence relative au harcèlement sexuel sur le lieu de travail, AJP/PJA 11 2006, p. 1408.
  • [5]ATF du 5 février 2007, 4P.197/2006, ech, consid. 6

GE 09.02.2007
harcèlement sexuel

LEg

art 4, art 5

procédure

16.05.2006Jugement du Tribunal administratif 09.02.2007Arrêt du Tribunal fédéral (2A.404/2006)

en fait

Le 1er octobre 1986 X a été engagée à l’office W en qualité de secrétaire 1. Le 23 août 1989, elle a été nommée fonctionnaire puis promue secrétaire 2 le 2 mars 1990.

En date du 12 janvier 2001, X a déposé une plainte pour harcèlement sexuel et psychologique contre l’un de ses anciens chefs de service. Suite à une enquête interne, l’Office du personnel de l’Etat du canton de Genève a jugé la plainte de X infondée et un arrêté dans ce sens a été rendu; cet arrêté n’a pas été contesté.

Le 1er octobre 2001, X a été transférée auprès de Y, rattaché à un autre département de l’Etat de Genève. Une année plus tard, Z est devenu administrateur de Y.

Suite à un différend d’ordre professionnel, les relations entre X et Z se sont dégradées dès le mois de mars 2003 et X a alors demandé au directeur d’Y d’intervenir. Les rapports de service entre Z et l’Etat de Genève ont pris fin le 31 août 2003.

X, ayant demandé que des mesures adéquates de protection de sa personnalité soient prises par son employeur, a été transférée à la Direction générale de U avec effet au 1er juin 2004.

X a par ailleurs demandé que l’Etat de Genève lui verse une indemnité de CHF 25’000.— fondée sur les articles 4 et 5 de la LEg. Le 3 février 2004, le Département cantonal a refusé d’entrer en matière sur la demande de X.

En date du 8 mars 2005, X a saisi la juridiction des prud’hommes d’une demande de constatation de harcèlement sexuel et à la condamnation de l’Etat de Genève au versement de la somme de CHF 32’085.— pour harcèlement sexuel et tort moral. La cause n’a pas pu être conciliée, X a dés lors saisi le Tribunal administratif du canton de Genève.

Le Tribunal administratif, par arrêt du 16 mai 2006, a rejeté tant l’action en constatation que la demande en paiement de X. Il a estimé que X n’avait pas été victime de harcèlement sexuel au sein de Y et qu’elle n’avait dès lors pas droit à une indemnité à ce titre.

Le Tribunal fédéral a rejeté le recours de droit administratif interjeté par X dès lors qu’il a estimé que la décision du Tribunal administratif n’avait pas violé le droit fédéral.

en droit

En date du 16 mai 2006, X a interjeté un recours de droit administratif au Tribunal fédéral contre l’arrêt du Tribunal administratif, en reprenant les mêmes conclusions que dans sa demande auprès de l’instance cantonale.

En vertu de l’article 3 al. 1 LEg, il est interdit de discriminer les travailleurs à raison du sexe.

L’article 4 LEg donne une définition du harcèlement sexuel: «Par comportement discriminatoire, on entend tout comportement importun de caractère sexuel ou tout autre comportement fondé sur l’appartenance sexuelle, qui porte atteinte à la dignité de la personne sur son lieu de travail, en particulier le fait de proférer des menaces, de promettre des avantages, d’imposer des contraintes ou d’exercer des pressions de toute nature sur une personne en vue d’obtenir d’elle des faveurs de nature sexuelle».

«Selon la jurisprudence, les remarques sexistes et les commentaires grossiers ou embarrassants entrent dans la définition du harcèlement sexuel. Bien que l’article 4 LEg ne se réfère qu’à des cas d’abus d’autorité, la définition englobe tous les comportements importuns de caractère sexuel, soit également ceux qui contribuent à rendre le climat de travail hostile, par exemple des plaisanteries déplacées.» 1

Le Tribunal fédéral précise à ce propos que le fait que la personne se plaignant de harcèlement sexuel ait elle-même utilisé le même vocabulaire ne peut en principe justifier l’admission de remarques sexistes, grossières ou embarrassantes par son employeur, particulièrement s’il s’agit d’un supérieur hiérarchique; exception est faite si un tel langage est utilisé dan un contexte personnel, comme des messages échangés entre collègues de travail.

Dans le cas présent, il ressort des enquêtes que X et Z ont échangé un certain nombre de courriels entre septembre 2002 et mars 2003, desquels il ressort que leur relation était empreinte de complicité et de confiance. Il n’en ressort pas qu’elle aurait été gênée par les compliments et remarques d’ordre personnel faits par Z. Selon la teneur des courriels de X, celle-ci semblait même les apprécier. Par ailleurs, aucun courriel de Z ne contient de propos, de sous-entendus ou d’allusions à connotation sexuelle ou pouvant porter atteinte à la personnalité de X.

Toutefois, les enquêtes ont permis de montrer que Z avait des problèmes relationnels avec la direction ainsi qu’avec les collaboratrices. Plusieurs témoins ont indiqué que «Z tenait des propos déplacés, particulièrement sur le compte de collègues féminines, mais que la recourante n’était pas la cible privilégiée de ces remarques… Les témoignages confirment ainsi que, jusqu’à l’incident du 18 mars 2003, les relations entre les protagonistes n’étaient pas problématiques et que la recourante s’accommodait des manières de Z, même si elles étaient parfois inadéquates de la part d’un supérieur hiérarchique.» 2

Le Tribunal fédéral, sur la base de ces témoignages a dès lors estimé que le Tribunal administratif avait, à bon droit, nié l’existence du harcèlement sexuel. Au vu de cela, aucune indemnité fondée sur l’article 5 alinéa 3 LEg, ne saurait être versée à X.

Le Tribunal fédéral a par ailleurs estimé que l’employeur de X a, dès qu’il a eu connaissance des doléances de X, transféré X dans un autre poste et pris des mesures adéquates et transféré X dans un autre poste.

Au vu de tout ce qui précède, le Tribunal fédéral a jugé que le Tribunal administratif genevois n’avait pas constaté les faits de manière incomplète ou inexacte, ni ne les avaient mal appréciés et qu’il n’avait pas violé le droit fédéral, en particulier la LEg.

Pour tous ces motifs, le Tribunal Fédéral, par arrêt du 9 février 2007, a rejeté le recours de droit administratif de X.

1 ATF 2A.404/2006, consid. 6.1
2 ATF 2A.404/2006, consid. 6.2

GE 25.05.2007
discrimination salariale

LEg

art 3

procédure

25.05.2007Jugement du Tribunal des prud’hommes (cause N° C/21985/2005-5, TRPH/396/2007)

en fait

En date du 25 mai 2007, le Tribunal des prud’hommes du canton de Genève a rendu un jugement déboutant T, la demanderesse, de la presque totalité de ses conclusions. Aucun appel n’ayant été déposé à l’encontre de ce jugement, il est devenu définitif.

En résumé, l’état de faits était le suivant. Dès le 8 avril 2002, T a été engagée à temps partiel par E en qualité de professeur de tennis pour un tarif horaire de CHF 60.— l’heure. Dès le mois de septembre 2002, son salaire a été fixé à CHF 5’000.— brut par mois, et depuis avril 2002, elle touchait en outre un forfait mensuel de CHF 500.— pour couvrir ses frais de représentation.

En date du 14 janvier 2003, T a signé un contrat de travail prévoyant que dès le 1er janvier 2003, son salaire mensuel brut, pour quarante heures de travail hebdomadaires, était de CHF 4’900.—, et les frais de représentation restaient inchangés.

Dans son contrat, ses tâches étaient notamment les suivantes: l’enseignement, l’administration des juniors, un dialogue avec les parents, l’établissement de rapports écrits trimestriels, l’organisation et l’encadrement de stages, des délégations en groupe et la participation aux séances.

Dès le mois de janvier 2004, le salaire mensuel brut de T est passé à CHF 5’450.— et le dédommagement pour frais de représentation à CHF 550.—.

Deux autres entraîneurs de tennis, A et B, étaient employés par E. Le 3 février 2003, le salaire mensuel brut de A a été fixé à CHF 6’000.— plus les frais de représentation de CHF 600.— ; le salaire mensuel brut de B a été fixé, dès le 1er janvier 2003 à CHF 5’250.— plus CHF 550.— de frais de représentation. A et B ont essentiellement travaillé comme entraîneurs de tennis, alors que T avait des tâches administratives nettement plus importantes à assumer au sein de E.

E a résilié le contrat de travail de T par pli recommandé du 24 septembre 2004 avec effet au 31 mars 2005.
En date du 29 septembre 2005, T a déposé une demande en paiement au greffe de la juridiction des prud’hommes concluant au versement de la somme totale de CHF 173’403.16, soit notamment, CHF 75’729.— à titre de discrimination salariale, CHF 36’000.— à titre d’indemnité pour congé abusif, CHF 10’000.— à titre d’indemnité pour tort moral; le reste se rapportant à des heures supplémentaires, solde de vacances…, sans lien avec la LEg.

A l’appui de sa demande T a notamment indiqué que ses relations avec ses collègues de travail s’étaient dégradées dès le mois d’août 2002, suite à une réunion lors de laquelle T avait appris que ses collègues percevaient des salaires plus élevés qu’elle. Ainsi, et afin d’examiner la question de la discrimination salariale, T a demandé à ce qu’un expert soit nommé.

T estimait par ailleurs avoir été victime de harcèlement moral notamment de la part de D, membre du comité, et de A qui lui avait fait des remarques sur sa façon de travailler et de s’organiser; les nombreuses absences de T lui ont également été reprochées.

E, dans sa réponse à la demande, a contesté toutes les allégations de T, soit notamment la discrimination salariale et le harcèlement moral. E a par ailleurs relevé que T avait des problèmes de communication et de coopération avec ses collègues, qu’elle n’était pas ponctuelle et que ses absences répétées perturbaient le bon déroulement du travail du club.

Il est ressorti des enquêtes menées par le Tribunal des prud’hommes que les parents des élèves de T étaient très contents de son travail, mais que les relations de travail étaient tendues entre T et ses collègues.

Les témoins, pour leur majorité, ont indiqué, lors des enquêtes que les rapports entre T et ses collègues de travail n’étaient pas très bonnes. Par ailleurs, selon son médecin généraliste, T souffrait de dépression due, selon lui, à sa situation professionnelle. La compagne de T a quant à elle indiqué que T souffrait de stress professionnel important qui se traduisait par le fait qu’elle dormait mal, faisait des cauchemars, était irritable et fatiguée.

en droit

T s’estime victime de discrimination salariale dès lors que deux de ses collègues percevaient des salaires plus élevés qu’elle pour un travail de valeur égale.

Le Tribunal des prud’hommes, dans le cadre des enquêtes menées, a entendu un certain nombre de témoins. Il n’a cependant pas donné suite à a la demande de T et n’a pas ordonné d’expertise. Le juge dispose en effet d’un pouvoir d’appréciation et ne décide de recourir à un expert que s’il n’a pas les connaissances nécessaires pour évaluer lui-même la situation. Dans le cas présent, après avoir entendu les témoins, il a estimé être en possession de suffisamment d’éléments pour rendre sa décision et il «…a estimé qu’une expertise ne saurait apporter de nouveaux éléments, propres à modifier sa conviction, elle ne portait de toute façon pas sur des questions techniques excédant ses compétences et connaissance, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’y recourir» 1.

En droit suisse, le principe applicable est celui de la liberté contractuelle, en d’autres termes, le salaire convenu entre les parties fait foi. Une exception est toutefois faite si une convention collective, prévoyant un salaire supérieur à celui fixé entre les parties, est applicable.

Par ailleurs, en vertu de l’article 3 al. 1 LEg, il est interdit de discriminer les travailleurs à raison du sexe; l’alinéa 2 de ce même article précise que l’interdiction de toute discrimination s’applique notamment à la rémunération.

«Le Tribunal fédéral a ainsi considéré qu’une discrimination salariale était vraisemblable dans le cas d’une travailleuse dont le salaire était d’environ 15% à 25% inférieur à celui d’un collègue masculin qui accomplissait le même travail» 2.

En l’espèce, s’agissant de la somme de CHF 75’729.— réclamée par T à titre de différence de salaire de 2002 à 2005, le Tribunal, après avoir procédé à une analyse des salaires perçus au sein de E, retient ce qui suit:

A noter que l’article 6 LEg allège le fardeau de la preuve de la personne qui s’estime victime de discrimination salariale, laquelle ne doit pas prouver la discrimination salariale mais la rendre vraisemblable.

En conclusion, le Tribunal de prud’hommes estimant que T n’avait pas rendu vraisemblable l’existence d’une discrimination salariale, l’a déboutée de ce chef de prétention.

Par ailleurs, le Tribunal des prud’hommes a débouté T de ses conclusions en paiement d’indemnités pour congé abusif et pour tort moral. Le Tribunal a en effet qualifié le congé signifié à T de non abusif et estimé qu’il n’existait pas de lien de causalité entre l’atteinte à la santé de T et le comportement de son employeur.

1 Jugement du Tribunal des prud’hommes du 25.05.2007, C/21985/2005-5, consid. 3, page 13
2 ATF 126 III 395, consid. 3a

GE 03.07.2007
discrimination salariale

sujet

obligation d’ordonner une expertise

LEg

art 3, art 12

procédure

29.09.2005Jugement du Tribunal des prud’hommes 22.01.2007Arrêt de la Cour d’appel des prud’hommes suite à l’appel 03.07.2007Arrêt du Tribunal fédéral (4A 12/2007)

en fait

X est célibataire et sans charge de famille. Née en 1959, elle a obtenu un diplôme d’employée de commerce en 1985, puis, en 1994, une licence en droit à l’Université de Genève, et finalement le brevet d’avocat en 1997.

Dès le 1er décembre 1997, X a été engagée par la compagnie d’assurance Y, en qualité de juriste pour un salaire mensuel brut de CHF 7’500.—.

En date du 1er avril 1999, X a été promue cadre au sein de Y et son salaire mensuel brut fut porté à CHF 7’800.—. Au mois de septembre 1999, X a été inscrite au registre du commerce en tant que mandataire commerciale avec signature collective à deux.

Pour l’année 1999, X a reçu, avec la prime de fidélité, une rémunération brute totale de CHF 108’343.—.
En juillet 2001, X est informée par Y qu’à compter du 1er janvier 2002, son contrat de travail sera transféré à la compagnie d’assurances V. Ainsi, X est engagée par V, à compter du 1er décembre 2001, comme conseillère juridique du service contentieux, au taux d’activité de 80%, pour un salaire annuel brut de CHF 98’000.—, porté à CHF 98’600 dès le 1er avril 2002.

En décembre 2002, V informa X que son poste allait être prochainement supprimé et lui proposa d’être transférée au service «indépendants» de Y. Dans le cadre de son futur contrat de travail, X fit part à Y de divers points à discuter soit notamment la prohibition de toute discrimination salariale sexiste. Y, jugeant les prétentions formulées par X inacceptables, a renoncé à l’engager.

V a ensuite licencié X pour le 31 juillet 2003. En raison des périodes d’incapacité de travailler de X, les rapports contractuels entre les parties ont pris fin le 31 janvier 2004.

Le 15 avril 2004, X a ouvert action contre Y devant le Tribunal des prud’hommes de Genève et conclut, en dernier lieu, au versement de CHF 66’500.— au titre d’indemnité pour licenciement injustifié, abusif et discriminatoire, de CHF 30’000 au titre du tort moral et de CHF 140’182.— au titre d’arriéré de salaire non discriminatoire pour la période du 1er janvier 1998 au 31 décembre 2001. Pour cette dernière conclusion, X s’est fondée sur une comparaison de son salaire avec ceux versés à D, responsable du service juridique et à E, autre juriste employé par Y.

Par jugement du 29 septembre 2005, le Tribunal des prud’hommes a débouté X de toutes ses conclusions. Les juges ont en effet estimé que X n’avait pas été victime de discrimination salariale: d’une part E occupait un poste de responsable, ce qui justifiait sa rémunération plus élevée et d’autre part la différence de salaire de 15% existant en 1998 avec le salaire de D avait pour origine l’ancienneté plus grande de D et que cette différence s’était atténuée avec le temps pour ne plus être que de 3% en 2001.

X a fait appel de ce jugement devant la Cour d’appel de la juridiction des prud’hommes de Genève. X a comparé son salaire à ceux de D et E mais également à ceux d’autres collègues, G et H, lesquels percevaient des salaires plus élevés qu’elle pour une activité de moindre importance. X a expressément requis qu’une expertise judiciaire soit ordonnée pour établir l’équivalence des fonctions assumées par elle par rapport à celles de E, D, G et H.

La Cour d’appel a ouvert des enquêtes: elle a entendu 19 témoins mais n’a pas donné suite à la requête d’expertise judiciaire de X.

Par arrêt du 22 janvier 2007, la Cour d’appel a confirmé le jugement attaqué. En substance, les juges genevois ont retenu ce qui suit: la différence de salaire de 33 à 45% en faveur de E, qui n’avait pas le brevet d’avocat, se justifiait de part le fait qu’il avait été engagé plus de 10 ans avant X et qu’il avait des responsabilités différentes à assumer; concernant D, engagé comme juriste 8 ans avant X, nommé fondé de pouvoir, dès lors il s’occupait plus de règlements de sinistres et de certains dossiers de la direction, le fait qu’il percevait un salaire de 28,8% à 49% plus élevé que X n’était pas discriminatoire; s’agissant de F, sous-directeur de Y, son niveau hiérarchique et ses responsabilités justifiaient un salaire plus élevé que X; G, juriste yougoslave engagé 11 ans avant X, s’occupait essentiellement du recouvrement, son salaire plus élevé que celui de X se justifiait par sa plus grande ancienneté que X au sein de Y, son âge et sa situation familiale; H, titulaire d’un certificat de maturité, est entré au service de Y en tant que spécialiste de la prévoyance professionnelle quelques mois avant X, et s’il percevait un salaire de 18% plus élevé que celui de X cela provenait du fait qu’il avait obtenu que Y lui verse le même salaire que son ancien employeur.

X interjette un recours en matière civile contre l’arrêt de la Cour d’appel, dans lequel elle requiert l’annulation de l’arrêt de la Cour cantonale et demande, préalablement, à ce qu’une expertise d’évaluation analytique du travail soit ordonnée afin de déterminer l’équivalence des fonctions dévolues à X, en comparaison à E, D, G et H.

X invoque le fait que la Cour cantonale a violé les articles 8 al. 3 de la Constitution, 12 al. 2 LEg et 343 al. 4 CO en ne donnant pas suite à sa requête expresse d’expertise judiciaire. En effet, selon le Tribunal fédéral, par l’article 343 al. 4 CO, le droit fédéral impose aux tribunaux cantonaux un devoir d’examen étendu. Ils doivent donc veiller, en collaboration avec les parties, à ce que les moyens de preuve soient mentionnés et les preuves administrées.

en droit

Le Tribunal fédéral relève «Si l’équivalence entre les diverses fonctions d’une même entreprise ne sautent pas aux yeux ou si elle n’est pas établie par d’autres modes de preuve, les tribunaux cantonaux doivent ordonner des expertises… Le juge qui refuse d’ordonner une expertise requise par une partie consacre une violation de l’article 12 al. 2 LEg, à moins que l’expertise apparaisse d’emblée inutile, parce que, par exemple, le juge dispose lui-même des connaissances scientifiques nécessaires pour élucider une possible discrimination liée au sexe.» 1

Ainsi, in casu, la Cour d’appel en ne motivant pas son refus d’ordonner l’expertise judiciaire requise par X puis en contestant l’équivalence entre les tâches exercées par X et celles exercées par les autres juristes sans pourtant prétendre avoir des compétences techniques pour ce faire, a violé son devoir d’examen.

Le Tribunal fédéral poursuit, toujours à propos de la Cour cantonale, «Son raisonnement, dépourvu de toute approche méthodologique et scientifique, est du reste fondé sur un choix de critères vagues. Il est tout particulièrement significatif à cet égard que la Cour d’appel a attribué une grande importance à l’ancienneté au sein de la compagnie, alors qu’il a été constaté définitivement que cet élément avait perdu de son importance dès 1991 au profit d’un système fondé sur le mérite». 2

Par ces motifs, le Tribunal fédéral a admis le recours en matière civile de X, annulé l’arrêt attaqué et renvoyé l’affaire à l’autorité cantonale pour qu’elle ordonne l’expertise sollicitée par X.

commentaire

Cette cause s’est terminée par un retrait de la demande, les parties ayant trouvé un accord extra-judicaire.

1 ATF 4A 12/2007, consid. 4.2
2 Ibid., consid. 4.3

GE 10.07.2007
discrimination salariale

sujet

qualité de l’expertise

LEg

art 3, art 5, art 6

procédure

14.01.2004Jugement du Tribunal des prud’hommes 27.02.2007Arrêt de la Cour d’appel des prud’hommes 10.07.2007Arrêt du Tribunal fédéral (4A 77/2007)

en fait

X, divorcée avec 2 enfants, née en 1944, est titulaire d’un baccalauréat tunisien section mathématiques; elle a suivi une formation en mathématiques générales à Paris ainsi que des cours destinés au perfectionnement des cadres. Elle parle le français et maîtrise l’anglais et l’italien.

Depuis 1987, elle a travaillé auprès de diverses compagnies d’assurance. Dès l’année 1994, X a été engagée conjointement par les compagnies d’assurance V et W, en tant que technicienne en branches collectives vie, maladie et accidents pour un salaire mensuel brut de CHF 5’000.—, d’abord sous la direction de A, puis sous celle de B.

Il a été retenu que X n’entretenait pas de bonnes relations avec son supérieur B, lequel lui a notamment reproché son comportement vis-à-vis des autres employé-e-s. X s’est plainte, par courrier du 11 mai 2001, à ses employeurs d’un climat de travail difficilement supportable depuis l’entrée en fonction de B.

X a été licenciée pour le 31 décembre 2001. En raison d’une période d’incapacité de travail de X, les rapports contractuels ont pris fin le 30 juin 2002. En 2002, X percevait un salaire mensuel brut de CHF 5’345.—.

Le 8 novembre 2002, X a ouvert action contre V et W devant le Tribunal des prud’hommes de Genève en concluant notamment au versement de CHF 34’742.— au titre d’indemnité pour licenciement abusif, de CHF 15’000.— au titre de tort moral et de CHF 249’454.— au titre d’arriéré de salaire non discriminatoire pour la période du 1er avril 1997 au 30 juin 2002. Pour cette dernière conclusion, X s’est fondée sur une comparaison de son salaire avec ceux versés à se collègues C et D, lesquels exerçaient, selon X, des activités comparables à la sienne et percevaient un salaire plus élevé.

Par jugement du 14 janvier 2004, le Tribunal des prud’hommes a débouté X de toutes ses conclusions. S’agissant de la discrimination salariale à raison du sexe invoquée par X, les juges ont en effet considéré qu’elle n’en avait pas été victime, dès lors qu’il n’était pas raisonnable de mettre en parallèle sa rémunération avec celles de C et D car le statut au sein de V et W, le niveau de responsabilités, les qualifications et les expériences professionnelles n’étaient pas équivalents. Les juges ont également jugé que X n’avait pas démontré avoir été victime d’une atteinte à sa personnalité et qu’elle n’avait pas droit à une indemnité pour congé abusif, à défaut d’avoir établi avoir été victime de harcèlement.

X a fait appel de ce jugement devant la Cour d’appel. Elle a maintenu qu’il existait une discrimination salariale tout en réduisant le montant de ses prétentions à un montant de CHF 224’174.75.

La Cour a ordonné une expertise, sollicitée par X, qu’elle a confié à M, psychologue du travail et maître d’enseignement à la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation. La mission confiée à cette experte était «d’analyser les travaux confiés à la demanderesse et ceux attribués à C et à D et de déterminer s’ils étaient de valeur égale, dans l’affirmative de dire si les différences de salaire constatées se justifiaient objectivement et, si tel n’était pas le cas, d’arrêter le salaire qui aurait dû être versé à la travailleuse.» 1

L’experte judiciaire a déposé un rapport daté «avril 2006» et a été entendue comme témoin par la Cour. Elle a déclaré avoir analysé le profil des postes de X, C et D, puis la valeur de leur travail, en tenant compte des tâches confiées, des exigences requises pour les postes de travail, des compétences mobilisées et des responsabilités confiées. L’experte M en a déduit ce qui suit: «Le travail réalisé par la demanderesse n’est pas de même valeur que le travail réalisé par C et par D. En effet, il est de nature différente (fonction d’exécution versus fonctions décisionnelles) et les exigences ainsi que le niveau de compétence à mobiliser et des responsabilités à prendre sont moindres dans le cas de Mme X.» L’experte est en outre d’avis que les différences de salaire constatées et d’évolution desdits salaires, lesquelles résultaient de l’absence d’équivalence des tâches, étaient justifiées. Elle a précisé que les commissions n’étaient versées qu’aux courtiers et que les primes de récompense ne concernaient pas les techniciens d’agence, comme la demanderesse. M a enfin précisé que D, contrairement à X, exerçait des tâches de taxation, c’est-à-dire qu’il était impliqué à un niveau assez important dans le processus de décision au niveau de l’acceptation des risques.» 2

Mettant en cause la méthode d’évaluation utilisée par l’experte et estimant que son rapport comportait des lacunes et des erreurs, X a demandé à la Cour qu’une autre expertise soit effectuée. Aucune suite n’a été donnée à cette requête.

Par arrêt du 27 février 2007, la Cour d’appel a confirmé le jugement attaqué.

En substance, les juges genevois ont retenu ce qui suit: relativement au rapport de l’experte, sévèrement critiqué par X, la Cour, tout en concédant qu’il recelait quelques maladresses, a estimé que son auteure avait parfaitement saisi en quoi consistaient les tâches à comparer, soit celles de X et celles des collègues C et D. Ainsi, la Cour a considéré qu’il n’y avait pas d’équivalence entre les fonctions exercées par les trois personnes de sorte qu’il ne se justifiait pas de confronter le salaire de X avec ceux de C et de D.

X exerce un recours en matière civile au Tribunal fédéral contre l’arrêt de la Cour, dans lequel elle conclut à l’annulation de l’arrêt et au renvoi de la cause à la Cour pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

Le Tribunal fédéral a admis le recours de X, annulé l’arrêt attaqué et renvoyé la cause à l’autorité cantonale pour qu’elle ordonne une nouvelle expertise.

en droit

X invoque, en rapport avec le rapport d’expertise, le fait que la Cour cantonale a violé son droit d’être entendue au sens de l’article 29 al. 2 de la Constitution dès lors qu’elle n’a pu avoir connaissance ni des auteur-e-s des déclarations retenues par l’experte ni de leur contenu, ni de l’appréciation qui en a été faite par l’experte. X invoque également une violation de l’interdiction de l’arbitraire dans l’appréciation des preuves au sens de l’article 9 de la Constitution dès lors que l’expertise était entachée de défauts si évidents que la Cour ne pouvait la prendre en considération.

A. Le Tribunal fédéral retient qu’il est admis qu’un rapport d’expertise doit être complet, compréhensible et convaincant. Il en résulte que l’expert-e qui se fonde sur des déclarations doit préciser de qui elles émanent et quels éléments il ou elle tient pour déterminant. Les parties à la procédure doivent en effet pouvoir demander l’audition devant le juge des personnes entendues par l’expert-e, notamment en cas d’incertitudes. Dans le cas contraire, le droit d’être entendu des parties est violé.

In casu, l’experte a entendu, outre X, C et D, 10 autres employé-e-s de V et W, dont on ne trouve aucune trace dans le rapport, ceci pour des raisons de confidentialité selon l’experte. Cependant, la question de savoir si le droit d’être entendu de X a été ou non violé peut rester indécise dès lors que le recours doit être admis pour un autre motif.

B. Le juge dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans la constatation des faits et leur appréciation. Le Tribunal fédéral n’interviendra, pour violation de l’interdiction de l’arbitraire, que si le juge a abusé de son pouvoir. S’agissant en particulier de l’appréciation du résultat d’une expertise, le juge n’est en principe pas lié par les conclusions de l’expert-e, qu’il doit apprécier en tenant compte de toutes les autres preuves administrées. Il ne peut toutefois s’en écarter sans motifs déterminants mais ne viole pas l’article 9 de la Constitution s’il ne suit pas les conclusions de l’expert-e car des circonstances bien établies viennent en ébranler sérieusement la crédibilité, par exemple si l’expertise contient des constatations de fait erronées ou des lacunes.

En l’espèce, force est de constater que le rapport d’expertise contient des faits erronés. En effet, il ressort des pièces du dossier que D, entendu par l’experte, ne travaille nullement au service de la taxation comme retenu dans le rapport. Cette constatation erronée a vicié l’ensemble du rapport d’expertise et en conséquence le rapport d’expertise est entaché de défauts évidents s’agissant de la comparaison des tâches faites entre X et D. De même, des différentes preuves administrées, il ressort que les tâches accomplies par C ont été surestimées par l’experte; ainsi les conclusions de l’experte sur la valeur du travail de C par rapport à celui de X paraissent douteuses.

Au vu de ce qui précède, la Cour a violé le principe de l’interdiction de l’arbitraire en suivant les conclusions de l’expertise.

Le Tribunal fédéral a ainsi admis le recours en matière civile de X, annulé l’arrêt attaqué et renvoyé l’affaire à l’autorité cantonale pour qu’elle ordonne une nouvelle expertise laquelle permettra de déterminer, au moyen de la méthode analytique, les valeurs respectives des tâches accomplies auprès de V et W par X, D et C.

1 ATF 4A 77/2007, let. B.a.
2 Ibid. let B.c.

GE 10.07.2007
discrimination à l'embauche

sujet

relève universitaire
procédure de plainte

LEg

art 1, art 3, art 5, art 13

procédure

21.09.2004Arrêt du Tribunal administratif 19.01.2006Arrêts du Tribunal fédéral de droit administratif (2A.637/2004) et de droit public (2P.277/2004) 21.03.2006Arrêt du Tribunal administratif 24.03.2006Saisine de la Commission de conciliation en matière d’égalité 06.02.2007Arrêt du Tribunal administratif 10.07.2007 : Arrêt du Tribunal fédéral (1C.37/2007)

en fait

En date du 8 décembre 2003, A, médecin spécialiste titulaire de diplômes FMH en chirurgie plastique reconstructive, esthétique et chirurgie de la main, a postulé auprès de la Faculté de médecine de l’Université de chirurgie (ci-après la faculté) à un poste de «professeur/e ordinaire ou adjoint/e de chirurgie plastique et reconstructive au Département de chirurgie». A fut informé par lettre du 19 janvier 2004 que la Commission de nomination avait décidé de ne pas proposer son nom au rectorat de l’université de Genève (ci-après le rectorat).

Le 17 février 2004, A déposa une plainte au sens de l’article 62B du règlement d’application du 10 mai 1986 de la loi sur l’Université contre cette décision demandant préalablement une motivation de la décision de rejet de sa candidature, l’accès aux dossiers des candidatures retenues et la suspension de la procédure de nomination jusqu’à droit connu sur sa plainte. Le 24 février 2004, les motifs du rejet de sa candidature ont été communiqué à A, soit «Contrairement aux autres candidats, il ne pouvait se prévaloir ni de titres académiques, ni d’activités de recherche, ni de publications à politique éditoriale ayant un impact factor» 1.

En date du 12 mars 2004, la plainte de A fut déclarée irrecevable. A a recouru au Tribunal administratif à l’encontre de cette décision.

Par pli du 6 mai 2004, la faculté a informé A que le rectorat avait choisi de ne pas présenter la candidature de A mais celle de la Dresse B, laquelle a été nommée par arrêté du Conseil d’Etat du 12 mai 2004. En réponse à ce courrier, A a intégralement confirmé sa plainte du 17 février 2004. Le rectorat lui a alors une nouvelle fois indiqué ne pas pouvoir entrer en matière dès lors que la voie de la plainte pour violation de la règle de préférence n’était ouverte qu’aux candidat-e-s appartenant au sexe sous-représenté.

A a recouru contre cette dernière décision devant le Tribunal administratif. Par arrêt du 21 septembre 2004, le Tribunal administratif a rejeté les deux recours considérant que la voie de la plainte n’était ouverte qu’aux personnes appartenant au sexe sous-représenté.

A a formé un recours de droit administratif au Tribunal fédéral à l’encontre de cet arrêt. Par arrêt du 19 janvier 2006, le Tribunal fédéral a admis ce recours «au motif que l’ouverture de la voie de la plainte à toutes les personnes qui s’estiment directement touchées par une violation de la règle de préférence, sans distinction fondée sur le sexe, constitue une exigence de la LEg qui l’emporte sur l’autonomie procédurale des cantons.» 2. Le Tribunal fédéral a annulé l’arrêt attaqué en donnant acte à A qu’il avait été discriminé dans le cadre de la procédure de plainte spécifique à l’Université de Genève. Par arrêt du 21 mars 2006, le Tribunal administratif a condamné l’Université de Genève à verser à A, à titre d’indemnité de procédure, CHF 3’000.—.

En date du 24 mars 2006, A déposa une demande en indemnisation au sens de l’article 5 LEg devant la Commission de conciliation en matière d’égalité, demandant que l’Université de Genève soit condamnée au paiement de CHF 73’796.10 sur la base de l’article 5 al. 2 LEg et de CHF 5’164.80 à titre de dommages et intérêts sur la base de l’article 5 al. 5 LEg. Les parties n’ayant pu être conciliées, la cause a été transmise au Tribunal administratif.

Par arrêt du 6 février 2007, le Tribunal administratif a considéré que la discrimination constatée par le Tribunal fédéral ne portait pas sur un refus d’embauche et qu’il ne ressortait pas du dossier que A avait été victime de discrimination lors du choix des candidat-e-s. Il a donc rejeté la demande de A.

A interjeta un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral sollicitant l’annulation de l’arrêt attaqué et le renvoi de la cause au Tribunal administratif pour qu’une nouvelle décision dans le sens des considérants soit prise. Subsidiairement, il reprend ses conclusions de première instance.

en droit

A. A se plaint de violation de l’article 5 al. 2 LEg dès lors qu’il allègue avoir été victime de discrimination à l’embauche et demande le versement d’une indemnité à ce titre.

La LEg interdit de discriminer les travailleur-euse-s à raison du sexe notamment à l’embauche (article 3 al. 1 et 2 LEg). Conformément à l’article 5 al. 2 LEg, lorsque la discrimination porte sur un refus d’embauche, la personne lésée ne peut prétendre qu’au versement d’une indemnité par l’employeur-euse; cette indemnité sera d’au maximum trois mois de salaire (article 5 al. 2 LEg). En vertu de l‘article 13 al. 2 LEg, une telle indemnité peut également être exigée en matière de rapports de droit public, dans ce cas, les personnes dont la candidature n’a pas été retenue peuvent faire valoir leur droit en recourant directement contre la décision de refus d’embauche.

Le Tribunal fédéral a estimé que la commission n’avait pas écarté la candidature de A en application de la règle de préférence, selon laquelle à qualification scientifiques et pédagogiques équivalente, la préférence doit être donnée à la personne qui appartient au sexe sous-représenté. Le Tribunal fédéral relève qu’il ressort du dossier que le refus d’embaucher A, a été motivé par des raisons étrangères à son appartenance au sexe sur-représenté. Au terme de son rapport, la commission de nomination a en effet indiqué avoir écarté la candidature de A car elle ne correspondait pas aux critères définis.

Le Tribunal fédéral a dès lors retenu que A ne pouvait se plaindre d’une discrimination à raison du sexe au sens de la LEg et ne pouvait ainsi prétendre à l’indemnité prévue par l’article 5 al. 2 LEg.

B. A invoque ensuite que c’est à tort que le Tribunal administratif a considéré qu’il était incompétent par statuer sur l’indemnité demandée à titre de dommages-intérêts au sens de l’article 5 al. 5 LEg.

Le Tribunal fédéral retient que «pour autant que les conditions requises soient satisfaites, la personne lésée par une discrimination peut ainsi faire valoir les droits spécifiques de l’art. 5 al. 1 à 4 LEg et, cumulativement, les prétentions en dommages-intérêts et en réparation du tort moral réservées à l’art. 5 al. 5 LEg… La personne lésée doit dès lors pouvoir faire valoir toutes ces prétentions dans la procédure ouverte contre la décision discriminatoire.» 3

En l’espèce, les prétentions en dommages-intérêts litigieuses se rapportent aux frais de défense engagés par A pour contester le rejet de sa candidature au poste mis au concours. Le Tribunal fédéral retient à ce propos que «ces prétentions sont directement liées à la discrimination constatée par le Tribunal fédéral dans l’arrêt 2P.277/2004, ainsi qu’à la discrimination lors du refus d’embauche dont le recourant se plaint encore. Elles devaient donc pouvoir être invoquées dans la même procédure et c’est en violation de l’art. 5 LEg que le Tribunal administratif a renvoyé le recourant à agir devant une autre autorité… Par conséquent, il y a lieu d’admettre le recours sur ce point et de renvoyer la cause au Tribunal administratif pour qu’il statue sur la demande du recourant tendant au paiement de dommages-intérêts, étant précisé que ce renvoi ne préjuge en rien du sort de la réclamation du recourant.» 4

Par ces motifs, le recours de A a été partiellement admis: l’arrêt attaqué a été annulé en tant qu’il déclarait irrecevable la prétention pécuniaire en dommages-intérêts fondée sur l’art. 5 al. 5 LEg, la cause renvoyée au Tribunal administratif pour nouvelle décision sur ce point. Le recours a été rejeté pour le reste.

1 ATF 1C.37/2007, p. 1 let. B
2 Op. cit., p. 2, let. B.
3 Op. cit. p. 5 let. consid. 5.3
4 Op. cit. p. 5-6, consid. 5.4

VD 03.09.2007
discrimination salariale

sujet

classification de fonction

LEg

art 3, art 6

procédure

13.04.2006Jugement du Tribunal des prud'hommes de l'Administration cantonale vaudoise 10.08.2006>Arrêt du Tribunal cantonal 03.09.2007Arrêt du Tribunal fédéral (2A.730/2006)

en fait

X, née en 1953, a été engagée par l’Etat de Vaud en qualité de secrétaire au sein de l’Université de Lausanne à partir du 1er décembre 1989.

Le 1er février 1999, elle a été nommée «première secrétaire A», en classe de salaire 18-20, chargée des tâches administratives du Décanat de la Faculté de théologie de l’Université de Lausanne. Subordonnée directement au Doyen de la faculté, elle dirigeait elle-même une employée d’administration.

En mai 2003, le Département de la formation et de la jeunesse a modifié l’organisation du Décanat de théologie et a décidé que le poste qu’occupait X serait désormais un poste d’»assistant de direction», en classe de salaire 19-22.

Le 5 juin 2003, X contesta la classification de son poste, considérant qu’elle devait correspondre au moins à celle d’»adjoint administratif» (classe 23-26), comme le Décanat de la Faculté de théologie en avait d’ailleurs déjà fait la demande en automne 2002 dans le but de revaloriser le travail de X.
X s’estimait victime d’une inégalité de traitement par rapport aux personnes occupant un poste semblable au sien dans les autres facultés de l’Université.

Le 9 octobre 2003, le Service du personnel de l’Etat de Vaud confirma à X la décision prise par le Département de la formation et de la jeunesse, en précisant que la taille réduite de la Faculté de théologie ne justifiait pas un poste d’adjoint administratif.

X s’opposa à cette décision par courrier adressé au Département de la formation et de la jeunesse le 18 décembre 2003. Celui-ci fut transmis au Tribunal des prud’hommes de l’Administration cantonale, devant lequel X conclut, en date du 1er mars 2005, à ce que l’Etat de Vaud soit condamné à lui payer la somme de CHF 60’515.30.- et à ce que lui soit reconnu le droit à une rémunération annuelle de CHF 104’430.25.-. A l’appui de ses conclusions, elle fit valoir que tous les responsables administratifs des autres facultés de l’Université de Lausanne avaient un rang d’adjoint de faculté et que son travail était identique à celui des autres responsables administratifs, de sorte que la classification de son poste comme «assistant de direction» constituait une discrimination fondée sur le sexe.

Par jugement du 13 avril 2006, le Tribunal des prud’hommes a rejeté la demande de X.

Par arrêt du 10 août 2006, le Tribunal cantonal a rejeté le recours interjeté par X contre le jugement du Tribunal des prud’hommes. Selon le Tribunal cantonal, il subsistait un doute quant à une éventuelle discrimination fondée sur le sexe, mais il a laissé la question ouverte estimant que l’Etat de Vaud avait démontré que la différence de classification résultait d’une évaluation objective des tâches confiées.

X, agissant par la voie du recours de droit administratif pour violation de la loi fédérale sur l’égalité entre hommes et femmes (ci-après: LEg), a demandé au Tribunal fédéral d’annuler cet arrêt. Le Tribunal fédéral a, par décision du 3 septembre 2007, rejeté le recours de X.

en droit

Après avoir rejeté les arguments de X quant à une appréciation inexacte des faits par le Tribunal cantonal, le Tribunal fédéral se penche sur la question de l’inégalité salariale, liée à une discrimination fondée sur le sexe, dont serait victime X.

Le Tribunal fédéral rappelle tout d’abord les dispositions pertinentes : l’homme et la femme ont droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale (article 8 al. 3 Cst); il est interdit de discriminer les travailleurs à raison du sexe, soit directement, soit indirectement, notamment en se fondant sur leur état civil ou leur situation familiale ou, s’agissant de femmes, leur grossesse (article 3 al. 1 LEg). Cette interdiction s’applique notamment à l’embauche, à l’attribution des tâches, à l’aménagement des conditions de travail, à la rémunération, à la formation et au perfectionnement professionnels, à la promotion et à la résiliation des rapports de travail (article 3 al. 2 LEg).

Le Tribunal fédéral rappelle également la différence entre discrimination directe et indirecte : «une discrimination est directe lorsqu’elle se fonde explicitement sur le critère du sexe ou sur un critère ne pouvant s’appliquer qu’à l’un des deux sexes et qu’elle n’est pas justifiée objectivement. La discrimination est en revanche indirecte lorsque le critère utilisé pourrait s’appliquer à l’un ou l’autre sexe, mais qu’il a ou peut avoir pour effet de désavantager une plus grande proportion de personnes d’un sexe par rapport à l’autre, sans être justifié objectivement».

Une discrimination salariale directe ou indirecte peut résulter de la comparaison du salaire effectif d’une personne donnée avec celui d’une personne de sexe opposé ou de la classification générale de fonctions déterminées. 

Par ailleurs, l’employé-e qui allègue une discrimination salariale bénéfice de l’allégement du fardeau de la preuve prévu par l’article 6 LEg. Cela signifie qu’il ou elle doit rendre vraisemblable l’existence d’une discrimination mais que « …le juge n’a pas à être convaincu du bien-fondé des arguments du travailleur; il doit simplement disposer d’indices objectifs suffisants pour que les faits allégués lui paraissent vraisemblables… ». A cet égard, le fait qu’une personne exerçant une profession typiquement féminine gagne moins que dans une autre profession ne rend pas encore vraisemblable une discrimination. Par contre, lorsque des travailleur-euse-s de sexe opposé ont une position semblable avec des cahiers des charges comparables, une différence de rémunération sera présumée être de nature sexiste.

Si la discrimination est vraisemblable, c’est à l’employeur-euse de prouver que la différence de traitement repose sur des facteurs objectifs. (âge, ancienneté, cahier des charges, formation, expérience ou prestations).

X se plaint d’une discrimination indirecte dans la classification de son poste. Elle reproche au Tribunal cantonal de ne pas avoir admis la vraisemblance de la discrimination qu’elle alléguait. Sa rémunération étant inférieure à celle de responsables administratifs de sexe opposé, il fallait, en accord avec la jurisprudence, présumer que cette différence était de nature sexiste.

Le Tribunal cantonal a constaté que le niveau de fonction de X était effectivement inférieur à celui des responsables administratifs des autres facultés, mais que ces postes étaient occupés indifféremment par des femmes et par des hommes, ce qui constituait un indice important d’absence de discrimination.

En effet, pour rendre vraisemblable une discrimination indirecte à raison du sexe affectant la classification de son poste, X devait démontrer que les postes de responsable administratif occupés par des femmes recevaient une classification inférieure aux autres postes de responsable administratif des services de l’Etat de Vaud, ce qu’elle n’a pas fait. Certes la fonction d’assistant-e de direction est moins bien rémunérée que celle d’adjoint-e de la faculté, mais les postes de responsable administratif sont occupés aussi bien par des hommes que par des femmes.

Au vu de ces éléments, le doute du Tribunal cantonal quant à la vraisemblance d’une discrimination était donc justifié.

Quoiqu’il en soit, ce doute n’a pas porté préjudice à X puisque le Tribunal cantonal a tout de même admis le renversement du fardeau de la preuve prévu par l’article 6 LEg et a examiné les arguments de l’Etat de Vaud pour justifier la classification du poste de X en «assistante de direction.»

A cet égard, il a retenu que la Faculté de théologie est bien plus petite que les autres Facultés de l’Université de Lausanne et que la taille d’un service influence la nature du travail et le niveau de responsabilité et justifie une différence de classement.

X soutient que l’Etat de Vaud n’a pas démontré l’impact réel de la taille des facultés sur le cahier des charges des responsables administratifs.

Le Tribunal fédéral juge les objections de la recourante mal fondées. Le cahier des charges et les tâches effectivement confiées justifient une différence salariale. En outre, «il résulte de l’expérience de la vie que la complexité des tâches de gestion et d’administration d’une faculté universitaire-comme de toute entreprise- augmente avec sa taille, de sorte que la taille de la faculté constitue bien un facteur pouvant justifier une différence salariale».

L’Etat de Vaud a concrètement établi que la charge de travail était moindre pour X que pour ses collègues responsables administratifs des autres facultés. Par conséquent, la classification de son poste s’explique objectivement.

Pour ces motifs, le Tribunal fédéral rejette le recours de X.

GE 16.11.2007
discrimination salariale
licenciement discriminatoire
licenciement abusif
discrimination à la promotion

sujet

obligation d’ordonner une expertise

LEg

art 3, art 12

procédure

06.10.2006Jugement du Tribunal des prud’hommes 07.06.2007Arrêt de la Cour d’appel des prud’hommes suite à l’appel 16.11.2007Arrêt du Tribunal fédéral suite au recours en matière civile (ATF 4A 249/2007)

en fait

En date du 30 avril 2001, X a été engagée par Y SA, ci-après Y, en qualité de «responsable administration des ventes». Au moment de son engagement, X disposait d’une formation en sciences économiques de l’Université de Z, avait suivi et achevé plusieurs formations professionnelles en techniques de communication de vente et bénéficiait d’une expérience professionnelle de onze ans dans l’industrie pharmaceutique.

Son salaire mensuel brut fut fixé contractuellement à CHF 7’100.— plus une rémunération variable représentant 10% du salaire annuel.

Dès le 1er septembre 2002, X a été nommée «sales administrator manager», et a reçu des tâches supplémentaires.

En date du 30 juin 2003, X a sollicité une évolution de son salaire ainsi qu’une évolution de ses responsabilités au vu des compétences qu’elle avait démontrées.

Le salaire mensuel brut de X a, dès le 1er janvier 2004, été porté à CHF 9’550.—.

Par avenant du 15 avril 2004, X s’est vue confié, sans augmentation de salaire, la responsabilité de correspondante en charge pour la filiale du programme «sales force excellence», dans le cadre de quoi, X a organisé et participé à plusieurs réunions internationales.

Suite à la fusion des sociétés A.Y et C.Y, l’organisation de l’entreprise a fait l’objet d’une restructuration. X a refusé le nouveau poste qui lui a été proposé dès lors qu’il impliquait une restriction de ses responsabilités. X a, à cette occasion, exprimé le souhait que lui soit confié le poste hiérarchiquement élevé de F, ce en conformité de l’engagement verbal pris par Y lors de l’engagement de X.

Malgré le refus de X, Y lui a annoncé qu’elle aurait le nouveau poste proposé à compter du 1er janvier 2005, sans modification salariale, et que le poste hiérarchiquement élevé de F souhaité par X ne lui serait pas donné, dès lors que d’autres candidats correspondaient mieux au profil et qu’aucun engagement n’avait été pris par X dans ce sens.

X est tombée en incapacité de travail dès le 24 janvier 2005.

Par pli adressé à Y du 25 février 2005, X a évoqué le harcèlement et la discrimination dans la rémunération et la promotion dont elle estimait avoir été victime.

En date du 12 mai 2005, X a été licenciée pour le 31 juillet 2005. X s’est opposée au congé en faisant notamment valoir qu’elle avait été licenciée alors qu’elle invoquait le principe de l’égalité entre hommes et femmes et qu’elle était harcelée depuis des mois.

Le 26 janvier 2006, X a ouvert action contre Y devant le Tribunal des prud’hommes de Genève en concluant au versement de CHF 418’914.— à titre de différence de salaire, d’indemnité pour licenciement abusif et discriminatoire, d’indemnité pour tort moral et de remboursement de frais de déplacement.
Par jugement du 6 octobre 2006, le Tribunal des prud’hommes a déclaré irrecevable la demande de X dans la mesure où elle tendait à la condamnation de Y au paiement d’une indemnité pour la discrimination directe dans la promotion et la formation.

X a fait appel de ce jugement devant la Cour d’appel de la juridiction des prud’hommes de Genève. Elle demandait principalement l’annulation du jugement entrepris et préalablement, elle sollicitait l’audition de trois témoins et la mise en œuvre d’une expertise.

Le but de l’expertise était de dire «si le fait que Madame X a été écartée de la sélection du poste de chef du département Business Support est fondé sur des raisons objectives suffisantes autres que le sexe; si les activités de X et de ses collègues masculins avant la fusion étaient de valeur égale ou non, cas échéant dire dans quelle proportion elles différaient; quelle rémunération non discriminatoire par rapport à ses collègues masculins X aurait dû recevoir pour son activité.»

Par arrêt du 7 juin 2007, la Cour d’appel a confirmé le jugement du Tribunal des prud’hommes, sans avoir donné suite à la requête d’expertise de X. Considérant qu’il n’existait aucun indice de discrimination dans la fixation du salaire et dans la promotion de X, la Cour a jugé qu’une expertise ne devait pas être ordonnée pour élucider ces questions.

X interjette un recours en matière civile contre cet arrêt en demandant son annulation et le renvoi de la cause à l’autorité cantonale.

en droit

X invoque en premier lieu la violation par la Cour cantonale de son obligation d’ordonner une expertise en vertu de l’article 12 LEg.

«Conformément au principe constitutionnel de l’égalité salariale entre l’homme et la femme (article 8 al. 3 Cst), la travailleuse a droit à un salaire égal à celui que touche le travailleur s’ils accomplissent tous deux, dans des conditions égales, des tâches semblables ou des travaux, certes de nature différente, mais ayant une valeur identique.» 1

En vertu de l’article 343 al. 4 CO, applicable au terme de l’article 12 al. 2 LEg, le droit fédéral impose aux tribunaux cantonaux un devoir d’examen étendu; les tribunaux cantonaux doivent ainsi veiller à ce que les moyens de preuve soient mentionnés et les preuves administrées.

«Si l’équivalence entre le diverses fonctions d’une même entreprise ne saute pas aux yeux ou si elle n’est pas établie par d’autres modes de preuve, les tribunaux cantonaux doivent ordonner des expertises. Les experts doivent alors décider si ces fonctions sont comparables les unes aux autres et déterminer les critères permettant de mettre à jour un cas de discrimination. Le juge qui refuse d’ordonner une expertise requise par une partie consacre une violation de l’art. 12 al. 2 LEg, à moins que l’expertise apparaisse d’emblée inutile, parce que, par exemple, le juge dispose lui-même des connaissances scientifiques nécessaires pour élucider une possible discrimination liée au sexe.» 2

Dans le cas présent, la Cour cantonale n’a pas donné suite à la demande d’expertise judiciaire de X. La Cour a en effet contesté l’équivalence des tâches effectuées par quatre employés, dont X, de la société intimée, cela en se fondant sur des critères objectifs que la Cour a elle-même déterminés. Cependant, les magistrats de la Cour n’ont jamais prétendu avoir des compétences techniques spécifiques pour comparer les activités de ces quatre employés. Le Tribunal fédéral relève par ailleurs que le raisonnement de ces magistrats ne s’apparente pas à une approche scientifique de la discrimination invoquée et qu’il n’est pas patent que les fonctions exercées par les employés de Y étaient équivalentes. Le Tribunal fédéral conclut dès lors que la Cour cantonale n’était pas en mesure de refuser d’ordonner une expertise sans violer l’article 12 al. 2 LEg. Le Tribunal fédéral relève de plus qu’une expertise aurait élucider une éventuelle discrimination dans la promotion.

Le Tribunal fédéral a ainsi admis le recours en matière civile de X, annulé l’arrêt attaqué et renvoyé l’affaire à l’autorité cantonale pour qu’elle ordonne l’expertise sollicitée par X.

Par ordonnance préparatoire du 7 mai 2008, la Cour d’appel des prud’hommes, suite à l’arrêt du Tribunal fédéral, a ordonné une expertise, dans le but de déterminer si X a été victime d’une discrimination salariale et à la promotion au sein de Y SA.

La Cour d’appel des Prud’hommes a rendu son arrêt le 11 novembre 2009. Il est résumé sur le site sous la référence GE 11.11.2009 (C/2379/2006).

1 ATF 4A 249/2007, consid. 2.1.
2 ATF 4A 249/2007, consid. 2.1

VD 22.01.2008
discrimination salariale

sujet

Classification salariale prétendument discriminatoire, preuve de la discrimination

LEg

art 3, art 6

procédure

09.05.2007 Jugement du Tribunal de Prud’hommes de l’Administration cantonale 22.01.2008 Jugement de la Chambre des recours du Tribunal cantonal

résumé

La vraisemblance d’une discrimination salariale entre les maîtresses ACT et les maîtres TM avant la mise en place de la nouvelle filière au sein de la Haute école pédagogique du canton de Vaud (HEP) a été admise, ce qui a entraîné le renversement du fardeau de la preuve (art. 6 LEg). Cependant, la Chambre des recours du Tribunal cantonal a retenu, après complètement de l’état de fait, que l’employeur public avait prouvé que la différence salariale reposait sur un motif objectif. Celui-ci consistait principalement dans le fait que les formations permettant d’accéder à ces deux activités étaient différentes, ce qui était de nature à influer sur les prestations concrètes de travail. Dès lors la différence salariale a été jugée non discriminatoire à raison du sexe, contrairement à ce qui avait été retenu en première instance.

en fait

Par jugement du 9 mai 2007, Le Tribunal de Prud’hommes de l’Administration cantonale (ci-après : TRIPAC) a considéré que la classification salariale de la demanderesse, Madame T, en classes 16-19 en sa qualité de maîtresse d’activités créatrices sur textiles (ci-après : maîtresse ACT) était constitutive d’une discrimination (I) ; que Madame T avait droit à une rémunération fondée sur une classification en classes 20-24 pour son activité de maîtresse ACT, calculée conformément aux dispositions légales au vu de son ancienneté (II) ; a rejeté toutes autres et plus amples conclusions (III) ; et a rendu l’arrêt sans frais ni dépens (IV).

L’Etat de Vaud, en sa qualité de défendeur, a recouru contre ce jugement devant la Chambre des recours du Tribunal cantonal.

La Chambre des recours du Tribunal cantonal a repris dans son entier l’état de fait établi par le TRIPAC, dont il ressortait en résumé les éléments suivants :

La demanderesse a suivi, dans le canton de Neuchâtel, un apprentissage de couturière couronné par un certificat fédéral de capacité (ci-après : CFC). En 1980, elle a obtenu un brevet de capacité pour l’enseignement des travaux à l’aiguille délivré par le canton de Neuchâtel. En 1994, ce brevet a fait l’objet d’une reconnaissance d’équivalence avec le brevet vaudois pour l’enseignement des ACT.

La demanderesse a été engagée par l’Etat de Vaud au début de l’année scolaire 1991-1992, en tant que maîtresse ACT. Depuis le 24 juin 2004, elle était au bénéfice d’un contrat de durée indéterminée au sens de la loi du 12 novembre 2001 sur le Personnel de l’Etat de Vaud (LPers-VD ; RSV 172.31), en qualité de maîtresse d’activités manuelles et sur textiles (ci-après : maîtresse ACM-ACT). Son salaire annuel brut était de 69’108 frs., treizième salaire compris, pour un taux d’occupation de 75%. Son taux d’activité est passé à 100 % (soit 28 périodes d’enseignement) dès le 1er août 2004. D’après son contrat d’engagement, la fonction de maîtresse ACM-ACT était colloquée en classes 16-19 au sens de l’échelle des salaires de la fonction publique cantonale vaudoise du mois de janvier 2002.

Le 27 février 2002, peu après la mise en place de la nouvelle filière de formation de la Haute école pédagogique vaudoise (HEP), le Département de la formation et de la jeunesse a décidé que les maîtresses ACM-ACT ne disposant pas du brevet délivré par la HEP auraient la possibilité d’obtenir un certificat HEP pour une deuxième voire une troisième compétence d’enseignement à l’issue d’une formation complémentaire. Dans cette décision, il était précisé que la rémunération pour l’activité de maîtresse ACM-ACT ne serait pas revue ; par contre le niveau de rémunération pour les deuxième et troisième compétences ferait l’objet d’une évaluation ultérieure.

Le 6 février 2004, la demanderesse a demandé le réexamen des conditions d’engagement des maîtresses ACM-ACT non diplômées de la HEP, auprès de la Direction générale de l’enseignement obligatoire, son autorité d’engagement. Elle y faisait notamment remarquer que les maîtresses ACM-ACT faisaient l’objet d’une différence de traitement par rapport aux maîtres de travaux manuels (ci-après : maîtres TM), non bénéficiaires du titre HEP. La Direction générale de l’enseignement obligatoire a rejeté cette demande.

En février et juillet 2004, Madame T a obtenu deux certificats de formations complémentaires délivrés par la HEP pour des options de compétences en informatique/bureautique et mathématiques. Ces certificats correspondaient à de nouvelles options de compétence de maître semi-généraliste.

En décembre 2005, l’Etat de Vaud a fait savoir à la société pédagogique vaudoise (SPV) et au syndicat SUD, avec lesquels la question de la classification salariale des maîtresses ACM-ACT non titulaires du titre délivré par la HEP avait été discutée, qu’il n’entendait pas revoir la classification des maîtresses ACM-ACT. Il n’avait en particulier pas l’intention d’assimiler leur situation à celle des maîtres TM. En revanche, il se déclarait prêt à réexaminer leur rémunération concernant les compétences supplémentaires attestées par les certificats de la HEP, dans la mesure où ces compétences seraient effectivement exercées par les intéressées.

Par convention du 6 juillet 2006 entre l’Etat de Vaud et la SPV, que le syndicat SUD a refusé de signer, le premier s’est engagé à rémunérer l’enseignement effectif d’une nouvelle option de compétence pour les maîtresses ACM-ACT sur la base des classes de salaire 21-24 au sens de l’échelle des salaires de la fonction publique vaudoise du mois de janvier 2002. Cette convention devait s’appliquer à 33 maîtresses ACM-ACT, dont la demanderesse, et prendre la forme d’un avenant au contrat d’engagement pour chacune d’entre elles. La demanderesse n’a pas signé l’avenant en question.

Par demande du 6 novembre 2006, Madame T a ouvert action devant le TRIPAC et a conclu à ce qu’il soit reconnu que l’Etat de Vaud s’était rendu coupable d’une discrimination salariale au sens des art. 3, 5 et 6 de la loi fédérale du 24 mars 1995 sur l’égalité entre femmes et hommes (LEg ; RS 151.1). Elle demandait par ailleurs à être colloquée en classes 20-24, avec effet rétroactif au début de son engagement auprès de l’Etat de Vaud et à bénéficier, également avec effet rétroactif, de l’application de tous les mécanismes salariaux dérivant de cette classification (indexation et annuités).

Le défendeur, l’Etat de Vaud, a conclu au rejet des conclusions de la demande.

Il ressort du témoignage de la Présidente de l’association vaudoise des maîtresses d’ACT que la convention conclue avec la SPV n’était pas encore effectivement appliquée. A son avis, les fonctions de maîtresses ACM-ACT et de maîtres TM exigaient le même niveau de compétences. D’ailleurs, dans le nouveau cursus mis en place par la HEP, les maîtres semi-généralistes spécialisés en TM ou en ACM-ACT étaient colloqués de la même manière, à savoir en classes de salaire 21-24.

Le Président de la SPV a confirmé ce témoignage.

Le TRIPAC a admis la demande, considérant qu’il y avait discrimination salariale entre les maîtresses ACM-ACT et les maîtres TM et que la demanderesse devait être colloquée en classes 20-24. En substance, il a retenu que Madame T avait rendu vraisemblable l’existence d’une discrimination. Il s’est fondé sur le fait que la fonction de maîtres TM était quasi exclusivement exercée par des hommes et celle de maîtres ACM-ACT par des femmes, que les cahiers des charges de ces deux activités étaient semblables, en tout cas du point de vue de la nature de l’enseignement et du nombre de périodes d’enseignement pour un plein temps. Le Tribunal de Prud’hommes a retenu que la discrimination concernait les maîtres formés dans le système en vigueur avant que ne soit mise en place la nouvelle filière au sein de la HEP, cette dernière donnant dorénavant lieu, pour l’enseignement des ACM-ACT et des TM, à la même rémunération selon une collocation en classes 21-24. Le Tribunal a considéré que les conditions d’accès aux fonctions en cause résultaient d’une conception discriminatoire de la valeur des deux branches, les TM s’adressant à l’époque exclusivement aux garçons, alors que les ACM-ACT s’adressaient aux filles. Il a enfin retenu que le défendeur, l’Etat de Vaud, n’avait pas apporté la preuve que la différence salariale entre ces deux fonctions reposait sur des motifs objectifs, sans rapports avec le sexe des enseignants.

Le 5 octobre 2007, l’Etat de Vaud a recouru contre ce jugement, en concluant à sa réforme, en ce sens que les conclusions prises par Madame P soient rejetées.

en droit

A. Complètement de l’état de fait, s’agissant de la formation des maîtres de TM

Après avoir constaté la conformité de l’état de fait du jugement de première instance aux pièces du dossier et aux autres preuves administrées, la Chambre des recours du Tribunal cantonal l’a complété de la manière suivante :

.

B. Action en cessation et action en constatation de la discrimination (art. 5 al. 1 let. b et c LEg)

La Chambre des recours a rappelé que l’action en constatation de la discrimination prévue par l’art. 5 al. 1 let. c LEg n’a pas de portée indépendante dès lors qu’une action en cessation (art. 5 al. 1 let. b LEg), destinée à mettre fin à une discrimination existante et persistante est ouverte, car la constatation de la discrimination est présupposée dans l’action en cessation (MARGRITH BIGLER-EGGENBERGER, n° 17 ad art. 5 LEg, in : Bigler-Eggenberger/Kaufmann, Commentaire de la loi sur l’égalité, Lausanne 2000).

En l’espèce, la Chambre des recours a constaté que les premiers juges étaient à juste titre entrés en matière sur l’action en cessation (chiffre II du dispositif du jugement) ainsi que sur celle en constatation (chiffre I), leurs conditions d’entrée en matière étant réunies.

C.  Règles de droit applicables

a) Droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale

Après avoir rappelé la teneur de l’art. 8 al. 3, 3ème phrase Cst[1] et celle de l’art. 3 LEg [2], ainsi que les définitions des notions de discriminations directe et indirecte liées au sexe[3], la Chambre des recours a rappelé qu’une discrimination peut exister lorsqu’une profession typiquement féminine est désavantagée par rapport à une profession typiquement masculine (ATF 124 II 409, consid. 8b, JT 2001 I 3). Il y a discrimination en matière de rémunération notamment lorsqu’il existe, au détriment d’une profession identifiée comme typiquement liée au sexe, des différences de salaires qui ne sont pas fondées objectivement sur le travail lui-même. Les différences salariales qui reposent sur des circonstances spécifiquement liées au sexe sont donc interdites (TF, arrêt du 03.09.2007, 2A.730/2006, consid. 4.1 ; ATF 124 II 409, consid. 8a, JT 2001 I 3 ; ATF 117 Ia 270, consid. 2b, JT 1993 I 106). La Chambre des recours a encore cité la jurisprudence du Tribunal fédéral selon laquelle une discrimination directe ou indirecte en matière de rémunération peut résulter non seulement de la comparaison de la rémunération d’une personne précise par rapport à celle d’autres personnes du sexe opposé, mais aussi de la classification générale de fonctions déterminées. Dans l’aménagement d’un système de rémunération de la fonction publique, les autorités cantonales disposent toutefois d’un large pouvoir d’appréciation que la loi sur l’égalité ne restreint en principe pas, en ce sens qu’elle n’impose ni une méthode déterminée d’évaluation des places de travail, ni l’application d’une échelle ; elle prohibe uniquement le choix de critères qui ont un effet discriminatoire direct ou indirect (TF, arrêt du 03.09.2007, 2A.730/2006, consid. 4.1 ; ATF 124 II 409, consid. 8a, JT 2001 I 3). Dans la règle, ne sont pas discriminatoires les différences qui reposent sur des critères objectifs tels que la formation, l’âge, l’ancienneté, les qualifications, l’expérience, le cahier des charges, les prestations et les risques encourus (TF, arrêt du 03.09.2007, 2A.730/2006, consid. 4.1 ; ATF 130 III 145, consid. 5.2 ; ATF 127 III 207, consid. 3c ; ATF 124 II 409, consid. 8a, JT 2001 I 3). En particulier, le critère lié à la différence de formation n’est pas discriminatoire. Certes, derrière des critères formellement neutres peut parfois se cacher une discrimination indirecte, par exemple si l’on donne trop d’importance à l’ancienneté dans l’évaluation des salaires, sans égard à l’interruption de carrière en raison d’obligations familiales, qui est encore de manière typique le fait des femmes. En règle générale cependant, les raisons objectives peuvent justifier une différence de rémunération dans la mesure où elles influent sur la prestation de travail et sa rémunération par l’employeur (ATF 130 III 145, consid. 5.2 ; ATF 125 III 368, consid. 5, JT 2000 I 596 ; ATF 124 II 409, consid. 9c et 9d, JT 2001 I 3). Ainsi le Tribunal fédéral a admis qu’une différence de rémunération, au détriment des maîtresses de travaux manuels, par rapport à des enseignants de l’école primaire ou de l’école ménagère, était justifiée, compte tenu des différences dans la formation et l’activité professionnelle (ATF 117 Ia 270, consid. 2b, JT 1993 I 106).


b) Allègement du fardeau de la preuve (art. 6 LEg)

L’art. 6 LEg instaure un assouplissement du fardeau de la preuve en matière de discrimination entre femmes et hommes ; il s’applique à l’attribution des tâches, à l’aménagement des conditions de travail, à la rémunération, à la formation et au perfectionnement professionnels, à la promotion et à la résiliation des rapports de travail. Selon cette disposition, dès lors que la prétendue victime d’une discrimination a rendu vraisemblable l’existence d’une discrimination, le fardeau de la preuve est renversé, de sorte qu’il incombe à la partie adverse de démontrer l’inexistence de la discrimination. Cette règle spéciale par rapport à l’art. 8 CC, selon lequel il incombe à la partie qui déduit un droit de certains faits d’apporter la preuve de ces faits, trouve sa justification dans la nécessité de corriger l’inégalité de fait résultant de la concentration des moyens de preuve en mains de l’employeur. Pour que la vraisemblance d’une discrimination soit admise, le juge n’a pas à être convaincu du bien-fondé des arguments du travailleur ; il doit simplement disposer d’indices objectifs suffisants pour que les faits allégués lui paraissent vraisemblables, sans pouvoir exclure qu’il en aille différemment. Selon la jurisprudence, la vraisemblance doit porter sur les conditions effectives de la discrimination, surtout en ce qui concerne la spécification des sexes et le fait que l’échelle de traitement repose sans raison objective sur des critères liés au sexe. Le fait qu’une employée exerçant une profession typiquement féminine gagne moins que dans une autre profession (neutre du point de vue du sexe ou masculine) ne rend pas encore vraisemblable une discrimination. En effet, la question de l’existence d’une discrimination ne peut être tranchée que si la fonction concernée est examinée par rapport à l’ensemble du système salarial. En revanche, lorsque des travailleurs de sexe opposé ont une position semblable avec des cahiers des charges comparables, il est présumé, s’il y a une différence de rémunération entre eux, que celle-ci est de nature sexiste (TF, arrêt du 03.09.2007, 2A.730/2006, consid. 4.2 et les références). Lorsqu’une discrimination est rendue vraisemblable, le fardeau de la preuve incombe à l’employeur. Celui-ci obtiendra gain de cause s’il parvient à établir, preuves à l’appui, que la différence de traitement repose sur des facteurs objectifs (Message LEg, FF 1993 I 1163, pp. 1215-1216 ; TF, arrêt du 03.09.2007, 2A.730/2006, consid. 4.2), soit qu’elle n’est pas discriminatoire. Il faut déduire de l’art. 6 LEg – pour autant qu’une discrimination ait été rendue vraisemblable - que l’employeur doit prouver, d’une part, les faits sur lesquels il fonde sa politique salariale et, d’autre part, les motifs justifiant les différences critiquées comme discriminatoires (TF, arrêt du 03.09.2007, 2A.730/2006, consid. 4.2 ; voir aussi ATF 130 III 145, consid. 5.2).

D. Examen de l’existence d’une discrimination salariale en l’espèce

Le TRIPAC a retenu que la demanderesse avait rendu vraisembable la discrimination salariale, se fondant sur le fait que la différence de salaire était suffisamment importante (classes salariales 16-19 pour les maîtresses ACT, classes 20-24 pour les maîtres TM), que l’enseignement des ACM-ACT était presque exclusivement exercé par des femmes et celui des TM par des hommes et que les cahiers des charges pour ces deux activités étaient semblables, du moins s’agissant de la nature de l’enseignement et du nombre de périodes à enseigner pour un plein temps. Les juges de première instance ont par ailleurs considéré que le défendeur, l’Etat de Vaud, n’avait pas apporté la preuve que la différence salariale entre ces deux fonctions reposait sur des motifs objectifs, sans rapport avec le sexe des enseignants.

La Chambre des recours a également considéré que Madame T avait rendu vraisemblable l’existence de la discrimination salariale entre l’activité de maître ACT et celle de maître TM, selon l’ancien système de formation. Elle a retenu à cet égard les mêmes éléments de faits que l’instance inférieure. Elle a par ailleurs confirmé qu’il incombait au défendeur, l’Etat de Vaud, de prouver que la différence salariale entre les maîtres TM et les maîtresses ACM-ACT n’était pas discriminatoire.

A ce égard, la Chambre des recours a considéré que l’instance inférieure n’avait, à tort, pas tenu compte des éléments de faits contenus dans la note du 6 décembre 2006 émanant de la Direction générale de l’enseignement obligatoire. Cette note concernait les formations respectives à entreprendre pour l’obtention du brevet d’enseignement des ACT et des TM, ceci avant que ne soit mise en place la nouvelle filière au sein de la HEP.

Pour la Chambre des recours, il ressortait de cette note que les exigences quant à la formation à suivre pour l’enseignement des ACM-ACT et des TM étaient différentes. La Chambre des recours a retenu les différences suivantes :

Le 24 janvier 2005, B. SA répondait qu’elle n’avait aucune raison de penser que le retour de Madame R. le 16 novembre n’était pas définitif, que ce licenciement n’était pas lié au fait d’avoir manqué son travail durant quelques jours, ni au fait qu’elle ne soit pas venue travailler, sans explication, le 15 novembre, et rappelait que le rendez-vous médical du 16 novembre n’avait eu lieu qu’après l’annonce de la résiliation. Elle ajoutait que le certificat d’incapacité ne lui était parvenu que le 18 novembre 2004 et que Madame R. avait paru être parfaitement apte au travail le 16 novembre, dès lors elle ne pouvait admettre ce certificat qui attestait d’une incapacité rétroactive. Elle affirmait agir en toute bonne foi, notamment en respectant la suspension du délai de congé en raison d’une période de protection légale, ajoutant que le licenciement de Madame R. restait valable, mais qu’elle préférait renouveler la résiliation pour la prochaine échéance uniquement dans le but de préserver son droit. Elle terminait en confirmant qu’un certain nombre d’employés avaient bénéficié d’indemnités dans le cadre de la restructuration de 2003 en raison d’un budget débloqué spécifiquement, mais que le cas de Madame R. ne faisait pas partie de cette restructuration.

Le 12 avril 2005, B. SA confirmait par courrier l’essentiel des points évoqués ci-dessus et le 25 avril 2005 Madame R. faisait opposition à la résiliation des rapports de travail.

Madame R. n’a reçu son salaire que jusqu’à la fin du mois de mars.

B. SA a subi deux importantes restructurations en 2003 et en 2005 dans le but de réduire les frais généraux. Lors de la restructuration de 2003, la division à laquelle Madame R. était rattachée avait perdu deux postes. B. SA avait alors invité tous les employés licenciés à postuler à nouveau et trois sur cinq furent réengagés. Tous les employés licenciés dans le cadre de ces restructurations ont reçu une indemnité de départ à deux semaines de salaire par année de service pour les personnes ayant moins de cinq années d’ancienneté, et trois semaines par année de service pour ceux ayant plus d’ancienneté. Ils ont également tous été libérés de l’obligation de travailler durant une partie du délai de congé et ont bénéficié d’un « outplacement ». La pratique consistant à octroyer des indemnités d’un tel montant ne s’est pas appliquée seulement dans le cadre de ces réorganisations, mais également à des licenciements isolés antérieurs et postérieurs.

Le licenciement de Madame R. n’avait toutefois rien à voir avec ces deux restructurations, par ailleurs, il n’a pas été établi qu’elle ait reçu une quelconque promesse de la part de B. SA relative à une indemnité de départ.

Un expert fut mandaté pour analyser les différents cas de licenciements et les comparer. Il a constaté qu’en dehors des cas des deux restructurations, qui ont bénéficié d’un budget par la direction mondiale à répartir équitablement, il n’y avait pas de critère précis quant à l’octroi d’une indemnité de départ, ni de directives ou de réglementation interne. Il releva que les employés s’accordaient à penser qu’une indemnité correspondant à trois semaines de salaire par année de service était la règle dans cette entreprise pour les employés ayant eu de longs rapports de services en cas de restructuration. Après analyse des licenciements opérés de 1995 à 2006, l’expert ne put que confirmer le fait que les employés recevaient une indemnité à raison de deux semaines de salaire par année de service pour cinq ans d’ancienneté et trois pour dix ans d’ancienneté, sous réserve de quelques exceptions. En effet, certains avaient reçu plus et certains moins, ceci indépendamment des années de service ou du rang hiérarchique. En conclusion, l’expert confirmait que les employés ayant le même rang hiérarchique que Madame R., ou un rang supérieur, avaient reçu une indemnité basée sur trois semaines de salaire par année d’ancienneté lors de suppressions de postes et lorsque les rapports de service avaient durés plus de dix ans.

En conséquence, Madame R.  prit les conclusions suivantes le 25 avril 2005:

Le 28 juillet 2005 B. SA conclut au rejet pur et simple des conclusions de Madame R.

Le 19 mai 2008, Madame R. a précisé ses conclusions, selon lesquelles, B. SA lui devait la somme de 486’224.35 CHF plus intérêts à 5 % l’an dès le premier octobre 2006, ainsi que la somme de 160’293.75 CHF plus intérêts à 5 % l’an dès le 30 avril 2005 et si les rapports de travail étaient considérés comme s’étant terminés le 31 mars ou le 30 avril 2005 la somme de 224’411.25 CHF plus intérêts à 5 % l’an dès le 30 avril 2005.

en droit

A. Modification des conclusions selon la LEg :

Madame R. modifia ses conclusions dans son mémoire de droit en se prévalant de l’article 10 alinéa 4 de la loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes qui permet à une victime de discrimination de modifier ses conclusions en cours de procédure. Cette façon de faire ne respecte par la procédure civile vaudoise, en vigueur à l’époque, partant elle est considérée comme irrecevable. De ce fait, il ne peut être tenu compte de ces dernières conclusions en raison de leur irrégularité. La LEg ne fait pas obstacle à cette solution, car le droit fédéral ne dispense pas de respecter les dispositions cantonales de procédure régissant la modification des conclusions.

B. Résiliation pendant une période de protection :

Madame R. soutient que le licenciement prononcé oralement le 16 novembre 2004 et adressé par courrier recommandé retiré le 22 novembre 2004 est nul puisqu’il a été notifié pendant une période de protection légale. Cette protection est consacrée par l’article 336c alinéa 1 lettre b CO et est reprise par la jurisprudence, qui émet toutefois une réserve selon laquelle cet article ne s’appliquerait pas en cas d’atteinte à la santé si insignifiante qu’elle ne pourrait empêcher d’occuper son poste de travail. Cette disposition s’applique que l’incapacité de travail soit totale ou partielle.
Dès lors, une résiliation prononcée durant une période de protection est nulle, ne produit aucun effet juridique et ne peut être convertie. Il est nécessaire de renouveler la résiliation pour la prochaine échéance une fois la période de protection achevée.

Cependant, le certificat médical établissant une incapacité de travail ne bénéficie que d’une présomption de véracité qui peut être renversée. Ainsi, la jurisprudence constante énonce que lorsque le travailleur montre par son comportement qu’il est complètement apte au travail, le certificat médical ne peut plus démontrer son incapacité ; en dehors de tels cas, la mise en doute de la véracité d’un certificat médical suppose des raisons sérieuses et des circonstances particulières.
Madame R. était au bénéfice de plusieurs certificats médicaux attestant une incapacité totale ininterrompue du 8 novembre au 17 décembre 2004. Néanmoins selon B. SA, Madame R. était capable de travailler le 16 novembre 2004 puisqu’elle s’était présentée à son bureau et que son handicap à la cheville ne l’empêchait nullement de se livrer à ses tâches professionnelles. Ce raisonnement méconnaît le fait que la protection de l’article 336c CO s’étend également au travailleur partiellement incapable de travailler et qu’elle ne dépend pas de la présence ou non de l’employé sur son lieu de travail. B. SA avait proposé des allégements et des tolérances au vu de la situation de Madame R., dès lors elle a reconnu une incapacité de travail au moins partielle. En outre, l’attitude de B. SA est contradictoire puisqu’elle admet une incapacité jusqu’au 15 novembre 2004 puis à nouveau depuis le 17 novembre 2004, alors que les certificats médicaux couvraient l’ensemble de la période d’incapacité.
Dès lors, les certificats médicaux sont considérés comme valables, le Docteur G. ayant examiné Madame R. l’après-midi du 16 novembre 2004, et étant à même de déterminer que l’incapacité en question existait déjà pendant la matinée. De surcroît, il importe peu que l’employeur ignore l’existence d’une incapacité lorsqu’il signifie un congé.

En conséquence, le licenciement oral du 16 novembre 2004, de même que celui de la lettre recommandée retirée le 22 novembre 2004 sont nuls.

C. Congé-représailles :

Par courrier du 24 janvier 2005, B. SA renouvelait la résiliation pour la prochaine échéance dans le but de préserver ses droits. A cette date, Madame R. n’était plus incapable de travailler et ne se trouvait plus sous la protection de l’article 336c CO.
Cependant, elle considérait cette résiliation comme une forme de représailles illicites au sens de la LEg, puisqu’elle répondait à sa lettre du 11 janvier 2005 dans laquelle elle faisait valoir la nullité du licenciement du 16 novembre 2004 et demandait une indemnité de départ. Cette deuxième résiliation devait donc être annulée.

En effet, l’article 10 alinéa 1 LEg dispose que la résiliation du contrat de travail par l’employeur est annulable lorsqu’elle ne repose pas sur un motif justifié et qu’elle fait suite à une réclamation adressée à un supérieur ou à un autre organe compétent au sein de l’entreprise, à l’ouverture d’une procédure de conciliation ou à l’introduction d’une action en justice. La réclamation doit porter sur une discrimination alléguée par le travailleur.
Constitue un motif justifié tout motif pouvant raisonnablement donner lieu à une résiliation, même s’il n’est pas suffisamment grave pour justifier une résiliation immédiate du contrat de travail. Une partie de la doctrine considère que le motif justifié doit être exclusivement lié à la personne du travailleur ou à son comportement, comme des absences, une inaptitude évidente ou le non respect des directives. Cela dit, selon la doctrine récente, rien n’empêche en réalité qu’un motif justifié de résiliation ne tienne au fonctionnement ou à une réorganisation de l’entreprise, liée par exemple à des difficultés économiques ou à un licenciement collectif, et non à une faute du travailleur concerné ; l’article 10 LEg devant être rapproché de l’article 336 CO plutôt que de l’article 340 CO.
Dans la mesure où le congé est donné pendant le délai de protection fixé par l’article 10 alinéa 2 LEg, il incombe à l’employeur de démontrer l’existence d’un motif justifié de congé.

Conformément à l’article 10 alinéa 2 LEg, la protection contre le congé commence dès que le travailleur se plaint d’une discrimination à l’employeur, à un supérieur ou à un autre organe compétent au sein de l’entreprise. Elle se termine six mois après la clôture de la procédure de conciliation ou de la procédure judiciaire, de même que six mois après que l’employeur ait pris position définitivement sur le cas de discrimination invoqué. La personne concernée doit ouvrir action, ou saisir l’autorité de conciliation, avant la fin du délai de congé. Cela se justifie par la nécessité de préserver une possibilité réelle de maintenir les rapports de travail.

L’article 10 alinéa 3 LEg permet au juge d’ordonner la réintégration provisoire du travailleur pour la durée de la procédure, à condition qu’il paraisse vraisemblable que les conditions d’une annulation du congé soient remplies ; il s’agit là d’une mesure provisionnelle qui a pour but d’éviter que la protection contre les congés ne soit rendue illusoire par la durée de la procédure.

Si le congé est annulé, le travailleur doit être placé dans la même situation que si le congé n’avait pas été donné, en vertu de l’effet rétroactif de l’annulation. Dès lors, il doit recevoir son salaire depuis la fin du délai de congé. Selon l’alinéa 4 de l’article 10 LEg, il est également permis au travailleur d’opter pour une indemnité en cours de procès.

En l’espèce, même si Madame R. a respecté formellement les exigences de l’article 10 alinéa 3 LEg quant au délai, ses prétentions découlant de cet article doivent être rejetées au motif que la lettre du 11 janvier 2005 ne fait aucune mention de cette loi ou d’une discrimination de nature sexuelle. Au contraire, en réclamant le paiement du salaire jusqu’en avril 2005, elle admet implicitement une résiliation valable. Dès lors, les conditions d’application de l’article 10 alinéa 1 LEg ne sont pas remplies.
De plus, le congé du 24 janvier 2005 n’a été prononcé que dans l’hypothèse où celui du 16 novembre 2004 n’aurait pas été valable, dans ce cas là, il paraît difficile de l’interpréter comme des représailles.

En conséquence, le congé signifié le 24 janvier 2005 ne saurait être annulé sur la base de la loi sur l’égalité.

Ce congé obéissait aux conditions usuelles de la résiliation du contrat de travail. Il respectait le délai de résiliation fixé par les parties et a été valablement notifié et reçu par Madame R. La résiliation a valablement pris effet pour la fin du mois d’avril 2005. Il convient alors d’allouer un mois de salaire brut, avec la part afférente au treizième salaire plus intérêt à 5 % l’an depuis le 1er mai 2005.

D. Licenciement abusif :

Le 25 avril 2005, Madame R. avait valablement fait opposition au congé selon l’article 336b CO.

La protection contre les congés abusifs ancrée aux articles 336 et suivants CO vise les motifs pour lesquels le congé est donné. Elle tend à empêcher que le travailleur soit licencié pur des motifs que le législateur considère comme répréhensibles et n’a donc pas pour objet de garantir la situation de l’employé pendant une période déterminée. Elle concerne uniquement l’abus du droit à résilier le contrat de travail.

Madame R. n’a pas établi avoir été licenciée pour avoir fait valoir de manière légitime des prétentions découlant du contrat de travail ou que les circonstances entourant son congé constituaient une violation du principe de la bonne foi.

Le congé n’était alors pas abusif et partant ne peut donner droit à  l’indemnité  prévue par l’article 336a CO.

E. Discrimination sous l’ange de la LEg relative à l’indemnité de départ :

Madame R. réclamait une indemnité de départ correspondant à trois semaines de salaire par année d’ancienneté et soutenait que le fait de ne pas la lui allouer consistait en une discrimination illicite au regard de la LEg.

Aux termes de l’article 2 de cette loi, il est interdit de discriminer les travailleurs à raison du sexe, soit directement, soit indirectement, notamment en se fondant sur leur état civil ou leur situation familiale ou, s’agissant des femmes, leur grossesse. Cette interdiction s’applique notamment à l’embauche, à l’attribution des tâches, à l’aménagement des conditions de travail, à la rémunération, à la formation et au perfectionnement professionnels, à la promotion et à la résiliation des rapports de travail. Selon l’article 5 alinéa 1 lettre d LEg, le travailleur discriminé peut réclamer en justice le paiement du salaire dû sans la discrimination, soit tous les arriérés de salaires avec comme seule limite la prescription. Dans l’énumération de l’article 6 LEg, dont fait partie la rémunération, le travailleur bénéficie d’un fardeau de la preuve allégé, en ce sens que l’existence d’une discrimination sera présumée s’il la rend vraisemblable. La présomption ne s’applique qu’en présence d’un certain degré de probabilité de discrimination, reposant sur des indices sérieux, même s’il n’est pas nécessaire que le contraire apparaisse moins probable.

L’article 6 LEg devant être interprété dans le sens de la ratio legis de tout le texte légal, il s’applique à la preuve de la discrimination dans des matières qui n’y sont pas énumérées. Il s’applique notamment aux prestations exceptionnelles versées en cas de résiliation des rapports de travail, tels que des indemnités de départ ou des services « d’outplacement », car la notion de rémunération doit être comprise dans un sens large. De même, le salaire dû au sens de l’article 5 alinéa 1 lettre d LEg peut englober ce genre de prestation. En revanche, l’article 6 LEg ne peut être invoqué dans les cas d’embauche et de harcèlement sexuel.

Dès lors, Madame R. pouvait invoquer la LEg pour se plaindre d’une discrimination touchant à l’indemnité de départ qui lui était proposée et il lui suffisait de la rendre vraisemblable pour qu’elle soit présumée. Elle n’y est toutefois pas parvenue car les plans sociaux de 2003 et 2005 se sont appliqués indistinctement à des hommes et à des femmes, occupant soit des postes hiérarchiquement plus ou moins élevés que celui de Madame R. Il en allait de même des employés licenciés hors plans sociaux, puisque certains employés, femmes et hommes, ont bénéficiés d’indemnités et certains n’en ont pas obtenu.
Au vu de ceci, la discrimination ne peut être tenue pour vraisemblable.

En matière de salaire, derrière des critères formellement neutres peut parfois se cacher une discrimination dite indirecte. Ce qui est notamment le cas lorsqu’on constate une différence de salaire au détriment d’une profession considérée comme typiquement féminine, ou masculine, dépourvue de justification objective dans la nature du travail. Dans ce contexte, comme il n’est pas possible de déterminer scientifiquement la valeur de différentes activités, ce sont essentiellement les critères de rémunération discriminatoires qui doivent être recherchés. Ainsi, l’évaluation salariale est discriminatoire lorsqu’elle s’attache à des caractéristiques spécifiques liés au sexe, sans que cela ne soit justifié par le genre d’activité à exercer. Parmi ces critères, il faut compter ceux qui s’appliquent plus facilement ou plus souvent aux personnes d’un sexe, notamment les particularités biologiques ou liées à la réalité sociale.

Madame R. n’a pas non plus réussi à démontrer une discrimination indirecte, ni même à établir sur quels critères elle aurait été basée.

Dès lors, elle n’a pas eu droit à un quelconque montant au titre de la loi sur l’égalité.

F. Discrimination fondée sur le droit du travail relative à l’indemnité de départ :

Madame R. a également invoqué avoir droit à une égalité de traitement fondée sur le droit du travail, car lorsqu’il s’agit de prestations sociales, de bonus et de primes, la doctrine et la jurisprudence ont émis quelques réserves et posé certaines limites à la discrimination entre travailleurs d’un même employeur. Une tendance à reconnaître un droit général à l’égalité de traitement, sous certaines conditions, a même vu le jour dans la doctrine. Ce droit général serait avant tout basé par rapport à un traitement collectif et sur le respect par l’employeur de la personnalité de ses travailleurs.

Il n’est pas illicite qu’un employeur décide des critères jugés pertinents pour l’allocation d’une gratification. Il faut néanmoins évaluer objectivement la pertinence des motifs de refus puisqu’il s’agit d’une discrimination. L’âge, l’ancienneté, le niveau de salaire et la situation familiale sont notamment considérés comme des critères objectifs. En revanche, le sexe, la nationalité, l’appartenance politique ou l’orientation sexuelle ne le sont pas.

Le Tribunal fédéral considère qu’au regard du principe de l’égalité de traitement, l’employeur est libre de déterminer ou de convenir, selon les circonstances, des critères d’inclusion ou d’exclusion de certaines catégories de travailleurs dans le traitement collectif, pour autant que ces critères soient reconnaissables, qu’ils ne soient pas arbitraires, ne violent pas le respect de la personnalité et ne soient pas illicites. En vertu du principe de la confiance, si les critères de sélection ne sont pas clairement reconnaissables par les employés, le doute doit leur profiter.

Ainsi, même si une indemnité de licenciement n’est pas prévue dans le contrat de travail initial, lorsqu’une majorité de travailleurs reçoit une gratification indépendamment du motif de licenciement, l’employé qui en est exclu, peut de bonne foi inférer des circonstances que son contrat a été implicitement modifié  en ce sens qu’il a droit à une indemnité. Le caractère éventuellement facultatif de cette gratification doit céder le pas devant le principe de l’égalité de traitement et le principe de la confiance.

L’expert a établi que la plupart des collègues de Madame R. ont touché une indemnité de départ correspondant au barème de trois semaines de salaire par année de service en cas de long rapports de travail, ce qui démontre une certaine pratique de B. SA. De plus, les employés de B. SA considéraient cette indemnité comme un standard. Dès lors, Madame R. était fondée à croire, selon le principe de la confiance qu’elle recevrait une telle indemnité.

En conséquence, Madame R. doit recevoir une indemnité de départ de trois semaines de salaire par année d’ancienneté plus intérêt, ceci résultant de son droit à l’égalité de traitement basé sur l’interdiction de porter atteinte à la personnalité du travailleur.

Résumé par Virginie Panchaud, assistante diplômée à la faculté de droit et des sciences criminelles, Université de Lausanne, IDAT, sous la supervision du Prof. Rémy Wyler.

FR 25.02.2009
discrimination salariale

sujet

proportionnalité des motifs objectifs

LEg

art 3, art 5, art 6

procédure

2004Commission fribourgeoise de conciliation en matière d’égalité entre les sexes dans les rapports de travail 03.10.2007Jugement de la Chambre des prud’hommes de l’arrondissement de la Sarine 01.09.2008Arrêt de la Cour d’appel civil du Tribunal cantonal du canton de Fribourg 25.02.2009Arrêt du Tribunal fédéral (4A 449/2008)

en fait

Le 1er juillet 1996, X a été engagée par la Fondation Y, ci-après Y, en qualité de collaboratrice sociale à 70 %. Durant les 3 premières années de son activité, X a suivi une formation auprès de l’Ecole d’études sociales et pédagogiques à Lausanne en vue d’obtenir le diplôme d’assistante sociale. Dès septembre 1999, diplômée, X a travaillé comme assistante sociale à plein temps pour Y.

En 2002 et 2003, X a perçu un salaire annuel brut de CHF 82’509.– alors que son collègue et contemporain A, pour les mêmes années et la même activité, a reçu une rémunération brute de CHF 96’863.–.

En mars 2004, X et sa collègue B ont exprimé leur déception de percevoir, pour un travail égal, un salaire inférieur à celui de leurs collègues masculins et ont proposé de soumettre ce litige salarial à la Commission fribourgeoise de conciliation en matière d’égalité entre les sexes dans les rapports de travail (ci-après CCMES). La CCMES a émis des recommandations tendant au reclassement du salaire de X dans une classe supérieure ; ces recommandations n’ont pas été suivies par Y.

X a dès lors ouvert une action en paiement contre Y devant la Chambre des prud’hommes de l’arrondissement de la Sarine ; elle concluait à ce que Y soit condamnée à lui payer un arriéré de salaire de CHF 21’779.75 pour la période du 1er janvier 2002 au 31 décembre 2005. B a également ouvert action contre Y, les deux causes ont été jointes.

Par jugement du 3 octobre 2007, la Chambre des prud’hommes a partiellement admis la demande de X et condamné Y à lui payer la somme brute de CHF 18’269.65.

La Cour d’appel civil du Tribunal cantonal du canton de Fribourg a partiellement admis le recours de Y et rejeté la demande déposée par X.

X interjette un recours en matière civile et demande au Tribunal fédéral d’annuler l’arrêt cantonal et de condamner Y à lui payer la somme brute de CHF 18’269.65. Y propose le rejet le recours.

en droit

Le jugement de première instance a retenu que X a rendu vraisemblable une discrimination salariale liée au sexe et que Y a quant à elle prouvé qu’une différence de salaire n’était justifiée par un motif objectif, soit une expérience plus longue dans le secteur social, qu’à concurrence de 8,5 %.

La Cour cantonale a, sur recours de X, retenu trois raisons justifiant un salaire plus élevé en faveur de A, soit l’ancienneté, l’expérience professionnelle dans le domaine social et le bilinguisme.

X se plaint d’une violation de l’article 3 LEg : pour la période du 1er janvier 2002 au 30 septembre 2004, date du départ de A, elle fait valoir que son salaire était en moyenne de plus de 16 % inférieur à celui de son collègue et que les motifs retenus dans l’arrêt attaqué ne justifient pas une telle différence salariale. Elle indique à ce propos que ni l’ancienneté de Y au sein du service, ni les années d’expérience dans le domaine social n’ont eu la moindre influence sur leur valeur du travail.

En vertu de l’article 8 al. 3 de la Constitution, l’homme et la femme ont droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale. L’article 3 al. 2 LEg précise que l’interdiction de toute discrimination des travailleurs à raison du sexe s’applique notamment à la rémunération ; l’article 5 al. 1 let. d LEg prévoit que la personne discriminée dispose d’une prétention en paiement du salaire dû.

Aux termes de l’article 6 LEg, l’existence d’une discrimination est présumée pour autant que la personne qui s’en prévaut la rende vraisemblable. Le fardeau de la preuve d’une discrimination à raison du sexe est ainsi allégé, ce qui signifie qu’il suffit à la personne discriminée de rendre vraisemblable l’existence d’une discrimination. Le Tribunal fédéral précise à ce propos que « le juge n’a pas à être convaincu du bien-fondé des arguments de la partie qui se prévaut de la discrimination ; il doit simplement disposer d’indices objectifs suffisants pour que les faits allégués présentent une certaine vraisemblance, sans devoir exclure qu’il puisse en aller différemment. Par exemple, la vraisemblance d’une discrimination salariale a été admise dans le cas d’une travailleuse dont le salaire était de 15 % à 25 % inférieur à celui d’un collègue qui accomplissait le même travail. Cela signifie également que la comparaison avec la rémunération d’un seul collègue exerçant la même activité suffit pour établir la vraisemblance d’une discrimination à l’encontre d’une travailleuse».

Une fois que la discrimination a été rendue vraisemblable, il appartient à l’employeur de prouver l’inexistence de la discrimination en apportant la preuve stricte que la différence de traitement est justifiée par des motifs objectifs. « Constituent des motifs objectifs ceux qui peuvent influencer la valeur même du travail, comme la formation, l’ancienneté, la qualification, l’expérience, le domaine concret d’activité, les prestations effectuées, les risques encourus, le cahier des charges. Des disparités salariales peuvent également se justifier pour des motifs qui ne se rapportent pas immédiatement à l’activité en cause, mais qui découlent de préoccupations sociales, comme les charges familiales ou l’âge. Des motifs objectifs ne légitiment généralement une différence de rémunération que dans la mesure où ils influent sur la prestation de travail et sa rémunération par l’employeur. Pour qu’une différence de traitement soit justifiée, il ne suffit pas que l’employeur invoque n’importe quel motif : il doit au contraire démontrer qu’il poursuit un but objectif qui répond à un véritable besoin de l’entreprise et que les mesures discriminatoires adoptées sont propres à atteindre le but recherché, sous l’angle du principe de la proportionnalité. En particulier, si la partie défenderesse apporte la preuve d’un motif objectif justifiant une différence de traitement, encore faut-il que la mesure de celle-ci respecte le principe de la proportionnalité et n’apparaisse pas inéquitable. Le Tribunal fédéral a jugé ainsi qu’une différence de rémunération de 8 à 9 % touchant deux logopédistes ne violait pas le principe de l’égalité salariale dans la mesure où elle était motivée par une formation préalable différente (maturité, respectivement diplôme d’instituteur) ».

En l’espèce, il n’est pas contesté que X a rendu vraisemblable une discrimination salariale en sa défaveur, il ne reste dès lors plus qu’à se prononcer sur les motifs retenus par la cour cantonale comme justifiant une disparité et leur éventuelle incidence sur la différence de traitement entre X et A. Le Tribunal fédéral retient que, parmi les motifs retenus par les juges fribourgeois, l’ancienneté et l’expérience professionnelle sont des facteurs pouvant influencer la valeur même du travail et pouvant ainsi justifier une différence de traitement entre deux collègues de sexe opposé. S’agissant du bilinguisme, dès lors qu’il s’agit d’un avantage dans un espace bilingue comme Fribourg, il doit être considéré comme un aspect de la prestation de travail qui mérite une reconnaissance au niveau salarial.

Le Tribunal fédéral examine ensuite, sous l’angle de la proportionnalité, la mesure, dans laquelle ces facteurs peuvent justifier l’écart de salaire existant entre X et A. Partant des salaires respectifs de X et de A depuis 2002, il appert que, jusqu’au départ de A, X a en moyenne perçu une rémunération de plus de 16 % inférieure à celle de A, soit une différence de salaire relativement importante. Or, sous l’angle de la proportionnalité, les deux facteurs de l’ancienneté et de l’expérience professionnelle, associés au motif du bilinguisme, ne justifient pas l’ampleur de cet écart de salaires. 

Au vu de ce qui précède, le Tribunal fédéral conclut que Y n’a pas apporté la preuve stricte que la différence de traitement entre X et A était entièrement justifiée par des motifs non liés à une discrimination à raison du sexe. Le recours est ainsi admis et la décision attaquée annulée.

S’agissant du montant à payer, le Tribunal fédéral estime que la différence de salaire de 8.5 % admise par les premiers juges tient compte équitablement des facteurs en jeu dans le cas présent. Y est ainsi condamnée à payer à X, à titre d’arriérés de salaire du 1er janvier 2002 au 31 décembre 2005, le montant de CHF 17’926.70, sous déduction des charges sociales usuelles et avec intérêts à 5 % l’an dès le 1er mars 2004.

Il est encore intéressant de relever que, dès lors que X obtient la quasi-totalité de ses conclusions, le Tribunal fédéral met les frais judiciaires à la charge de Y.

GE 28.05.2009
harcèlement sexuel
licenciement discriminatoire

LEg

art 4, art 5

procédure

22.12.2008Jugement du Tribunal des prud’hommes 28.05.2009Arrêt de la Cour d’appel des prud’hommes

en fait

Par contrat du 28 juin 2007, prenant effet le 1er juillet 2007, T a été engagée par E SA, ci-après E, en qualité d’agente de sécurité.

En date du 20 septembre 2007, E et T ont eu un entretien de service lors duquel E a adressé plusieurs reproches à T qui les a contestés. Les reproches formulés par T n’ont pas été écoutés. Par courrier du 4 octobre 2007, se référant à cet entretien, T a contesté un rapport établi par E qui lui reprochait la lecture du Coran pendant ses heures de service et confirmé à E sa préoccupation relativement au comportement de A, superviseur de T, à son encontre: «…le comportement de A est devenu de plus en plus pressant à mon égard, dépassant le cadre des relations professionnelles et de ce fait très gênant, me mettant dans une situation d’inconfort sur mon lieu de travail. Je lui ai fait comprendre diplomatiquement que je souhaitais qu’il garde ses distances ce qui a contrarié A. Depuis le début de cette mission, je suis professionnelle et intègre dans mon comportement tant physique que mental sans distinction aucune. Je respecte ma hiérarchie en acceptant toutes les directives et consignes dues à vos attentes. Je suis tout à fait satisfaite de ma collaboration avec E et n’aspire qu’à travailler et acquérir de l’expérience. Persuadée que vous trouverez une solution honorable à mon égard et qui soit en parfaite adéquation avec la politique RH de E, et surtout pour que cette situation ne dégénère pas, je suis à votre disposition pour un entretien à votre convenance…» 1.

T a été convoquée le 17 octobre 2007 par E. A l’issue de cet entretien, T a été licenciée pour le 30 novembre 2007. Dès le 26 octobre 2007, T a été en arrêt de travail pour une durée indéterminée. T s’est plainte à son médecin d’avoir été victime de violences psychologiques et de harcèlement sexuel sur son lieu de travail ainsi que de symptômes physiques et psychiques tels que douleurs à l’estomac, nausées, maux de tête, troubles du sommeil, de la concentration, sentiments de peur, de honte, de colère et de tristesse, de rumination et d’inquiétude.

Sur demande de T, E motiva le congé par divers manquements reprochés à T tels que arrivées et annonces tardives d’indisponibilité, refus d’ordre, abandon de poste, occupation à lire pendant le service.

Par demande parvenue au greffe de la juridiction des prud’hommes le 3 janvier 2008, T a assigné E en annulation du licenciement et en paiement de 36’130.25 F, soit 34’044.— à titre d’indemnité pour discrimination en raison du harcèlement sexuel subi (article 5 al. 3 LEg) et 20’086.25 F à titre de dommages et intérêts.

En résumé, T explique avoir subi un comportement déplacé de la part de A, qui s’approchait anormalement pour lui parler, lui arrangeait son uniforme en la touchant de façon exagérée, saisissait chaque opportunité de pouvoir l’approcher, lui mettait la main autour de l’épaule et la coinçait contre le bureau. T a tout d’abord essayé de ne pas y prêter attention et fait comprendre à A qu’elle ne désirait pas de rapports rapprochés. T s’est sentie de plus en plus mal, anxieuse, perturbée dans son sommeil. A a ensuite commencé à mettre le travail de T en cause auprès de son employeur. T a alors demandé à son supérieur d’intervenir pour faire cesser les agissements de A. Aucune mesure contre A n’a été prise mais un rapport a été établi à l’encontre de T à l’attention de la direction puis E a licencié T. T s’est ainsi plainte d’une atteinte à sa santé du fait du harcèlement dont elle a été victime et de l’absence de protection de E.

E, dans la procédure devant le Tribunal des prud’hommes s’est opposé à la demande de T. E conteste l’existence d’un harcèlement ainsi que tout lien entre un hypothétique harcèlement et le congé. E indique avoir licencié T en raison de ses manquements énoncés dans les divers rapports établis.

T a, dans le cadre de la procédure, renoncé à l’annulation du congé et demandé en lieu et place 34’044.— à titre d’indemnité pour licenciement abusif.

Par jugement du 22 décembre 2008, le Tribunal des prud’hommes, considérant le congé donné à T comme abusif, a condamné E à lui payer la somme nette de CHF 8’000.— ainsi que la somme brute de CHF 2’086.55. Le Tribunal a en effet considéré que E devait payer le salaire d’octobre et une indemnité de CHF 8’000.— pour licenciement abusif. Le Tribunal a, en revanche, débouté T de sa demande d’indemnité fondée sur la LEg, dès lors que le tort moral éventuellement subi était inclus dans l’indemnité pour licenciement abusif.

E a fait appel de ce jugement devant la Cour d’appel de la juridiction des prud’hommes de Genève et conclut au déboutement de T de toutes ses prétentions. T a conclu à la confirmation de la décision attaquée.

Par arrêt du 28 mai 2009, la Cour d’appel a annulé le jugement du Tribunal et condamné E à payer à T la somme nette de CHF 4’000— et brute de CHF 1’972.70.

en droit

E soutient que le congé donné à T ne constitue pas un licenciement abusif et conteste ainsi le raisonnement du Tribunal.

La Cour rappelle que le caractère abusif d’une résiliation peut découler de ses motifs mais également de la façon dont la partie mettant fin au contrat exerce son droit. La partie qui résilie doit le faire avec des égards, elle ne peut notamment pas se livrer à un double jeu contrevenant de manière caractéristique au principe de la bonne foi. Par exemple une atteinte grave au droit de la personnalité dans le contexte d’une résiliation peut faire apparaître le congé comme abusif.

Conformément à l’article 336 al. 1 let. d CO, le congé est abusif lorsqu’il est donné par une partie parce que l’autre partie fait valoir de bonne foi des prétentions résultant du contrat de travail (congé de représailles). «S’il n’est pas nécessaire que les prétentions émises par le travailleur aient été seules à l’origine de la résiliation, il doit s’agir néanmoins du motif déterminant. En d’autres termes, ce motif doit avoir essentiellement influencé la décision de l’employeur de licencier; il faut ainsi un rapport de causalité entre les prétentions émises et le congé signifié au salarié.» 2.

Dans le cas présent, la Cour constate que E n’a pas voulu admettre les plaintes formulées par T tant lors de l’entretien du 20 septembre 2007 que dans son courrier du 4 octobre 2007. E a en conséquence constitué un dossier à charge contre T, dont elle voulait se séparer. Il est important de noter qu’aucun reproche n’avait été formulé contre T avant l’entretien du 20 septembre et avant le courrier de T du 4 octobre.

La Cour retient ainsi qu’ «il faut constater avec les premiers juges que les griefs élevés contre l’intimée, qui son par ailleurs contestés et qui ne sont pas totalement démontrés, certes pas nécessairement anodins dans leur essence et au regard des responsabilités de l’appelante, n’avaient pas une importance telle qu’ils puissent justifier le licenciement prononcé. En définitive, la chronologie des événements de ce dossier permet de retenir que l’appelante a choisi de répondre aux plaintes de l’intimée en la licenciant. Refusant de répondre aux attentes de son employée, elle a préféré constituer un dossier de manquements afin de créer les conditions d’une séparation. Une telle attitude n’est pas justifiable, de sorte que le licenciement en cause, de par la manière dont il est survenu, doit être considéré comme abusif.» 3.

Dès lors que la Cour considère le congé comme abusif, T a droit à une indemnité. Elle est fixée à CHF 4’000.— tenant compte du salaire mensuel moyen, de la brièveté des rapports de travail et des manquements pouvant être imputés à T.

1 Jugement du Tribunal des prud’hommes, TRPH/808/2008, p. 1
2 Arrêt de la Cour d’appel des prud’hommes, CAPH/86/2009, p. 6
3 Arrêt de la Cour d’appel des prud’hommes, CAPH/86/2009, p. 7

VD 30.07.2009
licenciement discriminatoire

sujet

Licenciement discriminatoire en raison d’une grossesse suivie d’une maladie et licenciement immédiat

LEg

art 3, art 5, art 6

CO

art. 337, art. 337c

procédure

28.05.2009Appréciation du Bureau de l’égalité entre les femmes et les hommes (art. 4 al.3 LVLEg) 30.07.2009Jugement du Tribunal des prud’hommes

résumé

Dans un premier temps, l’employeur a licencié la demanderesse dans le respect du délai de résiliation (licenciement ordinaire); l’employée a rendu vraisemblable la présence d’un motif discriminatoire lié au sexe et l’employeur n’est pas parvenu renverser cette vraisemblance, de sorte que le caractère discriminatoire du premier licenciement a été retenu (art 6 LEg).

Dans un second temps, durant le délai de résiliation, l’employeur a prononcé une résiliation avec effet immédiat, dépourvue de juste motif. Dans un tel cas, la personne licenciée ne peut cumuler les indemnités de licenciement immédiat injustifié (art. 337c al.3 CO) et de licenciement discriminatoire (art. 5 al. 2 LEg), de sorte que le juge tiendra compte de la circonstance du caractère discriminatoire pour fixer le montant de l’indemnité de licenciement immédiat injustifié.

en fait

La défenderesse, Z. SA, est une société anonyme inscrite au registre du commerce depuis le 27 juin 1997, dont le siège se trouve à Zurich.

La demanderesse, Madame B., née le 5 janvier 1974, est entrée au service de la société T. SA le 1er juillet 2007 en qualité de «Customer Care Advisor». Le 9 novembre 2007, un nouveau contrat de travail a été conclu entre Madame B. et la défenderesse, Z. SA, suite au changement de raison sociale de cette dernière. Dit contrat est entré en vigueur le 1er janvier 2008. La fonction de Madame B. était toujours celle de «Customer Care Advisor». Elle avait pour tâche de prendre les appels des clients de la société Z. SA, de leur fournir conseils et renseignements sur les services offerts par Z. SA et de traiter les réclamations de clients insatisfaits. Son salaire annuel brut a été fixé à CHF 54’286.-, soit un salaire mensuel brut de CHF 4’523.85, auquel devaient se rajouter d’éventuels bonus. Elle a principalement exercé son activité dans un central de réception des appels des clients de la société.

Au début du mois d’août 2007, Madame B. a commencé une formation «initial training» dans un shop de Z. SA. Selon Madame N., manager en ressources humaines chez Z. SA, deux à trois jours après le début de la formation, Madame B. a quitté le shop pour se rendre dans un «Call Center» de Z. SA car «cela n’avait pas marché dans le shop». Suite de cet épisode, et sur sa proposition, Madame B. ne s’est pas rendue à son poste de travail durant la majeure partie du mois d’août 2007. Pendant cette période d’absence, Madame B. n’a pas été payée. Au mois de septembre 2007, Madame B. a finalement suivi une formation initiale.

Selon Z. SA, Madame B. «n’a jamais donné entière satisfaction à son employeur, les difficultés s’aggravant au fil du temps» ; elle se serait montrée «agessive à l’égard de ses collègues et des clients de Z. SA, allant jusqu’à s’emporter au téléphone et déclarer sur un ton péremptoire à des clients: “taisez-vous, c’est moi qui parle!”». Madame N. allègue avoir reçu un compte-rendu de la formation initiale suivie par Madame B. qui n’était «pas très positif, sous réserve d’un bon engagement». Toutefois, le formulaire de «Dialogue Période d’Essai», consigné par Madame B. et son supérieur Monsieur T., conclut que la période d’essai s’est achevée avec succès et à la poursuite des relations de travail. Z. SA reproche aussi à Madame B. ses fréquentes arrivées tardives. Un «entretien protocole» daté du 31 décembre 2007 fait en effet état de quatre retards de plus d’une heure. Madame B. ne conteste pas être arrivée à quatre reprises avec plus de soixante minutes de retard, mais elle impute ses arrivées tardives à des retards de transports publics.

Madame P., une collègue de Madame B., travaillant à proximité immédiate de celle-ci a affirmé qu’elle s’entendait bien avec Madame B. et qu’elle ne l’a jamais entendue élever le ton avec un client. Madame P. a également confirmé que les arrivées tardives de Madame B. étaient dues à des retards de transports publics.

Madame B., enceinte au moment de son engagement le 1er juillet 2007, a été, en raison de sa grossesse, partiellement incapable de travailler à raison de 50% du 18 décembre 2007 au 25 février 2008, puis, dès le 25 février 2008 et jusqu’au 10 mars 2008, date de son accouchement, en incapacité totale de travailler.

Par courrier du 3 avril 2008, Z. SA a informé Madame B. qu’elle lui accordait, conformément aux dispositions contractuelles, un congé de maternité de seize semaines à compter de son accouchement qui est intervenu le 10 mars 2008. Le congé de maternité devait ainsi arriver à échéance le 29 juin 2008.

Dans cette lettre, S. SA priait également Madame B. de prendre contact avec elle afin de discuter des modalités de la reprise du travail. Les parties indiquent qu’un entretien téléphonique à ce sujet a eu lieu entre Madame B. et son supérieur hiérarchique Monsieur T. dans le courant du mois de juin 2008. Bien que Monsieur T. n’ait aucun souvenir de cette conversation téléphonique, Madame N., manager en ressources humaines chez Z. SA, soutient avoir reçu un mail de Monsieur T. l’informant que Madame B. reprendrait son travail à un taux d’activité de 50% une fois son congé de maternité terminé. Dans une lettre datée du 19 juin 2008, signée notamment par Madame N., Z. SA a confirmé à Madame B. que son taux d’activité équivaudrait à 50% dès le 1er juillet 2008 et lui a demandé de lui retourner un exemplaire signé du contrat de travail arrêtant son taux d’activité à 50%. Madame B., qui assure que cette lettre ne lui est jamais parvenue, dément de surcroît avoir sollicité une réduction de son taux d’activité. Après avoir reçu, pour le mois de juillet 2008, un salaire correspondant à un engagement à 50%, Madame B. a indiqué à Z. SA, par courrier du 24 juillet 2008, qu’elle n’avait jamais requis de travailler à 50%, mais qu’il avait seulement été décidé qu’une réduction du taux d’activité serait envisagée lors de la reprise du travail. Par courrier du 30 juillet 2008, S. SA, se référant au courrier du 19 juin 2008, a consenti que Madame B. ne lui avait jamais renvoyé de contrat signé; elle a dès lors réparé cette méprise en versant à Madame B. le solde de salaire qui lui était dû. En date du 4 septembre 2008, Madame B. a cependant reçu une lettre de la caisse de pension de Z. SA comprenant un nouveau certificat de personnel élaboré suite à la modification de son salaire.

Le 29 juin 2008, Madame B. ne s’est pas rendue à son travail. En effet, le 27 juin 2008, la doctoresse D. avait établi un certificat médical attestant que Madame B. était en incapacité totale de travail, pour cause de maladie, pour deux semaines dès le 30 juin 2008. L’incapacité totale de travailler de Madame B. a été prolongée par des certificats médicaux successifs datés des 11, 21 et 31 juillet et 1er septembre 2008. Le dernier certificat en date faisait état d’une incapacité de travail totale du 18 août au 15 septembre 2008, ensuite de quoi une reprise à 50% était envisagée du 15 septembre au 1er octobre 2008, puis une reprise à 100% dès le 1er octobre 2008. De nouveaux certificats médicaux furent cependant rédigés par la doctoresse D. en date des 15 septembre, 1er octobre, 3 et 14 novembre 2008 au terme desquels Madame B. demeurait en incapacité totale de travailler jusqu’au 30 novembre 2008. La doctoresse D., qui a dû interrompre son activité, n’a pour cette raison pas renouvelé les certificats médicaux.

Le 8 septembre 2008, Z. SA a adressé à Madame B., par courrier postal et courrier recommandé, un «avertissement en raison de certificats médicaux manquants ainsi qu’en raison d’absences incorrectes» ; S. SA invoquait l’absence de certificat médical à compter du 18 août 2008 et sommait Madame B. de lui en faire parvenir un d’ici au 12 septembre 2008 sous peine de déduction salariale pour les jours non couverts par un certificat médical. Ce courrier renfermait également une menace de licenciement. Par pli recommandé, parvenu dans la sphère d’influence de Z. SA le 12 septembre 2008, Madame B. a envoyé l’ensemble des certificats médicaux qu’elle avait en sa possession. Z. SA l’en a remerciée par courrier du 23 septembre 2008.

Le 22 septembre 2008, l’assureur de Z. SA, V., a adressé à Madame B. un courrier la priant de bien vouloir consentir à se faire examiner par le médecin-conseil de l’assurance. L’examen s’est déroulé le 17 octobre 2008; le rapport d’expertise du médecin-conseil a attesté que Madame B. était capable de travailler à 100%. L’assureur V. a dès lors mis fin au versement des indemnités journalières à compter du 10 novembre 2008 et en a avisé Madame B. par courrier daté du 6 novembre 2008. Monsieur P., juriste pour l’assureur V., affirme ne pas avoir eu accès au dossier médical de Madame B., mais que, de son point de vue, il était justifié de cesser le versement des indemnités journalières dès lors qu’une expertise médicale faisait état d’une pleine capacité de travail. Z. SA affirme que les certificats médicaux établis par la doctoresse D. sont des certificats de complaisance. La doctoresse D. a, pour sa part, soutenu que l’arrêt de travail délivré à Madame B. était pleinement justifié car celle-ci présentait «un état d’épuisement physique et psychique important avec des problèmes d’endormissement et une interruption fréquente du sommeil la nuit et des baisses fréquentes de l’humeur générale; état de fatigue chronique: bourdonnement d’oreille permanent; état migraineux; maux de tête et douleurs de la colonne totale; baisse de tension artérielle» ; la décision de prolonger l’incapacité de travail était avalisée par le fait que le traitement prescrit, soit des séances d’acupuncture, n’avait que partiellement amélioré l’état de Madame B. et qu’il fallait dès lors consulter un spécialiste. Elle a encore ajouté que Madame B. n’était pas du genre à se plaindre et que, au vu de son état général, la mise en incapacité totale de travail était, du point de vue médical, la seule décision qui pouvait raisonnablement être prise. Monsieur G., qui travaille pour la société Z. SA active dans la gestion des absences et l’absentéisme au travail, a, sur mandat de Z. SA, rendu visite à Madame B. ; il s’est refusé à porter un avis médical sur la situation de cette dernière, s’est limité à constater qu’il y avait sans doute un problème lié à un conflit de travail et a suggéré une expertise médicale supplémentaire.

Fin septembre 2008, Madame B. a été licenciée par Z. SA. Madame N., responsable des ressources humaines chez Z. SA, et Madame F., manager, ont motivé le licenciement comme il suit: «nous n’avions plus confiance en Madame B. à cause de son comportement avant et pendant sa grossesse. La demanderesse ne collaborait pas assez. De plus, la demanderesse avait souhaité réduire son taux d’activité, puis n’avait plus voulu le réduire. Une fois, elle avait aussi un certificat médical disant qu’elle pouvait travailler à 50%, mais elle n’a pas essayé de travailler à 50%». Le licenciement ordinaire a été notifié à Madame B. par courrier daté du 29 septembre 2008; par cette lettre, S. SA déclarait résilier le contrat de travail de Madame B. au 31 décembre 2008, à expiration du délai contractuel de résiliation de trois mois.

Madame B., par la voix de son avocat, a contesté la validité de ce licenciement, au motif qu’il s’agissait d’un licenciement discriminatoire. Elle a proposé un arrangement à Z. SA que celle-ci a refusé par courrier du 11 novembre 2008. En outre, Z. SA, se basant sur le rapport du médecin-conseil attestant la pleine capacité de travail de Madame B., a sommé cette dernière de réintégrer son poste de travail le 10 novembre 2008 au plus tard. Dans le courant du mois de novembre 2008, Madame B., toujours par la voix de son avocat, a adressé plusieurs courriers à Z. SA, soutenant le caractère discriminatoire de son licenciement. Le 10 novembre 2008, Madame B., se référant aux certificats médicaux établis par la doctoresse D., a refusé d’obtempérer à la sommation de Z. SA et n’a pas repris le travail. Par courrier du 27 novembre 2008, adressé à l’avocat de Madame B., Z. SA a notifié une dernière sommation mettant Madame B. en demeure de se présenter à sa place de travail le 3 décembre 2008 à 8h00. Madame B. n’a pas obtempéré et Z. SA l’a alors licenciée avec effet immédiat le 3 décembre 2008. Le licenciement a été communiqué à Madame B. et à son avocat par pli recommandé daté du 3 décembre 2008.

Suite à son licenciement, Madame B. a perçu des indemnités journalières de la Caisse cantonale de chômage, agence de Lausanne. L’indemnité de chômage versée à Madame B. pour le mois de janvier 2009 s’est élevée, selon le décompte de la Caisse cantonale de chômage, à CHF 2’177.20.

Par requête du 14 janvier 2009, Madame B. a ouvert action auprès du Tribunal des prud’hommes de l’arrondissement de Lausanne et pris à l’encontre de Z. SA des conclusions à hauteur de CHF 30’000.- avec intérêt à 5% l’an dès le 1er janvier 2009. Z. SA a conclu, le 16 janvier 2009, avec suite de frais et dépens, au rejet des conclusions de Madame B., et, le 12 février 2009, la Caisse cantonale de chômage, agence de Lausanne, a requis l’autorisation d’intervenir aux côtés de Madame B.

Lors de la deuxième audience, le 20 avril 2009, le Tribunal des Prud’hommes a admis une requête de Madame B. et demandé au Bureau cantonal de l’égalité entre les femmes et les hommes d’émettre une appréciation sur l’affaire, au sens de l’article 4 al. 3 de la loi d’application de la loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes (LVLEg). Le rapport a été rendu le 28 mai 2009.

Le 16 février 2009, la conciliation s’est soldée par un échec. Madame B. a confirmé ses conclusions et Z. SA a confirmé conclure, sous suite de frais et dépens, à libération des fins de la requête. Le Président du Tribunal a admis l’intervention de la Caisse cantonale de chômage, agence de Lausanne.

en droit

La validité du licenciement ordinaire

Le Tribunal rappelle le principe de la liberté de la résiliation en tout temps du contrat de travail conclu pour une durée indéterminée (art. 335 CO) et mentionne l’une des exceptions à ce principe, soit l’interdiction de la résiliation en temps inopportun (art. 336c CO). Il retient que le délai de protection applicable, dans le cas d’espèce, est de 90 jours, Madame B. étant dans sa deuxième année de service (art. 336c al. 1 lit.b CO). Le délai a couru du 30 juin 2008, date où la maladie de Madame B. a été constatée, au 27 septembre 2008. Le licenciement a été prononcé après l’échéance du délai de protection et doit dès lors, en principe, être considéré comme valable.

Quant à la date à partir de laquelle le licenciement a déployé ses effets, le Tribunal retient que les rapports de travail ont pris fin le 31 janvier 2009, soit trois mois après que le licenciement fut parvenu à Madame B., cette dernière ne pouvant en avoir pris connaissance avant le 1er octobre 2008.

Le caractère abusif du licenciement ordinaire

Le Tribunal estime que le licenciement ordinaire, bien que valable en principe, pourrait être abusif au sens de l’article 336 CO, dès lors qu’il est prononcé pour une raison inhérente à la personnalité de la travailleuse et que la jurisprudence et la doctrine retiennent que le sexe ou la grossesse sont des aspects liés à la personnalité.

Madame B. allègue en effet que le réel motif de son licenciement était la volonté de Z. SA de la forcer à travailler à temps partiel après son accouchement, volonté qui découlerait d’un stéréotype lié au sexe selon lequel Z. SA considérerait qu’une jeune accouchée doit rester à la maison car elle ne se consacre pas assez à son travail. Z. SA soutient que le licenciement de Madame B. n’a rien à voir avec le sexe de celle-ci ou son enfant, mais qu’il est lié au comportement général de cette dernière et à la perte de la relation de confiance.

Le Tribunal spécifie qu’il appartient à Madame B. de prouver l’existence d’un motif abusif de licenciement et juge, en l’espèce, qu’une simple lettre de Z. SA offrant à Madame B. la possibilité de diminuer son taux d’occupation, même à l’issue du congé de maternité, ainsi qu’une réduction subséquente du salaire en l’absence de réponse de cette dernière, ne sont pas des éléments suffisants propres à établir la preuve formelle que Z. SA cherchait à se séparer, dès que possible, de son employée en raison de sa maternité. Pour ces motifs, le Tribunal considère que Madame B. n’est pas parvenue à prouver le caractère abusif au sens de l’article 336 CO du licenciement ordinaire prononcé fin septembre 2008.

L’interdiction de toute discrimination liée au sexe (art. 3 LEg)

Le Tribunal apprécie la validité du licenciement ordinaire sous l’angle de l’article 3 LEg, disposition qui ancre l’interdiction de toute discrimination liée au sexe, soit directement, soit indirectement, en se fondant sur la situation familiale ou, pour les travailleuses, la grossesse. Cette interdiction, qui s’applique en particulier à la résiliation des rapports de travail (art. 3 al. 2 LEg), vaut explicitement pour les discriminations indirectes, c’est-à-dire les discriminations dont le résultat est nettement défavorable aux représentants de l’un des sexes en particulier, bien qu’une différence de traitement ne soit pas directement liée au sexe de la personne.

Conformément à l’article 6 LEg, la discrimination est présumée pour autant que la personne qui s’en prévaut la rende vraisemblable (allègement du fardeau de la preuve). Pour rendre une discrimination vraisemblable, la partie qui l’allègue n’a pas besoin de la prouver au-delà de tout doute raisonnable; une discrimination peut être rendue vraisemblable même si sa probabilité est inférieure à 50%. Lorsqu’une discrimination est rendue vraisemblable au sens de l’article 3 LEg, le fardeau de la preuve est alors renversé et il incombe à l’employeur de prouver l’inexistence de la discrimination.

Le Tribunal considère que la demanderesse a rendu vraisemblable la présence d’un motif discriminatoire dans le licenciement de septembre 2008. Il observe, à ce titre, que Madame N., responsable des ressources humaines chez Z. SA, a pris part de manière décisive à la décision de licencier Madame B. et a argué, lors de l’audition, du comportement de Madame B. «avant et pendant sa grossesse», de son manque de collaboration ainsi que de ses hésitations quant au pourcentage de travail qui serait le sien une fois arrivée l’échéance de son congé de maternité. Le Tribunal indique qu’il ne peut dès lors pas être exclu que Z. SA redoutait un manque de collaboration de la part de Madame B. en raison de sa situation familiale, et qu’il est vraisemblale que ce que Z. SA prenait pour un manque d’engagement de la part de Madame B. relevait surtout de la crainte qu’une employée mère d’un jeune enfant ne consacre pas suffisamment de temps à son activité professionnelle. Partant, le Tribunal admet que Madame B. a rendu vraisemblable, au sens de l’article 6 LEg, la présence d’un motif discriminatoire ayant présidé à son licenciement.

Il considère, par ailleurs, que Z. SA n’est pas parvenue à prouver positivement que le licenciement ordinaire n’était pas mû par des motifs discriminatoires: les reproches qu’a fait Z. SA à Madame B. au sujet de son comportement au travail n’ont pas été étayés par des témoignages probants; Madame P., la collègue de Madame B., a affirmé que celle-ci se comportait convenablement avec la clientèle et ses collègues; les appréciations portées sur Madame B. au début de son engagement étaient positives. Les motifs avancés par Z. SA pour justifier le licenciement de Madame B. sont généraux et partiellement contredits par des témoignages et des pièces du dossier, de sorte que le Tribunal retient que Z. SA n’a pas prouvé au-delà de tout doute raisonnable que les motifs du licenciement n’étaient pas discriminatoires. L’appréciation du Tribunal est étayée sur ce point par l’appréciation émise par le Bureau de l’égalité entre les femmes et les hommes. Le Tribunal rappelle que cet avis n’a pas force probante et qu’il en a pris connaissance dans la mesure où il éclairait l’un des aspects du cas d’espèce.

Le licenciement immédiat (art. 337 CO)

Le Tribunal considère que le licenciement immédiat, prononcé durant le délai de licenciement ordinaire, n’est pas motivé par de justes motifs, Madame B. pouvant de bonne foi se prévaloir de l’avis de son médecin traitant, la doctoresse D., pour refuser de reprendre son travail. Selon l’appréciation du Tribunal, quand bien même Madame B. aurait pu agir autrement, son comportement n’est pas constitutif d’une faute grave, ce d’autant plus qu’en présence d’un licenciement immédiat survenu pendant le délai de licenciement ordinaire, un juste motif n’aurait pu être admis qu’en présence d’une faute particulièrement grave de Madame B.

Les conséquences d’une résiliation immédiate du contrat de travail sans justes motifs

Le Tribunal conclut, qu’étant donné que Madame B. a été victime d’un licenciement immédiat dépourvu de justes motifs, celle-ci a droit à ce qu’elle aurait gagné si les rapports de travail avaient pris fin à l’échéance du délai de congé (art. 337c al. 1 CO), soit à son salaire jusqu’au 31 janvier 2009, ce qui équivaut à CHF 8’630.75.

En outre, le Tribunal condamne Z. SA au paiement d’une indemnité à caractère punitif qui doit englober la réparation de l’entier du préjudice causé par la résiliation immédiate, mais qui ne peut dépasser six mois de salaire de la travailleuse (art. 337c al. 3 CO). Cette indemnité ne peut se cumuler avec l’indemnité pour licenciement discriminatoire (art. 5 al. 2 LEg).

Pour déterminer le montant de l’indemnité due sur la base de l’article 337c alinéa 3 CO, le Tribunal tient compte de toutes les circonstances: l’attitude de Z. SA visant à imposer son propre point de vue dans une situation où elle savait pertinemment que Madame B. pouvait se prévaloir d’un certificat médical; le fait que le licenciement est d’autant moins justifié qu’il est intervenu durant le délai de licenciement ordinaire et semble donc procéder d’une forme de ressentiment envers Madame B. qui allait dans tous les cas quitter son poste de travail deux mois plus tard; la durée relativement courte des rapports de travail qui ne peut avoir donné naissance à une relation de confiance particulièrement marquée entre Z. SA et Madame B. ; la subsistance d’un doute quant au caracère abusif du licenciement ordinaire au sens de l’article 336 CO, licenciement dont le caractère discriminatoire au sens de l’article 3 alinéa 2 LEg a expressément été admis. Au vu de ce qui précède, le Tribunal estime qu’une indemnité équivalant à deux mois de salaire brut, soit CHF 9’047.65, constitue une indemnité appropriée.

En définitive, le Tribunal astreint Z. SA au versement, à Madame B., de la somme de CHF 17’678.40 (valeur brute, avec intérêt de 5% l’an dès le 1er janvier 2009, sous déduction des charges sociales légales et contractuelles) et, à la Caisse cantonale de chômage, agence de Lausanne, du montant de CHF 2’177.20, valeur nette. Le Tribunal rejette toutes autres ou plus amples conclusions et renonce à allouer les frais et dépens à Z. SA.

Résumé par Stéphanie Perrenoud, assistante diplômée à la faculté de droit et des sciences criminelles, Université de Lausanne, IDAT, sous la supervision du Prof. Rémy Wyler.

GE 20.10.2009
harcèlement sexuel

LEg

art 4, art 5

procédure

01.10.2008Jugement du Tribunal des prud’hommes 20.10.2009Arrêt de la Cour d’appel des prud’hommes

en fait

T a été engagée le 20 septembre 2004 par E en qualité de responsable de ses établissements.

T a été en incapacité de travailler pour cause de maladie du 11 avril au 5 août 2005. «Le 10 juin 2005, la psychiatre traitant T, la Dresse C, a informé l’assurance perte de gain de E, la D, que T souffrait d’un état dépressif moyen à sévère et d’un trouble panique sévère depuis février 2005. Sa patiente présentait une humeur dépressive, des angoisses, des attaques de panique, un retrait social, de l’hypersomnie, de la boulimie, de l’anhédonie et des idées noires. Le médecin estimait dès lors que sa patiente n’était plus en état de travailler. Elle précisait que les troubles que présentait sa patiente étaient influencés par le comportement harcelant de son employeur, lequel lui avait dit, à plusieurs reprises, qu’il voulait qu’elle devienne sa femme. La psychiatre estimait, enfin, qu’une reprise du travail chez un autre employeur était possible, de préférence à 50% durant le premier mois.» 1

En juin 2005, T a résilié son contrat de travail pour le 31 juillet 2005, pour des raisons de santé liés au comportement de B, ancien administrateur de E.

Par demande déposée à la juridiction des prud’hommes le 26 octobre 2005, T a assigné E en paiement notamment de la somme de CHF 27’085.— à titre d’indemnité pour tort moral. T estime que B a eu à son endroit un comportement inadéquat, en essayant notamment de l’embrasser, en tentant de partager une chambre d’hôtel avec elle lors d’un voyage professionnel prétextant qu’aucune autre chambre n’était disponible ou en envoyant des sms lui demandant de lui faire un enfant. T a, à plusieurs reprises, clairement indiqué à B qu’elle ne souhaitait avoir avec lui que des relations professionnelles. L’ambiance de travail est toutefois restée ambigüe, B se montrant insatisfait du fait que ces sentiments étaient repoussés par T. Au mois de février 2005, B a à nouveau essayé d’embrasser T en la prenant de force dans ses bras, T a du se débattre fortement pour repousser B. B a ensuite refusé une entrevue proposée par T et destinée à régler les problèmes.

Après un court arrêt de travail pour maladie, T a été accueillie fraichement par son employeur. L’ambiance lui est devenue de plus en plus insupportable et elle a commencé à avoir des crises d’angoisse. Elle s’est rendue chez son médecin qui l’a mise en arrêt de travail. A sa reprise de travail, le 25 mars 2005, B ne lui a pas adressé la parole et l’ambiance est restée mauvaise.

E a, pour sa part, contesté toutes les prétentions de T, soit notamment l’avoir harcelée sexuellement. Il a indiqué avoir averti, à plusieurs reprises, B en raison de ses problèmes de dépendance à l’alcool et aux stupéfiants, fait nié par T.

T a, quant à elle, précisé avoir toujours adopté une attitude claire avec B, tout en admettant lui avoir beaucoup parlé de sa vie privée. T indique encore qu’entre le mois de décembre 2004 et le mois de mai 2005, elle a reçu de B un à deux sms inadéquats par jour.

Par jugement du 1er octobre 2008, les premiers juges ont estimé que T n’avait pas apporté la preuve du harcèlement sexuel de la part de son employeur et l’a dès lors déboutée sur ce point.

Sur appel de T, et par arrêt du 20 octobre 2009, la Cour d’appel a annulé ce jugement et, statuant à nouveau, a condamné E à payer à T la somme de CHF 10’834.— à titre d’indemnité pour harcèlement sexuel.

en droit

Il ressort des enquêtes menées par la Cour de céans que B a, contre la volonté de T, fait des avances à T, essayé de l’embrasser et de la séduire. «Dès lors, il y a lieu d’accorder crédit aux explications fournies par l’appelante sur ce point et de les tenir pour avérées. Les agissements de B à l’égard de l’appelante tombent ainsi sous le coup de l’art. 4 de la LEg, qui prohibe de la part de l’employeur, notamment toute attitude inopportune de caractère sexuel envers ses employés et/ou leur impose des contraintes ou exerce des pressions de toute nature en vue d’obtenir des faveurs de nature sexuelle.» 2

En vertu des articles 4 et 5 LEg, en cas de harcèlement sexuel, l’indemnité n’excédera pas un montant correspondant à 6 mois de salaire moyen suisse.

Dans le cas présent, le harcèlement sexuel dont a été victime T à plusieurs reprises a eu des conséquences néfastes sur sa santé et a contribué à la dépression dont elle a souffert.

Au vu de toutes les circonstances de la présente affaire, il sera octroyé à T une indemnité de CHF 10’834.— correspondant à 2 mois de salaire moyen suisse.

1 Arrêt de la Cour d’appel des prud’hommes, CAPH/140/2009, p. 2
2 Arrêt de la Cour d’appel, op.cit., p. 9

GE 11.11.2009 (C/2379/2006)
discrimination salariale
licenciement discriminatoire
licenciement abusif
discrimination à la promotion

sujet

Discrimination à la promotion suivie d’un licenciement abusif et discriminatoire notifié sous la forme d’un congé-modification.

LEg

art 3, art 5

CO

art. 336, art. 336a

procédure

06.10.2006Jugement du Tribunal des prud’hommes 07.06.2007Arrêt de la Cour d’appel des prud’hommes suite à l’appel 16.11.2007Arrêt du Tribunal fédéral suite au recours en matière civile1 (résumé dans GE 16.11.2007) 07.05.2008Ordonnance préparatoire de la Cour d’appel des prud’hommes 11.11.2009Arrêt de la Cour d’appel des prud’hommes

résumé

La Cour d’appel retient, sur la base d’une expertise attestant que les chances d’une travailleuse d’obtenir une promotion étaient moindres que celles de ses collègues masculins, que celle-ci a été victime d’une discrimination à la promotion.
La Cour considère cependant que le différentiel entre le salaire de la travailleuse et celui de son supérieur hiérarchique n’est pas dû par l’employeur, car, même si la travailleuse avait pu accéder à un poste plus élevé si elle n’avait pas été discriminée, elle n’aurait pas pu prétendre à un salaire supérieur à celui qu’elle réalisait.

La Cour d’appel considère par ailleurs qu’un licenciement donné suite à une discrimination à la promotion, en l’espèce, en réponse au refus d’une employée d’accepter un poste subalterne à celui qu’elle occupait jusqu’alors, est abusif et discriminatoire au sens des articles 3 LEg et 336 CO.

en fait

En date du 30 avril 2001, Madame T. a été engagée par E1 SA – une société anonyme active dans le canton de Genève – en qualité de «responsable administration des ventes». Madame T. avait pour mission de fournir un support administratif et de gestion pour l’unité des ventes, ainsi que pour la direction générale, selon les demandes, et de mener des projets liés à la gestion administrative des ventes.

Lors de son engagement, Madame T. était au bénéfice d’une formation en sciences économiques de l’Université de Z., avait suivi et achevé plusieurs formations professionnelles en techniques de communication de vente, et jouissait d’une expérience professionnelle de onze ans dans l’industrie pharmaceutique. Le contrat de travail prévoyait un salaire mensuel de CHF 7’100.- brut, versé treize fois l’an, ainsi qu’une rémunération variable représentant 10% du salaire annuel.

Le 25 septembre 2002, Madame T. a été nommée «sales administrator manager» avec effet rétroactif au 1er septembre 2002; à cette occasion, elle s’est vue attribuer de nouvelles tâches.

Le 30 juin 2003, Madame T. a sollicité une évolution de son salaire et de ses responsabilités au vu des compétences qu’elle avait démontrées et qui avaient, à plusieurs reprises, été expressément reconnues par E1 SA.

Dès le 1er janvier 2004, le salaire mensuel brut de Madame T. a été augmenté à CHF 9’550.-, soit un salaire mensuel brut moyen, toutes primes comprises, de CHF 11’456.- pour l’année 2004.

Par avenant du 15 avril 2004, E1 SA a confié à Madame T., sans augmentation de salaire, la responsabilité de correspondante en charge pour la filiale du programme «sales force excellence». Dans le cadre de sa nouvelle fonction, Madame T. a organisé et participé à plusieurs réunions internationales.

Suite à la fusion des sociétés E1 SA et E2 SA intervenue en fin d’année 2004, l’organisation de l’entreprise a été restructurée et un poste de «SFE specialist» a été proposé à Madame T. ; cette dernière ne l’a pas accepté car il restreignait ses responsabilités et la plaçait à un niveau hiérarchique inférieur à celui qu’elle occupait jusqu’alors. La direction générale de E1 SA, sans tenir compte de ce refus, attribua le poste en question à Madame T., avec entrée en fonctions au 1er janvier 2005. Le salaire de Madame T. ne subissait aucun changement.

Madame T. s’est retrouvée en incapacité de travail à compter du 24 janvier 2005.

Madame T., qui lors de la restructuration de l’entreprise avait fait part à la direction de E1 SA de son souhait d’obtenir le poste hiérarchiquement plus élevé de son supérieur C., reçut, par lettre datée du 11 février 2005, une réponse négative, motif pris que d’autres candidats avaient mieux répondu au profil recherché. Le poste fut finalement attribué au collègue de Madame T., F., qui devint son supérieur hiérarchique.

Madame T. a dû être hospitalisée du 24 février au 16 mars 2005.

Par lettre du 25 février 2005, rédigée par son conseil, Madame T. a évoqué le harcèlement dont elle s’estimait victime, ainsi que la discrimination dans la rémunération et la promotion qu’elle considérait avoir subie.

Le 12 mai 2005, E1 SA a licencié Madame T. avec effet au 31 juillet 2005. Celle-ci s’est opposée à son congé, faisant notamment valoir qu’elle avait été licenciée alors qu’elle invoquait le principe de l’égalité entre hommes et femmes, et qu’elle avait été victime de harcèlement durant plusieurs mois.

Le 26 juillet 2005, Le médecin I., agissant en tant que médecin conseil de l’assureur perte de gain de E1 SA, a certifié que Madame T. présentait un état dépressif négatif (mobbing) dont le traitement risquait d’être long en raison de la durée et de l’intensité du harcèlement vécu ainsi que de la personnalité de Madame T.

Le 26 janvier 2006, Madame T. a ouvert action contre E1 SA devant le Tribunal des prud’hommes de Genève. Elle concluait au paiement de CHF 418’914.50, plus intérêts moratoires au taux de 5% l’an dès le 31 juillet 2005, à titre de différence de salaire (CHF 320’000.- brut), d’indemnité pour licenciement abusif et discriminatoire (CHF 68’734.- net), d’indemnité pour tort moral (CHF 30’000.- net) et de remboursement de frais de déplacement (CHF 180.50 net). Madame T. exigeait en sus que son employeur lui alloue une indemnité, dont le montant serait précisé au cours de la procédure, afin de la dédommager de la discrimination directe dans la promotion qu’elle avait subie.

Par jugement rendu le 6 octobre 2006, le Tribunal des prud’hommes a déclaré irrecevable la demande de Madame T. dans la mesure où elle tendait à la condamnation de E1 SA au paiement d’une indemnité pour la discrimination directe dans la promotion, dont le montant devait être précisé au cours de la procédure. E1 SA fut uniquement condamnée à verser la somme de CHF 181.- à Madame T. pour couvrir ses frais de déplacement.

Par acte déposé le 9 novembre 2006, Madame T. a appelé de ce jugement devant la Cour d’appel de la juridiction des prud’hommes de Genève. Elle requérait l’annulation du jugement rendu, à l’exception toutefois de la condamnation de E1 SA à lui verser la somme de CHF 181.- à titre de frais de déplacement, et sollicitait pour l’essentiel la mise en oeuvre d’une expertise. Madame T. concluait à la condamnation de E1 SA à lui verser la somme brute de CHF 320’000.- et les sommes nettes de CHF 68’734.-, CHF 30’000.- et CHF 10’000.-, portant toutes intérêts à 5% dès le 31 juillet 2005.

Par arrêt du 7 juin 2007, la Cour d’appel a confirmé le jugement du Tribunal des prud’hommes et a renoncé à ordonner l’expertise requise par Madame T. au motif qu’il n’existait aucun indice de discrimination dans la fixation du salaire et dans la promotion. La Cour a par ailleurs réfuté le caractère abusif du licenciement, jugeant que le comportement de E1 SA ne portait pas gravement atteinte à la personnalité de Madame T. au sens de l’article 328 CO.

Madame T. s’est opposée à l’arrêt rendu par la Cour d’appel et a saisi le Tribunal fédéral d’un recours en matière civile par lequel elle demandait l’annulation du jugement attaqué et le renvoi de la cause à l’autorité cantonale.

En date du 16 novembre 2007, le Tribunal fédéral a admis le recours en matière civile intenté par Madame T. et renvoyé la cause à la Cour d’appel estimant que le refus de cette dernière de faire procéder à une expertise n’était pas justifié et violait l’article 12 alinéa 2 LEg2 (cf. GE 16.11.2007).

Suite à l’ordonnance d’expertise rendue par la Cour d’appel le 7 mai 2008, le rapport de l’expert a été rédigé le 21 février 2009 et complété en date des 22 avril et 9 juin 2009. L’expert conclut que bien que Madame T. n’ait pas subi de discrimination salariale, ses chances d’accéder à une position de cadre moyen auraient été sensiblement supérieures si elle avait été un homme. Il ajoute que si Madame T. avait été promue, son salaire aurait été inférieur à celui qu’elle avait effectivement perçu.

Après avoir pris connaissance de l’expertise, Madame T. a reformulé ses conclusions demandant, pour l’essentiel, que la discrimination à la promotion et le caractère abusif du licenciement soient constatés; elle renonçait à invoquer la discrimination salariale. Madame T. a spécifié réclamer, à titre d’indemnité pour licenciement abusif, une indemnité équivalant à six mois du salaire de son collègue F., soit CHF 94’542.- avec intérêts à 5% dès le 30 juillet 2005, de même que, à titre de discrimination à la promotion, la différence de salaire entre celui de F. et le sien pour la période à compter du 1er octobre 2004 (date de la fusion) au 31 juillet 2005 (date de la fin de ses rapports de travail), soit CHF 24’000.-, ainsi que le versement d’une somme de CHF 30’000.- pour compenser le tort moral subi.

en droit

La discrimination à la promotion

La Cour d’appel de la juridiction des prud’hommes (ci-après, la Cour) indique qu’il y a discrimination à la promotion lorsqu’une femme n’est pas retenue pour une promotion alors qu’elle est plus qualifiée qu’un collègue masculin promu ou lorsqu’une femme n’est généralement pas promue à certains postes et ceci sans justification (TF, arrêt 4C.276/2004 du 12 octobre 2004, consid. 6.1). L’article 6 LEg prévoit, en ce domaine, un assouplissement du fardeau de la preuve par rapport au principe général posé par l’article 8 CC, en ce sens qu’il suffit que la partie demanderesse rende vraisemblable l’existence de la discrimination qu’elle allègue (ATF 130 III 145 consid. 4.2; ATF 127 III 207 consid. 3b). Le juge ne doit pas être convaincu du bien-fondé des arguments avancés par la partie demanderesse; il suffit que celui-ci dispose d’indices objectifs suffisants pour que les faits allégués présentent une certaine vraisemblance, sans devoir exclure qu’il puisse en aller différemment (ATF 130 III 145 consid. 4.2).

En l’espèce, étant donné que l’expertise a fait ressortir, d’une part que, d’une manière générale, les chances d’être promue au sein de E1 SA étaient significativement moindres pour une femme que pour un homme, et, d’autre part, que même si Madame T. avait été promue, son salaire n’aurait pas été supérieur à celui qu’elle réalisait jusqu’alors, la Cour conclut au déboutement des conclusions de Madame T. en paiement de la différence de salaire entre celui que percevait son collègue, puis supérieur, F. et le sien. La Cour ajoute que F., par ses compétences commerciales et scientifiques, présentait un profil manifestement et objectivement supérieur à celui de Madame T.

Le caractère discriminatoire et abusif du licenciement

La Cour définit le congé-modification comme une résiliation prononcée à la suite du refus du travailleur d’accepter une modification de ses conditions de travail. Si le congé-modification n’est pas en soi abusif, il peut le devenir dans différentes hypothèses: lorsque la modification du contrat de travail prend effet avant l’échéance du délai de congé, dans un sens défavorable à l’employé; lorsque la modification s’avère injuste et que les nouvelles conditions de travail sont, de manière importante, mois favorables que les anciennes; lorsque la modification est clairement dépourvue de justification économique, et ceci même si les nouvelles conditions de travail ne doivent prendre effet qu’à l’échéance du délai de congé (arrêt 4C.317/2006 du 4 janvier 2007, consid. 3).

Les modifications des conditions de travail de Madame T. ont eu des conséquences importantes quant à l’appréciation de sa fonction: quand bien même Madame T. ne subissait pas de diminution de salaire, elle se retrouvait, dans l’organigramme de la société, dans une position hiérarchique inférieure et perdait certaines responsabilités, de même qu’une collaboratrice, son assistante. La Cour estime que les nouvelles conditions de travail de Madame T. apparaissent, de manière significative, moins favorables que celles qui étaient les siennes auparavant et ont constitué le reflet concret d’une discrimination à la promotion. La modification proposée étant injuste et discriminatoire, la Cour qualifie d’abusif (au sens de l’article 336 CO) et de discriminatoire (selon l’article 3 alinéa 2 LEg) le congé notifié à Madame T. suite à son refus d’accepter le poste que E1 SA lui avait offert.

L’indemnité à titre de licenciement discriminatoire

Lorsque la résiliation est discriminatoire au sens de l’article 3 LEg, l’employée est fondée à exiger le versement d’une indemnité de la part de son employeur, fixée en fonction des circonstances et calculée sur la base du salaire de l’employée en question (art. 5 al. 2 LEg). Dite indemnité ne peut pas se cumuler avec celle de l’article 336a CO, la LEg constituant une loi spéciale par rapport au CO (ATF 126 III 395 consid. 7b/aa). Le juge alloue une seule indemnité – celle de l’article 336a CO –, en tenant compte de toutes les circonstances, dont le maximum ne peut excéder six mois de salaire de la travailleuse.

L’indemnité à titre de licenciement abusif

Lorsqu’un travailleur est victime d’un licenciement abusif, la Cour rappelle le principe selon lequel celui-ci a droit à une indemnité (art. 336a CO) fixée en équité (ATF 131 III 243 consid. 5.2) au vu de la gravité de la faute de l’employeur, d’une éventuelle faute concomitante du travailleur, de la manière dont s’est déroulée la résiliation, de la gravité de l’atteinte portée à la personnalité du travailleur licencié, de la durée des rapports de travail et de leur étroitesse, des effets économiques du licenciement, de l’âge du travailleur, d’éventuelles difficultés de réinsertion dans la vie économique et de la situation économique des parties (ATF 123 III 246 consid. 6a; ATF 123 III 391 consid. 3c).

Dans le cas d’espèce, compte tenu que Madame T. – qui, au moment de son licenciement, était âgée de 38 ans, entamait sa cinquième année de service et avait toujours donné satisfaction à son employeur – a été très affectée par les changements intervenus suite à la fusion (elle a été en incapacité prolongée de travail en raison d’une dépression liée à son vécu professionnel), de sa situation actuelle (Madame T. a repris des études), de l’attitude discriminatoire de E1 SA à son égard, de la non-diminution de son salaire, des précautions prises par E1 SA pour atténuer les rigueurs de la réorganisation de l’entreprise, du fait que la discrimination dont elle a été victime résulte d’un manque d’attention de E1 SA, voire d’une néglicence de celle-ci, la Cour juge qu’une indemnité pour licenciement abusif et discriminatoire correspondant à quatre mois de salaire, calculée sur la base de son propre salaire, soit au total de CHF 38’200.- avec intérêts à 5% l’an dès le 31 juillet 2005, paraît justifiée (art. 336a CO).

L’indemnité pour tort moral

La Cour relève qu’un travailleur victime d’une atteinte à sa personnalité du fait de son employeur ou d’un auxiliaire de celui-ci qui contrevient à l’article 328 alinéa 1 CO peut prétendre à une indemnité pour tort moral aux conditions fixées par l’article 49 alinéa 1 CO (art. 97 al. 1, 101 al. 1, 99 al. 3 CO; ATF 125 III 70 consid. 3a). La réparation morale dépend de la gravité des souffrances physiques ou psychiques consécutives à l’atteinte subie par la victime et de la possibilité d’adoucir sensiblement, par le versement d’une somme d’argent, la douleur morale qui en résulte (ATF 129 IV 22 consid. 7.2; ATF 125 III 269 consid. 2a).

Etant donné que l’article 336a alinéa 2 in fine CO réserve les dommages-intérêts que la victime d’un congé abusif pourrait réclamer à un autre titre, le législateur a expressément autorisé le travailleur à prétendre à une indemnité pour tort moral, sur la base de l’article 49 alinéa 1 CO, lorsqu’il subit une atteinte à sa santé physique ou psychique résultant d’un comportement imputable à l’employeur et indépendant du licenciement (arrêt 4C.177/2003 du 21 octobre 2003, consid. 4.1).

En l’espèce, la Cour déclare que la question du cumul des indemnités pour tort moral (art. 49 al. 1 CO) et pour licenciement abusif ne se pose pas, Madame T. ne se plaignant pas d’autre atteinte à sa personnalité que celle causée par le licenciement discriminatoire. En conséquence, seule une indemnité fondée sur l’article 336a CO, tenant compte de toutes les circonstances, doit être octroyée à Madame T.

1Arrêt 4A_249/2007
2Arrêt 4A_249/2007, consid. 2.1 et 2.2: «Si l’équivalence entre les diverses fonctions d’une même entreprise ne saute pas aux yeux ou si elle n’est pas établie par d’autres modes de preuve, les tribunaux cantonaux doivent ordonner des expertises. Les experts doivent alors décider si ces fonctions sont comparables les unes aux autres et déterminer les critères permettant de mettre à jour un cas de discrimination […]. Le juge qui refuse d’ordonner une expertise requise par une partie consacre une violation de l’art. 12 al. 2 LEg, à moins que l’expertise apparaisse d’emblée inutile, parce que, par exemple, le juge dispose lui-même des connaissances scientifiques nécessaires pour élucider une possible discrimination liée au sexe».

Résumé par Stéphanie Perrenoud, assistante diplômée à la faculté de droit et des sciences criminelles, Université de Lausanne, IDAT, sous la supervision du Prof. Rémy Wyler.

GE 11.11.2009 (C/16319/2008)
discrimination salariale

LEg

art 3, art 5, art 6

procédure

27.03.2009Jugement du Tribunal des prud’hommes 11.11.2009Arrêt de la Cour d’appel des prud’hommes

en fait

En date du 1er janvier 2004, T a été engagée par E SA, ci-après E, en qualité de nettoyeuse. Les rapports de travail entre T et E ont pris fin le 31 décembre 2006.

A, époux de T, a également été engagé par E le 1er janvier 2004 en qualité de nettoyeur.

Les contrats signés par les deux époux étaient absolument identiques à l’exception du salaire. Un salaire horaire brut de CHF 20.- était prévu pour T alors que le salaire convenu pour A était de CHF 23.15 brut. Les activités de A et T ont consisté en un travail de plusieurs conciergeries.

Ainsi, par courrier du 13 août 2007, le syndicat a indiqué à E qu’il considérait qu’en ne payant pas A et T de la même manière, elle violait la loi fédérale sur l’égalité (ci-après LEg) et revendiquait la différence de salaire pour T pour l’ensemble des heures effectuées.

E a répondu que les taux horaires appliqués à T et à A étaient tous deux supérieurs à la CCT du secteur et que la différence de taux horaires entre les deux employés était due à une différence de responsabilité. En effet, A avait, en plus de T, les tâches de conduite et de maintenance d’un véhicule d’entreprise, de contact avec les responsables de régie et de compte rendu sur les anomalies rencontrées dans les immeubles entretenus. E soutient ainsi que la différence de salaire entre A et T était justifiée par la différence de responsabilité et de qualification entre les époux.

Par courrier du 31 janvier 2008, le conseil de T et de A a à nouveau affirmé qu’ils effectuaient le même travail au sein de E, les époux étant appelés à se remplacer dans les immeubles où ils intervenaient. La seule différence était que A disposait d’un véhicule d’entreprise pour faire ses tournées, véhicule qu’il n’utilisait que pour se rendre dans les immeubles dont il avait la charge et dont il n’assurait pas la maintenance, alors que T se déplaçait en bus, dès lors qu’elle n’avait pas le permis de conduire. Ainsi, la différence de salaire entre T et A avait pour origine une discrimination fondée sur le sexe.

En date du 3 juillet 2008, T a saisi la juridiction des prud’hommes d’une demande en paiement de la somme de CHF 15’423.40 à titre de salaire dû en raison de la discrimination salariale subie pour la période du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2006, avec intérêts à 5% l’an dès le 1er juillet 2005. 1

Par jugement du 27 mars 2009, le Tribunal des prud’hommes a condamné E à payer à T la somme de CHF 15’423.40 à titre de différence de salaire due en raison de la discrimination salariale subie.

Le Tribunal des prud’hommes relève: «Des disparités salariales peuvent se justifier pour des motifs qui ne se rapportent pas immédiatement à l’activité de la travailleuse ou du travailleur, mais qui découlent de préoccupations sociales, comme les charges de famille ou l’âge. La position de force d’un travailleur dans la négociation salariale, à l’instar de la situation conjoncturelle, peut aussi conduire à une différence de rémunération pour le même travail; mais les disparités de salaire qui ont été négociées à des occasions différentes ou qui résultent de fluctuations conjoncturelles doivent être compensées dès qu’il est raisonnablement possible de le faire, le cas échéant dans le délai d’une année.

Une discrimination de nature sexiste peut résulter de la fixation du salaire d’une personne déterminée lorsqu’il est comparé à celui d’autres personnes du sexe opposé ayant une position semblable dans l’entreprise. Le Tribunal fédéral a ainsi considéré qu’une discrimination salariale était vraisemblable dans le cas d’une travailleuse dont le salaire était d’environ 15% à 25% inférieur à celui d’un collègue masculin qui accomplissait le même travail. Et si une femme, qui présente des qualifications équivalentes à son prédécesseur de sexe masculin, est engagée à un salaire moins élevé qui lui, il est vraisemblable que cette différence de traitement constitue une discrimination à raison du sexe, prohibée par l’article 3 LEg.» 2

En vertu de l’article 5 al. 1 let. d LEg, quiconque subit ou risque de subir une discrimination au sens des articles 3 et 4 peut requérir du tribunal ou de l’autorité administrative d’ordonner le paiement du salaire dû.

Dans le cas présent, il ressort de la procédure de première instance et des différents témoignages que les époux exerçaient la même activité. Le fait qu’ils pouvaient se remplacer en cas de maladie ou s’échanger les immeubles pour des raisons d’accès en est la preuve.

S’agissant de la différence de qualification entre les époux alléguée par E afin de justifier la différence de salaire, aucune preuve n’a été fournie.

Au vu de ces éléments, le Tribunal des prud’hommes a conclu qu’en accordant à A un salaire plus élevé sans qu’aucune différence n’ait pu être établie entre les tâches, l’expérience et les qualifications des deux époux, E a discriminé T à raison de son sexe. Le Tribunal a dès lors condamné E à payer à T la somme de CHF 15’423.40 à titre de différence de salaire dû en raison de la discrimination.

E a fait appel de ce jugement devant la Cour d’appel de la juridiction des prud’hommes de Genève et conclut à l’annulation de ce jugement sur ce point. T conclut au rejet de cet appel et à la confirmation du jugement attaqué.

Par arrêt du 11 novembre 2009, la Cour d’appel a annulé le jugement du Tribunal des prud’hommes en tant qu’il condamnait E à payer à T la somme de CHF 15’423.40, à titre de différence de salaire.

en droit

«Il découle de l’article 8 al. 3 Cst et de l’article 3 LEg que les travailleuses et travailleurs ont droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale. Si la personne qui se prévaut d’une discrimination à raison du sexe dans les rapports de travail rend l’existence de celle-ci vraisemblable, l’article 6 LEg renverse le fardeau de la preuve, si bien qu’il incombe désormais à l’employeur d’établir l’inexistence de la discrimination. Cette vraisemblance est rapportée lorsque des travailleurs de sexe opposé ont une position semblable dans l’entreprise avec des cahiers des charges comparables. Il est alors présumé, s’il y a une différence de rémunération entre eux, que celle-ci est de nature sexiste et l’employeur devra apporter la preuve de la non-discrimination.

La jurisprudence considère comme non discriminatoires les différences de salaire qui reposent sur des motifs objectifs. Parmi ceux-ci figurent d’abord les motifs qui peuvent influencer la valeur même du travail, comme la formation, l’ancienneté, la qualification, l’expérience, le domaine concret d’activité, les prestations et les risques encourus. En règle générale, des motifs objectifs ne peuvent légitimer une différence de rémunération que s’ils jouent un rôle véritablement important au regard de la prestation de travail et s’ils influent par conséquent sur les salaires versés par le même employeur.» 3

Dans le cas présent, la Cour relève qu’il ne suffit pas, pour rendre une discrimination salariale vraisemblable, de se borner, comme le fait T, au constat de cette différence et à l’affirmation qu’elle effectuait le même travail que son mari. En effet, il ressort des informations fournies par E que le cahier des charges de T et celui de son mari, A, n’étaient pas les mêmes. A effectuait, en plus des tâches de concierge, d’autres activités non équivalentes, telles que la responsabilité de conduire le véhicule de l’entreprise et le nettoyage sur les chantiers, activités qui supposent des nuisances et des risques accrus. La Cour retient encore que depuis 2002, A a une expérience dans le domaine du nettoyage des chantiers, ce qui n’est pas le cas de T, et ce qui explique le fait que E l’ait assimilé à un employé qualifié.

En conclusion, la Cour retient que, malgré le fait que E n’a pas rapporté la preuve d’une non discrimination, il ressort des pièces produites par E, notamment la grille salariale et les contrats d’autres employés masculins, que le salaire versé à T était conforme aux minima conventionnels et que la différence entre le salaire de T et celui de A ne s’expliquait pas pour des motifs liés au sexe.

Le jugement du Tribunal des prud’hommes sera ainsi réformé sur ce point et T ne touchera aucun montant à titre de différence de salaire.

1 T a demandé le paiement d’autres prétentions dont nous ne traiterons pas ici dès lors qu’elles ne sont pas en lien avec la LEg.
2 Jugement du tribunal des prud’hommes du 27 mars 2009, TRPH/207/2009, p. 6
3 Arrêt de la Cour d’appel des prud’hommes, CAPH/160/2009, p.4

VD 08.12.2009
harcèlement sexuel

sujet

Harcèlement sexuel ; licenciement discriminatoire

LEg

art 5

CO

art. 328

procédure

21.08.2009 Jugement du Tribunal de Prud’hommes de l’arrondissement de l’Est vaudois 08.12.2009 Jugement de la Chambre des recours du Tribunal cantonal

résumé

La victime de harcèlement sexuel peut cumulativement réclamer une indemnité contre son employeur au motif qu’il a failli à son devoir de protection (art. 5 al. 3 LEg et art. 328 CO) ainsi qu’une indemnité pour tort moral contre l’auteur du harcèlement sur la base de l’art. 49 CO (par renvoi de l’art. 5 al. 5 LEg). En l’espèce, le Tribunal de première instance a imputé à tort la deuxième indemnité sur la première.

en fait

Par jugement du 21 août 2009, le Tribunal de Prud’hommes de l’arrondissement de l’Est vaudois a condamné C. SA, défenderesse, à payer à Mme M., demanderesse, un montant de 2000 CHF à titre d’indemnité au sens de l’art. 5 al. 3 LEg (indemnité due par l’employeur qui n’a pas pris toutes les mesures que l’expérience commande pour empêcher un harcèlement sexuel).

Il s’est basé sur les faits suivants :

Par contrat de travail de durée indéterminée du 9 décembre 2003, Mme M. a été engagée par C. SA en qualité d’aide-gouvernante à temps complet à partir du 1er mars 2004. Le lieu de travail était l’hôtel C.

Le 11 septembre 2007, la demanderesse a déposé une plainte pénale contre son subordonné M. T., en faisant valoir qu’il avait eu des comportements déplacés à son encontre à plusieurs reprises, entre fin 2006 et septembre 2007.

Par courrier du 13 septembre 2007 adressé à la direction de l’hôtel C, la demanderesse a déclaré avoir signalé à sa supérieure, Mme Z., qu’elle avait subi des attouchements de la part de collègues masculins. Elle a mis son employeur en demeure de prendre les mesures qui s’imposaient en vertu de l’art. 328 CO. Elle a également informé son employeur du dépôt de la plainte pénale contre M. T.

Du 11 au 19 septembre 2007, la demanderesse a été en incapacité de travail, laquelle a été attestée par certificat médical daté du 18 septembre.

Le 12 novembre 2007, la défenderesse a licencié Mme M. pour le 31 décembre 2007, précisant qu’elle agissait ainsi « après une longue réflexion et étant donné la fin de la saison ». Elle y mentionnnait également « avoir beaucoup apprécié son travail, même si c’était parfois un peu difficile en raison de situations stressantes ». La demanderesse a été immédiatement libérée de l’obligation de travailler.

Le 16 novembre 2007, la demanderesse a contesté son licenciement par écrit et reproché à l’employeur d’avoir invoqué des motifs de résiliation fallacieux.

Par demande du 19 février 2008, Mme M. a ouvert action devant le Tribunal de Prud’hommes de l’arrondissement de l’Est vaudois. Elle a conclu au versement par la défenderesse de la somme de 26’650 CHF, avec intérêt à 5% l’an dès le 31 décembre 2007, soit une indemnité de 13’325 CHF pour licenciement abusif et une indemnité de 13’325 CHF pour harcèlement sexuel.

L’instruction de la cause civile a été suspendue le 18 mars 2008 jusqu’au 30 septembre 2008 par convention entre les parties, ratifiée par le Président du Tribunal de Prud’hommes. Il s’agissait d’attendre l’issue de la procédure pénale engagée par Mme M. contre M. T.

Lors de l’instruction pénale, Mme Z., la supérieure de Mme M., a été entendue en qualité de témoin, le 3 mars 2008. Elle a déclaré que la demanderesse lui avait fait part en été 2007 du fait qu’elle avait été importunée notamment par M. T. Mme Z. a par ailleurs déclaré n’avoir pas cru la demanderesse du fait qu’aucune autre employée de l’hôtel ne s’était plainte de comportements déplacés de la part de collègues masculins. Mme Z. a toutefois demandé à M. T. d’accomplir son travail correctement et de laisser la demanderesse tranquille. Elle a de plus informé cette dernière qu’elle se tenait à sa disposition si elle avait besoin de quelque chose ou si elle avait une plainte précise à formuler. Mme Z. a encore précisé qu’elle était en congé le 10 septembre 2007 et s’est dite surprise que la demanderesse ait accompagné M. T. dans une chambre, estimant qu’elle aurait pu contrôler le travail de ce dernier plus tard. Elle a confirmé que le licenciement de la demanderesse était dû à une diminution des besoins en personnel à l’approche de l’hiver et qu’une apprentie très performante pouvait avantageusement remplacer Mme M. Elle a dit que Mme M. ne faisait plus grand chose, déjà avant l’incident qui l’avait opposée à M. T., ce qu’elle avait par ailleurs relevé dans le cadre d’une évaluation du travail de sa subordonnée.

Par ordonnance du 16 juin 2008, le juge d’instruction a renvoyé M. T. devant le Tribunal de police de l’arrondissement de l’Est vaudois, comme accusé de tentative de viol, subsidiairement contrainte sexuelle, plus subsidiairement de désagréments causés par la confrontation à un acte d’ordre sexuel, en raison des faits suivants concernant la journée du 10 septembre 2007 :

« Le 10 septembre 2007, M. s’est rendue en compagnie de T. dans une annexe de l’hôtel [...] afin d’y apporter des boissons, le portier étant chargé d’y passer l’aspirateur. Avant de rentrer dans le bâtiment, T. a dit à M., sur le ton de la plaisanterie, qu’il allait la violer. M. a répondu sur le même ton, disant qu’elle ne se laisserait pas faire et qu’il devait arrêter de lui parler ainsi.
Après être rentrés dans la chambre, M. a posé des boissons et a voulu en ressortir. T. lui a tenu les deux avant-bras avec ses mains en la taquinant. Elle a voulu le repousser et il l’a poussée vers la fenêtre fermée. Elle lui a dit d’arrêter et qu’on pouvait les voir. Il l’a alors poussée vers l’étagère. Il a maintenu ses bras en croix et M. s’est laissée tomber à terre, à genoux, se mettant en boule. T. s’est assis sur son dos, continuant à lui maintenir les mains. Il rigolait alors que M. se débattait. Il a glissé sa main sous son pull et lui a touché le haut du sein droit à même la peau. Il a tenté de mettre sa main sur le ventre de l’assistante, en passant par le bas du pull sans y parvenir. M. s’est relevée pour le faire tomber en arrière. T. s’est retrouvé vers l’armoire, M. étant couchée sur le côté. Il l’a empêchée de se relever, lui tenant toujours les bras. Il a glissé la main sous sa jupe, en remontant jusqu’à l’entrejambe, la caressant par dessus ses collants. M. lui a à nouveau dit d’arrêter. Il lui a répondu, toujours en rigolant, qu’elle pouvait crier, mais que personne ne l’entendrait. Il a mis son bras autour de son cou, en serrant légèrement, et lui a administré un baiser sur la joue droite. M. est alors parvenue à se libérer et a pu quitter les lieux ».

Par jugement du 18 novembre 2008, le Tribunal correctionnel de l’arrondissement de l’Est vaudois a libéré M. T. des accusations pénales et a pris acte du retrait de plainte déposée par Mme M., suite à une transaction judiciaire entre les parties. Dans cette transaction, M. T. a reconnu les faits qui se sont déroulés le 10 septembre 2007, tels que décrits dans l’ordonnance de renvoi du 16 juin 2008, sous réserve de l’attouchement à l’entrejambe. Il a précisé n’avoir jamais eu l’intention de violer la demanderesse ni de l’agresser sexuellement. M. T. a cependant reconnu que son comportement était inacceptable et déplacé et s’en est excusé auprès de Mme M. Il s’est par ailleurs engagé à verser à Mme M., pour toutes choses et notamment à titre de tort moral un montant de 4000 CHF.

Par lettre du 3 décembre 2008, le Syndicat Unia, agissant pour le compte de la demanderesse, a requis auprès du Tribunal de Prud’hommes de l’Est vaudois, la reprise de l’instruction de la cause civile opposant cette dernière à son ancien employeur.

Lors de l’audience d’instruction du 16 février 2009, devant le Tribunal de Prud’hommes, la demanderesse a produit le jugement rendu le 18 novembre 2008 par le Tribunal correctionnel de l’Est vaudois. La conciliation n’a pas abouti et la demanderesse a confirmé les conclusions prises dans sa demande du 19 février 2008. La demanderesse a conclu à leur rejet.

Au cours de l’audience de jugement du 16 juin 2009, les témoins M. P., le père de la demanderesse, ainsi que Mme Z. ont été entendus par le Tribunal de Prud’hommes.

Lors de son audition, M. P. a déclaré qu’au mois de septembre 2007, la demanderesse l’avait appelé en pleurs, disant qu’elle avait été agressée par M. T. Il avait également entendu sa fille se plaindre auprès de sa mère du comportement de certains employés sans pouvoir dire précisément sur quoi portaient les critiques. Il a expliqué qu’à son avis le licenciement de sa fille était lié à ces évènements, vu leur connexité temporelle. Il a encore relevé que cette dernière avait été au chômage pendant trois mois dès janvier 2008, qu’elle avait eu des cauchemars à la suite des attouchements et qu’elle peinait à expliquer à un potentiel employeur les véritables motifs, selon elle, de son licenciement. Dès lors, elle avait décidé d’entreprendre une nouvelle formation.

Mme Z., quant à elle, a déclaré qu’elle était la supérieure de Mme M. Elle a toutefois précisé qu’en matière de licenciement, M. et Mme R., les administrateurs de la défenderesse prenaient leur décision sans lui demander son avis. Elle a expliqué que les besoins en personnel étaient moins importants en hiver qu’en été. Selon elle, il était possible qu’il y ait eu une baisse de personnel de 30% entre août 2007 et février 2008, car les périodes creuses au niveau de la fréquentation de l’hôtel étaient janvier, février et mars. Mme Z. a dit que la demanderesse travaillait bien, mais que son licenciement ne l’avait pas surprise car, à son avis, elle était souvent malade. Elle a ajouté qu’elle n’avait pas participé à la réflexion qui avait conduit au licenciement de Mme M. Elle a relevé que Mme M. avait été remplacée par une apprentie qui faisait très bien son travail.
S’agissant du harcèlement sexuel, Mme Z. a confirmé que la demanderesse lui avait fait part d’attouchements subis en juillet 2007, et elle lui avait dit de l’avertir si cela se reproduisait. Mme Z. a par ailleurs déclaré n’avoir pas cru la demanderesse à l’époque ni aujourd’hui, mais qu’elle avait quand même demandé à M. T. d’avoir un comportement adéquat à l’égard de sa collègue. Elle a relevé avoir été surprise que Mme M. ait accompagné M. T. dans la chambre dont ils devaient s’occuper et dans laquelle s’était déroulée l’agression qui avait fait l’objet de la plainte pénale du 11 septembre 2007. Elle estimait que la demanderesse aurait pu vérifier le travail de M. T. plus tard.

En droit, les juges du Tribunal de Prud’hommes ont rejeté la prétention de la demanderesse pour licenciement abusif. Ils ont estimé qu’aucun indice ne donnait à penser que la demanderesse serait toujours au service de la défenderesse, si les évènements du 10 septembre 2007 n’avaient pas eu lieu et si la demanderesse n’avait pas déposé de plainte pénale contre M. T.

Ils ont par contre admis la prétention de Mme M. contre son employeur en versement de l’indemnité prévue à l’art. 5 al. 3 LEg au motif que ce dernier avait failli à son devoir de protection au sens de l’art. 328 CO. Ils ont en effet considéré que la défenderesse, en tant qu’employeur, devait supporter les conséquences du fait que Mme Z. avait clairement manqué de sérieux dans la prise en compte des plaintes de Mme M. contre M. T.

Les premiers juges ont ainsi alloué un montant de 6’000 CHF à la demanderesse, sur la base de l’art. 5 al. 3 LEg et de l’art. 328 CO. Ils ont déduit de ce montant, sur la base de l’art. 49 al. 1 CO in fine, la somme de 4’000 CHF que M. T. s’était engagé à verser à Mme M., dans le cadre de la transaction judiciaire du 18 novembre 2008 ; ainsi, au final, un montant de 2’000 CHF a été alloué à la demanderesse.

La demanderesse a recouru contre ce jugement par acte motivé du 8 septembre 2009 et a conclu au versement d’un montant de 12’000 CHF par la défenderesse, à titre d’indemnité pour défaut de protection au sens des art. 5 al. 3 LEg et 328 CO. En substance, elle recourait contre le montant de l’indemnité allouée par les premiers juges, l’estimant trop bas, ainsi que contre le fait que ces derniers avaient imputé l’indemnité due par M. T. sur celle due par C. SA.

Par mémoire motivé du 30 octobre 2009, C. SA a conclu au rejet du recours et, par voie de jonction, à la réforme du jugement de première instance, en ce sens qu’elle n’était débitrice d’aucun montant envers la demanderesse.

le 25 novembre 2009, la demanderesse a conclu au rejet du recours joint.

en droit

A. Sur le droit de la demanderesse à une indemnité pour défaut de protection au sens des art. 5 al. 3 LEg et 328 CO

Selon l’art. 328 CO, l’employeur protège et respecte la personnalité du travailleur ; il manifeste les égards voulus pour sa santé et veille au maintien de la moralité. En particulier, il veille à ce que les travailleurs ne soient pas harcelés sexuellement et qu’ils ne soient pas, le cas échéant, désavantagés en raison de tels actes. La mention expresse de la protection contre le harcèlement sexuel a été ajoutée lors de l’introduction de la LEg (ATF 126 III 395, c. 7b/aa ; sur l’étendue du devoir de protection de l’employeur, voir également ATF 132 III 257, consid. 5). Les remarques sexistes et les commentaires grossiers ou embarrassants entrent dans la définition du harcèlement sexuel. Bien que l’art. 4 LEg ne se réfère qu’à des cas d’abus d’autorité, la définition englobe tous les comportements importuns de caractère sexuel, soit également ceux qui contribuent à rendre le climat de travail hostile, par exemple des plaisanteries déplacées (ATF 126 III 395, c. 7b/bb).

Selon l’art. 5 al. 3 LEg, lorsque la discrimination porte sur un cas de harcèlement sexuel, le tribunal peut condamner l’employeur à verser au travailleur une indemnité, à moins que l’employeur ne prouve qu’il a pris les mesures que l’expérience commande, qui sont appropriées aux circonstances et que l’on peut équitablement exiger de lui pour prévenir ces actes ou y mettre fin. L’indemnité est fixée compte tenu de toutes les circonstances et est calculée sur la base du salaire moyen suisse. Selon l’art. 5 al. 4 LEg, cette indemnité ne doit pas excéder le montant correspondant à six mois de salaire. Il faut relever que la LEg ne traite que de la responsabilité de l’employeur et non pas de celle de l’auteur du harcèlement sexuel ; ce dernier peut être tenu de réparer le tort moral de la victime en vertu des art. 41 ss CO. L’art. 5 al. 3 LEg introduit un droit supplémentaire de la victime contre l’employeur qui a failli à ses obligations de protection de la personnalité du/de la travailleur-euse. L’employeur peut se libérer en démontrant qu’il a pris les mesures que l’expérience commande, qui sont appropriées aux circonstances et que l’on peut raisonnablement exiger de lui pour prévenir le harcèlement sexuel ou y mettre fin. Si l’employeur démontre qu’il a rempli son devoir de diligence, il ne peut être condamné au versement de l’indemnité instaurée par l’art. 5 al. 3 LEg (ATF 126 III 395, consid. 7b/cc et les références citées).

Dans son recours joint, C. SA a invoqué la preuve libératoire prévue à l’art. 5 al. 3 LEg. A cet égard, elle soutenait qu’elle avait pris les mesures que l’expérience commande et que l’on pouvait équitablement exiger d’elle au vu des circonstances d’espèce. Elle n’avait, selon elle, pas à prendre de mesures supplémentaires de sorte qu’elle ne devait aucune indemnité à Mme M.

La Chambre des recours a retenu que les mesures prises par C. SA étaient clairement insuffisantes. Elle s’est fondée principalement sur le fait que Mme Z., après avoir été avertie par Mme M. des attouchements que M. T. lui avait fait subir le 10 septembre 2007, a seulement dit à ce dernier d’avoir un comportement correct à l’égard de sa collègue. Mme Z. n’a entrepris aucune démarche supplémentaire, comme avertir la direction de ces évènements. Etant donné que Mme Z. n’a même pas cru la demanderesse et n’a pas avisé la direction, la Chambre des recours a jugé qu’elle ne pouvait retenir que C. SA avait pris des mesures suffisantes pour prévenir le harcèlement sexuel. Dès lors, la preuve libératoire ne pouvait être admise. La Chambre des recours a donc retenu que le Tribunal de première instance avait à juste titre condamné C. SA à verser à Mme M. l’indemnité pour défaut de protection (art. 5 al. 3 LEg et 328 CO).

B. Sur le montant de l’indemnité due à Mme M. en vertu des art. 5 al. 3 et 4 LEg et 328 CO

Mme M. prétendait que l’indemnité à laquelle elle avait droit sur la base de l’art. 5 al. 3 LEg devait être fixée à 12’000 CHF et non à 6’000 CHF comme l’avaient retenu les premiers juges.

En vertu de l’art. 5 al. 3, dernière phrase LEg, le montant de l’indemnité est fixé compte tenu de l’ensemble des circonstances et sur la base du salaire moyen suisse. Selon l’art. 5 al. 4 LEg, l’indemnité ne peut excéder six mois de salaire (cf. BIGLER-EGGENBERGER, nos 40-41 ad art. 5 LEg, in : Bigler-Eggenberger/Kaufmann, Commentaire de la loi sur l’égalité, Lausanne 2000).

En l’espèce, Mme M. avait été engagée en 2003, et percevait un salaire mensuel brut d’environ 4’400 CHF, treizième salaire compris. Le harcèlement sexuel qui s’était produit le 10 septembre 2007 a pris la forme de caresses et d’immobilisations forcées. Au vu de ces éléments, la Chambre des recours a retenu qu’une indemnité de 6’000 CHF, soit un montant légèrement supérieur au salaire moyen suisse, lequel se montait en 2006 à 5’674 CHF (Annuaire statistique de la Suisse 2009, p. 107), apparaissait équitable et que le jugement de première instance ne pouvait être critiqué à cet égard.

Mme M. critiquait encore le fait que les premiers juges aient imputé sur les 6’000 CHF l’indemnité de 4’000 CHF qu’elle avait obtenue de M. T. suite à la transaction pénale passée avec ce dernier.

Sur ce point, la Chambre des recours a admis le recours. En effet, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, les indemnités que le/la travailleur-euse peut faire valoir en vertu des art. 5 al. 2 à 5 LEg sont cumulatives. Dès lors, l’indemnité contre l’employeur au sens de l’art. 5 al. 3 LEg et celle à laquelle la victime du harcèlement sexuel a droit contre l’auteur (en vertu de l’art. 5 al. 5 LEg qui renvoie notamment aux art. 41 ss CO) sont cumulables. C’est donc à tort que le Tribunal de Prud’hommes a imputé sur les 6’000 CHF dus par C. SA selon l’art. 5 al. 3 LEg, les 4’000 CHF dus par M. T. en vertu de l’art. 49 CO. La Chambre des recours a par conséquent alloué une indemnité de 6’000 CHF à Mme M.

C. Conclusion

Le recours de la victime du harcèlement sexuel, Mme M., a partiellement été admis en ce sens que la Chambre des recours a reconnu son droit à une indemnité au sens de l’art. 5 al. 3 LEg contre l’employeur, à hauteur de 6000 CHF, montant non diminué de l’indemnité due par l’auteur du harcèlement.

Résumé par Emmanuelle Simonin, assistante diplômée à la faculté de droit et des sciences criminelles, Université de Lausanne, IDAT, sous la supervision du Prof. Rémy Wyler.

TF 2C_687/2009
formation

sujet

Statuts discriminatoires d’une association universitaire ; irrecevabilité d’un recours au Tribunal fédéral ; questions procédurales

Cst.

art. 8

procédure

30.01.2008 Décision de l’Université de Lausanne 22.05.2008 Décision de la Commission de recours de l’Université de Lausanne16.09.2009 Jugement du Tribunal cantonal vaudois17.02.2010 Jugement du Tribunal fédéral

résumé

Irrecevabilité du recours au Tribunal fédéral contre l’arrêt d’une autorité cantonale de dernière instance qui constate qu’une Université n’est pas en droit de refuser la reconnaissance en tant qu’association universitaire à une association dont l’accès est réservé aux hommes et qui renvoie la cause à l’autorité inférieure pour examiner si les autres conditions de la reconnaissance sont remplies. En effet, l’arrêt cantonal n’est ni une décision finale (art. 90 LTF), ni une décision partielle (art. 91 LTF), ni une décision préjudicelle ou incidente (art. 92 et 93 LTF).

en fait

Le 19 octobre 2007, la Section vaudoise de la société suisse de X (ci-après : la Section vaudoise de X) a demandé à l’Université de Lausanne (ci-après : UNIL) sa reconnaissance en tant qu’association universitaire.

Le 30 janvier 2008, l’UNIL a refusé de lui accorder cette reconnaissance, au motif que les statuts de l’association admettaient en tant que membres les hommes uniquement.

Par décision du 22 mai 2008, la Commission de recours de l’UNIL a rejeté le recours déposé par la Section vaudoise de X, estimant que l’UNIL était en droit d’exiger que les associations candidates à la reconnaissance prévoient un sociétariat non discriminatoire afin d’être reconnues en tant qu’associations universitaires.

Par jugement du 16 septembre 2009, le Tribunal cantonal vaudois (ci-après : le TC) a admis le recours formé par la Section vaudoise de X et a annulé le décision de la Commission de recours. Il a également renvoyé la cause à cette dernière pour qu’elle prenne une décision dans le sens des considérants. Sur le fond, les juges cantonaux ont retenu que la Commission de recours avait à tort admis que l’UNIL était en droit de refuser la reconnaissance de la Section vaudoise de X, en raison de son sociétariat limité aux personnes de sexe masculin. Ils lui ont par ailleurs renvoyé la cause en lui enjoignant d’examiner si les autres conditions de la reconnaissance étaient remplies.

L’UNIL a formé un recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral (ci-après : le TF) contre l’arrêt du TC du 16 septembre 2009. Elle a conclu à ce que la décision du 22 mai 2008 de la Commission de recours soit confirmée.

en droit

La question principale posée par l’arrêt du TF était de savoir si le recours en matière de droit public déposé par l’UNIL contre l’arrêt du TC était recevable.

La recevabilité du recours en matière de droit public est soumise à plusieurs conditions que le TF a examinées successivement : l’épuisement des voies de recours devant les instances inférieures dans une cause relevant du droit public, la qualité pour recourir, une décision sujette à recours.

A. L’épuisement des voies de recours devant les autorités inférieures dans une cause relevant du droit public

L’arrêt attaqué par l’UNIL a été rendu en dernière instance cantonale par un tribunal supérieur (art. 86 al. 1 let. d et al. 2 LTF), dans une cause relevant du droit public (art. 82 let. a LTF) et qui ne tombe pas sous le coup des exceptions de l’art. 83 LTF. Le recours en matière de droit public est donc en principe ouvert.

B. La qualité pour recourir de l’UNIL

La disposition topique est l’art. 89 al. 1 LTF. Selon celle-ci, a qualité pour recourir, quiconque a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire (let. a), est particulièrement atteint par la décision attaquée let. b) et a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification (let.c).
Lorsqu’elles remplissent ces conditions, les collectivités publiques peuvent fonder leur qualité pour recourir en matière de droit public directement sur cette disposition, pour autant qu’elles soient dotées de la personnalité juridique (ATF 135 II 12, consid. 1.2.1 et les arrêts cités ; voir aussi ATF 136 V 106, consid. 3.1.). Il est encore nécessaire que les collectivités publiques soient touchées comme des particuliers ou qu’elles soient atteintes de manière qualifiée dans leurs intérêts dignes de protection découlant de la puissance publique (ATF 135 I 43, consid. 1.3 ; ATF 134 II 45, consid. 2.2.1).

En l’espèce, Le TF a reconnu à l’UNIL la qualité pour recourir contre l’arrêt du TC. En effet, l’UNIL est un établissement de droit public autonome doté de la personnalité juridique (art. 1 de la Loi vaudoise sur l’Université de Lausanne du 6 juillet 2004 ; RS VD 414.11, ci-après la LUL). Selon le droit cantonal, elle a la compétence de reconnaître comme associations universitaires les associations qui remplissent les conditions de l’art. 13 du Règlement d’application de la LUL (RLUL ; RS VD 414.11.1). A ce titre, l’UNIL avait participé à la procédure devant le TC. Le TF lui a reconnu un intérêt digne de protection à recourir car la décision du TC aurait pu la contraindre à reconnaître une association qui, selon la recourante, comportait des aspects contraires aux principes qu’elle-même défend, ce qui aurait pu porter atteinte à son image. Elle remplissait ainsi toutes les conditions posées à l’art. 89 al. 1 LTF.

C. La décision du TC était-elle sujette à recours ?

Selon les art. 90 à 93 LTF, le recours au TF est recevable contre les décisions finales (soit les décisions qui mettent fin à la procédure, art. 90 LTF), partielles (soit les décisions qui statuent sur un objet dont le sort est indépendant de celui qui reste en cause ou qui met fin à la procédure à l’égard d’une partie des consorts, art. 91 LTF) ainsi que contre les décisions préjudicielles et incidentes qui sont notifiées séparément et qui portent sur la compétence ou sur une demande de récusation (art. 92 al. 1 LTF). Selon l’art. 93 al. 1 LTF, les autres décisions préjudicielles et incidentes notifiées séparément peuvent faire l’objet d’un recours si elles peuvent causer un préjudice irréparable (let. a), ou si l’admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (let. b).

Le TF a examiné successivement si la décision du TC pouvait être qualifiée de décision sujette à recours au sens des art. 90 à 93 LTF.

Premièrement, il a estimé qu’il ne s’agissait pas d’une décision finale, car la décision du TC ne mettait pas fin à la procédure. Elle ne pouvait pas non plus être considérée comme un renvoi assimilable à une décision finale, car elle laissait une large marge de manoeuvre à la Commission de recours, celle-ci étant chargée d’examiner si les autres conditions de la reconnaissance de la Section vaudoise de X en tant qu’association universitaire étaient remplies au sens de l’art. 13 RLUL.

Par ailleurs, le Tribunal fédéral a estimé que la décision du TC ne pouvait pas non plus être qualifiée de décision partielle. En effet, le TC n’avait pas statué sur un objet dont le sort était indépendant de celui qui restait en cause, mais seulement sur l’une des conditions matérielles à la reconnaissance de la Section vaudoise de X en tant qu’association universitaire.

En vertu de la jurisprudence relative aux art. 91 ss LTF, les décisions qui ne tranchent qu’un aspect du litige, en particulier celles qui ne se prononcent qu’au sujet de l’une des conditions matérielles d’une prétention, doivent être qualifiées de décisions préjudicielles ou incidentes (ATF 134 II 137, consid. 1.3.2. et les références citées). En l’espèce, le jugement du TC ne portait que sur l’une des conditions de la reconnaissance de la Section vaudoise de X en tant qu’association universitaire et pas sur l’ensemble de celles-ci, de sorte qu’il s’agissait d’une décision préjudicielle ou incidente. Comme cet arrêt ne portait ni sur la compétence, ni sur une demande de récusation au sens de l’art. 92 LTF, il fallait examiner s’il s’agissait d’une décision préjudicielle ou incidente sujette à recours au sens de l’art. 93 LTF.

Selon l’art. 93 LTF, les décisions préjudicielles et incidentes notifiées séparément peuvent faire l’objet d’un recours si elles peuvent causer un préjudice irréparable (let. a) ou si l’admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (let. b). Si le recours n’est pas recevable ou n’a pas été utilisé, les décisions préjudicielles et incidentes peuvent être attaquées par un recours contre la décision finale dans la mesure où elles influent sur le contenu de celle-ci (art. 93 al. 3 LTF). Selon le Tribunal fédéral, l’objectif poursuivi par cette disposition est de décharger le TF en faisant en sorte que, dans la mesure du possible, il soit amené à trancher l’ensemble du litige dans une seule décision (ATF 135 II 30, consid. 1.3.2). Les cas dans lesquels il est possible de recourir contre une décision préjudicielle ou incidente doivent par conséquent être appréciés de manière restrictive.

La notion de préjudice irréparable au sens de l’art. 93 let. a LTF doit être de nature juridique pour que le recours soit ouvert (ATF 135 II 30, consid. 1.3.4). Une simple prolongation de la procédure ou l’augmentation des frais de la cause ne sont pas suffisants à fonder un tel préjudice (ATF 134 II 137, consid. 1.3.1 ; ATF 133 V 477, consid. 5.2.1 et 5.2.2). Il est admis que l’autorité en droit de recourir à qui la cause est renvoyée et qui doit elle-même rendre une décision qu’elle considère comme contraire au droit subit un préjudice irréparable, car elle ne pourra plus, par la suite, contester sa propre décision (ATF 133 V 477, consid. 5 ; ATF 133 II 409, consid. 1.2). Il en va de même si la cause n’est pas renvoyée directement à cette autorité, mais que, selon la procédure applicable, cette dernière serait dans l’impossibilité de recourir devant les instances inférieures à l’encontre de la décision sur renvoi (TF, arrêt du 19 juin 2009, 8C_817/2008, consid. 4.2.1 ; TF, arrêt du 27 mars 2009, 2C_258/2008, consid. 3.6.2).

Dans le cas d’espèce, le TF a constaté que la cause était renvoyée à la Commission de recours, de sorte que l’UNIL ne se trouvait pas dans une situation où elle devait elle-même rendre une décision qu’elle considérerait comme contraire au droit. De plus la Commission recours est une autorité indépendante de l’UNIL (art. 84 al. 1 LUL), de sorte qu’il n’était pas évident que l’UNIL se trouverait dans l’impossibilité de recourir devant le TC si la décision rendue par la Commission de recours à la suite du renvoi lui était défavorable. Le TF a souligné que cet aspect relevait du droit cantonal et qu’il ne le vérifiait pas d’office (art. 106 al. 2 LTF). Il a constaté qu’une motivation sur ce point faisait défaut et que ce n’était que si un recours de l’UNIL apparaissait d’emblée exclu que le TF aurait pu admettre l’existence d’un préjudice irréparable ouvrant la voie d’un recours immédiat.

Par ailleurs, le TF a considéré qu’aucun élément ne permettait de retenir que l’admission du recours de l’UNIL aurait conduit à une décision finale qui aurait évité une procédure probatoire longue et coûteuse au sens de l’art. 93 al. 1 let. b LTF. En effet, l’objet du renvoi à la Commission de recours consiste, pour celle-ci, à examiner si les autres conditions de la reconnaissance de la Section vaudoise de X sont réalisées. Selon l’art. 13 RLUL, les autres conditions à vérifier consistent, d’une part, à examiner si l’association est régulièrement constituée et, d’autre part, si elle comprend majoritairement des membres de la communauté universitaire. Selon le TF, ces éléments pouvaient être, a priori, rapidement vérifiés et à moindre frais, de sorte que les conditions de l’art. 93 al. 1 let. b n’étaient pas réalisées et que le recours de l’UNIL ne pouvait pas non plus être considéré comme recevable au sens de cette disposition.

D. Conclusion

Vu que la décision du TC ne remplissait aucune des conditions posées par les art. 90 à 93 LTF, le recours de l’UNIL contre celle-ci a été déclaré irrecevable. Dès lors, le TF n’est pas entré en matière sur le fond de l’affaire, c’est-à-dire sur la question de savoir si l’UNIL était en droit de refuser la reconnaissance en tant qu’association universitaire à une association dont le sociétariat est refusé aux femmes.

Le TF a par ailleurs relevé que dans cette affaire, il s’agissait typiquement d’un cas dans lequel il fallait attendre la décision finale en raison des impératifs liés à l’économie de la procédure. Il a en effet constaté que dans le cas où l’une des autres conditions de la reconnaissance posées par l’art. 13 RLUL n’était pas remplie, la question de savoir si l’exclusion des femmes du sociétariat de la Section vaudoise de X permettait de justifier le refus de sa reconnaissance en tant qu’association universitaire n’aurait plus à être tranchée. Il a ajouté que s’il était entré en matière sur le recours de l’UNIL, il aurait ainsi pu être amené à trancher une question qui, selon l’issue de la procédure finale, aurait perdu de sa pertinence.

Résumé par Emmanuelle Simonin, assistante diplômée à la faculté de droit et des sciences criminelles, Université de Lausanne, IDAT, sous la supervision du Prof. Rémy Wyler.

GE 16.03.2010
licenciement discriminatoire
licenciement abusif

sujet

Résiliation abusive et discriminatoire des rapports de travail communiquée à une employée le jour de son retour de congé de maternité.

LEg

art 3

CO

art. 336, art. 336a

procédure

13.02.2009Jugement du Tribunal des prud’hommes 16.03.2010Arrêt de la Cour d’appel des prud’hommes

résumé

La Cour d’appel considère en l’espèce qu’un licenciement ordinaire notifié à une travailleuse le jour de son retour de congé de maternité est abusif et discriminatoire au sens des articles 336 CO et 3 LEg, ledit licenciement reflétant la volonté de l’employeur de se séparer d’une travailleuse en raison de sa situation familiale.

en fait

Par contrat écrit signé le 15 avril 2004, Madame X., domiciliée en France, a été engagée par Y. SA –une société anonyme sise à Genève et active dans le commerce de bijoux, de pierres précieuses et semi-précieuses, d’objets d’art et d’articles cadeaux– en qualité de collaboratrice au département comptabilité, avec entrée en fonctions le 10 mai 2004.

Le contrat de travail fixait le salaire mensuel brut de Madame X. à CHF 5’200.-, versé treize fois l’an, jusqu’au 31 mars 2005 ; à compter du 1er avril 2005, le salaire mensuel brut de Madame X., toujours versé treize fois l’an, devait être porté à CHF 5’500.-. Le contrat stipulait en outre un temps d’essai de trois mois, un horaire hebdomadaire de 40 heures ainsi que quatre semaines de vacances annuelles.

En date du 13 décembre 2005, Y. SA et Madame X. ont établi, à la demande de cette dernière, un avenant à son contrat de travail qui réduisait, à compter du 1er janvier 2006, son horaire hebdomadaire à 32 heures, réparties les lundi, mardi, jeudi et vendredi. À cette occasion, le salaire mensuel brut de Madame X., versé treize fois l’an, a été réduit à CHF 4’400.-.

Sur requête de Madame X., un avenant du 21 mai 2007, lui permit de quitter la fonction qu’elle occupait au département comptabilité pour occuper, dès 1er avril 2007, un poste d’assistante dans le département Contrôle qualité horloger, à un pourcentage de 80% et pour un salaire mensuel brut, versé treize fois l’an, de CHF 4’550.-.

Au début de l’année 2007, Madame X. est tombée enceinte et a accouché de son deuxième enfant le 14 décembre 2007.

Par lettre du 26 février 2008, Monsieur B., employé de Y. SA en qualité de Human Resources Manager, a indiqué à Madame X. que son congé de maternité se terminerait le jeudi 3 avril 2008 inclus.

Par courrier électronique du 27 février 2008, Madame X. a prié Monsieur B. de l’informer des tâches qui seraient les siennes une fois son congé de maternité achevé.

Par courriel du 26 mars 2008, Monsieur B. a précisé à Madame X. que le détail de ses tâches lui serait communiqué le jour de son retour, soit le vendredi 4 avril 2008.

En date du 4 avril 2008, Madame X. a repris son travail auprès de Y. SA. Ce même jour, une lettre lui notifiant qu’elle était licenciée avec effet au 30 juin 2008, lui a été remise en mains propres. Madame X. a refusé de signer dite lettre.

Par pli recommandé du 4 avril 2008, Y. SA a confirmé à Madame X. qu’elle résiliait son contrat de travail avec effet au 30 juin 2008 et qu’elle la libérait de son obligation de travailler dès cette date. La lettre n’indiquait aucun motif de licenciement, Y. SA faisant uniquement référence à «des motifs évoqués par oral».

Dès le 8 avril 2008, Madame X. a été en incapacité totale de travailler.

En date du 8 mai 2008, Madame X. a reçu un certificat de travail intermédiaire de son employeur qui attestait de ses capacités à effectuer toutes les missions qui lui avaient été confiées de manière autonome, rigoureuse et efficace, ceci à l’entière satisfaction de Y. SA, ainsi que de son caractère calme et posé qui lui avait permis d’entretenir d’excellentes relations avec ses collègues et avec les clients dont elle s’occupait.

Par lettre du syndicat UNIA du 30 juin 2008, Madame X. a contesté son licenciement.

Par demande formée au greffe de la Juridiction des prud’hommes en date du 12 août 2008, Madame X. a assigné Y. SA en paiement de la somme de CHF 27’300.-, plus intérêts moratoires au taux de 5% l’an dès le 12 août 2008, soit six mois de salaire à titre d’indemnité pour licenciement abusif au sens des articles 336a CO et 3 LEg. Madame X. alléguait que la cause de son licenciement résidait, compte tenu qu’il était intervenu le jour de son retour de congé de maternité et qu’elle avait émis le désir de réduire son taux d’occupation afin de pouvoir se consacrer davantage à ses deux enfants, dans sa maternité. Y. SA a contesté le motif de licenciement avancé par Madame X. et précisé que celle-ci avait été licenciée pour des raisons d’ordre économique et à cause du manque d’intérêt qu’elle témoignait à son travail. Y. SA a ajouté que la remplaçante de Madame X., une femme âgée de 27 ans qui allait sûrement devenir mère, avait été nommée au poste jusqu’alors occupé par Madame X. car elle était plus polyvalente que cette dernière dans la mesure où elle était à la fois assistante administrative et contrôleuse de pièces.

Le Tribunal des prud’hommes, par jugement rendu suite à la délibération du 13 février 2009 et notifié aux parties le 16 février 2009, a condamné Y. SA à verser à  Madame X. la somme de CHF 9’000.-, plus intérêts moratoires à 5% l’an dès le 12 août 2008.

Par acte déposé au greffe de la Juridiction prud’homale le 19 mars 2009, Y. SA a conclu à l’annulation du jugement rendu par le Tribunal des prud’hommes et au déboutement de Madame X. de toutes ses conclusions. Madame X. a, quant à elle, requis la confirmation du jugement attaqué par Y. SA, ainsi que la condamnation de cette dernière à lui octroyer la somme de CHF 27’300.-, soit six mois de salaire, à titre d’indemnité pour licenciement abusif étant donné la gravité des faits.

en droit

Le caractère abusif du licenciement (art. 336 CO)

La Cour d’appel de la juridiction des prud’hommes (ci-après, la Cour) indique que le fardeau de la preuve du caractère abusif du motif du licenciement au sens de l’article 336 CO incombe au travailleur. Elle précise que le juge peut retenir qu’une résiliation est abusive lorsque le travailleur apporte des indices suffisants en ce sens mais réfute toutefois qu’une motivation inexacte du congé constitue en soi déjà un motif de licenciement abusif (TF, arrêt 4A_346/2009 du 20 octobre 2009, consid. 3.2).

En l’espèce, la Cour estime que Madame X. a été victime d’un licenciement abusif. Elle juge le comportement de Y. SA contraire à la plus élémentaire bonne foi étant donné qu’elle a notifié à Madame X. son licenciement le jour de son retour de congé de maternité, ce d’autant plus que Y. SA n’avait pas accusé réception de la demande de Madame X. de continuer à occuper, à son retour de congé de maternité, son poste de travail à un taux d’activité réduit et avait toujours éludé les questions que celle-ci lui avait adressées durant son absence au sujet des attributions qui seraient les siennes à son retour le 4 avril 2008.

Le caractère discriminatoire du licenciement (art. 3 LEg)

La Cour rappelle que l’interdiction de toute discrimination des travailleuses et travailleurs à raison de leur situation familiale, expressément consacrée à l’article 3 alinéa 1 LEg, s’applique notamment à la résiliation des rapports de travail (art. 3 al. 2 LEg) et qu’en vertu de l’article 6 LEg, disposition également invocable à ce moment-là, l’existence d’une discrimination est présumée pour autant que la personne qui l’allègue la rende vraisemblable, ce qui signifie que lorsque le travailleur rend la discrimination vraisemblable, le fardeau de la preuve est alors renversé et l’employeur doit prouver, de manière certaine, l’inexistence de dite discrimination.

La Cour considère que Madame X. a rendu vraisemblable la discrimination et estime que Y. SA n’est pas parvenue à établir ni qu’elle avait été contrainte de licencier Madame X. en raison de difficultés d’ordre économique, ni que le licenciement de Madame X. résultait du comportement de cette dernière. Par conséquent, la Cour admet le caractère discriminatoire du licenciement prononcé par Y. SA à l’encontre de Madame X. en date du 4 avril 2008, Y. SA ayant licencié Madame X. en raison de sa situation familiale.

L’indemnité à titre de licenciement discriminatoire et abusif (art. 336a CO)

La Cour applique l’article 336a CO, selon lequel la partie qui résilie abusivement le contrat de travail doit verser à l’autre une indemnité punitive et réparatrice, dont le montant maximal ne peut excéder six mois de salaire du travailleur et qu’il incombe au juge de fixer compte tenu de toutes les circonstances, parmi lesquelles figurent notamment la situation sociale et économique des deux parties, la gravité de l’atteinte portée à la personnalité de la partie congédiée, la commission éventuelle d’une faute concomitante de la personne licenciée, l’intensité et la durée des relations de travail et la manière dont le congé a été signifié.

Dans le cas d’espèce, la Cour condamne Y. SA à allouer à Madame X. une indemnité à titre de licenciement abusif de CHF 9’000.-, statuant que la dite somme est équitable eu égard à la situation de Y. SA, à la durée des relations de travail (4 ans), au comportement contraire à la bonne foi adopté par Y. SA lorsqu’elle a licencié Madame X., à la facilité avec laquelle Madame X. a trouvé un nouvel emploi (au 1er septembre 2008) et au fait qu’aucune faute concomitante ne peut être reprochée à cette dernière.

Résumé par Stéphanie Perrenoud, assistante diplômée à la faculté de droit et des sciences criminelles, Université de Lausanne, IDAT, sous la supervision du Prof. Rémy Wyler.

FR 14.05.2010
harcèlement sexuel
licenciement discriminatoire

sujet

Annulabilité du congé et indemnité pour discrimination de nature sexuelle

LEg

art 5, art 10

procédure

04.12.2009 Jugement de la deuxième Cour d’appel civil du Tribunal cantonal de l’Etat de Fribourg ;14.05.2010 Arrêt de la première Cour de droit civil du Tribunal fédéral.

résumé

Un congé n’est plus annulable, au sens de l’article 10 LEg, lorsqu’il est prononcé après la période légale de protection. Lorsque l’employeur prend les mesures nécessaires pour mettre fin à une discrimination de nature sexuelle, la victime ne peut plus prétendre au versement d’une indemnité. Une indemnité pour tort moral n’est pas allouée lorsque le degré de gravité nécessaire n’est pas atteint.

en fait

Madame X. était l’employée de Monsieur A. depuis le 1er juillet 2000.

Au cours du printemps 2003, elle reçut, via le courrier électronique de son ordinateur professionnel, plusieurs plaisanteries adressées à l’ensemble du personnel et dont elle alléguait qu’elles avaient gravement heurté sa sensibilité de femme et de chrétienne.

Le 18 décembre 2003, Madame X. contesta une réorganisation, en particulier le rôle assigné à celui qui allait devenir son supérieur hiérarchique.

Le 23 janvier 2004, Monsieur A. résilia le contrat de travail de Madame X. pour le 31 mars 2004 avec libération de l’obligation de travailler jusqu’à l’échéance de son contrat. Par courrier du 28 janvier 2004, Madame X. demanda la reconsidération de la décision de licenciement, ou sa motivation. Le 6 février 2004, Monsieur A. lui répondit que son congé avait dû lui être signifié dans le contexte de la réorganisation et qu’au demeurant, l’on ne pouvait réexaminer une décision nécessaire au nouveau fonctionnement.

Le 4 mars 2004, Madame X. déposa une requête de conciliation, concluant à sa réintégration provisoire, à la tentative de conciliation relativement à l’annulation du congé et au versement d’une indemnité de trois mois de salaire. Cette requête fut rejetée.

Par demande du 30 juillet 2004, Madame X. assigna Monsieur A. devant les Tribunal de prud’hommes, concluant principalement à l’annulation du congé et à sa réintégration rétroactive au 1er avril 2004, subsidiairement au versement de son salaire jusqu’au 1er juillet 2005, d’une indemnité de deux mois de salaire brut pour résiliation abusive et deux mois brut pour harcèlement sexuel et discriminatoire, et d’une indemnité de 10’000.- CHF pour tort moral. Par jugement du 4 septembre 2008, la Chambre des prud’hommes rejeta la demande.
Le 4 décembre 2009, statuant sur l’appel de Madame X., qui demandait désormais le versement de son salaire jusqu’au 1er juillet 2010, la deuxième Cour d’appel civil du Tribunal cantonal rejeta le recours et confirma le jugement attaqué.
La Cour considérait que trois des six courriels produits étaient légèrement mais suffisamment sexistes pour importuner Madame X. de sorte qu’une violation de l’article 4 LEg était établie. Cela étant, le congé n’était pas annulable, dès lors qu’il avait été signifié  après la période légale de protection prévue par l’article 10 alinéa 2 LEg. Enfin, si l’un des courriels avait pu avoir un impact sur la sensibilité de croyante de Madame X. cela ne revêtait pas un caractère de gravité tel qu’il conduisait à lui allouer une indemnité pour tort moral selon l’article 49 CO.

Madame X. interjeta un recours au Tribunal fédéral, concluant à la réforme de l’arrêt du 4 décembre 2009 dans le sens de l’annulation de la résiliation des rapports de travail, de sa réintégration dans sa fonction avec effet au 1er avril 2004 et de la condamnation de Monsieur A. à lui verser, en cas de refus de la réintégration, un salaire du 1er avril 2004 au 30 juin 2010 - ou jusqu’au 30 juin 2015 si la cause devait être jugée après le 30 juin 2010 -, une indemnité équivalant à deux salaires mensuels bruts en raison du harcèlement sexuel et discriminatoire et du licenciement discriminatoire, ainsi qu’une indemnité de 10’000.- CHF pour tort moral.
Monsieur A. n’a pas été invité à se déterminer.

en droit

A. Annulation du congé et réintégration :

Aux termes de l’article 10 LEg, la résiliation du contrat de travail par l’employeur est annulable lorsqu’elle ne repose pas sur un motif justifié et qu’elle fait suite à une réclamation adressée à un supérieur ou à un organe compétent au sein de l’entreprise, à l’ouverture d’une procédure de conciliation ou à l’introduction d’une action en justice. Le travailleur est protégé contre le congé durant toute la durée des démarches effectuées au sein de l’entreprise, durant la procédure de conciliation et durant toute la durée du procès de même que pendant le semestre qui suit la clôture des démarches ou de la procédure.

En l’occurrence, Madame X. n’avait pas entrepris d’autres démarches que de se plaindre des courriels à son supérieur hiérarchique en juin 2003, le congé du 23 juin 2004 prononcé plus d’un semestre plus tard n’était dès lors pas annulable en application de l’article 10 LEg, puisqu’il était intervenu après la période légale de protection, scellant le sort des conclusions relatives à l’annulation du congé, à la réintégration et au versement des salaires allant du 1er avril 2004 au 1er juillet 2010.

B. Indemnité LEg :

Selon l’article 5 alinéa 3 LEg, lorsque la discrimination porte sur un cas de harcèlement sexuel, le tribunal ou l’autorité administrative peuvent également condamner l’employeur à verser au travailleur une indemnité, à moins que l’employeur ne prouve qu’il a pris les mesures que l’expérience commande, qui sont appropriées aux circonstances et que l’on peut équitablement exiger de lui pour prévenir ces actes ou y mettre fin.

La Cour cantonale avait considéré que seulement trois courriels sur six revêtaient un caractère sexiste léger mais suffisant pour importuner Madame X. Le premier était une citation de Flaubert « les femmes des uns font le bonheur des autres », le deuxième proclamait « ne soyez pas méchant avec les femmes….La nature s’en charge au fur et à mesure que le temps passe » et le troisième était un dessin représentant un chef du personnel profitant de sa fonction pour regarder sous la minijupe d’une employée assise sur une chaise exagérément surélevée. Compte tenu du fait, que ces messages se situaient à la limite inférieure de ce qui pouvait encore être considéré comme une discrimination à raison du sexe au sens de la LEg et que les courriels reçus par la suite étaient encore moins osés, force est de constater que Monsieur A. avait pris les mesures nécessaires pour mettre fin à cette discrimination. Dès lors, aucune indemnité basée sur l’article 5 alinéa 3 LEg ne saurait être versée à Madame X.

C. Indemnité pour tort moral :

L’alinéa 1 de l’article 49 CO, par renvoi de l’article 5 alinéa 5 LEg, dispose que celui qui subit une atteinte à sa personnalité a droit à une somme d’argent à titre de réparation morale, pour autant que la gravité de l’atteinte le justifie et que l’auteur ne lui ait pas donné satisfaction autrement.

Pour justifier une indemnité pour tort moral, il ne suffit pas de constater une violation de l’obligation, de la part de l’employeur, de protéger la personnalité du travailleur découlant de l’article 328 CO, il faut encore que l’atteinte atteigne une certaine gravité objective et qu’elle ait été ressentie par la victime subjectivement, comme une souffrance morale suffisamment forte pour qu’il apparaisse légitime qu’une personne, dans ces circonstances, s’adresse au juge pour obtenir réparation.

En l’espèce, il n’est pas établi que les courriels ci-dessus ait atteint un degré de gravité suffisant pour justifier une indemnisation pour tort moral.

Dans la mesure où Madame X, n’a droit ni à une indemnité pour tort moral ni à une indemnité fondée sur la LEg, il n’est pas nécessaire d’examiner un éventuel cumul de ces indemnités.

Résumé par Virginie Panchaud, assistante diplômée à la faculté de droit et des sciences criminelles, Université de Lausanne, IDAT, sous la supervision du Prof. Rémy Wyler.

GE 27.10.2011
aménagement des conditions de travail
congé maternité

sujet

Absence de rémunération pour le temps passé à allaiter

LEg

art 3

CO

art. 324a

procédure

15.02.2011 Jugement du Tribunal des prud’hommes 27.10.2011 Jugement de la Cour de justice

résumé

Le temps consacré à l’allaitement ne doit pas être rémunéré. La travailleuse ne peut, en effet, déduire le droit d’exiger le paiement de son salaire pour le temps passé à allaiter ni des articles 35, 35a LTr et 60 OLT 1, ni de l’article 324a CO.

en fait

Avec effet au 1er octobre 2007, Madame T a été engagée en qualité de rédactrice du sous-titrage SR, par E, une société anonyme, sise dans le canton de Berne, active dans le domaine des informations électroniques et la transmission des nouvelles par la radio et les voies de télécommunication. Le contrat de travail, de durée indéterminée, prévoyait un taux de travail de 60 % pour un salaire mensuel brut de CHF 3’180.-, versé treize fois l’an. Les dispositions générales relatives au contrat de travail de Madame T disposaient, en outre, qu’en cas d’accouchement survenant dès la deuxième année de service, le salaire était payé à 100 % pendant seize semaines (quatorze semaines de congé de maternité, auxquelles s’ajoutent deux semaines accordées en plus par l’employeur).

En date du 6 juin 2009, Madame T a accouché.

Par courrier électronique du 25 septembre 2009, la société E a indiqué à Madame T, qu’à son retour de congé maternité, elle aurait le choix d’allaiter son enfant sur son lieu de travail ou de le quitter pour ce faire, précisant que ses horaires pourraient être aménagés afin de lui permettre d’allaiter mais soulignant, toutefois, que le temps consacré à l’allaitement ne serait pas rémunéré, mais qu’il serait entièrement compté comme temps de travail en cas d’allaitement sur le lieu de travail, respectivement, que la moitié du temps d’allaitement serait considérée comme temps de travail si elle s’absentait de son lieu de travail pour allaiter.

Par courriel du 1er octobre 2009, Madame T a répondu à la société E, pour lui faire part de sa déception quant à la déduction du temps d’allaitement du salaire et pour l’informer qu’elle n’envisageait pas de rentrer à son domicile pour allaiter et qu’elle tirerait son lait sur son lieu de travail à raison de deux fois par jour pendant deux mois.

D’entente avec la société E, il a été convenu que lorsque Madame T reprendrait le travail, le 12 octobre 2009, chaque pause d’allaitement serait enregistrée sur la timbreuse de l’entreprise, ce qui a été fait.

Le 11 novembre 2009, par courrier électronique adressé à la société E, Madame T a mentionné que le fait de tirer son lait sur son lieu de travail lui prenait peu de temps et prié son employeur de lui « faire parvenir les calculs exacts correspondant à ce temps et aux déductions », demandant, par ailleurs, que la base de la décision de décompter le temps d’allaitement du salaire (règlement d’entreprise) lui soit communiquée. Madame T a également relevé que des entreprises telles que SSR, Migros, Coop et La Poste rémunéraient le temps consacré à l’allaitement sur la seule base de l’article 60 de l’Ordonnance 1 relative à la loi sur le travail (OLT 1 ; RS 822.111).

Par courriel du 13 novembre 2009, la société E a informé Madame T que la Loi sur le travail (LTr ; RS 822.11) ne promulguait pas une obligation de rémunérer le temps consacré à l’allaitement et que le temps d’allaitement décompté de son salaire pour le mois d’octobre, s’élevait à 4.55 heures, ce qui correspondait à CHF 156.-.

Madame T a mandaté le Syndicat Suisse de mass média (SSM), qui, par courrier du 16 janvier 2010, a reproché à la société E de s’être livrée à une interprétation trop restrictive de l’article 60 OLT 1 en effectuant des retenues sur le salaire de Madame T en relation avec son temps d’allaitement, ponctuant que la majorité des entreprises, dont SSR, et la plupart des cantons ne procédaient pas à de telles retenues et enjoignant la société E à « appliquer la même politique d’ouverture que (sa) maison mère la SSR » et, partant, à verser à Madame T la somme de CHF 382.80 qui avait été déduite de son salaire.

Par courrier du 25 janvier 2010, la société E a répondu à Madame T que si la loi sur le travail ancrait le principe de l’assimilation du temps consacré à l’allaitement sur le lieu de travail à du temps de travail, elle ne prévoyait, par contre, pas sa rémunération. La société E a ajouté que la décision de certaines entreprises de renoncer à déduire du salaire le temps passé à allaiter relevait d’une interprétation extensive de l’article 60 OLT 1, rappelant qu’elle n’était pas une filiale de SRG/SSR et qu’elle disposait de ses propres règlements.

Durant toute la période d’allaitement, Madame T a reçu mensuellement un décompte du temps consacré à l’allaitement, le salaire y afférant étant déduit de sa rémunération. Au total, la somme de CHF 886.20 a été déduite de son salaire.

En date du 13 juillet 2010, Madame T a saisi la Juridiction prud’homale afin que celle-ci constate l’obligation de la société E de considérer le temps d’allaitement comme du temps de travail rémunéré ; Madame T assignait ainsi la société E en paiement de la somme de CHF 886.20 avec intérêts moratoires à 5 % l’an dès le 15 février 2010.

A l’appui de ses conclusions, Madame T soutenait que le temps passé à allaiter – ou à tirer son lait – sur son lieu de travail, était, durant la première année de vie de son enfant, constitutif d’un empêchement de travailler non fautif au sens de l’article 324a alinéa 1 CO. Nier le droit au salaire relatif à ce temps contrevenait au principe de l’égalité de traitement entre femmes et hommes (art. 3 al. 1 LEg), la femme ne pouvant pas prolonger son temps de travail pour s’assurer le même salaire qu’un homme (art. 60 al. 1 OLT 1).
Par mémoire de réponse déposé au greffe de la Juridiction des prud’hommes le 15 septembre 2010, la société E a conclu au déboutement de Madame T, admettant le montant réclamé dans sa quotité, mais réfutant qu’une quelconque obligation de l’employeur de verser le salaire pour le temps consacré à l’allaitement puisse être déduite de la législation ; selon elle, l’article 324a CO ne s’appliquait, en outre, pas à la maternité et donc pas non plus à l’allaitement.

Le Tribunal des prud’hommes a donné gain de cause à la société E, retenant, en substance, que l’article 324a CO ne s’appliquait ni à la maternité, ni à l’allaitement depuis l’entrée en vigueur, le 1er juillet 2005, de la révision de la loi sur les allocations pour perte de gain introduisant les allocations de maternité. Le temps consacré à l’allaitement sur le lieu de travail ne peut, en effet, selon lui, être assimilé à une incapacité de travail non fautive de la travailleuse au sens de l’article 324a CO, l’obligation légale des parents de pourvoir à l’entretien de leur enfant (art. 276 CC) ne fondant, par ailleurs, pas une obligation d’allaitement pour les mères au-delà du congé maternité. Le Tribunal a également nié qu’une telle obligation puisse découler de la LTr ou de l’OLT 1. Les juges ont, cependant, relevé dans un obiter dictum, et en dehors du cadre des débats, qu’il pourrait exister une inégalité de traitement entre les personnes qui prennent plusieurs pauses par jour pour fumer des cigarettes sans réduction de leur salaire et les femmes qui se voient décompter le temps d’allaitement sur leur rémunération. Il a toutefois conclu qu’il s’agissait de situations complètement différentes ne permettant pas de fonder l’obligation de l’employeur de verser le salaire en cas d’allaitement.

Suite à l’arrêt rendu par le Tribunal des prud’hommes, Madame T a saisi la Cour de justice, reprenant, pour l’essentiel, les arguments présentés aux premiers juges, spécifiant que le Tribunal, qui avait relevé la possibilité d’une inégalité de traitement entre les fumeurs et les femmes qui allaitent au travail, aurait dû faire droit à sa demande. La société E a maintenu ses conclusions selon lesquelles aucun droit au paiement du salaire pendant les pauses d’allaitement ne pouvait être déduit de l’article 324a CO.

en droit

En droit (Tribunal des prud’hommes):
Le Tribunal des prud’hommes a donné gain de cause à la société E, retenant, en substance, que l’article 324a CO ne s’appliquait ni à la maternité, ni à l’allaitement depuis l’entrée en vigueur, le 1er juillet 2005, de la révision de la loi sur les allocations pour perte de gain introduisant les allocations de maternité. Le temps consacré à l’allaitement sur le lieu de travail ne peut, en effet, selon lui, être assimilé à une incapacité de travail non fautive de la travailleuse au sens de l’article 324a CO, l’obligation légale des parents de pourvoir à l’entretien de leur enfant (art. 276 CC) ne fondant, par ailleurs, pas une obligation d’allaitement pour les mères au-delà du congé maternité. Le Tribunal a également nié qu’une telle obligation puisse découler de la LTr ou de l’OLT 1. Les juges ont, cependant, relevé dans un obiter dictum, et en dehors du cadre des débats, qu’il pourrait exister une inégalité de traitement entre les personnes qui prennent plusieurs pauses par jour pour fumer des cigarettes sans réduction de leur salaire et les femmes qui se voient décompter le temps d’allaitement sur leur rémunération. Il a toutefois conclu qu’il s’agissait de situations complètement différentes ne permettant pas de fonder l’obligation de l’employeur de verser le salaire en cas d’allaitement.

Suite à l’arrêt rendu par le Tribunal des prud’hommes, Madame T a saisi la Cour de justice, reprenant, pour l’essentiel, les arguments présentés aux premiers juges, spécifiant que le Tribunal, qui avait relevé la possibilité d’une inégalité de traitement entre les fumeurs et les femmes qui allaitent au travail, aurait dû faire droit à sa demande. La société E a maintenu ses conclusions selon lesquelles aucun droit au paiement du salaire pendant les pauses d’allaitement ne pouvait être déduit de l’article 324a CO.


En droit (Cour de justice):
Après avoir rappelé les obligations de l’employeur découlant des articles 35, 35a LTr et 60 OLT 1, la Cour de justice a réfuté que la protection particulière garantie aux mères qui allaitent par les dispositions précitées fonde un droit, pour les travailleuses, d’exiger le versement de leur salaire pour le temps consacré à l’allaitement. Considérant, par ailleurs, que ni le droit suisse, ni le droit international applicable en Suisse, ne fondent une obligation d’allaitement pour les mères, pas plus qu’un droit de l’enfant à être allaité et que, par conséquent, l’allaitement procède, en Suisse en tout cas, d’un choix personnel, la Cour a retenu que le temps passé à allaiter ne constituait pas un empêchement de travailler non fautif au sens de l’article 324a alinéa 1 CO, déboutant ainsi Madame T de ses conclusions. La Cour a ajouté que, dès lors que l’allaitement relève d’un choix personnel, la réalisation d’une quelconque discrimination de Madame T par rapport aux hommes était inexistante et que, par ailleurs, compte tenu du fait que la situation d’une femme qui allaite est différente de celle d’un fumeur, la question d’une violation du principe de l’égalité de traitement ne se posait pas.

Résumé par Stéphanie Perrenoud, assistante diplômée à la faculté de droit et des sciences criminelles, Université de Lausanne, IDAT, sous la supervision du Prof. Rémy Wyler.

JU 07.09.2007
discrimination salariale

sujet

Allègement du fardeau de la preuve en cas de discrimination salariale

LEg

art 3, art 6

Cst.

art. 8

procédure

07.09.2007 Jugement de la chambre administrative

résumé

En présence d’un cas d’allègement du fardeau de la preuve, prévu par l’article 6 LEg, il suffit au travailleur de rendre la discrimination vraisemblable pour renverser le fardeau de la preuve. Il incombera alors à l’employeur de prouver que la différence n’est pas discriminatoire et qu’elle se fonde sur des motifs objectifs propres à justifier la différence de traitement. Une discrimination salariale, même si elle n’est pas basée sur le sexe, est prohibée lorsque des motifs objectifs ne peuvent être apportés.

en fait

Madame T1 a été engagée en qualité de collaboratrice à l’Office des véhicules du canton du Jura (OVJ) en classe 5. Le 14 décembre 2005, elle a introduit une action contre la République et Canton du Jura, alléguant être victime d’une inégalité de traitement par rapport à ses collègues de sexe masculin qui figuraient en classe 9, ce qui a été admis par le chef de l’OVJ. L’inégalité soulevée concernait la réévaluation de sa fonction de la classe 5 à la classe 9 demandée depuis 2002. Madame T1 réclame, dès lors, la différence de salaire qui en résulte du 9 juillet jusqu’au 31 décembre 2004, réservant ses droits pour la période ultérieure. Elle fonde ses prétentions sur l’interdiction de toute discrimination, directe ou indirecte, des employés liée au sexe figurant à l’art. 8 al. 3 Cst., de même que sur la loi fédérale sur l’égalité entre homme et femme (LEg).

Une collègue de Madame T1, Madame T2, a ouvert une action similaire le même jour. Les deux actions ont été jointes.

La République et Canton du Jura a conclu au déboutement des actions de Mesdames T1 et T2.

en droit

Mesdames T1 et T2 s’estiment victimes d’une discrimination salariale fondée sur le sexe.

L’interdiction de toute discrimination directe ou indirecte, des employés liée au sexe figure à l’article 8 alinéa 3 Cst. ainsi qu’à l’article 3 alinéa 1 LEg. Selon cette dernière disposition, il est interdit de discriminer les travailleurs à raison du sexe, soit directement, soit indirectement, notamment en se fondant sur leur état civil ou leur situation familiale ou, s’agissant de femmes, leur grossesse. L’interdiction de toute discrimination s’applique notamment à l’embauche, à l’attribution des tâches, à l’aménagement des conditions de travail, à la rémunération, à la formation et au perfectionnement professionnels, à la promotion et à la résiliation des rapports de travail (art. 3 al. 2 LEg). Une discrimination est dite directe lorsqu’elle se fonde explicitement sur le critère du sexe ou sur un critère ne pouvant s’appliquer qu’à l’un des deux sexes et qu’elle n’est pas justifiée objectivement. Elle est qualifiée d’indirecte lorsque le critère utilisé pourrait s’appliquer aux deux sexes, mais qu’il a ou peut avoir pour effet de désavantager une plus grande proportion de personnes d’un sexe par rapport à l’autre, sans être justifié objectivement.

L’article 6 LEg aménage un allègement du fardeau de la preuve en ce sens qu’il suffit de rendre vraisemblable l’existence d’une discrimination à raison du sexe ; cette disposition constitue une règle spéciale par rapport à l’article 8 CC. Elle tend à corriger l’inégalité de fait résultant de la concentration des moyens de preuve en mains de l’employeur. Ainsi dès que la personne qui se prévaut d’une discrimination à raison du sexe apporte des indices la rendant vraisemblable, le fardeau de la preuve est mis à la charge de l’employeur. Le juge n’a pas à être convaincu du bien-fondé des arguments du travailleur, il doit simplement disposer d’indices objectifs suffisants pour que les faits allégués présentent une certaine vraisemblance, sans devoir exclure qu’il puisse en aller différemment.

Une discrimination à raison du sexe peut intervenir dans la fixation du salaire d’une personne déterminée lorsque celui-ci est comparé à celui d’autres personnes du sexe opposé ayant une position semblable dans l’entreprise. Le Tribunal fédéral a ainsi considéré qu’une discrimination salariale était rendue vraisemblable dans le cas d’une travailleuse dont le salaire était d’environ 15% à 25% inférieur à celui d’un collègue de sexe masculin qui accomplissait le même travail (ATF 126 III 395, c. 3a, ATF 125 III 368, c. 4). Dès lors, si une femme, présentant des qualifications équivalentes à son prédécesseur de sexe masculin, est engagée à un salaire moins élevé que celui-ci, il est vraisemblable que cette différence de traitement constitue une discrimination à raison du sexe, prohibée par l’article 3 LEg.

En l’espèce, le chef de l’OVJ, devenu par la suite ministre du Département de la Santé des Affaires sociales et des Ressources humaines, a présenté deux notes internes dans lesquelles il exposait, à une collaboratrice du Service du personnel ainsi qu’à son chef, les cas de Mesdames T1 et T2, en précisant que leurs prédécesseurs respectifs masculins étaient supérieurement classés et que les postes en question avaient déjà fait l’objet d’une classification par le Gouvernement en décembre 1990, classification correspondant à celle des prédécesseurs. Il ajoutait que personnellement et au vu des éléments en sa possession, il ne doutait pas qu’un tribunal leur donnerait gain de cause. Il ne fait donc pas de doute que les conditions permettant d’admettre la vraisemblance d’une discrimination salariale sont données dans le cas d’espèce.

Une fois la discrimination rendue vraisemblable, le fardeau de la preuve est renversé. L’employeur doit alors prouver que la différence de traitement n’est pas discriminatoire. Il ne s’agit pas d’établir si une classification basse est appropriée, mais si elle est discriminatoire. L’existence ou l’absence d’une discrimination, qui dépend de questions de fait et de droit, ne peut pas être prouvée de façon absolue. L’employeur doit prouver, d’une part, les faits sur lesquels il fonde sa politique salariale et, d’autre part, les motifs justifiant les différences critiquées comme discriminatoires. Si l’employeur ne réussit pas à apporter cette preuve, l’action de la partie qui se prévaut d’une telle discrimination doit être accueillie, sans qu’il soit nécessaire d’établir l’existence, dans l’entreprise, d’une politique du personnel sexiste. L’intention de l’employeur est sans importance, l’interdiction de telles discriminations s’appliquant aussi bien aux discriminations non intentionnelles qu’intentionnelles.

Bien que la République et Canton du Jura n’ait nullement eu l’intention de pratiquer une politique salariale sexiste, il lui appartient d’établir soit l’inexistence d’une disparité de traitement soit, si celle-ci est établie, sa justification par un motif objectif étranger au sexe. Dans le cas d’espèce, la discrimination n’est certes pas fondée sur le sexe mais demeure réelle par rapport aux précédents travailleurs occupant lesdits postes. De plus, il apparaît qu’il n’y avait pas de motif objectif pour justifier ces différences de salaire dès lors que la procédure d’évaluation des fonctions est confiée à la Commission d’évaluation des fonctions et qu’il incombe ensuite au Gouvernement de déterminer la classification de l’emploi en question, notamment lorsqu’un poste est repourvu.

Par conséquent, Mesdames T1 et T2 se voient réévaluées en classe 9 et leurs prétentions salariales sont admises dans les limites de la prescription de cinq ans de l’article 128 chiffre 3 CO.

Résumé par Virginie Panchaud, assistante diplômée à la faculté de droit et des sciences criminelles, Université de Lausanne, IDAT, sous la supervision du Prof. Rémy Wyler.

GE 03.09.2010
discrimination salariale
licenciement abusif

sujet

Résiliation abusive du contrat de travail et discrimination salariale à raison du sexe.

LEg

art 3, art 6

CO

art. 336, art. 336a

procédure

03.09.2010 Jugement du Tribunal de prud’hommes

résumé

L’employeur ne peut résilier un contrat de travail de façon abusive. Constitue une résiliation abusive, le congé donné en raison de prétentions basées sur l’invocation d’une discrimination salariale fondée sur le sexe. Dans une telle situation la travailleuse bénéficie de l’allègement du fardeau de la preuve de l’article 6 LEg lui permettant de renverser le fardeau de la preuve sitôt que la discrimination invoquée est rendue vraisemblable.

en fait

Par contrat du 23 septembre 2008 avec effet au 1er octobre 2008, Madame T a été engagée en qualité de senior advisor moyennant un salaire annuel brut de CHF 250’000.- versé treize fois l’an par E, une banque principalement orientée vers les opérations de gestion de fortune et les opérations commerciales et documentaires, basée à Genève.

Le contrat de travail stipulait notamment qu’un bonus discrétionnaire était versé en janvier pour l’exercice précédent, sous réserve de rupture de contrat.

Madame T a été nommée directrice, avec signature collective à deux, par décision du Conseil d’administration datée de novembre 2008.

Par courrier du 16 février 2009, la Banque E a résilié le contrat de travail de Madame T pour le 31 mai 2009. Cette dernière fut libérée de l’obligation de travailler immédiatement et priée de prendre son solde de vacances durant le délai de congé. La motivation du congé indiquait la nécessité  de restructurer et de renforcer la Direction pour permettre à la Banque E de faire face à la situation difficile résultant de la crise financière.

Par courrier du 16 mars 2009, Madame T s’est opposée au congé au motif qu’il était abusif et s’est réservée le droit de réclamer une indemnité à ce titre.

Par demande déposée au greffe de la Juridiction de prud’hommes le 21 juillet 2009, Madame T a assigné la Banque E notamment en paiement de la somme de CHF 228’392.75 bruts à titre de résiliation abusive plus intérêt à 5% l’an.

A l’appui de sa demande, elle exposait que Madame A, CEO de la Banque E, avait mandaté la société E1, dont Madame T était la gérante, pour faire un audit des ressources humaines de la Banque E et établir des cahiers des charges. L’audit en question a permis de révéler de graves dysfonctionnements impliquant une grande charge de travail pour Madame T. Bien que promue directrice de la Banque E lors d’une séance du Conseil d’administration, le 17 octobre 2008, son titre n’avait jamais été modifié, ni son salaire augmenté et ce malgré ses nombreuses relances.

Madame T faisait valoir que ce congé était lié à son sexe et partant abusif. Son travail, mené en collaboration avec Madame A, avait été systématiquement critiqué par Monsieur B, membre du Conseil d’administration. Ce dernier trouvait inacceptable que la direction de la Banque E soit gérée par deux femmes et avait exercé de nombreuses pressions afin que Madame T soit remplacée par un homme, diffusant notamment de nombreuses rumeurs visant à la décrédibiliser et prétendant qu’elle ne possédait aucune expérience en matière bancaire. Madame A fut, par ailleurs, licenciée peu de temps après. Madame T a ajouté que le motif invoqué par la Banque E était erroné puisque son poste avait été repourvu.

L’audience de conciliation a eu lieu le 11 décembre 2009 mais n’a pas abouti.

Par mémoire de réponse du 11 janvier 2010, la Banque E a conclu au déboutement de toutes les conclusions de Madame T. Elle contestait notamment les conclusions auxquelles aboutissait l’audit et prétendait avoir été mise devant le fait accompli quant à la nomination de Madame T en qualité de directrice. Elle avait dès lors été obligée de valider ce choix mais sans pour autant lui accorder d’augmentation de salaire, ce qui figurait clairement sur le tableau des rémunérations. La Banque E a ajouté que le licenciement de Madame T était sans rapport avec son sexe, relevant, par ailleurs, que plusieurs femmes travaillaient en son sein et occupaient des positions de cadres. Elle constatait que Monsieur B n’avait jamais fait l’objet de plainte durant les rapports de travail et qu’aucune gratification n’avait jamais été versée.

A l’audience du 15 mars 2010, la Banque E a confirmé que le poste occupé par Madame T n’avait pas été repourvu.

en droit

Madame T réclame CHF 150’000.- à titre d’indemnité pour résiliation abusive.

Aux termes de l’article 335 alinéa 1 CO, le contrat de travail de durée indéterminée peut être résilié unilatéralement par chacune des parties. Ce droit est toutefois limité par les dispositions sur le congé abusif. Est abusif le congé donné pour un des motifs énumérés à l’article 336 CO, qui concrétise avant tout l’interdiction générale de l’abus de droit et y assortit les conséquences juridiques adaptées au contrat de travail.

En particulier, l’article 336 alinéa 1 lettre a CO qualifie d’abusif le congé donné par une partie pour une raison inhérente à la personnalité de l’autre partie, à moins que cette raison n’ait un lien avec le rapport de travail ou ne porte, sur un point essentiel, un préjudice grave au travail dans l’entreprise. Cette disposition vise le congé discriminatoire, fondé par exemple sur la race, la nationalité, l’appartenance religieuse, l’âge, l’homosexualité, le statut familial, les antécédents judiciaires, ou encore la maladie, la séropositivité (ATF 127 III 86, c. 2a). Les seuls éléments déterminants pour qu’un congé soit retenu comme abusif sont le motif du congé et la causalité entre ce motif et le congé lui-même : le congé ne peut et ne doit être considéré comme abusif seulement parce qu’il a été prononcé pour un motif qui n’est pas digne de protection.

A teneur de l’article 336a CO, la sanction du congé donné abusivement consiste en le versement d’une indemnité fixée compte tenu de toutes les circonstances et plafonnée à un montant correspondant à six mois de salaire du travailleur ; dès lors le congé n’est ni nul ni annulable.

Selon l’article 3 alinéa 1 LEg, il est interdit de discriminer les travailleurs à raison du sexe, soit directement, soit indirectement, notamment en se fondant sur leur état civil ou leur situation familiale ou, s’agissant de femmes, leur grossesse. L’interdiction de toute discrimination s’applique notamment à l’embauche, à l’attribution des tâches, à l’aménagement des conditions de travail, à la rémunération, à la formation et au perfectionnement professionnels, à la promotion et à la résiliation des rapports de travail (al. 2).

L’article 6 LEg est une règle spéciale par rapport au principe général de l’article 8 CC. Il institue, sauf en ce qui concerne le harcèlement sexuel et la discrimination à l’embauche, un assouplissement du fardeau de la preuve d’une discrimination à raison du sexe, en ce sens qu’il suffit à la partie qui s’en prévaut de rendre vraisemblable l’existence d’une telle discrimination. Avant que le fardeau de la preuve ne soit mis à la charge de l’employeur, le travailleur qui invoque la LEg doit apporter des indices rendant vraisemblable l’existence d’une discrimination. Le juge n’a pas à être convaincu du bien-fondé des arguments du travailleur, il doit simplement disposer d’indices objectifs suffisants pour que les faits allégués présentent une certaine vraisemblance, sans devoir exclure qu’il puisse en aller différemment.

Lorsque l’existence d’une discrimination liée au sexe a été rendue vraisemblable, il incombe à l’employeur d’apporter la preuve complète que la différence de traitement repose sur des facteurs objectifs. Constituent des motifs objectifs ceux qui peuvent influencer la valeur même du travail, comme la formation, l’ancienneté, la qualification, l’expérience, le domaine concret d’activité, les prestations effectuées, les risques encourus ou le cahier des charges. L’employeur doit également démontrer qu’il poursuit un but objectif qui répond à un véritable besoin de l’entreprise et que les mesures discriminatoires adoptées sont propres à atteindre le but recherché, sous l’angle du principe de la proportionnalité (ATF 127 III 207, c. 3c, ATF 125 III 368, c. 5).

Des disparités salariales peuvent se justifier pour des motifs qui ne se rapportent pas immédiatement à l’activité du travailleur mais qui découlent de préoccupations sociales tels que les charges familiales ou l’âge. La position de force d’un travailleur dans la négociation salariale, à l’instar de la situation conjoncturelle, peut aussi conduire à une différence de rémunération pour le même travail. Dans ces deux situations les disparités doivent être compensées dès qu’il est raisonnablement possible de le faire, mais au plus tard dans le délai d’une année.

Une discrimination de nature sexiste peut résulter de la fixation du salaire d’une personne déterminée lorsqu’il est comparé à celui d’autres personnes du sexe opposé ayant une position semblable dans l’entreprise. Le Tribunal fédéral a ainsi considéré qu’une discrimination salariale était vraisemblable dans le cas d’une travailleuse dont le salaire était d’environ 15% à 25% inférieur à celui d’un collègue de sexe masculin qui accomplissait le même travail. Si une femme, présentant des qualifications équivalentes à son prédécesseur de sexe masculin, est engagée à un salaire moins élevé que lui, il est vraisemblable que cette différence de traitement constitue une discrimination à raison du sexe, prohibée par l’article 3 LEg.

Madame T prétend avoir été licenciée en raison d’une discrimination liée au sexe. Le Tribunal de céans constate qu’une discrimination à raison du sexe ne ressort d’aucune pièce et que le motif d’une restructuration paraît plausible. Dès lors, Madame T n’ayant pas réussi à démontrer la vraisemblance d’une discrimination liée au sexe, elle est déboutée de sa prétention en versement d’une indemnité pour résiliation abusive.

Résumé par Virginie Panchaud, assistante diplômée à la faculté de droit et des sciences criminelles, Université de Lausanne, IDAT, sous la supervision du Prof. Rémy Wyler.

TF 4A_261/2011
discrimination salariale

sujet

Discrimination salariale à raison du sexe, allègement du fardeau de la preuve et motifs justificatifs

LEg

art 3, art 6

Cst.

art. 8

procédure

04.10.2010 Jugement du Tribunal de prud’hommes du Canton de Vaud 17.02.2011 Jugement de la Chambre des recours du Canton de Vaud 24.08.2011 Jugement du Tribunal fédéral

résumé

En cas de discrimination salariale à raison du sexe, l’article 6 LEg aménage un allègement du fardeau de la preuve, ayant pour but, une fois que la vraisemblance d’une discrimination est établie, de mettre la preuve à la charge de l’employeur. Celui-ci doit, dès lors, apporter la preuve de critères objectifs justifiant la différence de traitement. S’il n’y parvient pas ou seulement partiellement, la différence salariale doit être réduite en conséquence. La comparaison avec la rémunération d’un seul collègue de l’autre sexe exerçant la même activité suffit à établir la vraisemblance d’une discrimination. En l’espèce, seuls deux critères ont été retenus comme pouvant influencer la valeur du travail et la différence de traitement avec le collègue comparé, à savoir les connaissances techniques et les capacités linguistiques. Au regard du principe de la proportionnalité ces deux critères ne sauraient justifier une disparité de 50%.

en fait

Par contrat individuel de travail du 26 mai 2009, Madame T1 a été engagée en qualité de conseillère en placement à un taux d’activité de 90% au sein de l’unité « administration-commercial », pour le 1er juin 2009, par E SA, une société ayant pour but notamment le placement de personnel fixe et temporaire ainsi que le conseil en personnel. Le contrat prévoyait que le salaire de Madame T1, versé douze fois l’an, serait de CHF 6’000.- bruts par mois pendant la période d’essai de trois mois. Dès le quatrième mois d’activité, le salaire devait se décomposer en une part fixe, de CHF 4’100.- bruts par mois, et une part variable comprenant un bonus individuel calculé en pourcentage du chiffre d’affaires généré par les placements opérés par la salariée (6% si le chiffre d’affaires dépassait CHF 15’000.-) et un bonus extraordinaire pour le travail en équipe si certains objectifs étaient atteints.

Avant la signature du contrat, Madame T1 avait déclaré être en mesure d’effectuer cinq placements fixes et cinq placements temporaires par mois.

Selon la demande de Madame T1, un avenant au contrat de travail a été conclu à l’issue de la période d’essai, soit le 4 septembre 2009, prévoyant que le régime salarial applicable pendant le temps d’essai serait reconduit pour les trois prochains mois.

Sur une période de six mois, Madame T1 a réalisé des placements pour un chiffre d’affaires de CHF 27’634.-.

Le 27 novembre 2009, un entretien, dont le contenu n’a pas été établi, a eu lieu entre Madame T1 et deux administrateurs de la société E.

Par courrier du 30 novembre 2009, la société E a résilié le contrat de Madame T1 pour le 30 décembre 2009.

La société E avait également engagé, pour le 1er juin 2009, Monsieur T2 en qualité de « conseiller en personnel pour le secteur administration-commercial ». Son contrat prévoyait une rémunération fixe mensuelle de CHF 10’000.- bruts versée douze fois l’an pour un taux d’activité de 100%. Lors des entretiens d’embauche, Monsieur T2 avait fait valoir ses connaissances techniques et sa maîtrise de l’allemand et du suisse-allemand, ce qui devait permettre à la société E d’investir le domaine de l’ingénierie et d’approcher le marché suisse-allémanique. Monsieur T2 a cessé ses activités auprès de la société E à la fin février 2010.

Par demande du 24 mars 2010, Madame T1 a ouvert action contre la société E devant le Tribunal de prud’hommes vaudois faisant valoir une discrimination salariale sexiste par comparaison avec son ancien collègue Monsieur T2 en application de la LEg. Elle a conclu au versement de la somme de CHF 21’000.- bruts, plus intérêts à 5% l’an dès le 1er janvier 2010. La société E a conclu à la libération. Le Tribunal de prud’hommes a entièrement rejeté les conclusions de Madame T1.

Madame T1 a fait recours auprès de la Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois qui l’a rejeté. En substance, la cour cantonale a retenu que Monsieur T2 avait démarché des clients suisses-allemands et que, durant ses neufs mois d’engagement, il avait réalisé des placements pour un montant de CHF 73’255.-, admettant toutefois que Madame T1 avait réussi à rendre vraisemblable, au sens de l’article 6 LEg, une discrimination salariale entre elle et Monsieur T2 puisque leurs fonctions étaient identiques et leurs parcours professionnels comparables. Partant il appartenait à la société E d’apporter la preuve que cette différence de salaire reposait sur des motifs objectifs. L’autorité cantonale a retenu six critères justifiant une meilleure rémunération pour Monsieur T2, à savoir, la position du prénommé était différente au sein de l’entreprise, il a pu établir des contacts professionnels dont il a fait profiter la société E, il avait connaissance du langage technique du domaine de l’ingénierie, il était parfaitement à l’aise en allemand et en suisse-allemand, ses performances ont été supérieures à celles de Madame T1 et le contexte conjoncturel a joué un rôle. Ainsi, au vu de l’ensemble de ces éléments, la différence de salaire entre ces deux travailleurs reposait sur des critères objectifs de sorte qu’aucune discrimination au sens de l’article 3 LEg n’a été retenue.

Madame T1 exerce un recours contre cette décision auprès du Tribunal fédéral.

en droit

L’état de fait est complété en ce sens que Madame T1 est titulaire d’un brevet fédéral en ressources humaines, acquis lors de son temps de service auprès de la société E, susceptible d’influencer le niveau de rémunération.

Madame T1 se plaint d’une violation de l’article 3 LEg et s’en prend aux motifs objectifs retenus par la Cour cantonale. Elle fait valoir que la position de Monsieur T2 et la sienne étaient les mêmes au début des rapports de travail et nie que l’expérience professionnelle passée de Monsieur T2 puisse être retenue comme une raison justifiant la disparité salariale. Elle allègue que les prétendues compétences techniques du précité provenaient uniquement de la maîtrise d’un certain vocabulaire et que si E, avait comme intention de développer son activité dans le domaine de l’ingénierie, le projet était demeuré au stade embryonnaire pendant la durée des rapports de travail de Monsieur T2. Madame T1 ajoute que le bilinguisme de Monsieur T2 ne devrait pas être considéré comme un élément justifiant une différence salariale car la société E possède essentiellement une clientèle locale de langue française. Le critère de la performance ne pouvait pas jouer de rôle, dès lors que la disparité de salaire a existé lors de l’entrée en fonction des deux travailleurs en question et qu’elle ne saurait donc autoriser a posteriori la différence de salaire litigieuse. Elle soutient que la valeur de ses performances n’était pas inférieure à celles de Monsieur T2. Enfin la situation conjoncturelle ne pouvait être prise en compte, les deux travailleurs ayant débuté le même jour.

L’article 3 alinéa 2 LEg, prévoyant que l’interdiction de toute discrimination des travailleurs à raison du sexe s’applique en particulier à la rémunération, concrétise le principe constitutionnel inscrit à l’article 8 alinéa 3 Cst. auquel la jurisprudence a donné un effet horizontal.

L’action en paiement du salaire contenue à l’article 5 alinéa 1 lettre d LEg est l’un des moyens judiciaires mis à disposition de celui qui subit une discrimination au sens de l’article 3 LEg.

Selon l’article 6 LEg, l’existence d’une discrimination est présumée pour autant que la personne qui s’en prévaut la rende vraisemblable. Cette disposition, qui s’applique notamment à la rémunération, allège le fardeau de la preuve d’une discrimination à raison du sexe, en ce sens qu’il suffit à la partie qui l’allègue de rendre vraisemblable l’existence d’une telle discrimination. Le juge n’a pas à être convaincu du bien-fondé des arguments de la partie qui se prévaut de la discrimination, il doit simplement disposer d’indices objectifs suffisants pour que les faits allégués présentent une certaine vraisemblance, sans devoir exclure qu’il puisse en aller différemment. Par exemple, la vraisemblance d’une discrimination salariale a été admise dans le cas d’une travailleuse dont le salaire était de 15% à 25% inférieur à celui d’un collègue de sexe masculin qui accomplissait le même travail (ATF 130 III 145, c. 4.2).

La comparaison avec la rémunération d’un seul collègue de l’autre sexe exerçant la même activité suffit à établir la vraisemblance d’une discrimination.

Si la discrimination de nature sexiste a été rendue vraisemblable, le fardeau de la preuve est renversé. Il appartient donc à l’employeur d’apporter la preuve stricte qu’il n’existe pas de différence de traitement ou, dans la mesure où elle existait, qu’elle repose sur des facteurs objectifs. S’il échoue dans cette entreprise, l’existence d’une discrimination salariale doit être tenue pour établie.

Les motifs considérés comme objectifs sont ceux à même d’influencer la valeur du travail, tels que la formation, le temps passé dans une fonction, la qualification, l’expérience professionnelle, le domaine concret d’activité, les prestations effectuées, les risques encourus ou le cahier des charges. L’âge ou les charges familiales peuvent également être pris en compte. La négociation du contrat de travail ainsi que la conjoncture sont aussi de nature à induire une différence de rémunération.

Pour qu’un motif objectif puisse légitimer une différence de salaire, il faut qu’il influe véritablement de manière importante sur la prestation de travail et sa rémunération. L’employeur doit démontrer que le but objectif qu’il poursuit répond à un véritable besoin de l’entreprise et que les mesures discriminatoires adoptées sont propres à atteindre le but recherché, sous l’angle du principe de la proportionnalité.

En l’espèce, Madame T1 a réussi à rendre la discrimination salariale vraisemblable, dès lors que Monsieur T2 percevait une rémunération 50% plus élevée.

Selon la Cour cantonale, la position différente des deux travailleurs au sein de la société E autorisait une différence de salaire. Elle accorde beaucoup d’importance au fait que Madame T1 ait demandé la reconduction d’une période d’essai. Le Tribunal fédéral considère que cette différence ne constitue pas un critère objectif, de même pour les contacts noués par Monsieur T2 qui ont permis à la société E d’obtenir de nouveaux clients, car il n’avait pas travaillé dans le secteur de l’ingénierie auparavant et il avait été engagé pour le même secteur que Madame T1.

Au contraire, les connaissances techniques ainsi que la maîtrise d’un langage scientifique, du moment qu’il est établi que la société E voulait élargir son activité à l’ingénierie, constituent des motifs justifiant une différence de traitement, de même que les capacités linguistiques dans la mesure où la société E désirait approcher le marché suisse-alémanique.

Les performances d’un travailleur ne peuvent jouer un rôle pour la fixation de son salaire d’engagement puisque celles-ci n’ont pas encore été accomplies. Mais, dans le cas présent, il est possible d’en tenir compte car Madame T1 avait annoncé, lors des entretiens d’embauche, être en mesure de réaliser un certain nombre de placements. En l’espèce, la comparaison entre le chiffre d’affaires réalisé par les deux travailleurs et leurs salaires respectifs est trop faible pour justifier d’une différence salariale.

Même s’il est vrai que la situation conjoncturelle peut influer sur la rémunération, cependant de manière limitée et temporaire, dans le cas d’espèce, Madame T1 et Monsieur T2 sont entrés au service de la société E le même jour, dès lors la situation conjoncturelle ne peut constituer un critère objectif.

En définitive, seuls deux critères pouvaient influencer la valeur même du travail de Monsieur T2 et autoriser, par conséquent, une différence de traitement entre celui-ci et Madame T1, à savoir ses connaissances techniques et ses capacités linguistiques. A considérer le principe de la proportionnalité, ces deux facteurs non discriminatoires ne sauraient autoriser une disparité de traitement de 50%. A cela s’ajoute que Madame T1 a obtenu un baccalauréat, contre un certificat fédéral de capacité pour Monsieur T2, et est au bénéfice d’un brevet fédéral de spécialiste en ressources humaines.

Dès lors, le recours est admis et la cause renvoyée à l’autorité cantonale qui déterminera un salaire non discriminatoire sur la base des considérations ci-dessus. Le Tribunal rappelle, à ce propos, qu’après avoir retenu que l’ancienneté, l’expérience professionnelle et le bilinguisme d’un collègue de sexe masculin étaient constitutifs de motifs objectifs justifiant une différence de traitement, il a tenu pour équitable un écart salarial de 8,5% avec une salariée ayant la même formation et exerçant la même activité que l’intéressé (arrêt 4A_449/2008 du 25 février 2009, c. 3.2.1 et 3.2.2).

Résumé par Virginie Panchaud, assistante diplômée à la faculté de droit et des sciences criminelles, Université de Lausanne, IDAT, sous la supervision du Prof. Rémy Wyler.

GE 18.01.2010
harcèlement sexuel
licenciement abusif

sujet

Apport de la preuve d’un harcèlement sexuel et d’une résiliation abusive

LEg

art 4

CO

art. 328, art. 336, art. 336a

procédure

18.01.2010 Jugement du Tribunal des prud’hommes.

résumé

Le travailleur n’est pas parvenu à apporter la preuve du harcèlement sexuel dont il se disait victime ; il n’a pas non plus prouvé le caractère de congé représailles que revêtait, selon lui, le licenciement ordinaire que son employeur lui a notifié après qu’il l’a informé des agissements de l’un de ses collègue à son encontre.

en fait

Par contrat de travail de durée indéterminée signé le 30 janvier 2001, E, une société anonyme active, notamment, dans l’exploitation et la gestion de bars, café-brasseries et autres établissements similaires, a engagé Monsieur T en qualité d’aide de cuisine dans l’un des restaurants qu’elle exploite – le restaurant Z –, avec effet au 1er avril 2001 et pour un salaire mensuel brut de CHF 3’200.-, treizième salaire en sus selon la Convention collective nationale de travail pour les hôtels, restaurants et cafés du 6 juillet 1998 (CCNT 98).

Au cours de l’année 2005, Monsieur T a été nommé responsable de cuisine ; son salaire brut a été augmenté à CHF 4’100.-.

A compter du 1er février 2008, Monsieur T a consulté un psychiatre en raison d’un épisode anxio-dépressif, lié, selon ses dires, à un problème au travail – il se disait harcelé sexuellement par l’un de ses collègues de travail.

Le 29 juin 2008, Monsieur T a obtenu un entretien avec Madame A, l’administratrice de la société E, car il souhaitait lui faire part d’incidents qui le troublaient. Au cours de cette rencontre, Monsieur T a informé Madame A que Monsieur B, un autre employé du restaurant Z récemment nommé assistant de direction, commettait des vols, consommait de l’alcool sur son lieu de travail et s’était livré à des attouchements sur certains de ses collaborateurs, dont Monsieur T. Madame A, à qui aucun autre employé du restaurant Z n’avait rapporté de problèmes de ce type, a notamment encouragé Monsieur T à améliorer ses relations avec Monsieur B. Le 5 juillet 2008, Madame A a envoyé un courrier à Monsieur T contenant un compte-rendu de la discussion qu’ils avaient eue le 29 juin 2008 ; ce même jour, elle a également rédigé un mémo à l’attention de Monsieur B l’informant du courrier envoyé à Monsieur T et l’enjoignant à se montrer à la hauteur de sa nouvelle fonction d’assistant de direction.

En date du 30 octobre 2008, Madame A a notifié son licenciement à Monsieur T pour le 31 décembre 2008, au motif qu’elle se voyait dans l’obligation, compte tenu que la situation ne s’était pas améliorée, de le licencier afin de protéger les intérêts des autres collaborateurs du restaurant Z. Madame A a proposé à Monsieur T de reporter l’échéance du délai de congé au 31 janvier 2009 afin de lui laisser le temps nécessaire pour rechercher un nouvel emploi.

Dès le 5 novembre 2008 et jusqu’au 9 février 2009, Monsieur T a été en incapacité de travail.

Par pli recommandé de son conseil, daté du 24 novembre 2008, Monsieur T s’est formellement opposé à son licenciement.

Par télécopie du 9 décembre 2008, Monsieur T a indiqué, par le biais de son conseil, qu’il acceptait la prolongation de son délai de congé au 31 janvier 2009.

Par courrier recommandé du 10 décembre 2008, adressé au conseil de Monsieur T, Madame A a confirmé sa décision de licencier Monsieur T. Elle a indiqué que les relations de travail avec Monsieur T s’étaient déteriorées, en raison, en particulier, de problèmes avec Monsieur B, qu’elle avait été informée des griefs formulés par Monsieur T à l’encontre de Monsieur B, qu’elle avait mené une enquête à ce sujet sans constater le moindre problème et qu’elle avait adressé un courrier aux deux intéressés afin de leur demander de régler leur différend, enjoignant Monsieur T de s’en tenir à ses tâches sans se mêler de celles des autres. En substance, Madame A estimait que Monsieur T déstabilisait l’équipe et que, par son comportement – il outrepassait notamment ses compétences –, il nuisait à l’entreprise.

Par demande, envoyée par pli postal, le 30 janvier 2009, au greffe de la Juridiction des prud’hommes, Monsieur T a assigné la société E en paiement de CHF 44’747.90, plus intérêts à 5 % l’an dès le 31 décembre 2008 (soit CHF 15’000.- à titre de tort moral ; CHF 26’650.- à titre d’indemnité pour licenciement abusif ; CHF 193.30 à titre de primes d’assurance-accidents perçues en trop par l’employeur ; CHF 1’838.60 correspondant au salaire afférent aux vacances non prises en nature ; CHF 1’066.- à titre de dommages et intérêts).

Monsieur T a expliqué, à l’appui de sa demande, que son congé était abusif car notifié suite aux plaintes relatives à des attouchements à caractère sexuel qu’ils avait formulées à l’encontre de Monsieur B. En sus, il n’avait pas pu prendre cinq jours de vacances et trois jours de congé à la fin des rapports de travail. Finalement, il avait subi une incapacité de travail en raison du harcèlement sexuel dont il avait été victime, ce qui avait eu pour conséquence que son salaire avait été diminué de 12 % pendant le délai de carence de l’assurance d’indemnités journalières de son empoyeur, celui-ci ne versant, pendant cette période, que le 88 % et non le 100 % du salaire.

Le 13 mars 2009, les parties n’étant pas parvenues à un accord devant la Commission de conciliation en matière d’égalité entre femmes et hommes, la cause a été renvoyée au Tribunal des prud’hommes.

Par mémoire réponse envoyé par pli postal le 15 avril 2009, la société E a conclu à la suspension de l’instruction de la procédure jusqu’à droit jugé quant au bien-fondé de la plainte pénale pour atteinte à l’honneur déposée par Monsieur B contre Monsieur T en raison des accusations proférées dans le cadre de la présente procédure. La société E a également requis qu’il soit donné acte de ce qu’elle reconnaissait devoir restituer à Monsieur T un montant de CHF 1’019.52 à titre des retenues effectuées par l’assurance-accidents et conclu au déboutement de Monsieur T de toutes ses conclusions.

A l’appui de ses conclusions, la société E a contesté avoir reçu la lettre du 26 février 2008 que Monsieur T avait prétendu avoir remise en main propre à Madame A et dans laquelle il se plaignait d’être victime d’attouchements et de harcèlement de la part de Monsieur B. En outre, la société E considérait que les accusations de Monsieur T étaient invraisemblables.

En date du 24 avril 2009, Monsieur T a adressé à la Juridiction prud’homale un chargé de pièces complémentaire qui contenait, notamment, une information du Procureur général, selon laquelle la plainte pénale de Monsieur B à son encontre avait été suspendue dans l’attente de l’issue de la procédure prud’homale.

Au cours de l’audience du 11 mai 2009, les parties ont confirmé leurs conclusions. Monsieur T a, en outre, porté le montant de sa demande en dommages-intérêt pour la période durant laquelle il s’est retrouvé en incapacité de travail de CHF 1’066.- à CHF 1’954.24, au motif que son salaire se trouvait diminué de 12 % pendant le délai de carence de soixante jours du 5 novembre 2008 au 5 janvier 2009 et de 20 % du 5 janvier au 8 février 2009. Il a également indiqué que la cause de son incapacité de travail résidait dans les actes qu’il avait subis dans le cadre de ses rapports de travail et que sa diminution de salaire était imputable à la société E, ce que celle-ci a contesté. Monsieur T a indiqué avoir retrouvé un travail à compter du 1er mars 2009.

Lors de l’audience du 29 juin 2009, Monsieur T a, notamment, renoncé à ses conclusions en paiement des jours de vacances et de congés non pris en nature. La société E a confirmé contester toutes les conclusions de Monsieur T.

en droit

Le Tribunal des prud’hommes indique que Monsieur T et la société E ont été liés par un contrat de travail (art. 319 ss CO) et précise, qu’en vertu de l’article 328 alinéa 1 CO, l’employeur a le devoir de protéger et de respecter la personnalité du travailleur dans les rapports de travail, de manifester les égards voulus pour sa santé et de veiller au maintien de la moralité. Cette disposition, qui instaure une protection plus étendue que celle garantie par les articles 27 et 28 CC, interdit à l’employeur de porter atteinte, par ses directives (art. 321d CO), aux droits de la personnalité du travailleur et lui impose de prendre des mesures concrètes en vue de garantir la protection de la personnalité du travailleur, laquelle englobe notamment la vie et la santé du travailleur, son intégrité corporelle et intellectuelle, son honneur personnel et professionnel, sa position et la considération dont il jouit dans l’entreprise. L’atteinte à la personnalité du travailleur peut être le fait de l’employeur lui-même, ou d’un organe de la société si l’employeur est une personne morale (art. 55 al. 2 CC), ou encore, conformément à l’article 101 CO, d’un auxiliaire de l’employeur (supérieur hiérarchique, collègue) ou d’un tiers (client, fournisseur). L’article 328 CO instaure ainsi une responsabilité propre de l’employeur, opposable à lui seul, pour des actes pouvant être le fait de tiers.

A) Le tort moral

Après avoir rappelé que le harcèlement sexuel qui, à teneur de l’article 4 de la loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes du 24 mars 1995 (LEg ; RS 151.1), comprend « tout comportement importun de caractère sexuel ou tout autre comportement fondé sur l’appartenance sexuelle, qui porte atteinte à la dignité de la personne sur son lieu de travail, en particulier le fait de proférer des menaces, de promettre des avantages, d’imposer des contraintes ou d’exercer des pressions de toute nature sur une personne en vue d’obtenir d’elle des faveurs de nature sexuelle », constitue un cas particulier d’atteinte à la personnalité du travailleur au sens de l’article 328 alinéa 1 CO, le Tribunal précise que le travailleur victime d’une atteinte illicite grave à sa personnalité est fondé, dans la mesure où l’auteur ne lui a pas donné satisfaction autrement, à réclamer une somme d’argent à titre de réparation morale. En matière de contrat de travail, la réparation du tort moral est ainsi subordonnée à une violation du contrat constitutive d’une atteinte illicite à la personnalité du travailleur au sens de l’article 328 CO, à un tort moral, à une faute, à un lien de causalité naturelle et adéquate entre la violation du contrat et le tort moral et à l’absence d’autres formes de réparation (conditions cumulatives). Par ailleurs, l’octroi d’une indemnité en application de l’article 49 CO ne saurait être admis que si la victime a subi un tort considérable, lequel doit se caractériser par des souffrances qui dépassent, par leur intensité, celles qu’une personne doit être en mesure de supporter seule, sans recourir à un juge, selon les conceptions actuelles en vigueur. Une faute particulière de l’auteur de l’atteinte n’est pas requise. En outre, en matière de responsabilité contractuelle, la faute est présumée.

En l’espèce, le Tribunal considère que ni les pièces, ni la procédure n’ont permis d’affirmer que Monsieur T avait été victime d’un harcèlement sexuel. En outre, aucun des témoins n’a indiqué avoir constaté des attouchements de la part de Monsieur B, ni entendu celui-ci proférer des propos obscènes à l’encontre de Monsieur T. A cet égard, le fait qu’un témoin, qui avait travaillé dans le restaurant Z ait affirmé que Monsieur B lui avait touché les fesses à deux reprises en l’espace d’un mois, ne suffit pas pour admettre que Monsieur T a, lui aussi, subi des attouchements de la part de Monsieur B. L’audition des témoins a uniquement servi à constater et prouver l’existence d’une tension notable entre Messieurs B et T.

Dès lors que la preuve que Monsieur T a été victime d’un harcèlement sexuel n’a pas pu être apportée et, partant, qu’aucun lien de causalité entre un dommage subi par Monsieur T et le comportement de Monsieur B ne peut être établi, le Tribunal réfute que la responsabilité de la société E puisse être engagée et déboute Monsieur T de ses conclusions relevant du tort moral (CHF 15’000.-).

B) Les dommages-intérêts pour le dommage résultant de l’incapacité de travail

Lorsqu’une violation de l’article 328 CO par l’employeur est admise, le travailleur peut, en principe, prétendre à des dommages-intérêts, dont le mode et l’étendue se déterminent d’après les principes généraux des articles 97 ss et 41 ss CO.

En l’espèce, cependant, compte tenu que Monsieur T n’est pas parvenu à démonter qu’il a été victime d’un dommage résultant d’une violation, par son employeur, de l’article 328 CO et qu’aucun lien de causalité entre un dommage subi par Monsieur T et le comportement de Monsieur B n’a pu être établi, le Tribunal constate que Monsieur T n’a pas apporté la preuve que son incapacité de travail était la conséquence d’un harcèlement sexuel commis sur sa personne par Monsieur B. Monsieur T est ainsi débouté de ses conclusions quant à l’octroi d’une indemnité pour le dommage résultant de son incapacité de travail (CHF 1’954.24).

C) L’indemnité à titre de licenciement abusif (art. 336a CO)

Monsieur T conclut au versement du montant brut de CHF 26’650.- avec intérêts à 5 % dès le 1er novembre 2008 à titre d’indemnité pour résiliation abusive du contrat de travail.

Le Tribunal rappelle, qu’à teneur de l’article 335 alinéa 1 CO, le contrat de travail de durée indéterminée peut être résilié par chacune des parties. La résiliation notifiée en application de cette disposition est valable quand bien même l’employeur ne la motive pas, la motive faussement ou incomplètement ; lorsque le travailleur demande à son employeur de motiver le congé ainsi donné et que ce dernier ne s’exécute pas ou imparfaitement, seules des sanctions indirectes dans le cadre d’un procès portant sur la protection contre la résiliation au niveau de l’appréciation des preuves et, le cas échéant, des frais et dépens, en découlent. La liberté des parties de mettre fin unilatéralement et en tout temps au contrat de travail trouve cependant sa limite dans les dispositions sur le congé abusif. En effet, conformément à l’article 336 CO, qui concrétise l’interdiction générale de l’abus de droit et y assortit les conséquences juridiques adaptées au contrat de travail (ATF 125 III 70 ; ATF 123 III 246, c. 3b), le congé est notamment abusif lorsqu’il est donné par une partie parce que l’autre partie fait valoir de bonne foi des prétentions résultant du contrat de travail (congé représailles). La bonne foi dont il est ici question se comprend comme une condition de restriction à l’application de l’article 336 alinéa 1 lettre d CO. Elle comporte un double aspect qui protège à la fois l’employeur et le travailleur en ce sens qu’elle exclut d’une part les réclamations chicanières et téméraires, la protection ne devant pas être accordée au travailleur qui essaie de bloquer un congé en soi admissible ou qui fait valoir des prétentions totalement injustifiées et n’exige pas, d’autre part, que la prétention du travailleur soit fondée en droit, puisqu’il suffit que celui-ci soit légitimé, de bonne foi, à penser qu’elle l’est.

Le fardeau de la preuve du caractère abusif du congé incombe à la partie à laquelle celui-ci est notifié (art. 8 CC ; ATF 123 III 246). Compte tenu que la preuve porte généralement sur des éléments subjectifs, le juge est autorisé à présumer en fait l’existence d’une résiliation abusive lorsque le travailleur parvient à apporter des indices suffisants pour faire apparaître comme fictif le motif avancé par l’employeur, et le motif abusif plus plausible. Cette présomption de fait n’a toutefois pas pour conséquence de renverser le fardeau de la preuve, le demandeur étant tenu d’alléguer et de présenter un commencement de preuve de l’existence d’un motif abusif à l’origine de la résiliation. Quant à l’employeur, il lui incombe d’apporter les preuves de ses propres allégations au sujet du motif du congé.

Dans le cas d’espèce, le Tribunal a retenu que Monsieur T n’était pas parvenu à apporter la preuve du harcèlement sexuel qu’il accusait Monsieur B d’avoir commis sur sa personne. Par ailleurs, il ne peut pas être reproché à la société E de n’avoir pas pris les mesures qui s’imposaient, celle-ci s’étant notamment entretenue avec Monsieur T et ayant demandé, par écrit, aux deux protagonistes, d’exécuter leur travail au mieux et de faire des efforts. De surcroît, étant donné que selon les dires de Monsieur T, les problèmes avec Monsieur B avaient cessé dès le mois de février 2008, ceux-ci ne pouvaient précisément pas constituer le motif de son licenciement intervenu le 30 octobre 2008.

Selon Madame A, le motif de licenciement de Monsieur T réside dans le fait que ce dernier contestait son autorité, faisait preuve de manque de respect à son égard, bloquait fréquemment des serveurs en retenant des plats en cuisine et créait une ambiance trop souvent tendue et à la limite du suportable. Monsieur T n’ayant pas tenu compte des instructions de Madame A l’enjoignant à se limiter à son travail en cuisine et à ne pas se mêler de ce qui ne le regardait pas, le Tribunal retient que Monsieur T a été licencié parce qu’il nuisait aux intérêts de l’entreprise, déstabilisait l’équipe et se trouvait lui-même à la limite du harcèlement et de la calomnie.

Dès lors qu’il n’a pas été licencié abusivement, Monsieur T est débouté de ce chef de conclusions.

Résumé par Stéphanie Perrenoud, assistante diplômée à la faculté de droit et des sciences criminelles, Université de Lausanne, IDAT, sous la supervision du Prof. Rémy Wyler.

GE 27.05.2010
congé maternité
licenciement abusif

sujet

Impossibilité d’exécution du contrat en raison de la grossesse / Pas de résiliation abusive.

CO

art. 328, art. 336, art. 336a

procédure

27.05.2010 Jugement du Tribunal des prud’hommes.

résumé

Renonciation par l’employeur à la prestation de travail d’une comédienne en raison de son apparence physique et des risques physiologiques liés à sa grossesse que son rôle lui faisait courir. Il s’agit d’un cas d’impossibilité d’exécution du contrat de travail (art. 119 CO), la grossesse de la travailleuse étant incompatible avec le rôle théâtral pour lequel elle avait été engagée. Dès lors que le risque de devoir annuler les représentations ne pouvait être imposé à l’employeur, une rupture des rapports de travail avant même le début de ceux-ci, n’est pas constitutive d’une résiliation abusive alors même que l’actrice est enceinte (art. 336 CO).

en fait

Par contrat du 7 juin 2008, l’association E a engagé Madame T en qualité de comédienne pour interpréter le rôle d’Alarica dans la pièce de théâtre « Le Mal court » du 17 octobre au 31 décembre 2008, pour un salaire mensuel brut de CHF 6’066.48.

Dans le courant du mois de septembre 2008, Madame T est tombée enceinte. Après avoir informé la direction de l’association E de son état le 15 octobre 2008, celle-ci lui a annoncé qu’elle renonçait à l’exécution du contrat de travail. Le directeur du théâtre, Monsieur A, a confirmé la décision de l’association E par lettre datée du 8 novembre 2008. Selon lui, le rôle d’Alarica était celui d’une « pucelle à demi-nue sur scène et sautant comme un cabri », lequel supposait une apparence physique et des possibilités physiologiques qu’une femme enceinte n’était pas en mesure de garantir. Il a également avancé que l’association E ne pouvait financièrement prendre le risque que la pièce s’interrompe en raison de la grossesse de Madame T, compte tenu du fait, notamment, que l’association E avait huit autres comédiens et du personnel fixe à rémunérer et qu’elle n’avait aucune marge de production. 

Par courrier du 19 décembre 2008, Madame T a exigé, par l’intermédiaire de son conseil, le versement du salaire net total qui avait été convenu dans le contrat du 7 juin 2008 ; Madame T soutenait que le rôle d’Alarica ne nécessitait aucune acrobatie dangereuse et que sa grossesse n’était pas encore visible au mois de novembre 2008.

Par pli postal du 29 décembre 2008, l’association E a réfuté devoir cette somme à Madame T.

Par demande déposée au greffe de la Juridiction des prud’hommes le 23 juin 2009, Madame T a assigné l’association E en paiement d’une somme de CHF 48’466.20, plus intérêts moratoires à 5 % l’an dès le 15 octobre 2008 (soit CHF 15’166.20 brut, à titre de salaire pour les mois d’octobre à décembre 2008 et CHF 33’300.- net, à titre d’indemnité pour résiliation abusive). A l’appui de ses conclusions, Madame T a allégué avoir, à plusieurs reprises, offert ses services à l’association E, avoir été parfaitement apte à jouer le rôle d’Alarica, être très demandée pour interpréter des personnages jeunes, l’absence de postures ou actes susceptibles d’être pénibles ou dangereux et n’avoir rencontré aucun problème au cours de sa grossesse, laquelle, de surcroît, n’était pas encore visible au 31 décembre 2008, date de la dernière représentation.

L’audience de conciliaition du 21 septembre 2009, s’est soldée par un échec et la cause a été renvoyée au Tribunal des prud’hommes.

Par mémoire réponse parvenu au greffe de la Juridiction des prud’hommes le 22 octobre 2009, l’association E a conclu au rejet de toutes les conclusions de Madame T. Dans ses écritures responsives, l’association E faisait valoir que l’exécution du contrat était devenue impossible en raison de la grossesse de Madame T, une circonstance non imputable au théâtre, et justifiait sa décision de ne plus confier le rôle d’Alarica à Madame T en argumentant, en substance, n’avoir pas voulu mettre en danger la pérennité de la grossesse de Madame T, que les changements physiques liés à la grossesse étaient incompatibles avec le rôle d’Alarica, que le théâtre se voyait dans l’impossibilité d’aménager les heures de répétitions et de représentations pour ménager la santé de Madame T et que, par voie de conséquence, elle n’avait eu d’autre choix que d’engager une remplaçante.

Lors de l’audience, qui s’est tenue le 18 novembre 2009, Madame T et l’association E, représentée par Monsieur A, ont confirmé maintenir leurs conclusions respectives. Madame T a, par ailleurs, mentionné que des indemnités de chômage lui avaient été allouées entre le 17 octobre et le 31 décembre 2008.

Le 30 novembre 2009, la Caisse cantonale de chômage est intervenue dans la procédure, se subrogeant à Madame T à concurrence du montant net des indemnités de chômage qu’elle lui avait octroyées entre le 17 octobre et le 31 décembre 2008 (CHF 10’378.65).

en droit

Le Tribunal des prud’hommes relève que les parties ont été liées par un contrat de travail (art. 319 ss CO) de durée déterminée (du 17 octobre au 31 décembre 2008).

A) L’action en paiement du salaire

Madame T, qui prétend avoir été victime d’un licenciement abusif après avoir annoncé sa grossesse à son employeur, réclame à l’association E la somme brute de CHF 15’166.20, plus intérêts moratoires au taux de 5 % l’an dès le 15 octobre 2008, à titre de salaire pour les mois d’octobre à décembre 2008.

Le Tribunal de céans commence par indiquer que l’article 324a CO, qui pose l’obligation de l’employeur de verser au travailleur, empêché de fournir sa prestation sans faute de sa part pour des causes inhérentes à sa personne, son salaire pour un temps limité, y compris une indemnité équitable pour le salaire en nature perdu, lorsque les rapports de travail ont duré plus de trois mois ou ont été conclus pour plus de trois mois, n’est pas applicable en l’espèce, le contrat de travail liant Madame T à l’association E étant un contrat de durée déterminée inférieure à trois mois.

Ensuite, une violation de l’article 328 alinéa 1 CO, en vertu duquel l’employeur doit protéger et respecter la personnalité du travailleur dans les rapports de travail et manifester les égards voulus pour sa santé, ne saurait, selon le Tribunal, être reprochée à l’association E, celle-ci ayant, notamment, par le biais d’une lettre rédigée par son directeur, Monsieur A, et datée du 8 novembre 2008, clairement expliqué à Madame T qu’elle ne pouvait pas lui faire courir le risque d’interpréter le rôle d’Alarica, compte tenu du danger qu’il représentait pour sa grossesse. Le rôle d’Alarica étant particulièrement physique, l’association E a précisément respecté son obligation de protéger la personnalité de ses travailleurs (art. 328 al. 1 CO) en refusant les services de Madame T.

En outre, le fait que la grossesse de Madame T se soit déroulée normalement, sans aucune complication, est sans pertinence à cet égard, personne ne pouvant, au moment de l’exécution des obligations contractuelles, prédire quel serait l’état de santé de Madame T durant sa grossesse.

Finalement, bien que le risque économique appartienne à l’employeur, le Tribunal considère que le risque de devoir annuler plusieurs représentations théâtrales, en raison d’éventuels problèmes de santé de Madame T, laquelle devait jouer le rôle principal, ne pouvait pas raisonnablement être imposé à l’association E.

Compte tenu de ce qui précède, le refus de l’association E d’accepter les services offerts par Madame T ne constitue pas une résiliation abusive des rapports de travail au sens de l’article 336 CO. Selon la jurisprudence, il ne peut, en effet, être fait grief à un employeur d’avoir licencié une travailleuse de manière abusive lorsque cette dernière n’est pas apte à fournir sa prestation sans danger pour sa grossesse (ATF 126 III 75). La juridiction prud’homale conclut à un cas d’impossibilité de l’exécution du contrat par suite de circonstances non imputables à l’employeur (art. 119 al. 1 CO). Pareille hypothèse se traduisant par l’extinction des obligations contractuelles, Madame T doit être déboutée de ses prétentions salariales.

B) L’indemnité pour résiliation abusive

Madame T prétend au versement de la somme nette de CHF 33’300.- à titre d’indemnité pour résiliation abusive des rapports de travail (art. 336a CO).

Le Tribunal ayant nié l’existence d’un licenciement abusif (art. 336 CO), Madame T n’est, par conséquent, pas fondée à exiger le paiement d’une indemnité pour résiliation injustifiée des rapports de travail au sens de l’article 336a CO.

Résumé par Stéphanie Perrenoud, assistante diplômée à la faculté de droit et des sciences criminelles, Université de Lausanne, IDAT, sous la supervision du Prof. Rémy Wyler.

GE 27.05.2010
harcèlement sexuel

sujet

résiliation immédiate des rapports de travail pour de justes motifs par une travailleuse harcelée sexuellement par deux de ses collègues.

LEg

art 3, art 4, art 5

CO

art. 328, art. 337

procédure

27.05.2010 Jugement du Tribunal des prud’hommes.

résumé

La résiliation immédiate des rapports de travail par une travailleuse temporaire victime de harcèlement sexuel sur son lieu de travail ne repose sur aucun juste motif (art. 337 CO), dès lors que la travailleuse n’est liée, par contrat de travail, qu’à la société de location de service et que cette dernière a immédiatement accepté que l’employée cesse son activité dans l’entreprise auprès de laquelle elle était placée.

en fait

Par contrat de mission signé le 27 avril 2009, Madame T a été engagée par E, une société anonyme active dans les services liés à la gestion et au placement de personnel temporaire ou stable dans le secteur de la restauration et de l’hôtellerie, en qualité de caissière, et mise à disposition de la société E1 à compter du 30 avril 2009. Le contrat stipulait que le lieu de travail de Madame T se situait dans les cuisines de la société A et qu’elle devait y travailler entre 11 heures et 14 heures, pour un salaire horaire de CHF 19.79, auquel s’ajoutaient une indemnité de 10.65 % pour les vacances (soit CHF 2.11) et une indemnité de 2.27 % pour les jours fériés (soit CHF 0.45). La durée de la mission était limitée à trois mois maximum, les parties pouvant y mettre fin moyennant un préavis de deux jours ouvrables. Dans l’hypothèse où le contrat de mission était prolongé au-delà de ces trois mois, un nouveau contrat de mission de durée indéterminée devait être établi. Le délai de congé était alors de deux jours ouvrables durant les trois premiers mois d’un emploi ininterrompu, de sept jours à partir du quatrième mois d’un emploi ininterrompu, puis d’un mois dès le septième mois d’un emploi ininterrompu.

Le 10 juillet 2009, en raison de faits graves accomplis à son encontre par deux de ses collègues de travail, Madame T a décidé de ne plus se rendre sur son lieu de travail.

Par courrier daté du 26 juillet 2009, Madame T a informé la direction de la société A de ce qu’elle avait été victime d’attouchements, notamment de pincements aux seins, de la part de Monsieur B, cuisinier, et de Jérôme, pâtissier. Elle avait également rapporté ces agissements, les qualifiant de harcèlement sexuel, à Monsieur C, leur supérieur hiérarchique. A compter de ce moment, Monsieur B, qui avait développé une haine à son encontre, l’avait systématiquement « mobbée », l’insultant en outre régulièrement pendant l’exercice de son travail et lui adressant des « alors, tu aimais quand on te pinçait les seins, hein ne dis pas le contraire, tu aimais, hein salope ». Le 10 juillet 2009, alors que Madame T mangeait une soupe de melon qui allait être jetée et qui, comme le lui avait fait remarquer Monsieur C, avait été préparée par Monsieur B, ce dernier avait alors rétorqué qu’il n’avait pas préparé cette soupe pour cette « salope » ou cette « salope de petite bulgare », ajoutant « cette saloperie qui devait dégager ». Madame T s’était adressée à Monsieur B lui demandant de confirmer ses propos, ce à quoi il avait répondu « tu penses que je m’adresse à qui », se mettant dans un état tel que Madame T, craignant qu’il ne la frappe, avait dû s’éloigner. Madame T s’était alors immédiatement rendue dans le bureau du chef de cuisine afin de dénoncer la scène et annoncer qu’elle ne pouvait plus continuer à travailler dans ces conditions. Le chef de cuisine lui avait donné raison, mais n’avait cependant pas pris sa défense lorsque Monsieur B avait fait irruption dans le bureau. Madame T avait quitté les lieux et informé la société E des ces faits graves, ce qui avait eu pour conséquence que cette dernière ne lui avait plus confié de mandats. Suite à cette altercation, Madame T a été en incapacité totale de travailler pendant une semaine, soit du 10 au 18 juillet 2009.

Par courrier électronique du 6 août 2009, Madame T a été informée que la société E entendait enjoindre la société E1 à procéder à une enquête interne dans les locaux de la société A.

Par demande parvenue au greffe de la Juridiction des prud’hommes le 14 septembre 2009, Madame T a assigné les sociétés E et E1 en paiement d’une somme de CHF 10’000.-, avec intérêts moratoires à 5 % l’an dès le 14 septembre 2009, soit CHF 6’000.- à titre d’indemnité pour rupture abusive du contrat de travail, harcèlement, injures, menaces et harcèlement sexuel et CHF 4’000.- à titre d’indemnité pour tort moral.

Madame T a précisé, à l’appui de ses écritures, qu’elle avait été contrainte de quitter son travail pour des raisons de santé qui avaient été provoquées par le « mobbing » dont elle avait été la cible après avoir dénoncé les actes graves de ses deux collègues à son encontre. La société E l’avait alors rayée de la liste de ses employés, procédé que Madame T qualifiait de licenciement abusif.

L’audience de conciliation, qui s’est déroulée le 2 novembre 2009, n’a pas permis d’aboutir à un accord et la cause a été renvoyée au Tribunal des prud’hommes.

Par pli recommandé daté du 30 novembre 2009 et parvenu au greffe de la Juridiction des prud’hommes le lendemain, la société A a conclu à ce que, malgré l’enquête réalisée par la société E1 au sein de son établissement, aucun élément probant ne permettait de se prononcer sur les faits que Madame T avait dénoncés, insistant sur le fait que toutes les mesures commandées par les circonstances avaient été prises.

Au cours de l’audience du 11 janvier 2010, Madame T a confirmé ses conclusions, indiquant toutefois qu’elle réclamait désormais la somme de CHF 6’000.- à titre de résiliation immédiate du contrat pour de justes motifs et non plus à titre de résiliation abusive. La société E a, quant à elle, conclu au déboutement des conclusions de Madame T, indiquant se considérer comme l’unique employeur de Madame T, celle-ci étant seulement mise à la disposition de la société E1.

en droit

Madame T a introduit une demande condamnant tant la société E que la société E1 au paiement d’un montant de CHF 10’000.- à titre de résiliation immédiate du contrat pour justes motifs et d’indemnité pour tort moral.

A) La question de la légitimation passive

Le Tribunal des prud’hommes commence par rappeler que la qualité d’employeur – et par voie de conséquence la légitimation passive – appartient à la personne physique ou morale qui bénéficie de la prestation de travail effectuée par le travailleur à son service. Compte tenu qu’il ressort du contrat de travail au sens des articles 319 ss CO, ainsi que des déclarations de Madame T, que celle-ci a été engagée par la société E en date du 30 avril 2009, que ledit contrat a été signé exclusivement par Madame T et la société E et que, de surcroît, il est indéniable que Madame T tenait la société E pour son unique employeur puisque c’est à elle qu’elle a, en premier lieu, dénoncé les agissements dont elle a été victime au sein de la société A, qu’elle a adressé son certificat médical et qu’elle a indiqué avoir trouvé un nouvel emploi, le Tribunal considère que le seul employeur de Madame T était la société E. Partant, Madame T est déboutée de ses conclusions à l’encontre de la société E1, celle-ci n’étant, en réalité, que la société à laquelle Madame avait été mise à disposition, ce qu’aucune des parties n’a contesté.

B) La résiliation immédiate des rapports de travail pour de justes motifs (art. 337 CO)

Madame T réclame à la société E la somme de CHF 6’000.- à titre d’indemnité pour résiliation immédiate du contrat de travail pour motif justifié.

a) Le principe

Le Tribunal des prud’hommes considère que Madame T a été liée à la société E par un contrat de travail (art. 319 ss CO) de durée déterminée de trois mois (du 30 avril au 30 juillet 2009), contrat qui prend fin sans qu’il soit nécessaire de donner congé (art. 334 al. 1 CO), et rappelle que tant l’employeur que le travailleur peut résilier en tout temps le contrat de travail avec effet immédiat pour justes motifs (art. 337 al. 1 CO). Sont notamment considérées comme de justes motifs toutes les circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d’exiger de celui qui a donné le congé la continuation des rapports de travail (art. 337 al. 2 CO). Le juge apprécie librement l’existence de justes motifs (art. 337 al. 3 CO). Ce faisant, il applique les règles du droit et de l’équité (art. 4 CC), prenant en compte, à cet effet, tous les éléments du cas d’espèce, en particulier, la position et la responsabilité du travailleur, le type et la durée des rapports de travail, ainsi que la nature et l’importance des manquements (ATF 130 III 28, c. 4.1 ; ATF 127 III 351 ; ATF 116 II 145, c. 6). Le Tribunal précise que la partie qui souhaite se prévaloir de justes motifs doit le faire en principe sans délai, sa manifestation de volonté devant intervenir après un bref temps de réflexion ; une attente trop longue serait constitutive d’une renonciation à invoquer ce moyen. La durée s’apprécie en fonction des circonstances du cas d’espèce, mais un délai de un à trois jours ouvrables est présumé approprié (ATF 130 III 28, c. 4.4 ; TF, arrêt 4C.345/2001 du 16 mai 2002 ; TF, arrêt du 2 août 1993, SJ 1995, p. 806). Ce n’est que lorsque les circonstances particulières de la cause exigent d’admettre une exception à cette règle qu’un délai supplémentaire est accordé à celui qui entend se départir du contrat (ATF 130 III 28, c. 4.4 ; TF, arrêt 4C.345/2001 du 16 mai 2002 ; TF, arrêt 4C.382/1998 du 2 mars 1999). Le fardeau de la preuve que la résiliation est intervenue à temps appartient à la partie qui met fin au contrat (art. 8 CC ; TF, arrêt 4C.419/1995 du 12 décembre 1996).
b) L’existence d’un juste motif

En date du 10 juillet 2009, Madame T a mis un terme au contrat de travail de durée déterminée qui la liait à la société E pour la période allant du 30 avril au 30 juillet 2009, avec effet immédiat, motif pris qu’elle était victime de harcèlement sexuel de la part de deux de ses collègues de travail.

Le Tribunal indique que le harcèlement sexuel constitue un juste motif de résiliation immédiate du contrat de travail.

A l’appui de son jugement, le Tribunal invoque l’article 3 de la loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes (LEg), lequel interdit de discriminer les travailleurs à raison du sexe, soit directement, soit indirectement, notamment en se fondant sur leur état civil ou leur situation familiale ou, s’agissant des femmes, leur grossesse (al. 1) et précise que l’interdiction de toute discrimination s’applique en particulier à l’embauche, à l’attribution des tâches, à l’aménagement des conditions de travail, à la rémunération, à la formation et au perfectionnement professionnels, à la promotion et à la résiliation des rapports de travail (al. 2). Il cite également l’article 4 LEg, disposition qui spécifie que par comportement discriminatoire, il faut comprendre tout comportement importun de caractère sexuel ou tout autre comportement fondé sur l’appartenance sexuelle, qui porte atteinte à la dignité de la personne sur son lieu de travail, notamment le fait de proférer des menaces, de promettre des avantages, d’imposer des contraintes ou d’exercer des pressions de toute nature sur une personne en vue d’obtenir d’elle des faveurs de nature sexuelle et mentionne finalement l’article 5 alinéa 1 LEg, à teneur duquel quiconque subit ou risque de subir une discrimination au sens des articles 3 et 4 LEg peut requérir du tribunal ou de l’autorité administrative d’interdire la discrimination ou, d’y renoncer, si elle est imminente (lit. a), de la faire cesser si elle persiste (lit. b), d’en constater l’existence, si le trouble qu’elle a créé subsiste (lit. c) et d’ordonner le paiement du salaire dû (lit. d). Par ailleurs, en présence d’une discrimination portant sur un cas de harcèlement sexuel, lorsque l’employeur n’est pas parvenu à prouver qu’il a pris les mesures appropriées aux circonstances que l’expérience commande et que l’on peut équitablement exiger de lui pour prévenir ces actes ou y mettre fin, le tribunal ou l’autorité administrative peut également le condamner à verser une indemnité au travailleur, celle-ci devant être fixée compte tenu de toutes les circonstances et calculée sur la base du salaire moyen suisse (art. 5 al. 3 LEg).

En l’espèce, s’il est manifeste que Madame T a vécu, à tout le moins, une insulte à caractère sexiste sur son lieu de travail et que ces faits sont graves, le Tribunal estime qu’il ne peut être reproché à la société E de ne pas avoir pris toutes les mesures appropriées à de telles circonstances, celle-ci ayant immédiatement informé la société E1 des agissements dont était victime Madame T et mandaté la société E1 de mener une enquête interne dans les locaux de la société A. En outre, la société E n’étant pas l’employeur des travailleurs qui ont harcelé Madame T – Monsieur B et Jérôme avaient été engagés par la société A –, elle ne pouvait être tenue pour responsable de leur comportement inacceptable, pas plus qu’elle n’était en mesure de les sanctionner directement. De par sa position, la société E n’avait eu d’autre choix que d’informer la société E1, à laquelle elle avait mis Madame T à disposition, des faits dénoncés et d’ordonner une enquête afin de clarifier la situation. Bien que regrettant que la société E ne se soit pas davantage impliquée dans l’enquête menée par les sociétés E1 et A et ne se soit pas prononcée sur les conclusions de ces dernières, le Tribunal conclut que le comportement de la société E ne peut être qualifié de fautif. En outre, le fait que la société E a immédiatement accepté que Madame T cesse son activité dans les locaux de la société A, démontre qu’elle était bien consciente de la situation dont son employée était victime et de l’impossibilité de continuer à travailler dans ces circonstances.

Quant au grief soulevé par Madame T à l’encontre de la société E du fait que celle-ci l’a rayée de la liste de ses employés après qu’elle a pris connaissance des agissements dont Madame T était victime, le Tribunal le rejette, estimant que le contrat ne portait que sur la mission de trois mois de Madame T dans les locaux de la société A et qu’il ne contenait aucune clause relative à une éventuelle obligation de la société E de proposer d’autres missions à Madame T.

Le Tribunal termine en prenant en considération que le contrat a été dénoncé, avec effet immédiat, par Madame T elle-même et que celle-ci a retrouvé très rapidement un nouvel emploi.

En conclusion, quand bien même, il admet la gravité des agissements dénoncés par Madame T, le Tribunal considère qu’aucune faute ne peut être reprochée à l’entreprise E et, partant, qu’aucune sanction ne peut être prononcée à son encontre. Madame T est ainsi déboutée de ses conclusions en paiement d’une indemnité pour résiliation immédiate des rapports de travail pour de justes motifs.

C) Le tort moral

Madame T exige de la société E le paiement d’une somme de CHF 4’000.- à titre d’indemnité pour tort moral.

Le Tribunal des prud’hommes rappelle qu’en vertu de l’article 328 alinéa 1 CO, l’employeur a le devoir de protéger et de respecter la personnalité du travailleur dans les rapports de travail, de manifester les égards voulus pour sa santé et de veiller au maintien de la moralité. Cette disposition, qui instaure une protection plus étendue que celle garantie par les articles 27 et 28 CC, interdit à l’employeur de porter atteinte, par ses directives (art. 321d CO), aux droits de la personnalité du travailleur et lui impose de prendre des mesures concrètes en vue de garantir la protection de la personnalité du travailleur, laquelle englobe notamment la vie et la santé du travailleur, son intégrité corporelle et intellectuelle, son honneur personnel et professionnel, sa position et la considération dont il jouit dans l’entreprise. L’atteinte à la personnalité du travailleur peut être le fait de l’employeur lui-même s’il s’agit d’une personne physique, respectivement d’un organe de la société, si l’employeur est une personne morale (art. 55 al. 2 CC), ou encore, conformément à l’article 101 CO, d’un auxiliaire de l’employeur (supérieur hiérarchique, collègue) ou d’un tiers (client, fournisseur). L’article 328 CO instaure ainsi une responsabilité propre de l’employeur, opposable à lui seul, pour des actes pouvant émaner de tiers.

Lorsqu’une violation de l’article 328 CO est imputable à l’employeur, le travailleur peut, en principe, exiger des dommages-intérêts ; le mode et l’étendue de ceux-ci se déterminent d’après les principes généraux des articles 97 ss et 41 ss CO.

De l’inexécution du contrat découle la présomption d’une faute (97 CO). Afin de se libérer de cette présomption, l’employeur doit apporter la preuve qu’il n’a pas commis de faute. Le travailleur, quant à lui, doit prouver l’existence du contrat, sa violation par l’employeur, le dommage ainsi que le lien de causalité.

Lorsque le travailleur est victime d’une atteinte illicite grave à sa personnalité, il a le droit, dans la mesure où l’auteur ne lui a pas donné satisfaction autrement, de réclamer une somme d’argent à titre de réparation morale (art. 97, 99 al. 3 et 49 al. 1 CO ; ATF 102 II 224, c. 9 ; ATF 87 II 143). En matière de contrat de travail, la réparation du tort moral est ainsi subordonnée à une violation du contrat constitutive d’une atteinte illicite à la personnalité du travailleur au sens de l’article 328 CO, à un tort moral, à une faute, à un lien de causalité naturelle et adéquate entre la violation du contrat et le tort moral et à l’absence d’autres formes de réparation (conditions cumulatives). Par ailleurs, l’octroi d’une indemnité en application de l’article 49 CO ne saurait être admis que si la victime a subi un tort considérable, lequel doit se caractériser par des souffrances qui excèdent, de par leur intensité, celles qu’une personne doit être en mesure de supporter seule, sans recourir à un juge, selon les conceptions actuelles en vigueur. Il n’est pas nécessaire à cet égard que l’auteur de l’atteinte ait commis une faute particulièrement grave. En outre, en matière de responsabilité contractuelle, la faute est présumée (art. 97 CO).

Dans le cas d’espèce, Madame T allègue avoir été rayée de la liste des employés de la société E après avoir dénoncé les agissements de ses collègues à son égard, actes qui, selon ses dires, étaient apparentés à du « mobbing », lui ont causé des ennuis de santé et l’ont contrainte à quitter son emploi.

Le Tribunal considère cependant, que bien que le comportement de ses collègues ait manifestement ébranlé Madame T au point qu’elle se soit retrouvée en incapacité totale de travailler pendant une semaine, celle-ci n’est pas parvenue à prouver qu’elle avait subi un dommage considérable donnant droit à une indemnité. Dans son jugement, le Tribunal tient également compte du fait que le contrat de mission du 27 avril 2009 ne contenait aucune clause obligeant la société E à proposer d’autres missions à Madame T et que cette dernière a eu la chance de retrouver rapidement un emploi fixe. Les conclusions de Madame T quant à l’octroi d’une indemnité pour tort moral sont ainsi intégralement rejetées.

Résumé par Stéphanie Perrenoud, assistante diplômée à la faculté de droit et des sciences criminelles, Université de Lausanne, IDAT, sous la supervision du Prof. Rémy Wyler.

GE 27.11.2009
harcèlement sexuel

sujet

Démission d’une travailleuse en raison du harcèlement sexuel et moral de son supérieur hiérarchique

LEg

art 4

CO

art. 328

procédure

27.11.2009 Jugement du Tribunal des prud’hommes.

résumé

Une travailleuse qui, après s’être adonnée à un jeu de séduction réciproque avec son supérieur hiérarchique, démissionne au motif que le comportement de celui-ci est qualifiable de harcèlement sexuel et moral, doit être déboutée de l’intégralité de ses conclusions.

en fait

Par contrat de travail du 8 juillet 2009, Madame T a été engagée par E1, une entreprise active dans le secteur immobilier, en qualité de gérante commerciale, avec effet au 1er août 2009. Le salaire mensuel brut de Madame T, versé treize fois l’an, a été fixé à CHF 6’200.-. Le contrat stipulait, par ailleurs, que la durée du temps d’essai était de trois mois et qu’une place de parking était mise à disposition de Madame T sur son lieu de travail.

Madame T était hiérarchiquement subordonnée à Monsieur E, sous-directeur de l’entreprise.

A partir du 31 août 2009, Madame T et Monsieur E ont échangé de nombreux courriers électroniques et autres « sms » de nature personnelle, voire intime. Le premier courrier était l’œuvre de Madame T.

Le 28 septembre 2009, Madame T a invité Monsieur E à une fête qu’elle organisait, lui précisant, à cette occasion, que tous deux étaient conscients de l’issue que prendrait, tôt ou tard, leur relation. Dans le courant du mois d’octobre 2009, Monsieur E a, à plusieurs reprises, proposé à Madame T d’aller prendre un verre ou de déjeuner ; le 22 octobre 2009 il l’a invitée à l’accompagner pour un week-end au bord de la mer. Bien que Madame T ait décliné toutes les offres de Monsieur E, elle lui a notamment envoyé, en date des 23 et 25 octobre 2009, trois photographies sur lesquelles elle apparaissait en sous-vêtements ou en bikini.

L’entretien de fin de période d’essai de Madame T a eu lieu le 30 octobre 2009. Dans le rapport circonstancié établi à cette occasion et contresigné tant par Monsieur E que par Madame T, l’entreprise E1 se disait très satisfaite de la prestation de Madame T, relevant, en particulier, ses excellentes connaissances professionnelles, son expérience et sa connaissance du métier, sa discrétion et son caractère avenant. A la lecture de ce document, il appert toutefois que Madame T arrivait fréquemment en retard le matin. Madame T a, quant à elle, fait savoir qu’elle était totalement satisfaite de sa situation d’employée au sein de l’entreprise E1. Les parties ont ainsi décidé de la poursuite des rapports de travail.

A compter du 2 novembre 2009, les échanges de courriels entre Madame T et Monsieur E ont pris une tournure strictement professionnelle. Ce même jour, Monsieur E a adressé à Madame T un courrier électronique dans lequel il lui faisait grief d’une arrivée tardive de 25 minutes et mentionnait que la place de parking dont elle bénéficiait serait dorénavant supprimée. Madame T lui a répondu que son retard avait un caractère exceptionnel et qu’elle n’acceptait pas la sanction qu’il se permettait de lui administrer, son droit à une place de parking faisant l’objet d’une clause contractuelle, ce à quoi Monsieur E a objecté que le contrat de travail de Madame T ne prévoyait pas la mise à disposition d’une place de parking mais qu’il consentait à ce qu’elle conserve cette place, dans la mesure où elle s’engageait à respecter impérativement les horaires de travail de l’entreprise. Monsieur E a encore observé que, nonobstant ce retard de 25 minutes, Madame T avait quitté les locaux de la société à 17 heures précises, omettant de surcroît de faire dévier sa ligne sur la centrale téléphonique de l’entreprise.

Le 3 novembre 2009, Madame T a justifié son départ de la veille en alléguant qu’elle avait eu un rendez-vous chez son médecin à 17h30 ; elle a, par ailleurs, affirmé qu’elle était à son poste depuis 7h45, mais que Monsieur E n’avait pas été présent pour le constater. Madame T a ajouté qu’elle avait accompli ses heures hebdomadaires et qu’elle laissait le soin à Monsieur E de vérifier ses dires dans l’hypothèse où celui-ci aurait le temps de « s’amuser à cela ».

Le 5 novembre 2009, Monsieur E a informé Monsieur A, le directeur de la succursale de Carouge de E1, de ce que Madame T notait désormais ses heures d’arrivée et de départ, que l’arrivée tardive du 2 novembre 2009 était effectivement justifiée par des circonstances particulières, et qu’il apparaissait ainsi approprié d’accorder à Madame T quelques jours supplémentaires pour modifier son attitude.

Par un courriel du 8 décembre 2009, Monsieur E a enjoint Madame T de saisir les heures qu’elle effectuait journellement dans un logiciel informatique et de lui transmettre les relevés correspondants au début de chaque mois. Il l’a, en outre, rendue attentive qu’il convenait de saisir le temps passé chez le médecin en heures de maladie et non en heures de travail.

Par lettre datée du 10 décembre 2009, la société E1 a adressé un avertissement écrit à Madame T, dénonçant ses nombreuses arrivées tardives et consultations médicales, la non compensation des heures de travail perdues ainsi que l’inadéquation de ses saisies horaires ; Madame T était priée de réagir et de corriger son attitude, faute de quoi un terme serait mis à leur collaboration.

Par courrier, également daté du 10 décembre 2009, la société E1, se référant à la lettre susmentionnée ainsi qu’à un entretien ayant eu lieu le même jour, a reproché à Madame T son refus de lire la lettre qui contenait l’avertissement, ainsi que le ton ironique qui avait été le sien au cours de cet entretien.

Le 15 décembre 2009, Madame T a notifé sa démission à la société E1, spécifiant, dans ce courrier, qu’elle démissionait en raison du comportement de Monsieur E, qui, selon ses dires, relevait du harcèlement sexuel et moral, voire d’une attitude calomnieuse et diffamatoire ; Madame T demandait à être libérée de ses fonctions au 31 décembre 2009.

Par demande déposée au greffe de la Juridiction des prud’hommes le 15 décembre 2009, Madame T a assigné la société E1 et Monsieur E en paiement de la somme globale de CHF 76’560.- (CHF 6’380.- x 12) à titre de compensation pour tort moral et psychologique et de perte de gain pour retrouver un nouvel emploi. Elle a également allégué le harcèlement sexuel, le mobbing, et l’attitude diffamatoire et calomnieuse de Monsieur E à son égard.

A l’appui de sa demande, Madame T dénonçait avoir été victime de harcèlement sexuel pendant la période de temps d’essai accomplie au service de la société E1. En outre, après avoir fait part à Monsieur E de son intention de mettre un terme définitif à ce harcèlement, celui-ci aurait radicalement changé d’attitude, adoptant un comportement qualifiable de harcèlement psychologique voire de calomnie ou de diffamation à son encontre.

Par lettre du 23 décembre 2009, la société E1 a informé Madame T qu’elle acceptait de la libérer de son obligation de travailler au 31 décembre 2009, réservant cependant tous ses droits pour le surplus.

L’audience de conciliation, qui a eu lieu le 1er février 2010, s’est soldée par un échec et la
cause a été renvoyée au Tribunal des prud’hommes.

Par mémoire de réponse, parvenu au greffe de la Juridiction des prud’hommes le 2 mars 2010, la société E1 demandait à ce que Madame T soit déboutée de ses conclusions. A teneur de ses écritures, la société E1 signalait que Madame T avait procédé, pour les besoins de la cause, à un tri spécifique des courriers électroniques échangés, qu’elle ne lui avait jamais fait part, avant de démissionner, des problèmes qu’elle dénonçait, qu’elle n’avait pas eu recours à l’unité de soutien psychologique, qu’elle aurait volontairement tronqué les courriels et « sms » échangés avec Monsieur E afin de masquer le rôle de provocatrice tenu par elle dans cette affaire et que, finalement, les échanges entre Madame T et Monsieur E étaient d’ordre strictement personnel.

Par mémoire de réponse, déposé au greffe de la Juridiction des prud’hommes à cette même date, Monsieur E a conclu à l’irrecevabilité de la demande de Madame T et, subsidiairement, au rejet de l’ensemble de ses conclusions. A l’appui de ses écritures, Monsieur E a relevé, en substance, que, dans la mesure où aucun contrat de travail ne le liait à Madame T, le Tribunal des prud’hommes devait se déclarer incompétent à raison de la matière. A titre superfétatoire, Monsieur E a également allégué que les prétentions de Madame T étaient infondées et qu’il avait déposé plainte pénale à ce titre.

en droit

Le Tribunal des prud’hommes retient que Madame T et la société E1 ont été liés par un contrat de travail (art. 319 ss CO) et précise qu’en vertu de l’article 328 alinéa 1 CO, l’employeur a le devoir de protéger et de respecter la personnalité du travailleur dans les rapports de travail, de manifester les égards voulus pour sa santé et de veiller au maintien de la moralité. Cette disposition, qui instaure une protection plus étendue que celle garantie par les articles 27 et 28 CC, proscrit à l’employeur de porter atteinte, par ses directives (art. 321d CO), aux droits de la personnalité du travailleur et exige qu’il adopte des mesures concrètes en vue d’assurer la protection de la personnalité du travailleur, laquelle comprend, en particulier, la vie et la santé du travailleur, son intégrité corporelle et intellectuelle, son honneur personnel et professionnel, sa position et la considération qu’il connaît dans l’entreprise. L’atteinte à la personnalité du travailleur peut être le fait de l’employeur lui-même, l’employeur étant une personne physique, ou d’un organe de la société si l’employeur est une personne morale (art. 55 al. 2 CC), ou encore, conformément à l’article 101 CO, d’un auxiliaire de l’employeur (supérieur hiérarchique ou collègue du travailleur) ou d’un tiers (client ou fournisseur). L’article 328 CO fonde ainsi une responsabilité propre de l’employeur, opposable à lui seul, pour des actes pouvant émaner de tiers.

A) Le harcèlement sexuel

Madame T allègue avoir été harcelée sexuellement par Monsieur E alors qu’elle effectuait son temps d’essai au sein de l’entreprise E1.

Après avoir rappelé que le harcèlement sexuel qui, à teneur de l’article 4 de la loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes du 24 mars 1995 (LEg ; RS 151.1), comprend « tout comportement importun de caractère sexuel ou tout autre comportement fondé sur l’appartenance sexuelle, qui porte atteinte à la dignité de la personne sur son lieu de travail, en particulier le fait de proférer des menaces, de promettre des avantages, d’imposer des contraintes ou d’exercer des pressions de toute nature sur une personne en vue d’obtenir d’elle des faveurs de nature sexuelle », constitue un cas particulier d’atteinte à la personnalité du travailleur au sens de l’article 328 alinéa 1 CO, le Tribunal indique que dans la mesure où sa conduite se limite à ce qui est admis par les bonnes mœurs, rien n’interdit à un cadre ou à un contremaître d’user de séduction afin d’obtenir les faveurs d’une personne qui lui est subordonnée.

En l’espèce, le Tribunal ne conteste pas que Monsieur E ait usé et abusé de sa messagerie électronique et de son téléphone portable pour adresser à Madame T de très nombreux courriels et autres « sms » au contenu pour le moins ambigu (compliments, avances, invitations et propositions en tout genre), voire même déplacé. Il considère, cependant, que Madame T ne s’est aucunement offusquée du comportement de Monsieur E et lui reproche d’avoir fait preuve d’une attitude provocatrice – c’est elle qui la première a attrait Monsieur E dans un jeu de séduction réciproque en lui envoyant divers messages plus ou moins explicites et ouvertement provocateurs, c’est également elle qui a reproché à Monsieur E, à différentes reprises, de ne pas être suffisamment entreprenant et qui lui a envoyé des photographies d’elle sur lesquelles elle apparaissait à moitié nue dans des poses suggestives.

Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal réfute que Madame T ait été harcelée sexuellement par Monsieur E ; il estime, au contraire, que Madame T était consentante et qu’elle s’est adonnée délibérément à un jeu de charme réciproque, ce d’autant plus, qu’à l’échéance de sa période d’essai de trois mois, Madame T a signé un rapport circonstancié dans lequel elle déclarait être pleinement satisfaite quant à sa situation d’employée au sein de la société E1, qu’elle n’a jamais fait part à quiconque (pas même à la psychiatre qui la suivait ou à l’unité de soutien psychologique mise en place par la société E1) de ses griefs envers Monsieur E et qu’aucun des témoins n’a fait état de comportements équivoques de Monsieur E à l’égard de Madame T. Pour ces motifs, le Tribunal rejette les conclusions de Madame T dans leur intégralité, celles-ci confinant à la témérité.

B) Le harcèlement psychologique

Madame T se plaint également d’avoir été harcelée psychologiquement par Monsieur E à compter du 2 novembre 2009.

Le harcèlement psychologique (mobbing), qui se définit comme un enchaînement d’agissements et/ou de propos hostiles répétés fréquemment pendant une période assez longue, par une ou plusieurs personnes, dans le dessein d’isoler, de marginaliser, voire d’exclure une personne sur son lieu de travail, est constitutif d’une atteinte à la personnalité du travailleur au sens de l’article 328 alinéa 1 CO. Partant, l’employeur qui ne prend pas les mesures nécessaires pour empêcher que l’un de ses employés ne soit victime de harcèlement psychologique commet une violation de l’article 328 CO et est tenu de réparer le préjudice matériel et le tort moral résultant de sa propre faute ou de celle d’un autre employé.

Le Tribunal rappelle que ni l’existence d’un conflit professionnel ou d’une mauvaise ambiance de travail, ni le fait d’inviter un travailleur, de façon pressante et au besoin sous la menace d’une sanction disciplinaire ou d’un licenciement, à se conformer à ses obligations contractuelles, ni, pour un supérieur hiérarchique, le fait de ne pas toujours pleinement satisfaire aux devoirs qui lui incombent envers ses collaboratrices et collaborateurs, ne revêtent le caractère de harcèlement psychologique (TF, arrêt 4C.343/2003 du 13 octobre 2004, c. 3.1).

En l’espèce, le Tribunal tient pour avéré que les diverses convocations, remarques, et remises à l’ordre, aussi bien orales qu’écrites, dont Madame T a fait l’objet de la part de Monsieur E en raison de sa ponctualité critiquable, ne sauraient être constitutives d’un cas de harcèlement psychologique. Soutenir le contraire reviendrait, en effet, à admettre qu’un employé peut décider librement, selon ses désirs et convenances personnelles, s’il entend ou non respecter les horaires imposés par son employeur et partant, se conformer à ses obligations contractuelles.

Quant à la menace proférée par Monsieur E, de supprimer la place de parking de Madame T pourtant effectivement prévue contractuellement, elle apparaît d’autant plus discutable que Monsieur E n’avait pas compétence pour amender le contrat de ses subordonnés et qu’il s’est arrogé la prérogative de formuler une telle remarque en dépit de la désapprobation explicite de Monsieur A, son supérieur, à ce sujet.

Les autres nombreuses brimades alléguées par Madame T n’ayant été corroborées par aucun élément de preuve, et celle-ci ne s’étant, de surcroît, jamais plainte des prétendus actes de harcèlement psychologique que Monsieur E lui aurait fait subir, ni envers la société E1, ni auprès du service de soutien psychologique mis en place au sein de la société E1, le Tribunal retient l’absence d’actes de mobbing commis au préjudice de Madame T, quand bien même le comportement de Monsieur E n’est pas exempt de tout reproche du fait, notamment, qu’il a pris la liberté de menacer Madame T d’une sanction qu’il ne lui incombait pas de prononcer. Le Tribunal prend, toutefois, en compte qu’il s’agit-là d’un acte isolé, que la sanction considérée n’a finalement pas été appliquée, et que conformément à la jurisprudence, le fait qu’un supérieur hiérarchique n’ait pas satisfait pleinement et toujours aux devoirs lui appartenant à l’égard de ses collaboratrices et collaborateurs, ne saurait, à lui seul, être constitutif de harcèlement psychologique.

Le Tribunal conclut au rejet, dans leur intégralité, des prétentions de Madame T fondées sur le prétendu harcèlement psychologique dont elle aurait fait l’objet au sein de la société E1.

Résumé par Stéphanie Perrenoud, assistante diplômée à la faculté de droit et des sciences criminelles, Université de Lausanne, IDAT, sous la supervision du Prof. Rémy Wyler.

GE 5.6.2013
licenciement discriminatoire
licenciement abusif

sujet

Attitude homophobe non prouvée. Licenciement non fondé sur l’orientation sexuelle.

CO

art. 328, art. 336

procédure

7.9.2012 Jugement du Tribunal des prud’hommes 5.6.2913 Arrêt de la Cour de Justice, Chambre des prud’hommes (CAPH/48/2013)

résumé

Une vendeuse se plaint du comportement homophobe de son employeuse et estime avoir été licenciée en raison de son orientation sexuelle, suite à la conclusion d’un partenariat enregistré. Devant le Tribunal des prud’hommes, elle réclame, notamment, une indemnité pour licenciement abusif et, subsidiairement, la réparation du tort moral. Le Tribunal ne retient pas le caractère abusif du congé mais admet une atteinte illicite à la personnalité et condamne la partie employeuse au versement d’une indemnité pour tort moral. La Chambre des prud’hommes juge, en revanche, que les conditions d’octroi d’une telle indemnité ne sont pas réunies.

en fait

Par contrat du 18 avril 2009, Madame T. est engagée en qualité de vendeuse par Madame E., pour une durée indéterminée. Madame T. reçoit des instructions de la part de Madame E. ainsi que de son époux, Monsieur E.

Le 6 août 2010, T. conclut un partenariat enregistré avec sa compagne J.

Du 14 août au 5 septembre 2010, T. est en incapacité de travail, ce dont atteste un certificat médical. Fin août 2010, les époux E. se rendent au cabinet du médecin de T. et tentent – en vain – d’obtenir des renseignements sur l’état de santé de la travailleuse.

Le 24 août 2010, T. informe Y., inspecteur à l’Office cantonal de l’inspection et des relations du travail (OCIRT), de divers problèmes sur son lieu de travail. En particulier, la vendeuse déclare avoir l’impression d’être discriminée en raison de son homosexualité, notamment sur le plan salarial et eu égard au choix des vacances. « Elle n’a toutefois pas mentionné à l’inspecteur d’éléments précis concernant le fait que son employeur était homophobe, tels des propos homophobes. Elle l’a informé qu’elle était liée par un partenariat enregistré. Elle ne lui a pas parlé de craintes liées au fait qu’elle devait fournir un certificat de partenariat à son employeur, ni au fait d’être licenciée du fait de son homosexualité. A l’issue de l’entretien [T.] a fait part à [l’inspecteur Y.] de son souhait de quitter la boutique à moyen terme, car elle ne trouvait plus les conditions de travail acceptables et ressentait un mal-être dans cette entreprise, et lui a demandé de ne pas intervenir immédiatement, de sorte que son dossier a été suspendu » (lettres H. b.).

Le 6 septembre 2010, E. licencie T. avec effet au 30 novembre 2010. La vendeuse est immédiatement libérée de son obligation de travailler.

Le 11 octobre 2010, E. informe T. de son intention de ne pas lui verser les salaires des mois d’octobre et novembre 2010, étant donné que T. a trouvé un nouvel emploi auprès de la société gérée par sa partenaire enregistrée. T. conteste avoir une nouvelle activité lucrative et indique être diposée à reprendre son travail jusqu’à la fin du délai de congé, dans l’hypothèse où son employeuse reviendrait sur sa décision de la libérer de l’obligation de travailler.

Le 9 novembre 2010, T. s’oppose à son licenciement, qu’elle estime abusif au sens de l’art. 336 CO, et demande à en connaître les motifs. Le 1er décembre 2010, la boutique X., par l’intermédiaire de Madame E. et de son époux, indique que la résiliation est intervenue d’un commun accord, T. estimant ne pas être assez payée. La travailleuse réfute ces affirmations. Elle déclare « avoir été licenciée non seulement en raison de ses revendications d’ordre salarial, mais aussi en raison de son orientation sexuelle. Elle avait vécu son licenciement de manière très douloureuse du fait de son caractère discriminatoire […] » (lettres D. c.).

Par demande parvenue au greffe de la Juridiction des prud’hommes le 15 août 2011, T. assigne son employeuse et son époux en paiement de sommes correspondant aux salaires des mois d’octobre et novembre 2010, à un solde de cinq jours de vacances et à une indemnité pour résiliation abusive équivalente à quatre mois de salaire – subsidiarement, à une indemnité pour tort moral – sommes auxquelles s’ajoutent les intérêts moratoires.

Le 23 novembre 2011, jour de son audition en qualité de témoin par le Tribunal, l’inspecteur Y. se rend à la boutique X., afin d’effectuer une inspection de routine. En date du 23 janvier 2012, l’inspecteur informe E. qu’aucun « acte de nature discriminatoire [n’a] été objectivé suite aux discussions avec le personnel de l’entreprise et l’employeur » et que l’entreprise respecte globalement les prescriptions de la loi fédérale sur le travail (lettres H. b.).

Par jugement du 7 septembre 2012, le Tribunal des prud’hommes condamne E. et son époux au paiement, notamment, des deux mois salaires demandés, d’une indemnité pour vacances non prises et d’une indemnité pour tort moral à hauteur de 4’500 fr., plus intérêts. Le congé est toutefois jugé non abusif.

Par acte expédié le 10 octobre 2012 à la Chambre des prud’hommes de la Cour de justice, E. et son époux forment appel de ce jugement. Ils nient, notamment, avoir porté atteinte à la personnalité de T.

en droit

La Cour considère que les premiers juges ont admis à juste titre la légitimation passive de l’époux, Monsieur E., auquel T. était dans les faits subordonnée (consid. 4). En outre, la Cour confirme que la salariée a droit à recevoir son salaire des mois d’octobre et novembre 2010 (consid. 5) ainsi qu’une indemnité pour vacances non prises (consid. 6-7).

La question se pose ensuite de savoir si E. a violé son obligation de protéger la personnalité de T. (art. 328 CO) et si cette dernière a droit à une réparation morale (art. 49 CO) (consid. 8.1). A cet égard, la Cour relève que T. maintient, en procédure d’appel, avoir souffert de l’attitude homophobe de E., même si l’employée n’est pas revenue sur le refus des premiers juges de retenir le caractère abusif du licenciement (consid. 8.2.)

A l’instar du Tribunal, la Cour retient que T. « n’a pas démontré avoir entendu ou vu des remarques ou comportements négatifs de la part de ses employeurs au sujet des personnes homosexuelles. Ses allégations sur ce point sont infirmées par les autres vendeuses de la boutique entendues en qualité de témoins ». Seul le docteur de T. a mentionné l’existence de tels propos, mais son témoignage est isolé et le médecin n’a pas pu faire état de termes précis qui lui auraient été rapportés, ni pu entendre lui-même les employeurs prononcer des paroles homophobes. La travailleuse « n’a pas allégué avoir été visée personnellement d’une quelconque manière par les remarques prétendument homophobes des appelants, de sorte que la condition de la gravité de l’atteinte ne saurait en tout état de cause être remplie » (consid. 8.3.).

En outre, les autres circonstances invoquées en lien avec la demande de réparation du tort moral, en particulier le fait que les employeurs se soient rendus sans autorisation au cabinet du médecin de T. et aient attendu plus de deux ans et demi avant de lui remettre son certificat de travail, ne suffisent pas non plus à justifier l’octroi d’une indemnité (consid. 8.3-8.5). Sur ce point, la travailleuse n’obtient donc pas gain de cause.

Résumé par Mme Karine Lempen, Professeure à la Faculté de droit de l’Université de Genève

TF 18.01.2013
licenciement abusif

sujet

Absence de protection contre le licenciement en temps inopportun des titulaires de fonction publique neuchâtelois•e•s

CO

art. 336

procédure

09.08.2011 : Décision du Département de la justice, de la sécurité et des finances (DJSF) 16.03.2012 : Jugement du Tribunal cantonal (NE) 18.01.2013 : Jugement du Tribunal fédéral.

résumé

Une loi cantonale sur le statut de la fonction publique qui ne protège pas les fonctionnaires au bénéfice d’un engagement provisoire (lequel correspond à la période probatoire et ne peut excéder deux ans) contre le licenciement en temps inopportun au sens de l’art. 336c CO ne peut être considérée comme lacunaire.

en fait

Le 21 janvier 2009, Madame T a été engagée, par un service cantonal, en qualité de secrétaire-comptable à temps partiel (60 %), à titre provisoire, dès le 1er mars 2009.

En date du 18 janvier 2011, le service a indiqué à Madame T qu’il envisageait de mettre un terme à son engagement provisoire en raison de la persistance de différents manquements et lui a donné l’occasion de s’exprimer avant de rendre sa décision. Par courrier du 1er février 2011, Madame T, a informé le service qu’elle était enceinte de 14 semaines et que dès lors, une éventuelle résiliation des rapports de travail serait entachée de nullité.

Par décision du 14 février 2011, le service a résilié l’engagement provisoire de Madame T pour le 30 avril 2011, au motif que les prestations professionnelles de celle-ci étaient insuffisantes. Le service a également précisé à Madame T qu’elle ne bénéficiait d’aucune protection particulière contre la résiliation des rapports de travail pendant sa grossesse.

Madame T a interjeté un recours contre cette décision devant le Département de la justice, de la sécurité et des finances (DJSF), indiquant qu’elle considérait choquante la jurisprudence cantonale en vertu de laquelle l’absence d’une protection contre le licenciement en temps inopportun au sens de l’art. 336c CO, dans la loi cantonale sur le statut de la fonction publique, ne constituait pas une lacune et qu’elle ne comprenait pas, au demeurant, les motifs ayant présidé à son licenciement.

Par décision du 9 août 2011, le DJSF a rejeté le recours de Madame T, retenant que la résiliation des rapports de travail de cette dernière n’était ni abusive, ni intervenue en temps inopportun étant donné que l’art. 336c CO n’était pas applicable.

Madame T a alors recouru contre cette décision devant la Cour de droit public du Tribunal cantonal en concluant à son annulation, ainsi qu’à l’annulation de la décision rendue par le service en date du 14 février 2011. Elle alléguait que la décision était entachée d’un défaut de motivation dans la mesure où elle ne discutait pas les arguments qu’elle avait invoqués et que le DJSF avait appliqué mécaniquement une jurisprudence erronée qui conduisait à traiter de manière nettement moins favorable les titulaires de fonction publique que les travailleurs engagés par un contrat soumis au droit privé. Par jugement du 16 mars 2012, le Tribunal cantonal a rejeté le recours de Madame T.

Agissant par la voie du recours en matière de droit public, Madame T a alors saisi le Tribunal fédéral en concluant à l’annulation du jugement cantonal et des décisions administratives des 9 août et 14 février 2011.

en droit

Après avoir rappelé que l’obligation, à la charge de l’autorité, de motiver sa décision afin que le justiciable puisse la comprendre, la contester utilement s’il y a lieu et exercer son droit de recours à bon escient (obligation que la jurisprudence déduit du droit d’être entendu ; cf. art. 29 al. 1 Cst.), est satisfaite si l’autorité mentionne au moins brièvement les motifs qui l’ont guidée et sur lesquels elle a fondé sa décision, le Tribunal fédéral a estimé qu’il n’y a, en l’espèce, pas eu de violation du droit d’être entendu de Madame T, cette dernière ayant parfaitement compris que les raisons ayant amené la juridiction cantonale à considérer que l’art. 336c al. 1 lit. c CO ne trouvait pas application dans son cas découlaient du fait que la législation cantonale sur la fonction publique ne comportait pas de lacune appelant l’intervention du juge.

Le Tribunal fédéral a également débouté Madame T en confirmant la jurisprudence cantonale selon laquelle l’absence de protection, dans la loi neuchâteloise sur le statut de la fonction publique (LSt-NE), des titulaires de fonction publique au bénéfice d’un engagement provisoire (selon l’art. 12 al. 1 LSt-NE, l’engagement provisoire, dont la durée ne peut excéder deux ans, constitue la période probatoire), contre le licenciement en temps inopportun, ne constitue pas une lacune. Les juges fédéraux ont retenu que Madame T n’est pas parvenue à démontrer que le législateur cantonal aurait omis de régler une situation qui exigeait de l’être, requérant de ce fait l’intervention du juge. Lors de l’adoption de la LSt-NE le 28 juin 1995, en effet, le législateur neuchâtelois a décidé, consciemment, de protéger les fonctionnaires engagé•e•s provisoirement exclusivement contre le licenciement abusif au sens de l’art. 336 CO ; l’art. 336c CO ayant été introduit dans le Code des obligations en 1971, on ne saurait soutenir que le législateur ignorait l’existence de cette disposition.

Le Tribunal fédéral ajoute que les rapports de travail de droit public n’étant en principe pas soumis aux dispositions du CO (cf. art. 342 CO), ils peuvent être organisés librement par les cantons. Si le statut de la fonction publique se révèle en général globalement plus favorable aux règles du CO, rien ne s’oppose à ce qu’il comporte, par rapport à ces dernières, des contraintes plus sévères sur certains points. Compte tenu que les dispositions relatives au contrat de travail sont applicables à titre subsidiaire uniquement, en cas de lacunes dans la réglementation ou si celle-ci le prévoit, le droit fédéral ne saurait obliger les cantons à régler la résiliation en temps inopportun pendant la grossesse d’une manière identique à la réglementation de l’art. 336c al. 1 lit. c CO. Ce n’est que si la réglementation cantonale présente une lacune (ce qui n’est pas le cas en l’espèce) que cette dernière disposition peut être appliquée à titre de droit cantonal supplétif.

Notant toutefois qu’il peut apparaître contradictoire, de la part du législateur neuchâtelois, de régler les effets de la maternité en faveur des titulaires de fonction publique de manière détaillée (la législation neuchâteloise consacre le droit à un congé de maternité de quatre mois avec maintien du traitement, assimile le temps consacré à l’allaitement à du temps de travail lorsque la mère allaite son enfant sur le lieu de son travail et permet aux chef•fe•s de service d’accorder à la travailleuse enceinte un assouplissement de l’horaire ou la possibilité d’effectuer une tâche différente durant les derniers mois de sa grossesse ; cf. art. 74 al. 1, 75b LSt-NE, art. 15 RSt-NE), sans lui accorder parallèlement une protection contre le licenciement en temps inopportun pendant la grossesse et une période déterminée suivant l’accouchement. Le Tribunal fédéral considère qu’une telle contradiction ne suffit pas à retenir que la solution adoptée par le législateur neuchâtelois est insoutenable dès lors que ni le droit fédéral (cf. art. 8 al. 3, 10 al. 2, 41 ou encore 116 Cst.), ni le droit cantonal n’imposent à celui-ci de codifier la situation en cause en prévoyant une règle semblable à l’art. 336c al. 1 lit. c CO ou en renvoyant à cette disposition. En définitive, le seul fait que l’option choisie par l’organe législatif cantonal (soit l’absence de règle du droit de la fonction publique sur le licenciement en cas de grossesse) est insatisfaisante au regard de l’importance de la protection de la maternité ne justifie pas une intervention du juge ; il appartient dès lors au législateur cantonal de remédier à cette situation s’il l’estime opportun.

Résumé par Stéphanie Perrenoud, assistante diplômée à la faculté de droit et des sciences criminelles, Université de Lausanne, IDAT, sous la supervision du Prof. Rémy Wyler.

NE 31.10.2011
discrimination salariale

sujet

Allègement du fardeau de la preuve et nécessité d’une expertise en cas d'inégalité salariale, même inférieure à 10%.

LEg

art 3, art 5, art 6

procédure

19.03.2009 Office cantonal de conciliation en matière d’égalité entre femmes et hommes ; 27.09.2010Jugement du Tribunal des Prud’hommes 31.10.2011Jugement de la Cour de cassation civile

résumé

Une différence de salaire de moins de 10% entre une employée et ses collègues masculins peut être qualifiée de discriminatoire si elle ne repose pas sur des facteurs objectifs. Si, à l’intérieur d’une entreprise, l’équivalence des diverses fonctions n’est pas immédiatement évidente ou n’est pas établie par d’autres moyens de preuve, le juge doit ordonner les expertises nécessaires. La détermination de la valeur intrinsèque du travail de la travailleuse d’une part et de ses collègues d’autre part doit en principe faire l’objet d’une expertise, si les juges de première instance ne disposent pas eux-mêmes des connaissances scientifiques et techniques nécessaires.

en fait

Par contrat du 25 octobre 1994, Madame T1 a été engagée dès le 1er décembre par l’entreprise E1, exploitée par la société E2, pour un salaire mensuel brut de CHF 3’000.-. Dès le 1er avril 1999, Madame T1 a exercé son travail en tant que vendeuse-magasinière. Les rapports de travail ont pris fin en juin 2006, après une longue période d’incapacité de travail de Madame T1 ; sa rémunération s’élevait alors à CHF 3’532.- brut par mois.

Le 26 novembre 2008, Madame T1, s’estimant victime d’une discrimination à raison du sexe par rapport à son collègue Monsieur T2, vendeur-magasinier également, avec un salaire mensuel de CHF 300.- supérieur au sien, a demandé le remboursement de cette différence de salaire pour les trois dernières années de son engagement ainsi que le paiement d’une indemnité équitable pour la perte subie sur la rente d’invalidité qui avait été octroyée entre-temps. La société E2 a affirmé que la différence de salaire s’expliquait par des motifs objectifs. Le 19 mars 2009 l’Office de conciliation en matière d’égalité entre femmes et hommes, saisi par Madame T1, a constaté l’échec de la tentative de conciliation.

Par demande du 2 avril 2009 adressée au Tribunal des prud’hommes du district de Neuchâtel, Madame T1 a conclu à la condamnation de la société E2, au versement d’un montant global de CHF 22’800.- représentant CHF 10’800.- pour la différence salariale mensuelle de CHF 300.- sur trois ans et CHF 12’000.- pour la perte éprouvée sur le montant de sa rente invalidité calculée sur un salaire inférieur à celui qu’elle aurait dû recevoir. Elle exposait que Messieurs T2 et T3 gagnaient CHF 300.- brut de plus par mois alors que leur travail était comparable, voire même de moindre valeur que le sien car il lui arrivait de fonctionner en tant que caissière.

Dans sa réponse du 8 mai 2009, la société E2 a conclu au rejet de la demande en indiquant que la CCNT applicable et les directives du personnel concrétisaient le principe d’égalité entre femmes et hommes sur le plan salarial. Elle exposait avoir mis en place un système permettant de fixer la rémunération de chaque collaborateur selon son activité, ses prestations, sa performance, et l’expérience nécessaire à sa fonction, système qui excluait toute forme de discrimination à raison du sexe. De plus, la comparaison avec la situation de Messieurs T2 et T3 n’était pas possible du fait que leurs fonctions étaient différentes et qu’ils bénéficiaient de leur rémunération précédente malgré un reclassement.

Par jugement du 27 septembre 2010, le tribunal des prud’hommes a rejeté la demande et a condamné Madame T1 à verser à la société E2 une indemnité de dépens de CHF 1’000.-, sans frais. Il a été retenu, en premier lieu, que la différence invoquée entre le salaire de Madame T1 et celui de ses deux collègues masculins n’atteignait respectivement que 8,6 % et 13,4 %, et dès lors demeurait inférieure à la limite jurisprudentielle quant à l’admissibilité de la vraisemblance d’une discrimination. Dans un second temps, il a été estimé que leur fonction n’était pas équivalente puisque Messieurs T2 et T3 commençaient leur journée de travail en moyenne nonante minutes avant Madame T1, que leur travail s’exécutait parfois à l’extérieur et en chambre froide, que l’effort physique engagé était plus pénible et qu’ils intervenaient sur tout le processus de distribution. En comparaison, le travail de Madame T1 ne consistait qu’à réapprovisionner les rayons, même s’il lui arrivait également de devoir aller en chambre froide et que certains paquets pouvaient être d’un certain poids. Le fait de vérifier les bulletins de livraisons et de gérer en partie les commandes n’était pas de nature à contrebalancer les désagréments des tâches effectuées par Messieurs T2 et T3, ce d’autant que Monsieur T2 assumait aussi cette tâche. Il en allait de même pour le remplacement sporadique de collègues à la caisse. Au surplus, une valorisation de CHF 50.- avait été accordée à Madame T1 pour cette activité. Ainsi la discrimination salariale à raison du sexe n’a pas été rendue vraisemblable par Madame T1 de sorte que lors de l’audience du 15 février 2010 il a été décidé, par appréciation anticipée des preuves, de ne pas mettre en œuvre l’expertise sollicitée par Madame T1. Au demeurant, même si elle avait pu rendre vraisemblable cette différence de salaire, il convient d’admettre que dite différence reposait sur des facteurs objectifs. Par ailleurs, il fallait considérer que le salaire de Monsieur T2 tenait compte de séquelles physiques dues à un accident de travail et que le salaire de Monsieur T3 prenait en compte ses attributions de coaching et d’encadrement des étudiants ainsi que le fait qu’il soit devenu premier vendeur au rayon laiterie depuis le 1er novembre 2003.

Madame T1 a déposé un recours en cassation contre ce jugement. Elle faisait grief aux premiers juges d’avoir refusé de mettre en œuvre une expertise destinée à analyser les tâches de chacun des travailleurs en cause et à déterminer si elles étaient de valeur égale. Elle leur reprochait, d’autre part, d’avoir systématiquement sous-estimé ses activités pour valoriser à tort celles de ses deux collègues et d’avoir faussement appliqué la loi sur l’égalité en utilisant des critères discriminatoires pour justifier la différence de rémunération constatée. Elle soulignait que ces pourcentages de différence de salaire devaient être considérés comme significatifs, compte tenu du niveau de salaire très bas pour un travail à plein temps, et suffisants pour retenir la vraisemblance d’une discrimination salariale. Enfin, elle soutenait que c’est à tort que la différence de traitement reposait sur des facteurs objectifs puisqu’elle assumait des tâches souvent identiques, voire plus pénibles que celles de ses collègues masculins.

La société E2 a conclu au rejet du recours dans toutes ses conclusions.

en droit

Selon la loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes, il est interdit de discriminer les travailleurs à raison du sexe, soit directement, soit indirectement (art. 3 al. 1 LEg). Cette interdiction s’applique notamment dans les rapports de travail soumis au code des obligations (art. 2 LEg) et vise entre autres la rémunération des travailleurs (art. 3 al. 2 LEg). Celui qui subit une discrimination dans la rémunération a le droit de réclamer en justice le paiement du salaire dû (art. 5 al. 1 let. d LEg), à savoir la différence entre le salaire effectivement convenu et celui que l’employeur aurait accordé sans la discrimination. Celle-ci est présumée si le travailleur qui s’en prévaut la rend vraisemblable (art. 6 LEg). Par rapport à la répartition ordinaire du fardeau de la preuve en droit civil (art. 8 CC), cette disposition facilite la preuve d’une discrimination à raison du sexe, en ce sens qu’il suffit à la partie qui l’invoque de rendre vraisemblable l’existence d’une pareille discrimination au regard d’indices objectifs. Ainsi il n’est pas nécessaire que le juge soit convaincu par les éléments apportés. Par exemple, la vraisemblance d’une discrimination salariale a été admise dans le cas d’une travailleuse dont le salaire, comparé à celui d’un collègue qui accomplissait le même travail, était inférieur de 15 à 25 %. Le cas échéant, la comparaison du salaire de la travailleuse avec la rémunération d’un seul collègue masculin exerçant la même activité suffit à rendre la discrimination vraisemblable. Une fois la discrimination salariale rendue vraisemblable, le fardeau de la preuve est renversé, il appartient dès lors à l’employeur de démontrer l’inexistence de la discrimination en apportant la preuve stricte que la différence de traitement repose sur des facteurs objectifs. Constituent de tels facteurs ceux qui peuvent influencer la valeur même du travail, comme la formation, l’ancienneté, la qualification, l’expérience, le domaine concret d’activité, les prestations effectuées, les risques encourus, le cahier des charges. Des disparités salariales peuvent également se justifier pour des motifs qui ne se rapportent pas immédiatement à l’activité en cause, mais qui découlent de préoccupations sociales, telles que les charges familiales ou l’âge. Des facteurs objectifs ne justifient généralement une différence de rémunération seulement dans la mesure où ils influent sur la prestation de travail et sa rémunération par l’employeur. Pour qu’une différence de traitement soit justifiée, il ne suffit pas que l’employeur invoque n’importe quel motif, il doit au contraire démontrer que la différence poursuit un but objectif répondant à un véritable besoin de l’entreprise, et que les mesures discriminatoires sont propres à atteindre le but recherché, sous l’angle du principe de la proportionnalité. De plus, cette éventuelle différence ne doit pas paraître inéquitable.

Dans ce type de contestations, le juge constate d’office l’ensemble des faits pertinents. Dès lors, si à l’intérieur d’une entreprise, l’équivalence des diverses fonctions n’est pas immédiatement évidente ou n’est pas établie par d’autres moyens de preuve, le juge doit ordonner les expertises nécessaires. Un refus d’ordonner une expertise demandée par une partie constitue une violation de l’art. 12 al. 2 LEg ou, dorénavant, de l’art. 247 al. 2 let. a CPC, à moins que l’expertise apparaisse d’emblée inutile parce que, par exemple, le juge dispose lui-même des connaissances scientifiques nécessaires pour élucider une éventuelle discrimination liée au sexe. Chaque partie peut en faire la demande (TF, arrêt 4A_115/2011 du 28 avril 2011, c. 5).

En l’espèce, on ne saurait se rallier à l’opinion des premiers juges selon laquelle la différence de salaire entre Madame T1 et Messieurs T2 et T3 ne serait pas suffisante pour considérer comme vraisemblable une discrimination à raison du sexe. En effet, dans l’arrêt du Tribunal fédéral précité, il a été retenu que si la valeur intrinsèque du travail confié à la travailleuse, qui se plaignait de discrimination, se révélait supérieure à celle de son collègue masculin mieux rémunéré, une différence de salaire en faveur de ce dernier, même inférieure à 10 %, serait l’indice objectif d’une discrimination (considérant 6). Le Tribunal fédéral a ajouté qu’il était donc indispensable de constater les occupations et les responsabilités des travailleurs dont on comparait les situations, puis de les évaluer si elles comportaient des différences, cette démarche nécessitant en principe une expertise. Toutefois, il n’apparaît pas que les juges de première instance disposaient des connaissances scientifiques et techniques nécessaires à une telle évaluation. On ne peut en particulier pas se convaincre sans plus ample examen du fait que, compte tenu des moyens mécaniques à leur disposition, les collègues masculins de Madame T1, qui assumaient le déchargement des camions, accomplissaient des efforts physiques plus importants que celle-ci, qui s’occupait du transport et de la ventilation des produits entre l’entrepôt et leur emplacement final. Il convient à ce sujet de souligner que le caractère pénible de la manipulation des palettes et de l’approvisionnement des rayons a été relevé par plusieurs témoins. Il ressort au surplus du témoignage de Monsieur T3 qu’il a commencé son activité en tant que magasinier, mais est par la suite, devenu vendeur et ne s’occupait plus du déchargement des camions, ce qui n’a toutefois pas engendré de diminution de salaire. Cela en raison de droit acquis selon la société E2 d’une part et car il assumait la fonction de coach et remplaçait un autre employé en tant que premier vendeur d’autre part. Néanmoins l’activité de coaching ne s’exerçait que sur une courte période de l’année. Il n’est par ailleurs pas non plus établi que les remplacements en qualité de caissière, effectués par Madame T1, qui impliquent une pénibilité physique par la répétition des gestes et un stress psychique, n’aient pas été de nature à compenser d’autres tâches exercées par ses collègues masculins. Une analyse plus fine et plus complète des tâches et responsabilités assumées par ces trois travailleurs, au cours de leur emploi au service de la société E2, ainsi qu’une évaluation des facteurs de pénibilité de leurs fonctions respectives, par le biais d’une expertise, afin d’aboutir à la détermination de la valeur intrinsèque de leur travail, apparaît indispensable.

Par décision du 31 octobre 2011, la Cour de cassation civil a cassé le jugement rendu en première instance et a renvoyé la cause aux premiers juges pour instruction complémentaire et nouveau jugement au sens des considérants.

Résumé par Virginie Mika-Panchaud, assistante diplômée à la faculté de droit et des sciences criminelles, Université de Lausanne, IDAT, sous la supervision du Prof. Rémy Wyler.

GE 02.03.2012
licenciement abusif

sujet

Réengagement provisoire

LEg

art 10

procédure

02.03.2012 : Décision sur requête de mesures provisionnelles du Tribunal des prud’hommes.

résumé

Le cumul d’actions n’est pas admissible lorsque celles-ci ne relèvent pas de la même procédure. Dès lors l’ensemble de la demande est déclaré irrecevable.

en fait

Par demande introduite le 31 janvier 2012, Madame T a demandé l’annulation de son licenciement et paiement avec réengagement sur mesures provisoires. Elle a conclu notamment, d’une part, sur mesures provisoires, à la réintégration provisoire immédiate à son poste de travail et à la constatation que le contrat de travail se poursuive aux mêmes conditions, et d’autre part au fond, à la constatation qu’elle a été victime de harcèlement sexuel, à l’annulation de la résiliation du contrat de travail, à la constatation que le contrat de travail se poursuive aux mêmes conditions et à la condamnation de son employeur au paiement de CHF 88’373.- en capital, avec intérêts moratoires.

en droit

Le Tribunal des prud’hommes statue sur les mesures provisionnelles.

En vertu de l’art. 10 al. 3 deuxième phrase LEg, le juge peut ordonner le réengagement provisoire du travailleur pour la durée de la procédure lorsqu’il paraît vraisemblable que les conditions d’une annulation du congé sont remplies. Selon la doctrine, le réengagement provisoire doit être ordonné dans le cadre de mesures provisionnelles.

Madame T a pris des conclusions au fond soumises à la procédure simplifiée et des conclusions sur mesures provisionnelles soumises à la procédure sommaire. Ce procédé n’étant pas admissible en procédure civile suisse, le Tribunal a déclaré irrecevable sa demande.

Résumé par Virginie Mika-Panchaud, assistante diplômée à la faculté de droit et des sciences criminelles, Université de Lausanne, IDAT, sous la supervision du Prof. Rémy Wyler.

NE 14.06.2012
licenciement discriminatoire
licenciement abusif

sujet

Licenciement abusif en l’absence d’une discrimination fondée sur le sexe.

LEg

art 3, art 5, art 6, art 10

CO

art. 328, art. 336

procédure

29.09.2011 : Jugement du Tribunal civil du Littoral et du Val-de-Travers ; 14.06.2012 : Jugement du Tribunal cantonal.

résumé

Le licenciement notifié à une travailleuse, après 20 ans de bons et loyaux services, sans avertissement préalable et de surcroît dans la semaine où elle reprenait le travail après son congé de maternité, est abusif (art. 336-336a CO). La travailleuse n’est en revanche pas parvenue à rendre vraisembable le caractère discriminatoire du licenciement (art. 3 LEg), ni qu’il s’agissait d’un congé représailles au sens de l’art. 10 LEg.

en fait

Madame T, née en 1968, a travaillé pour le compte de l’entreprise E SA, depuis le 1er octobre 1988. Occupée à 100 % dans un premier temps, elle a requis et obtenu, suite à la naissance de son premier enfant, une réduction de son taux d’activité à 80 % à compter du 1er janvier 2007. Au début de l’année 2009, en raison d’une réorganisation stratégique des activités de l’entreprise, E SA a proposé à Madame T un changement partiel de poste ; tout d’abord opposée à cette idée, Madame T a fini par l’accepter, après qu’une résiliation de son contrat sous réserve de modification lui avait été signifiée. A la suite de cette réorganisation, Madame T a eu pour supérieur direct Monsieur J, membre de la direction et responsable de site. En 2010, à nouveau enceinte, Madame T a bénéficié d’un congé de maternité, complété de vacances et heures supplémentaires à compenser. Ayant accouché le 29 juin 2010, Madame T devait reprendre son travail en janvier 2011. E. SA a en outre accepté la demande de Madame T de réduire son taux d’activité, consécutivement à cette deuxième naissance, à 60 % dès le 1er janvier 2011.

Les entretiens d’évaluation de fin d’année concernant Madame T, des années 2004 à 2008, ont été bons, tout comme deux certificats de travail intermédiaires établis en 2005 et 2008. Faute de temps et de possibilité d’accorder d’éventuelles augmentations de salaire en lien avec les prestations des collaborateurs de l’entreprise, Monsieur J n’a conduit aucun entretien d’évaluation avec ses subordonnés à fin 2009. Sur demande de Madame T, un entretien d’évaluation portant sur les années 2009 et 2010 a toutefois eu lieu le 25 novembre 2010. N’ayant mis en présence que Monsieur J et Madame T comme le prévoyait l’usage, il ne s’est pas bien déroulé, les deux participants divergeant sur différents points s’agissant de l’appréciation de la qualité des prestations de Madame T. L’entretien a été interrompu à la demande de Madame T et a repris le 6 décembre 2010 en présence d’une tierce personne, Monsieur R, le responsable des ressources humaines de E SA. Ce second entretien ne s’est pas mieux déroulé que le premier et a tourné court.

Par lettre du 14 janvier 2011, E SA a notifié à Madame T son congé pour le 30 avril 2011, au motif qu’elle n’acceptait pas ou très mal les décisions que l’employeur avait prises découlant de l’évolution du marché, que la discussion portant sur son évaluation annuelle 2010 avait été peu constructive et que, dans ces conditions, il était devenu impossible de poursuivre les relations de travail. Pour fonctionner de manière optimale, E SA devait en effet pouvoir compter sur du personnel coopératif, positif et ne remettant pas sans cesse en cause l’organisation du travail.

Par pli postal du 28 février 2011, invoquant les art. 336 CO et 10 LEg, Madame T s’est opposée à son licenciement, en vain, la société E SA insistant sur le fait que son manque de flexibilité patent et persistant depuis la réorganisation de ses tâches était l’unique motif de son renvoi.

Par demande du 17 mai 2011, après une tentative de conciliation s’étant soldée par un échec, Madame T a saisi le Tribunal civil du Littoral et du Val-de-Travers d’une demande dirigée contre la société E SA. Comme conclusion au principal, elle demandait l’annulation de la résiliation de son contrat intervenue le 11 janvier 2011 et son réengagement provisoire ; à titre de conclusions subsidiaires, elle requérait la condamnation de E SA à lui verser la somme de CHF 31’344.- plus intérêts et à lui remettre un certificat de travail. Madame T alléguait que la résiliation des rapports de travail était la conséquence, à un degré de vraisemblance très convaincante, de sa demande de réduction de son temps de travail suite à sa deuxième grossesse ; les mauvais résultats de l’entretien d’évaluation 2009 – 2010, en contradiction avec ceux des années précédentes, démontraient qu’elle était en outre victime de discrimination salariale (une bonne évaluation devant normalement déboucher sur une augmentation de salaire) elle aussi liée à sa maternité puisque la mauvaise évaluation était la conséquence de son taux d’activité réduit. A supposer qu’une violation de la LEg ne puisse être retenue, elle demandait à ce que le licenciement soit considéré comme abusif, au sens de l’art. 336 CO, celui-ci étant intervenu dans des circonstances pour le moins douteuses et mettant un terme à plus de 20 ans de fidèles et loyaux services à son employeur.

La société E SA a conclu au rejet de la demande de Madame T, indiquant que le licenciement de cette dernière avait pour seul et unique motif les difficultés nées de sa résistance au changement suite à la réorganisation de l’entreprise et, partant, qu’il n’avait été donné ni de manière à enfreindre les dispositions visant à promouvoir l’égalité entre femmes et hommes ni de façon abusive.

Par jugement du 29 septembre 2011, le Tribunal civil du Littoral et du Val-de-Travers a rejeté la demande de Madame T, estimant que l’annulation du congé, au sens de l’art. 10 LEg, n’entrait pas en ligne de compte, dès lors qu’il n’était pas établi que celui-ci avait été donné à titre de représailles, après que Madame T aurait fait valoir des doléances dénonçant une situation discriminatoire. Le Tribunal a également retenu que le licenciement de Madame T n’était pas la conséquence de la réduction de son taux d’activité et ne pouvait dès lors être considéré comme fondé sur des motifs discriminatoires liés à sa maternité ; la cause du licenciement résidait dans le fait que Madame T avait mal accepté la réorganisation de son activité, ce qui s’était traduit par des tensions entre elle et la direction. En définitive, si Madame T n’avait pas fait preuve d’irrespect et d’absence de collaboration lors de l’entretien d’évaluation de fin 2010, il est certain que son contrat n’aurait pas été résilié. Les motifs du congé étaient donc justifiés au sens de l’art. 10 LEg, quand bien même il eut été préférable de donner un avertissement à Madame T. La conclusion visant au réengagement provisoire devait donc être rejetée, tout comme la conclusion subsidiaire tendant au versement d’une indemnité pour licenciement abusif, les faits retenus par le tribunal empêchant de considérer qu’une des causes prévues par l’art. 336 al. 1 lit. a ou d CO soit réalisée en l’espèce (congé donné pour une raison inhérente à la personnalité de l’autre partie, respectivement donné parce que l’autre partie avait fait valoir de bonne foi des prétentions découlant du contrat de travail). Enfin, la conclusion de Madame T portant sur la délivrance d’un certificat de travail paraissait avoir été satisfaite.

Madame T a appelé de ce jugement devant la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal. Reprenant les conclusions de sa demande (l’annulation du congé et sa réintégration provisoire dans l’entreprise, subsidiairement la condamnation de E SA à lui verser CHF 31’344.- plus intérêts et à lui remettre un certificat de travail), elle reprochait au premier juge d’avoir enfreint les règles sur le fardeau de la preuve découlant de l’art. 6 LEg, soit d’avoir constaté les faits de manière inexacte en se fondant quasi exclusivement et sans le recul indispensable sur le seul témoignage de Monsieur J, son supérieur direct et, partant, la personne la plus intéressée à son licenciement. Madame T désirait obtenir la constatation que le licenciement litigieux enfreint les dispositions de la LEg dès lors que, appliqué correctement, l’art. 6 LEg devait selon elle conduire à retenir l’existence d’une discrimination fondée sur le sexe. A titre subsidiaire, Madame T soutenait que le congé était clairement constitutif d’un abus de droit.

Réfutant l’argumentation de Madame T, la société E SA a conclu au rejet de l’appel.

en droit

Après avoir déclaré la conclusion de Madame T portant sur la délivrance d’un certificat de travail irrecevable, la Cour d’appel civile a examiné, l’une après l’autre, les conclusions de Madame T.

A) La requête de réengagement provisoire

Pour pouvoir se prévaloir de l’annulation de la résiliation de son contrat de travail et si possible obtenir un réengagement provisoire pour la durée de la procédure, dans le contexte d’un congé dit de rétorsion (congé représailles), le travailleur doit saisir le tribunal dans le délai de congé ; en pareille hypothèse, le juge peut alors ordonner le réengagement provisoire du travailleur lorsqu’il paraît vraisemblable que les conditions d’une annulation du congé sont remplies (art. 10 al. 1 et 3 LEg).

En l’espèce, le congé a été donné le 14 janvier 2011 pour le 30 avril 2011. La procédure ayant débuté le 5 avril 2011 par une requête de conciliation, Madame T a satisfait aux conditions formelles dont dépendaient ses conclusions principales.

Le Tribunal considère cependant que la conclusion de Madame T concernant son réengagement provisoire doit être tenue pour irrecevable. En premier lieu, Madame T n’a pas requis du juge saisi qu’il se prononce, à titre provisoire et préalablement à tout jugement sur le fond, sur sa requête de réintégration provisoire, dans le cadre de mesures provisionnelles comme pareille conclusion le demandait, le réengagement provisoire devant intervenir « pour la durée de la procédure » (art. 10 al. 2 2e phrase LEg). Ensuite, prononcer un réengagement provisoire en même temps que la décision au fond de première instance n’aurait pas de sens et serait encore plus absurde au moment du prononcé de deuxième instance, intervenant plus d’une année après la fin des rapports de travail. Finalement, pour qu’il puisse ouvrir un droit au salaire, le réengagement provisoire supposerait que Madame T se soit tenue à disposition de E SA et ait offert ses services pour la durée de la procédure. Dès lors que rien au dossier n’indique que tel aurait été le cas et sur le vu de l’ensemble des circonstances en l’espèce, le Tribunal considère que Madame T a, en ne faisant à aucun moment de la procédure état de sa disponibilité, fait usage de son droit de renoncer à poursuivre les rapports de travail et de demander une indemnité au sens de l’art. 336a CO en lieu et place de l’annulation du congé, comme le prévoit l’art. 10 al. 4 LEg. Partant, sa première conclusion principale est, par l’écoulement du temps et l’absence de toute offre de service de sa part, devenue sans objet.

B) L’indemnité à titre de licenciement représailles (art. 10 al. 4 LEg), discriminatoire (art. 5 al. 4 LEg) ou abusif (art. 336a CO)

Madame T conclut à la condamnation de E SA à lui verser CHF 31’344.- plus intérêts à titre d’indemnité pour la résiliation de son contrat de travail, qui pourrait être fondée alternativement sur l’art. 10 al. 4 LEg (congé représailles), l’art. 5 al. 4 LEg (congé discriminatoire) ou encore l’art. 336 CO (résiliation abusive).

Madame T ayant fait opposition par écrit au congé dans le délai de résiliation, saisi la justice dans les 180 jours suivant la fin des rapports de travail et, partant, satisfait aux incombances découlant de l’art. 336b CO, disposition applicable soit directement, soit par renvoi de la LEg (art. 9 LEg), la Cour d’appel propose d’examiner successivement les trois hypothèses.

1. L’indemnité à titre de licenciement représailles (art. 10 al. 4 LEg)

Conformément à l’art. 10 al. 1 LEg, la résiliation du contrat de travail est annulable lorsqu’elle ne repose pas sur un motif justifié et qu’elle fait suite à une réclamation adressée par le travailleur à son supérieur ou à un autre organe compétent au sein de l’entreprise, à l’ouverture d’une procédure de conciliation ou à l’introduction d’une action en justice (art. 10 al. 1 LEg).

L’article 6 LEg, qui consacre l’allègement du fardeau de la preuve, dispose qu’en particulier dans le contexte d’une résiliation des rapports de travail, l’existence d’une discrimination est présumée pour autant que la personne qui s’en prévaut la rende vraisemblable. Il suffit ainsi au travailleur de rendre vraisemblable l’existence d’une discrimination pour engendrer un renversement du fardeau de la preuve, l’employeur devant alors démontrer l’inexistence de la discrimination, en rapportant la preuve stricte que la différence de traitement repose sur des facteurs objectifs. Si l’employeur échoue dans cette preuve, le fardeau de la preuve étant à sa charge, il succombera. Pour que la vraisemblance de la discrimination soit admise, le juge n’a pas à être convaincu du bien-fondé des arguments du travailleur ; il doit simplement disposer d’indices objectifs suffisants pour que les faits allégués présentent une certaine vraisemblance, sans devoir exclure qu’il puisse en aller différemment. S’il peut être difficile de distinguer la vraisemblance de la discrimination de sa seule allégation, il n’est pas nécessaire, pour admettre la vraisemblance de la discrimination, que la discrimination apparaisse comme plus vraisemblable que la non-discrimination. Le degré de certitude que la discrimination s’est produite peut ainsi descendre en dessous de 50% et un degré de 25% pourrait suffire pour admettre la vraisemblance de la discrimination.

Le Tribunal a, en l’espèce, considéré que Madame T n’est pas parvenue à apporter, au degré de vraisemblance exigé et au-delà de la simple allégation, des éléments de fait suffisants attestant qu’elle se serait plainte de mesures discriminatoires de son employeur à son égard, lors des entretiens d’évaluation de novembre et décembre 2010, et que le congé signifié le 14 janvier 2011 intervenait en réponse, en forme de représailles, à ses prétendues doléances. En conséquence, Madame T ne doit pas être mise au bénéfice de l’art. 6 LEg, disposition permettant de renverser le fardeau de la preuve si le travailleur parvient à rendre vraisemblable la discrimination qu’il allègue. La conclusion de Madame T en paiement d’une indemnité à titre de licenciement représailles au sens de l’art. 10 al. 4 LEg doit dès lors être rejetée.


2. L’indemnité à titre de licenciement discriminatoire (art. 5 al. 4 LEg)

L’art. 3 al. 1 LEg interdit la discrimination des travailleurs à raison du sexe, soit directement, soit indirectement, notamment en se fondant sur leur état civil ou leur situation familiale ou, s’agissant de femmes, leur grossesse. Lorsque la discrimination porte sur la résiliation de rapports de travail régis par le code des obligations, la personne lésée ne peut prétendre qu’au versement d’une indemnité de l’employeur (art. 5 al. 2 LEg), qui peut aller jusqu’à six mois de salaire (art. 5 al. 4 in fine LEg).

En l’espèce, le Tribunal retient que le congé notifié à Madame T n’a pas été motivé par le fait qu’elle était une mère et avait demandé une réduction à 60 % de son temps de travail à la suite de la naissance de son deuxième enfant ; partant, il ne saurait être qualifié de licenciement discriminatoire au sens de l’art. 5 al. 2 LEg. En effet, c’est en date du 1er juin 2010 déjà, soit encore avant la naissance du deuxième enfant de Madame T, que l’employeur a donné son accord à la réduction d’horaire que demandait cette dernière, sans que cela ne touche en rien ses attributions ni son statut au sein du personnel de l’entreprise, seul son salaire devant être réduit en proportion. De surcroît, il n’apparaît pas que cette question ait été ne serait-ce qu’abordée lors des deux entretiens d’évaluation de fin 2010, ceux-ci s’étant mal déroulés essentiellement en raison des divergences de vue de Monsieur J et de Madame T sur les qualificatifs qu’il convenait d’attribuer aux prestations de la seconde. Dans ce contexte non plus, Madame T n’est pas parvenue à rendre vraisemblable (art. 6 LEg) qu’elle aurait été victime d’une attitude discriminatoire de la part de son employeur, qui aurait décidé de se séparer d’elle parce que, mère de deux enfants, elle ne travaillerait désormais plus qu’à 60 %. Le manque de souplesse de Madame T, face tout d’abord à la modification de son cahier des charges résultant de la réorganisation stratégique des activités de E SA, puis lors des entretiens d’évaluation où elle a prétendu imposer ses vues à son supérieur (insistant sur l’absurdité de son appréciation et se montrant incapable de discuter raisonnablement avec lui les différences d’appréciation qui avaient surgi), qui a été avancé comme motif du congé, apparaît comme la cause réelle du licenciement, et non pas comme un motif apparent ou fictif visant à dissimuler des desseins inavouables de l’employeur. La prétention de Madame T en paiement d’une indemnité fondée à titre de licenciement discriminatoire (art. 5 al. 4 LEg) est ainsi infondée.

3. L’indemnité à titre de licenciement abusif (art. 336a CO)

Le Tribunal rappelle, qu’à teneur de l’art. 335 al. 1 CO, le contrat de travail de durée indéterminée peut être résilié par chacune des parties. En droit suisse du travail, la liberté de la résiliation prévaut, de sorte que, pour être valable, un congé n’a en principe pas besoin de reposer sur un motif. La liberté des parties de mettre fin unilatéralement et en tout temps au contrat de travail trouve cependant sa limite dans les dispositions sur le congé abusif (art. 336 ss CO). L’art. 336 al. 1 et 2 CO contient une liste non exhaustive de cas dans lesquels la résiliation est abusive. Une résiliation abusive peut aussi être admise dans d’autres circonstances, dans la mesure où il s’agit de situations comparables, par leur gravité, aux cas expressément énumérés par l’art. 336 CO.

Une violation grossière du contrat, notamment une atteinte grave à la personnalité du travailleur dans le cadre d’une résiliation, peut rendre celle-ci abusive. Il faut considérer en particulier qu’en vertu de l’art. 328 CO, l’employeur a l’obligation de respecter et de protéger les droits de la personnalité de son employé. Il doit s’abstenir de toute atteinte aux droits de la personnalité qui n’est pas justifiée par le contrat et doit également les protéger contre des atteintes de la part de supérieurs, de collègues ou de tiers. Cette obligation est le corollaire du devoir de fidélité de l’employé. Le Tribunal fédéral en a déduit qu’un licenciement n’est pas abusif lorsque le caractère difficile d’un employé a contribué à créer une situation conflictuelle sur le lieu de travail qui se répercute négativement sur le travail en commun et lorsque l’employeur a pris auparavant toutes les mesures que l’on pouvait attendre de lui pour désamorcer le conflit. Si l’employeur ne s’est pas soucié de résoudre le conflit, ou ne l’a fait qu’insuffisamment, il n’a pas satisfait à son devoir de protection et le licenciement doit dès lors être tenu pour abusif (ATF 132 III 115, c. 2.2 et les références citées).

En s’en tenant aux situations envisagées par l’art. 336 al. 1 lit. a et d CO (congé donné pour une cause inhérente à la personnalité de l’autre partie, respectivement notifié parce que l’autre partie fait valoir de bonne foi des prétentions résultant du contrat de travail), le premier juge a, pour nier le caractère abusif du congé notifié à Madame T, trop limité le champ de son examen et l’étendue de son pouvoir d’appréciation, faisant ainsi une fausse application, parce que trop restreinte, de l’art. 336 CO.

En l’occurrence, il convient d’observer que Madame T a travaillé à l’entière satisfaction de E SA durant plus de 20 ans. Jusqu’à l’automne 2010, les entretiens annuels d’évaluation avaient donné des résultats plus que positifs et deux certificats de travail intermédiaires élogieux avaient été remis en 2005 et 2008 à Madame T. Sous réserve des événements de fin 2010, l’instruction n’a révélé aucun point qui aurait été défavorable à Madame T, relativement à son comportement au travail : personne certes décidée au caractère bien trempé, elle ne s’est pas pour autant retrouvée mêlée à des conflits ou à des difficultés de travail dont on aurait pu la rendre responsable et ses compétences professionnelles ont été soulignées et certainement appréciées par son employeur. Des difficultés ont toutefois surgi dans le courant de l’année 2009, lorsqu’on lui a demandé de changer à la fois d’activité et de supérieur hiérarchique. Des tensions et des frictions entre elle et son nouveau supérieur, Monsieur J, sont alors apparues. Leurs rapports directs sont cependant restés, à ce qu’il semble, relativement distendus. Elle n’a pas travaillé durant le deuxième semestre de l’année 2010 et c’est à la fin de l’année, à l’occasion d’un entretien d’évaluation, que le climat entre elle et Monsieur J, s’est clairement détérioré. Il convient cependant de ne pas surestimer l’importance de ces entretiens d’évaluation : ils n’avaient pas d’influence directe sur l’organisation du travail, que Madame T devait reprendre quelques semaines plus tard, soit après le 7 janvier 2011 ; ils étaient censés apprécier le travail accompli en 2009 (année de transition) et le premier semestre de l’année 2010, après plusieurs mois d’interruption de travail. Le manque de souplesse reproché à Madame T, le manque de dialogue ou même l’incompréhension qui se sont installés à l’occasion de ces entretiens entre elle et Monsieur J ne pouvaient suffire à ruiner plus de vingt années de bonne et fructueuse collaboration, ni permettre de supposer que Madame T ne saurait pas à l’avenir tirer les enseignements d’une mise au point, qui s’imposait vraisemblablement ; il est vrai, en effet, que qualifier avec insistance d’absurde la position défendue par un supérieur et prétendre lui imposer la sienne n’était pas une attitude qui pourrait présider à l’avenir et à long terme aux rapports de l’appelante avec son supérieur. En outre, le licenciement de Madame T est intervenu le dernier jour de la première semaine de reprise de travail, après un congé de plus de six mois, l’employeur sachant qu’elle était mère d’une aînée et d’un nourrisson de moins d’une année. Dès lors qu’il ne pouvait véritablement avoir pour unique cause le comportement – certes critiquable – que Madame T avait adopté lors des deux derniers entretiens d’évaluation (le manque de souplesse de l’appelante lors du changement d’orientation de l’entreprise étant de l’histoire ancienne car remontant à largement plus d’une année), il sied de retenir que le congé a été donné dans ces circonstances de manière brutale et sans ménagement, au mépris du respect des droits de la personnalité de Madame T à laquelle il n’a même pas été offert l’occasion de faire amende honorable. Au vu des circonstances, une mise en garde ou un avertissement écrit aurait été à la fois nécessaire et suffisant pour sanctionner le comportement adopté par Madame T lors des derniers entretiens d’évaluation, avant de procéder à un licenciement irrémédiable. Un avertissement, et non pas un licenciement, s’imposait si l’employeur voulait satisfaire à son obligation de prendre préalablement les mesures nécessaires pour désamorcer un conflit naissant. En l’espèce, il apparaît que E SA n’a aucunement agi de telle sorte : restée sur la mauvaise impression que lui avaient laissée les deux discussions avortées de fin 2010, elle s’est bornée à convoquer Madame T quelques jours après sa reprise du travail pour lui signifier son congé.

Pour les motifs exposés ci-dessus, le Tribunal considère que Madame T a bien été victime d’une résiliation abusive. L’octroi d’une indemnité au sens de l’art. 336a CO est dès lors justifié. Cette indemnité, qui a une double finalité, punitive et réparatrice, est due même si le travailleur ne subit aucun dommage ; il ne s’agit pas de dommages-intérêts au sens classique, mais d’une indemnité sui generis, qui s’apparente à une peine conventionnelle. Ainsi, parmi les circonstances déterminantes, il faut non seulement ranger la faute de l’employeur, mais également d’autres éléments tels que la durée des rapports de travail, l’âge du lésé, sa situation sociale et les effets économiques du licenciement (ATF 135 III 405, c. 3.1; ATF 123 III 391).

Au vu de l’ensemble des circonstances (Madame T a passé plus de vingt ans au service de E SA en lui ayant donné entière satisfaction ; bien que les relations entre elle et son supérieur direct se soient ternies et tendues à partir de 2009, elles ne présentaient toutefois pas un degré de détérioration tel qu’il aurait eu des conséquences immédiates sur la marche du travail, les contacts directs entre les deux protagonistes étant assez peu fréquents ; le différend entre Madame T et son supérieur n’a porté que sur la manière d’apprécier, de façon théorique et abstraite, hors d’une activité concrète, la qualité des prestations de la première ; Madame T était âgée d’un peu plus de 40 ans, mère de deux enfants en bas âge ; E SA n’a pas donné d’avertissement à Madame T ;  etc.), la Cour condamne E SA à verser une indemnité de cinq mois de salaire à Madame T, calculée sur la base du salaire qu’elle percevait pour une activité exercée à 60 %, dès le 1er janvier 2011 (soit une indemnité de CHF 19’600.- net, avec intérêts à 5 % l’an dès le 19 mai 2011).

C) La répartition des frais de procédure

Après avoir rappelé que, pour les demandes fondées principalement sur la LEg, la procédure (tant en première ou qu’en deuxième instance) est gratuite, indépendamment de la valeur litigieuse (art. 114 lit. a CPC), la Cour d’appel indique que dans le cas d’espèce, il s’avère que seules les dispositions en matière de contrat de travail sont applicables et que dès lors, la gratuité de la procédure n’est garantie que pour une valeur litigieuse n’excédant pas CHF 30’000.- (art. 114 lit. c CPC). Les conclusions de Madame T portant sur un montant supérieur à CHF 31’000.-, il y a lieu de prévoir des frais judiciaires pour la procédure devant la présente Cour ; ceux-ci ont été arrêtés à CHF 1’200.-

Madame T succombe dans la mesure où elle invoquait la LEg (pour laquelle la procédure est gratuite) mais l’emporte sur le principe du caractère abusif de la résiliation, cependant pour un montant inférieur à ses prétentions. Il se justifie dans ces conditions de répartir les frais de la procédure à raison des trois quarts à la charge de E SA et du quart restant à la charge de Madame T, cette dernière ayant également droit à une indemnité de dépens, réduite après compensation.

 

Résumé par Stéphanie Perrenoud, assistante diplômée à la faculté de droit et des sciences criminelles, Université de Lausanne, IDAT, sous la supervision du Prof. Rémy Wyler.

VD 27.09.2006
licenciement discriminatoire

sujet

Caractère discriminatoire d’un licenciement notifié suite à l’annonce de la grossesse, pour la fin du temps d’essai

LEg

art 3, art 5

procédure

27.09.2006 Jugement du Tribunal de Prud’hommes (VD)

résumé

Une employée, partie à un contrat de mission, a été licenciée deux jours après qu’elle a annoncé sa grossesse à son employeur, une entreprise bailleresse de services, pour la fin de sa période probatoire de trois mois. La proximité dans le temps entre l’annonce de la grossesse et le licenciement constitue une indication évidente du lien de causalité entre les deux événements et, partant, du caractère discriminatoire du congé. Le fait que l’employeur ait imposé à l’employée un délai de congé plus long que les deux jours de préavis légaux (art. 19 LSE), confirme également que la véritable cause du licenciement ne réside pas dans une réelle insatisfaction quant à la prestation de travail de l’employée.

en fait

Madame T a signé un contrat-cadre de travail avec E SA, une entreprise bailleresse de services. En date du 26 janvier 2005, les parties ont conclu un contrat de mission prévoyant que Madame T effectuerait un « remplacement maternité » dès le 31 janvier 2005, pour un salaire horaire de CHF 25.- brut, vacances incluses. Le contrat de mission prévoyait ce qui suit : « Cette mission débute à la date ci-dessus pour une durée de trois mois. Pendant cette période, le contrat de travail peut être résilié par les deux parties en observant un délai de congé d’au moins deux jours (art. 19 LSE). Si la mission se poursuit au-delà, le contrat sera alors considéré comme prolongé pour une durée indéterminée. ».

Madame T a débuté le remplacement comme prévu. Il s’agissait d’effectuer le travail d’une employée en congé de maternité, comme le confirment la majorité des témoins entendus.

Madame T s’est adressée à E SA durant sa mission en rapport avec la situation sur le lieu de travail. Selon les dires de plusieurs témoins, en effet, à cause du supérieur hiérarchique (depuis lors licencié), la situation était tendue sur le lieu de travail et il y avait des tensions avec tout le monde ; cette situation était particulièrement pénible pour les temporaires. Au mois de mars 2005, la situation était telle que Madame T envisageait de changer de mission, ce dont E SA l’aurait dissuadée, compte tenu de la durée prévue du remplacement, jusqu’en juin ou juillet 2005. Différents témoins ont indiqué que malgré l’ambiance tendue qui règnait sur le lieu de travail, Madame T souhaitait rester et poursuivre sa mission.

Durant son remplacement, Madame T est tombée enceinte. En avril 2005, elle l’a annoncé par téléphone à Madame L, conseillère auprès de E SA, en charge du dossier de Madame T. Madame L affirme alors avoir réagi comme suit : « je lui ai dit que j’allais voir comment la situation allait évoluer avec le client. J’ai appelé mes collègues de Vevey qui ont pris contact avec le client et qui a demandé de mettre un terme à la mission pour la fin du mois courant ». Selon Madame T, c’est le 13 avril 2005 qu’elle a annoncé sa grossesse tant à Madame L qu’à son supérieur sur le lieu de travail, son accouchement étant prévu pour le 1er octobre 2005.

Deux jours plus tard, Madame L a rappelé Madame T pour l’informer que sa mission prendrait fin pour le 29 avril 2005, ce qui lui a été confirmé par courrier du 15 avril 2005. Un certificat de travail, daté du 25 avril 2005, a été délivré à Madame T ; le contenu de celui-ci était très positif.

Par courrier du 26 avril 2005, Madame T a fait opposition à son licenciement. Dans sa lettre, elle a exposé chronologiquement le déroulement de sa mission ainsi que la teneur des entretiens qu’elle a eu tant avec les représentants de E SA que sur son lieu de travail. Elle déclare notamment ce qui suit : « Je considère donc ce licenciement comme discriminatoire car la rupture du contrat est intervenue comme conséquence directe et évidente à l’annonce de ma grossesse. Je m’oppose donc à ce licenciement. Je conteste ce licenciement non pas sur la base de mon contrat et de son annexe mais sur la base de la Loi sur le Travail d’une part, et de la loi sur l’égalité de l’autre. (…) La mission temporaire n’est donc absolument pas terminée, elle se poursuit simplement avec une autre personne, et je suis remplacée pour cette mission parce que je suis enceinte. (…) J’attire votre attention sur mon opposition à cette fin de mission temporaire et me tiens à votre disposition pour un éventuel placement, qu’il s’agisse du prolongement de la mission susmentionnée ou de toute autre qui s’effectuerait aux mêmes conditions. »

Diverses correspondances ont encore été échangées par la suite.

Durant son activité, Madame T a réalisé un revenu brut total de CHF 12’133.75, pour la période allant du 31 janvier au 18 avril 2005, selon les indications figurant sur le décompte de gain intermédiaire rempli par E SA ; toutefois, la période d’engagement s’est étendue jusqu’à la fin du mois d’avril 2005. Le salaire mensuel net moyen de Madame T s’élevait donc à CHF 4’138.50.

Dès le mois de mai 2005, Madame T a été inscrite au chômage et a bénéficié d’indemnités à hauteur de CHF 1’578.85 net pour mai, de CHF 2’043.25 net pour juin et de CHF 1’950.35 net pour juillet 2005.

Par requête du 12 avril 2006 parvenue au greffe le lendemain, Madame T a conclu à la condamnation de E SA à lui verser un montant de CHF 6’843.15 avec intérêts à 5 % l’an dès le 30 avril 2005, plus cotisations sociales. Elle requérait également l’allocation d’une indemnité de CHF 5’000.- avec intérêts à 5 % l’an dès le 30 avril 2005.

Par procédé écrit du 2 mai 2006 parvenu au greffe le 4 mai 2006, E SA a conclu au rejet des conclusions de Madame T.

L’audience de conciliation a eu lieu le 20 juin 2006, sans qu’un accord entre parties ne puisse être trouvé. L’affaire a donc été portée devant le Tribunal de Prud’hommes de l’arrondissement de Lausanne.

en droit

Le Tribunal commence par indiquer que malgré la nature juridique apparemment ambiguë du contrat de mission conclu, le 26 janvier 2005, entre Madame T et E SA (d’une part, la mission prévue était limitée dans le temps, sans que sa durée exacte soit connue d’avance, compte tenu que la mission portait sur le remplacement d’une personne en congé de maternité ; d’autre part, la durée fixée sur le contrat était de trois mois, à l’issue desquels la mission devait être prolongée pour une durée indéterminée), il sied de considérer qu’il s’agit d’un contrat de durée indéterminée, compte tenu que les parties ont convenu d’un délai de congé de deux jours durant les trois premiers mois, en application de l’art. 19 LSE. Les trois premiers mois du contrat constituent ainsi un temps d’essai, durant lequel les parties peuvent résilier le contrat dans le délai légal.

Le Tribunal rappelle ensuite que compte tenu que la protection contre le licenciement en temps inopportun (art. 336c CO) ne prend effet qu’à l’issue du temps d’essai, Madame T, même si elle était enceinte au moment où son congé lui a été notifié, ne saurait se prévaloir de la protection conférée aux femmes enceintes par cette disposition.

N’ayant pu déterminer qui, de E SA ou de son client, a décidé du licenciement de Madame T (chacun rejetant sur l’autre la responsabilité de la décision, selon les témoignages entendus), le Tribunal considère toutefois que cette question est secondaire étant donné que l’employeur responsable reste malgré tout E SA, l’entreprise bailleresse de services.

Le Tribunal aborde la question du caractère discriminatoire du licenciement de Madame T. Selon l’art. 3 al. 1 LEg, toute discrimination, notamment en raison de la grossesse, est expressément interdite. Cette interdiction s’applique notamment à l’embauche, à l’attribution des tâches, à l’aménagement des conditions de travail, à la rémunération, à la formation et au perfectionnement professionnels, à la promotion et à la résiliation des rapports de travail (art. 3 al. 2 LEg).

Il semble clair, en l’espèce, que la décision de licencier Madame T a été prise en raison de la grossesse de celle-ci, comme l’ont déclaré deux ex-collègues de Madame T. Le conseil de E SA a du reste lui-même rédigé un allégué dans ce sens dans sa procédure, ce qui constitue une reconnaissance expresse des raisons du licenciement de Madame T. Les seuls témoins à affirmer l’inverse étant des employés de E SA, la valeur probante de leurs déclarations sur ce point ne peut être que limitée. De plus, la mission initialement confiée à Madame T a duré jusqu’au 30 juin 2005, soit encore deux mois après son licenciement. Alors en début de grossesse au moment des faits, Madame T aurait parfaitement pu mener à bien sa mission, d’autant plus qu’il s’agissait de tâches administratives parfaitement compatibles avec son état. D’autre part, il n’a pas été établi que Madame T ne donnait pas satisfaction, ses collègues ainsi que sa remplaçante n’ayant rien constaté de ce genre. De même, le certificat de travail établi par E SA était très positif. Il apparaît de manière flagrante que Madame T a été licenciée en raison de sa grossesse avant l’issue du temps d’essai, ce qui permettait d’éviter qu’elle ne tombe sous la protection de l’art. 336c CO. Ce point est encore confirmé par le fait que le délai de congé imposé par E SA ait été plus long que les deux jours prévus. En effet, s’il s’agissait d’une réelle insatisfaction quant au travail de Madame T, tant E SA que son client se seraient empressés de mettre fin au contrat au plus vite, soit en deux jours. Dans le cas présent, au contraire, Madame T a été employée jusqu’à l’issue du délai de trois mois représentant la période d’essai.

La proximité dans le temps entre l’annonce par Madame T de sa grossesse et son licenciement, de deux jours, constitue une indication évidente du lien entre les deux événements et, partant, du caractère discriminatoire du licenciement notifié à Madame T (art. 3 LEg). L’ensemble du contexte permet au demeurant d’exclure qu’il puisse s’agir d’une coïncidence.

En l’espèce, aucune raison justifiant le licenciement de Madame T n’est ressortie de l’instruction, alors que plusieurs témoignages tendent à confirmer que c’est en raison de sa grossesse que Madame T n’a pu effectuer le remplacement prévu jusqu’au bout. De plus, le Tribunal observe que E SA ne lui a pas proposé d’autre poste pour les mois suivants.

Le Tribunal examine finalement le droit de Madame T a une indemnité fondée sur l’art. 5 al. 5 LEg. Il constate qu’en l’espèce, Madame T a subi un préjudice, en ce sens que ses revenus en mai et juin 2005 ont été considérablement inférieurs à ses revenus moyens des mois précédents. La différence s’élève au total à CHF 4’654.96 net (soit 2 x le salaire moyen de Madame T, fixé à CHF 4’138.53), montant dont il faut déduire CHF 1’578.85 et CHF 2’043.25 (soit les indemnités de chômages perçues par Madame T pour la période où la mission a effectivement duré). Pour le surplus, Madame T a été pénalisée par le fait que les deux mois qu’elle n’a pu effectuer ne sont pas entrés dans le calcul de la caisse de chômage, ce qui lui aurait vraisemblablement procuré des indemnités supérieures par la suite. Pour le mois de juillet 2005, Madame T ne peut pas prétendre à un dédommagement, la mission ayant pris fin au 30 juin 2005.

Madame T a effectivement subi un préjudice du fait de sa grossesse, et entre ainsi dans le cadre défini par l’art. 3 LEg. Elle a donc droit à réparation pour la partie chiffrable, E SA devant lui verser un montant net de CHF 4’654.95 et régler les cotisations sociales usuelles en sus.

Compte tenu de la discrimination subie par Madame T dans une période particulièrement vulnérable de l’existence et de l’ensemble des circonstances, le Tribunal lui alloue pour le surplus une indemnité de CHF 1’000.- à titre de tort moral.

Il n’est pas alloué de dépens (art. 41 et 42 LJT).

Résumé par Stéphanie Perrenoud, assistante diplômée à la faculté de droit et des sciences criminelles, Université de Lausanne, IDAT, sous la supervision du Prof. Rémy Wyler.

NE 20.01.2003
discrimination salariale

sujet

Inégalité salariale admise en raison de motifs objectifs

LEg

art 3, art 5, art 6

Cst.

art. 8

procédure

20.01.2003 Jugement du Tribunal cantonal de la République et du Canton de Neuchâtel

résumé

Une inégalité de traitement entre une femme et un homme relative à une rémunération n’est pas discriminatoire si elle repose sur des motifs objectifs, tels que l’organisation des postes imposée par la Direction de l’instruction publique de la ville de Neuchâtel et le maintien de droits acquis résultant de l’application du statut du personnel de l’école en question.

en fait

Madame T1 a été engagée le 23 juin 1978, avec entrée en fonction le 1er août 1978, en qualité d’employée du secrétariat par l’Ecole secondaire régionale de Neuchâtel (ESRN) et a bénéficié de la classe 8B. Monsieur T2 a été engagé le 28 mai 1978, avec entrée en fonction le 1er juin 1978, en qualité de responsable du secrétariat et colloqué en classe 7C.

Par courrier du 4 avril 2001 à la présidente du Comité scolaire de l’ESRN, Madame T1 a requis la reconsidération de son salaire, motivée notamment par l’égalité de traitement entre hommes et femmes en rapport avec son collègue Monsieur T2, colloqué en classe 7C.

Par courrier du 2 mai 2001 puis par décision du 25 juin 2001, le Comité scolaire de l’ESRN a répondu défavorablement à sa demande, relevant que Madame T1 avait eu la chance d’être engagée directement avec le maximum qui pouvait lui être offert. Monsieur T2 a bénéficié d’un statut qui n’a plus correspondu à la réalité de son travail, depuis 1987, mais sans être déclassé par la suite, en vertu du principe des droits acquis. Il n’y avait donc ni discrimination liée au sexe, ni erreur. Il a précisé qu’il n’y avait pas d’égalité dans l’illégalité.

Madame T1 a interjeté recours devant le Tribunal administratif, concluant à l’annulation de la décision du 25 juin 2001, à ce que son traitement soit aligné sur celui de son collègue masculin avec effet rétroactif au 1er juillet 1996 et à ce qu’aucun frais de procédure ne soit mis à sa charge. Elle estimait pouvoir être considérée l’égale d’un collègue masculin.

Le comité scolaire a conclu au rejet du recours en se référant aux arguments développés dans sa décision du 25 juin 2001, précisant que la collocation des différents postes correspondait au tableau des fonctions.

Dans sa réplique, Madame T1 a précisé qu’à son engagement Monsieur T2 a obtenu une rémunération mensuelle supérieure de CHF 150.- à la sienne, différence s’élevant maintenant à CHF 511.20. Elle a relevé que, selon la jurisprudence et la doctrine, ni une carence, ni même une faute de l’employeur ne peuvent constituer en un motif libératoire de l’obligation d’égalité. Elle a demandé l’application des art. 3 et 5 LEg afin de faire cesser toute discrimination en lui octroyant la différence de traitement entre sa rémunération et celle de Monsieur T2 dès le 1er janvier 1996. Elle a également conclu à ce que l’ESRN soit condamnée à verser à la caisse de pension du personnel de la Ville de Neuchâtel la somme correspondant à la différence de la part LPP-employeur, sous suite de frais et dépens.

Dans sa duplique, l’ESRN a mentionné que la composition du secrétariat en 1978 comprenait trois postes, à savoir un employé IA et deux employés IB. Monsieur T2 a été engagé en classe IA, dès lors, Madame T1, engagée postérieurement, n’a pu être engagée que dans la classe IB. Seule la structure des postes de l’époque a justifié cette classification, à l’exclusion de tout élément discriminatoire. Sa collocation n’était en aucune mesure liée à son appartenance sexuelle, si bien que l’on ne peut faire application de la loi sur l’égalité. Par la suite en 1987, chaque centre a été doté d’une administration propre composée notamment d’un secrétaire. Monsieur T2 a ainsi perdu la fonction de responsable du secrétariat central mais n’a pu être déclassé en raison de l’art. 9 du statut du personnel de l’ESRN qui prévoyait qu’en cas de réorganisation d’un service, la collocation était garantie, créant ainsi un droit acquis à Monsieur T2. L’absence d’augmentation de rémunération de Madame T1 ne procédait d’aucune intention de maintenir une discrimination à son préjudice, mais résultait de l’application objective de la réglementation en vigueur. Il a précisé que même si la collocation de Monsieur T2 avait constitué une erreur, cela n’empêchait pas l’application du principe selon lequel il n’y a pas d’égalité dans l’illégalité. Il a conclu au rejet de l’action dans toutes ses conclusions, sous suite de frais et dépens.

en droit

Madame T1 ne conteste pas avoir été colloquée conformément au statut du personnel, à l’arrêté et au tableau de fonction. Elle fait valoir l’égalité de traitement avec son collègue masculin. Il convient donc d’examiner s’il y a eu discrimination à raison du sexe, tout en relevant que les autres secrétaires de l’ESRN sont colloquées dans la même classe que Madame T1.

Selon l’al. 3 de l’art. 8 Cst., l’homme et la femme sont égaux en droit et la loi pourvoit à l’égalité de droit et de fait, en particulier dans les domaines de la famille, de la formation et du travail. L’homme et la femme ont droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale. L’art. 3 LEg prévoit qu’il est interdit de discriminer les travailleurs à raison du sexe, soit directement soit indirectement, notamment en se fondant sur leur état civil ou leur situation familiale et que l’interdiction de toute discrimination s’applique notamment à la rémunération.

L’art. 5 al. 1 litt. d LEg permet d’ordonner le paiement du salaire dû.

Selon l’art. 6 LEg, l’existence d’une discrimination est présumée pour autant que la personne qui s’en prévaut la rende vraisemblable. La présente disposition s’applique à l’attribution des tâches, à l’aménagement des conditions de travail, à la rémunération, à la formation et au perfectionnement professionnel, à la promotion et à la résiliation des rapports de travail.

Lors du jugement de prétentions découlant de la loi sur l’égalité, deux types de preuve principaux coexistent : il convient de recueillir la preuve que l’entreprise a pris ou non une mesure et que cette mesure constitue ou non une discrimination à raison du sexe. L’allègement du fardeau de la preuve prévu par l’art. 6 LEg ne porte que sur le deuxième thème de preuve, à savoir la discrimination à raison du sexe. Il s’agit d’une règle spéciale par rapport à l’art. 8 CC facilitant l’apport de la preuve d’une discrimination directe ou indirecte à raison du sexe dans les cas d’application énumérés. Le terme discrimination implique une comparaison entre plusieurs faits. La preuve doit donc toujours analyser à la fois l’impact négatif des deux faits (par exemple salaire inférieur) et leur rapport avec le sexe concerné. C’est ainsi qu’en général, il y a quatre thèmes de preuve concernant la discrimination.

L’inégalité de traitement doit être fondée sur le sexe. Le thème de la preuve est exclusivement l’élément objectif de la discrimination à raison du sexe. Il n’y a pas lieu de recueillir des preuves sur les mobiles de l’employeur. Seul compte le fait objectif de la mesure. Dans l’examen de la vraisemblance d’une discrimination, le tribunal peut arriver à quatre conclusions différentes :
- La discrimination à raison du sexe est prouvée.
- La discrimination à raison du sexe est plus vraisemblable que l’absence de discrimination.
- La discrimination à raison du sexe est plutôt improbable, mais il subsiste la possibilité que l’allégation soit fondée.
- La discrimination à raison du sexe est totalement douteuse ou a le caractère d’une simple allégation.

Dans les trois premiers cas seulement, les faits allégués sont considérés comme rendus vraisemblables et le fardeau de la preuve est renversé en vertu de l’art. 6 LEg. L’employeur peut alors apporter la preuve complète que la mesure qu’il a ordonnée ou qu’il a omise d’ordonner ne défavorise pas la travailleuse ou le travailleur en raison de son sexe ou qu’elle a une justification objective.

En l’occurrence, Madame T1 et Monsieur T2 réalisent le même travail pour une rémunération différente. Il convient de rendre vraisemblable le fait que l’inégalité de traitement soit fondée sur le sexe. Or, il est peu vraisemblable que tel soit le cas en raison de la vraisemblance des documents déposés par l’ESRN dont un courrier de la Direction de l’instruction publique de la Ville de Neuchâtel à l’ESRN du 29 mai 1978 selon lequel le secrétariat ne pouvait comprendre qu’un employé IA et deux employés IB.  Madame T1 ayant été engagée postérieurement à Monsieur T2 ne pouvait qu’être colloquée en classe IB. Ainsi, seule la structure du secrétariat de l’époque a justifié la différence de rémunération à l’exclusion de l’appartenance sexuelle de Madame T1. À la suite de la réorganisation de 1987, Monsieur T2 a perdu la fonction de responsable du secrétariat pour exercer une activité équivalente à celle de Madame T1. Néanmoins, l’ESRN a démontré que le maintien d’une inégalité de traitement n’a pas non plus été dicté par des considérations relatives à l’appartenance sexuelle mais par le fait qu’au sens des règlements applicables, le Comité ESRN considérait que Monsieur T2 bénéficiait de droits acquis.

Il peut donc être considéré que la question des droits acquis a motivé le maintien de cette inégalité de traitement et qu’il n’y a pas eu de discrimination à raison du sexe. Il en résulte que la discrimination à raison du sexe est douteuse et qu’il se justifie de rejeter la demande de Madame T1. Si l’on devait estimer que la discrimination à raison du sexe était comprise dans l’une des trois situations, exposées ci-dessus, permettant d’admettre une vraisemblance, il faudrait alors considérer que l’ESRN a démontré l’existence de motifs objectifs ne réalisant pas une discrimination à raison du sexe.

Pour ces motifs, aucune inégalité de traitement ne peut être retenue et la demande de Madame T1 doit être entièrement rejetée.

Résumé par Virginie Mika-Panchaud, assistante diplômée à la faculté de droit et des sciences criminelles, Université de Lausanne, IDAT, sous la supervision du Prof. Rémy Wyler.

VD 08.05.2006
licenciement discriminatoire

sujet

Caractère discriminatoire d’un licenciement notifié au retour du congé de maternité non admis, le véritable motif du congé résidant dans la restructuration de l’entreprise.

LEg

art 3, art 6, art 9

procédure

08.05.2006 Jugement du Tribunal de Prud’hommes (VD)

résumé

Une employée a été licenciée à son retour de congé de maternité. Bien que le motif avancé par l’employeur pour licencier son employée résidait dans la soit disante exigence de celle-ci de diminuer son taux d’activité à 80% à son retour de congé maternité (motif qui, au demeurant ne correspondait pas à la réalité et a servi de prétexte au licenciement, pour masquer les vraies raisons du congé qui résidaient dans la réorganisation du département), la discrimination a été niée, le Tribunal ayant acquis la conviction que le motif réel du congé résidait dans le profond remaniement que subissait le département auquel l’employée était rattachée. Il a ainsi été admis que l’employée aurait été licenciée même si elle n’avait pas été enceinte, puis en congé de maternité. Dans cette affaire, la discrimination à raison du sexe n’est qu’apparente : si le licenciement à la fin du délai de protection contre le licenciement en temps inopportun (cf. art. 336c al. 1 lit. c CO) apparaît a priori comme hautement suspect, il n’est en définitive pas en rapport avec l’accouchement de l’employée ; celui-ci repose sur une raison objective puisqu’il est intervenu en raison du fait que l’employée ne disposait pas des compétences pour remplir les tâches de la nouvelle fonction, telle qu’elle avait été redessinée suite à la réorganisation du département. Le Tribunal exprime tout de même sa réserve quant à l’attitude pour le moins cavalière de l’employeur qui, en plus d’avoir licencié une employée à son retour de congé de maternité, a allégué un motif fallacieux pour justifier le licenciement, ce qui a eu pour effet d’entretenir le paradoxe et de renforcer l’employée dans l’idée qu’elle avait été licenciée en raison de sa grossesse et de son accouchement.

en fait

Du 1er mars 2002 au 28 février 2005, Madame T a travaillé, à plein temps, au sein de E SA, en qualité de Sales Support Trainer, fonction rattachée au département Vente et Marketing. Son certificat de travail indique qu’elle était le bras droit de Monsieur A, le Chef de vente pour la Suisse romande et le Tessin. Madame T avaient principalement pour tâches la gestion du processus de planification annuelle des ventes, la coordination des activités et directives de ventes (campagnes, contrôle des résultats, analyses, communication et relations avec le réseau des agences), la conception et la réalisation de campagnes de publicité et d’actions marketing, ou encore la coordination et la coanimation de cours de vente.

Le 17 novembre 2003, Madame T a informé Monsieur A qu’elle était enceinte. A cette occasion, ils ont discuté d’une réduction du taux d’activité de Madame T, à 80%, à l’échéance de son congé de maternité.

Le 1er mars 2004, Monsieur A a été remplacé dans ses fonctions par Monsieur B. Messieurs A et B se sont entretenus au sujet de la situation du département Vente et Marketing et ont abordé le cas de Madame T.

Lors d’un entretien du 19 mars 2004, confirmé par email du 30 mars 2004, Monsieur B a indiqué à Madame T que l’activité de Sales Support Trainer représentait une activité à temps complet, et qu’il n’était par conséquent pas possible d’exercer cette fonction à 80%. Considérant qu’il n’était pour sa part pas tenu par l’accord que Madame T avait passé avec son prédécesseur, Monsieur A, au sujet de la réduction de son temps de travail à l’issue de son congé de maternité, Monsieur B a expliqué à Madame T qu’il avait dû lui trouver un remplaçant et l’informait que Monsieur C avait été engagé pour lui suppléer définitivement à compter du 1er mai 2004.

Le 25 mars 2004, les collaborateurs de E SA ont à leur tour été informés par courriel de la promotion de Monsieur C au poste de Sales Support Manager avec effet au 1er mai 2004.

Par courrier électronique du 30 mars 2004, Madame T est revenue sur l’entretien qu’elle avait eu avec Monsieur B en date du 19 mars 2004 et sur l’annonce de la nomination de Monsieur C, en faisant part de son étonnement quant à la rapidité de son remplacement, intervenu alors même qu’elle n’avait pas pu s’exprimer sur l’éventualité d’une reprise de son activité à temps plein après son congé de maternité, entendant par-là que cette possibilité aurait pu être envisagée. Elle en concluait que son remplacement était dû au fait que Monsieur B et elle ne pourraient pas collaborer en raison d’une divergence de caractères.

A l’incitation de son employeur, Madame T a postulé à la fonction de Chargée de communication au sein de E SA, en raison de la perte de son emploi de Sales Support Trainer. Bien qu’elle fût intéressée par cette nouvelle fonction, Madame T requérait en parallèle de son employeur une prise de position rapprochée quant aux autres options envisageables à son retour de congé de maternité, pour le cas où le poste brigué ne lui serait pas attribué. E SA lui a répondu qu’elle ne se prononcerait que dans l’éventualité où la démarche entreprise par Madame T n’aboutirait pas.

Par email du 7 mai 2004, Madame T a informé E SA qu’elle n’avait pas obtenu le poste de chargée de communication, ce qu’elle regrettait par ailleurs beaucoup. En conséquence, elle réitérait sa demande tendant à obtenir des déterminations quant à son avenir au sein de E SA à l’issue de son congé de maternité.

Par courriel du 13 mai 2004, E SA signifiait à Madame T ce qui suit : « Aujourd’hui, nous ne sommes pas en mesure de prendre position quant à notre collaboration future, au terme de ton congé grossesse cet automne, compte tenu de l’évolution et des changements constants au sein de la société ouvrant ainsi d’éventuelles opportunités futures ». Le même jour, Madame T a accusé réception du courriel de son employeur, précisant qu’elle ne pouvait pas se satisfaire de sa détermination évasive « notamment pour des questions d’organisation quant à la crèche, et d’éventuelles recherches d’un nouvel emploi ». Cette situation étant psychologiquement difficile à supporter, Madame T enjoignait E SA de prendre position d’ici la fin du moi de mai, également « sur les conditions d’un licenciement ».

Le 14 mai 2004, Madame T a donné naissance à une fille. Elle a bénéficié d’un congé de maternité de 16 semaines, échéant le 13 septembre 2004.

Le 13 septembre 2004, soit à l’issue de son congé maternité, Madame T a reçu de la part du service du personnel de E SA le message électronique suivant : « Chère T je me réfère à notre récent entretien téléphonique et te confirme par la présente que ta demande de réduction du taux d’activité au terme de ta grossesse n’a pu être envisagée dans le cadre de ta fonction et qu’aucune autre proposition de poste de cadre dans ces conditions n’est aujourd’hui envisageable. En conséquence, nous avons décidé de mettre fin à nos rapports de travail pour le 28 février 2005 ». Il était précisé que Madame T était libérée de son obligation de travailler dès le 15 octobre 2004, son salaire lui étant versé jusqu’à la fin du mois de février 2005. Par pli recommandé du 4 octobre 2004, E SA a confirmé les motifs de ce licenciement.

Le 18 octobre 2004, Madame T a accusé réception du courrier de E SA lui signifiant son licenciement, fait part de son étonnement et indiqué que, renseignements pris auprès d’un avocat, son congé était abusif et donc contestable. Toutefois, compte tenu des excellentes relations qu’elle avait toujours entretenues avec son employeur et avant d’envisager une procédure judiciaire, elle proposait à E SA de lui verser CHF 10’954.-, soit le montant équivalent à sa prime 2003, à titre de dédommagement.

Le 18 février 2005, le conseil de Madame T a écrit à E SA, pour lui proposer de trouver un accord à l’amiable, moyennant le versement d’une indemnité nette de CHF 20’000.-. A l’appui de cette prétention, il était notamment invoqué ce qui suit : « En réalité, B a décidé de se séparer de Mme T du fait de sa grossesse et c’est en raison de celle-ci et du congé maternité qui s’en est suivi que vous avez signifié à ma mandante la résiliation de son contrat de travail pour le 28 février 2005. D’ailleurs, vous ne vous êtes jamais positionné officiellement tant que Mme T était protégée par la loi et que vous ne pouviez résilier son contrat de travail. Votre attitude est significative du fait que vous avez évincé Mme T de son poste en raison de sa grossesse et avez nommé C à sa place, avec l’intention de licencier Mme T à l’échéance de son congé maternité, lorsque la loi ne vous l’interdirait plus ». Ce faisant, Madame T estimait avoir été victime d’un licenciement discriminatoire et concluait à une violation de la loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes (LEg).

Le 18 avril 2005, E SA, par l’intermédiaire de son conseil, a refusé d’entrer en matière sur la proposition transactionnelle de Madame T, au motif qu’il ne s’agissait pas d’un licenciement discriminatoire. A son avis, le congé résultait au contraire du fait qu’aucun autre poste équivalant à celui de Madame T ne pouvait lui être attribué à 80%.

Le 18 août 2005, Madame T a ouvert action auprès du Tribunal de prud’hommes de l’arrondissement de Lausanne, concluant au paiement, par E SA, de la somme de CHF 30’000.-. Elle invoquait la violation, par E SA, de la loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes et l’application de l’art. 336b CO.

Dans sa réponse du 30 septembre 2005, E SA a confirmé que le licenciement de Madame T était dû à l’impossibilité de réduire son taux d’activité à 80% ainsi qu’à l’absence de poste comparable disponible à son retour de congé de maternité. Par ailleurs, E SA invoquait que le licenciement était également dû à l’attitude et aux compétences de Madame T. Selon E SA, Madame T était mal perçue de ses collègues à l’égard desquels elle avait parfois une attitude arrogante. De plus, ses compétences se situaient davantage dans le domaine du marketing que dans celui de la vente. En conséquence, E SA rejetait l’entier des conclusions prises par Madame T, au motif que le congé ne serait pas discriminatoire.

Le 3 novembre 2005, le Tribunal de prud’hommes a tenu une première audience de conciliation, au cours de laquelle aucun accord n’a pu être trouvé, de sorte que le Président a poursuivi l’instruction.

Quatre audiences de jugement se sont tenues respectivement les 26 janvier, 8 février, 10 avril et 19 avril 2006, durant lesquelles le Tribunal a successivement procédé à l’audition de neuf témoins.

A l’issue de l’audience du 8 février 2006, le Tribunal a confié le dossier de la cause au Bureau de l’égalité entre les femmes et les hommes (BEFH), afin qu’il émette une appréciation conforme à l’art. 4 al. 3 LEg. L’expert a estimé qu’il apparaît « tout à fait vraisemblable que le licenciement de la requérante soit en réalité associé directement à sa grossesse, à son congé maternité et au changement de sa situation familiale », concluant que Madame T a été victime d’une discrimination dans la résiliation des rapports de travail, son licenciement étant discriminatoire « parce qu’il l’a touchée de manière différente que s’il s’agissait d’un employé appartenant à l’autre sexe, sans que cela ne soit justifié ». La résiliation du contrat de travail est par ailleurs également abusive au sens de l’art. 336 al. 1 let. d CO.

en droit

A. Le licenciement discriminatoire (art. 3 LEg)

Madame T invoque une violation de l’art. 3 LEg et l’application des art. 336 ss CO consacrés au licenciement abusif.

Après avoir vérifié la recevabilité de la requête de Madame T (celle-ci a valablement fait opposition au congé qui lui a été notifié par E SA avant la fin du délai de congé et agi en justice dans les 180 jours à compter de la fin du contrat, comme le prescrit l’art. 336b CO, disposition applicable par renvoi de l’art. 9 LEg) et examiné sa compétence ratione materiae (la LEg s’applique notamment aux rapports de travail régis par le CO, comme c’est le cas en l’espèce, et prévoit l’application de l’art. 343 CO, indépendamment de la valeur litigieuse ; cf. art. 2 et 12 al. 2 LEg) et ratione loci (dès lors que Madame T déployait son activité au sein du département Vente et Marketing de E SA, soit un département qui était rattaché aux bureaux régionaux de Lausanne, le Tribunal de prud’hommes de l’arrondissement de Lausanne est compétent ; cf. art. 24 Lfors, abrogé depuis lors ; cf. art. 34 CPC), le Tribunal examine la question au fond.

Le Tribunal de prud’hommes commence par rappeler que l’interdiction de toute discrimination des travailleuses et travailleurs à raison du sexe (art. 3 al. 1 LEg) prohibe tant la discrimination directe (soit une discrimination qui se fonde explicitement sur le critère du sexe, ou sur un critère ne pouvant s’appliquer qu’à l’un des deux sexes, et qui n’est pas justifiée objectivement) que la discrimination indirecte (soit une discrimination qui repose sur un critère qui pourrait s’appliquer à l’un ou l’autre sexe, mais qui a ou peut avoir pour effet de désavantager une plus grande proportion de personnes d’un sexe par rapport à l’autre, sans être justifiée objectivement). Il précise, qu’en l’espèce, le critère de la grossesse crée une discrimination directe puisqu’il s’agit d’un critère qui ne peut s’appliquer qu’à l’un des deux sexes.

La juridiction prud’homale relève ensuite que l’interdiction de la discrimination s’applique notamment à la résiliation des rapports de travail (art. 3 al. 2 LEg), comme c’est le cas en l’espèce.

Quant aux règles régissant le fardeau de la preuve de la discrimination, le Tribunal indique qu’en vertu de l’art. 6 LEg, qui constitue une règle spéciale par rapport à l’art. 8 CC et qui est invocable, notamment, en cas de discrimination dans la résiliation des rapports de travail, l’existence d’une discrimination est présumée pour autant que la personne qui l’allègue la rende vraisemblable. Il en découle que si la travailleuse parvient à rendre la discrimination vraisemblable, le fardeau de la preuve est renversé et l’employeur doit prouver, de manière certaine, l’inexistence de la discrimination. Le Tribunal souligne que l’allègement du fardeau de la preuve consacré par l’art. 6 LEg ne porte cependant que sur la discrimination à raison du sexe ; l’administration et le recueil des preuves concernant les mesures prises par l’employeur (in casu, les motifs du licenciement de Madame T allégués par E SA) obéissent en revanche aux règles générales sur le fardeau de la preuve (art. 8 CC). Dans l’établissement des preuves, est en effet seul déterminant l’élément objectif de la discrimination à raison du sexe ; la preuve ne doit être apportée que sur les effets d’une mesure prise par l’employeur. Il n’y a en revanche pas lieu de recueillir des preuves sur les mobiles de l’employeur. Ainsi, la bonne ou la mauvaise volonté, les intentions et le motif à l’origine du congé ne sont pas pertinents. Enfin, ce que ressent subjectivement la victime n’est pas non plus déterminant.

La jurisprudence a eu l’occasion de préciser qu’un fait est rendu vraisemblable dès que le juge acquiert l’impression, sur la base d’éléments objectifs, que l’existence des faits en cause est hautement probable sans devoir exclure la possibilité que les faits aient pu se présenter autrement (ATF 117 II 374, JT 1995 I 47 ; ATF 103 Ia 413). Si pour rendre un fait vraisemblable, une simple allégation ne suffit pas, une preuve stricte n’est cependant pas nécessaire (ATF 120 II 398, JT 1995 I 571). Pour fixer le degré de preuve, le tribunal doit examiner la vraisemblance des suspicions des deux parties, en pesant les intérêts en présence. Selon le Tribunal fédéral, il découle des règles du droit relatives à la preuve, non seulement un droit à la preuve, mais également un droit à la contre-preuve. Autrement dit, il sied également de recueillir les preuves de la partie adverse pour établir si un fait a été rendu vraisemblable (ATF 116 II 362).

Une fois les preuves administrées, le tribunal peut arriver à quatre conclusions différentes : la discrimination à raison du sexe est prouvée ; la discrimination à raison du sexe est plus vraisemblable que la non-discrimination ; la discrimination à raison du sexe est plutôt improbable, mais il subsiste la possibilité que l’allégation soit fondée ; la discrimination à raison du sexe est totalement douteuse ou a le caractère d’une simple allégation. Alors que dans ce dernier cas, le tribunal peut prononcer son jugement immédiatement, en rejetant les conclusions de la demande, dans les trois premières hypothèses, les faits allégués ont été rendus vraisemblables. La conséquence en est le renversement du fardeau de la preuve en mains de l’employeur, lequel doit alors apporter la preuve complète – et non pas la vraisemblance qui ne s’applique qu’à la discrimination à raison du sexe – que la mesure qu’il a ordonnée ne défavorise pas l’employé (e) en raison de son sexe ou qu’elle repose sur une justification objective. Ainsi, pour que la preuve soit complète, le tribunal doit être convaincu, objectivement et sur la base de son expérience de la vie, de la réalité d’un fait. Autrement dit, la preuve est apportée dès que le doute semble négligeable.

Dans le cas d’espèce, après examen du comportement de E SA (tant avant qu’après le congé de maternité de Madame T), le Tribunal admet que Madame T a rendu vraisemblable les conditions d’existence de sa prétention, à savoir qu’elle a été licenciée de manière discriminatoire en raison de sa grossesse (art. 6 LEg) : en particulier, « même s’il n’existe en réalité aucun lien entre le licenciement de la demanderesse et sa grossesse, le simple fait qu’elle ait été licenciée immédiatement à l’issue du délai de protection de l’article 336c CO suffit pour admettre que la discrimination en raison du sexe est plus vraisemblable que la non discrimination ». Ce faisant, le Tribunal rejoint l’appréciation émise le 29 mars 2006 par le Bureau de l’égalité entre les femmes et les hommes, selon laquelle « il apparaît tout à fait vraisemblable que le licenciement de la requérante soit en réalité associé directement à sa grossesse, à son congé maternité et au changement de sa situation familiale ».

Cependant, contrairement à ce que soutient le Bureau de l’égalité, l’examen de la vraisemblance de la discrimination n’a pas permis de trancher le point de savoir si, lors du changement de chef de service, Monsieur B aurait également licencié Madame T, dans l’hypothèse où elle n’aurait pas été enceinte et n’aurait, partant, pas pris de congé de maternité. Dès lors, il appartient désormais à E SA d’apporter la preuve négative complète que le licenciement de Madame T, ne défavorise pas celle-ci en raison de son sexe ou qu’elle repose sur une justification objective (art. 8 CC).

Bien que tout au long de la procédure E SA se soit attachée à démontrer que le licenciement de Madame T était notamment dû à son attitude et à ses réactions, qui engendraient un sentiment de crainte chez ses collègues, le Tribunal ne partage pas les allégations de E SA, considérant qu’il est difficile d’établir les traits de caractère de Madame T a posteriori et sur la base des témoignages des employés de E SA, ce d’autant plus que les reproches formulés par ces derniers lors des audiences ne semblent jamais avoir été invoqués durant la période où Madame T travaillait au sein de la société. Par ailleurs, plusieurs témoins ont déclaré s’être très bien entendus avec Madame T sur le plan professionnel et le certificat de travail intermédiaire de Madame T, établi au départ de Monsieur A, constate que celle-ci, « de par sa personnalité et son comportement agréable, est une collaboratrice très appréciée de ses supérieurs, collègues et clients ». En définitive, le Tribunal estime que E SA n’est pas parvenue à apporter la preuve de la justification du licenciement de Madame T en raison de son caractère, relevant, en passant, que les motifs ont d’ailleurs été invoqués postérieurement au congé et ne paraissent pas probants, comme s’ils relevaient d’une volonté de dépeindre Madame T d’une façon qui soit clairement en sa défaveur.

En revanche, le Tribunal retient que la cause réelle du licenciement de Madame T réside dans le profond remaniement que subissait le département auquel elle était rattachée au sein de E SA. Considérant que l’engagement de Monsieur B au 1er mars 2004 correspondait à une volonté de remaniement de l’entreprise, le département Vente et Marketing nécessitant désormais d’être réorienté en priorité vers le secteur de la vente, le Tribunal estime qu’il a été nécessaire de confier le poste à Monsieur C, qui disposait de capacités professionnelles plus adaptées à la nouvelle orientation du poste (il était employé au sein de E SA depuis près de 20 ans, bénéficiait donc d’une solide expérience au sein de l’entreprise et connaissait la pratique du terrain et les rouages de la vente) par rapport à Madame T qui, certes, avait de grandes compétences dans les domaines du marketing et de la communication, mais ne disposait pas de l’acquis nécessaire pour obtenir des résultats probants dans le domaine de la vente. A ce propos, le Tribunal insiste sur le fait que l’employeur doit pouvoir disposer d’un libre-arbitre dans le choix de ses employés. Cette liberté de décision doit lui être garantie, car il connaît ses collaborateurs et sait lesquels conviennent le mieux pour chacun des postes à repourvoir dans sa structure interne.

Au vu de ce qui précède, le Tribunal est d’avis, du point de vue du rapport de causalité, que Madame T n’a pas été licenciée parce qu’elle était enceinte, mais bien en raison du fait que le département auquel elle était rattachée subissait une profonde réorientation. Le Tribunal indique avoir acquis la conviction que E SA n’aurait pas entrepris les démarches nécessaires pour remplacer Madame T durant son congé de maternité, si elle avait été certaine que celle-ci était la personne apte à remplir les tâches de la nouvelle fonction d’adjoint, telle qu’elle avait été redessinée par Monsieur B. Par la force des choses, les charges du poste de Madame T ont également été revues, à tel point qu’elles ne correspondaient désormais plus à ses compétences. En conséquence, E SA n’a pas engagé Monsieur C pour remplacer Madame T en raison des problèmes que causait le congé de maternité, mais bien en raison du fait qu’il correspondait mieux au nouveau poste. Sur ce point, le Tribunal confirme donc qu’il s’agit bien d’un nouveau poste et non du poste qu’occupait Madame T jusqu’alors. Il souligne également que le fait que le cahier des charges de Monsieur C ait été défini après coup n’entre par ailleurs pas en ligne de compte. En effet, d’une manière générale, il est possible pour un employeur d’établir les tâches d’un nouvel employé avec son appui, d’autant plus s’il s’agit d’un nouveau poste que cet employé est le premier à intégrer ou s’il s’agit d’un poste qui doit être complètement remodelé.

En outre, bien que E SA ait finalement reconnu que le motif initialement allégué pour licencier Madame T (à savoir la soit-disante exigence de Madame T de diminuer son taux d’activité à 80% à son retour de congé de maternité) ne correspondait pas à la réalité (ce motif a servi de prétexte au licenciement de Madame T, pour masquer les vraies raisons de son congé qui résidaient dans la réorganisation du département), le Tribunal estime que ce repentir tardif peut malgré tout être porté à son crédit dès lors que celui-ci a permis de mieux comprendre ce qui s’était réellement passé, tant les non-dits entre E SA et Madame T étaient lourds auparavant.

En conclusion, au vu de l’ensemble des points développés ci-dessus, le Tribunal admet que Madame T aurait été licenciée par E SA même si elle n’avait pas été enceinte. Les éléments invoqués par E SA l’ont prouvé de façon certaine. La discrimination à raison du sexe n’a donc été qu’apparente : le licenciement de Madame T à la fin du délai de protection contre le licenciement en temps inopportun (cf. art. 336c al. 1 lit. c CO), même s’il apparaissait a priori comme hautement suspect, n’est en définitive pas en rapport avec son accouchement. A ce sujet, le Tribunal se permet tout de même d’exprimer sa réserve quant à l’attitude pour le moins cavalière de E SA. De même, le fait d’alléguer un motif fallacieux pour justifier le licenciement n’a fait qu’entretenir le paradoxe et renforcer Madame T dans l’idée qu’elle avait été licenciée en raison de sa grossesse et de son accouchement. Enfin, il faut reconnaître que cette dernière n’a pu ni savoir, ni discuter de façon approfondie les motifs réels de son congé, ce qui lui a, de manière compréhensible, donné l’impression qu’elle subissait une discrimination à raison de son sexe. Sur ces points, le comportement de E SA a été déontologiquement critiquable.

Le Tribunal s’écarte donc finalement du préavis émis par le Bureau de l’égalité entre les femmes et les hommes. La vraisemblance d’une discrimination a certes dans un premier temps été établie par Madame T, mais l’examen des éléments invoqués par E SA, étayés par les pièces versées au dossier et par les témoignages recueillis, a emporté la conviction du Tribunal quant au vrai motif ayant justifié le licenciement de Madame T. A cet égard, le préavis du Bureau de l’égalité n’est donc pas suivi par le Tribunal, qui rejette les conclusions prises par Madame T.

B. Les dépens

Durant sa plaidoirie, Madame T a égalemant conclu à ce que des dépens lui soient alloués par E SA, en raison des faits suivants : antérieurement à la séance de conciliation, E SA ne lui a pas remis les allégués de sa réponse, de sorte qu’elle n’en a finalement eu connaissance que le jour de l’audience, ce qui a eu pour effet de compromettre l’audience de conciliation (ce d’autant plus que E SA était représentée par une personne à laquelle elle n’avait conféré aucun pouvoir pour agir en son nom et transiger) ; suite à la réponse de E SA, invoquant de nouveaux éléments à l’appui du licenciement, le conseil de Madame T a été contraint de revoir une partie des allégués de sa requête, engendrant un travail supplémentaire, à la charge de sa mandante ; bien qu’il eût été convenu entre les parties que l’audition des témoins se ferait de façon paritaire, à savoir qu’une séance de jugement permettrait d’entendre à la fois les témoins de la Madame T et ceux de E SA, cette dernière n’a pas respecté cet accord lors de l’audience du 26 janvier 2006 (elle n’a pas informé le Tribunal que ses témoins ne pourraient être présents à cette date, en raison d’un cours de formation dispensé au Tessin, ce qui a eu pour conséquence de devoir reporter l’audience et donc de retarder la procédure) ; tout au long de la procédure, E SA a enfreint les règles de la déontologie, qui prévoient, en particulier en procédure sommaire, que les conseils des parties se transmettent mutuellement des copies des allégués et correspondances diverses qu’ils adressent au Tribunal, Madame T ayant dû, à plusieurs reprises, insister pour que E SA s’exécute, et même aller jusqu’à requérir du Tribunal qu’il ait la bienveillance de lui fournir les pièces nécessaires.

Conformément à l’art. 41 de la loi sur la juridiction du travail (LJT), la partie qui agit de façon téméraire ou qui complique inutilement le procès peut être astreinte à payer à l’autre partie des dépens d’un montant maximum de CHF 2’000.-.

Dans le cas d’espèce, le Tribunal reprend à son compte la plupart des éléments soulevés par Madame T à l’appui de sa conclusion tendant à l’allocation de dépens. Il retient que l’attitude de E SA a empêché la bonne marche du procès. Mentionnant, à ce sujet, un arrêt du Tribunal fédéral qui exige que la partie condamnée au versement de dépens ait fait preuve d’une apparente mauvaise foi (JT 1960 III 60), le Tribunal constate que telle a été l’attitude de E SA qui elle-même, ou par l’intermédiaire de son conseil, a multiplié les actions pour retarder le procès, sans doute dans le but de décourager Madame T. En particulier, le Tribunal considère que le refus systématique du conseil de E SA de produire copie de ses courriers au conseil de Madame T ou de ne les lui adresser qu’au tout dernier moment est le reflet marquant de l’absence de bonne foi, dès lors qu’il ne s’agit nullement d’oublis épisodiques dus à une inadvertance, mais bien d’une attitude systématique, et par-là volontaire, de retarder la procédure. Le nombre important d’annotations, établies par le greffe à ce sujet et versées au dossier de la cause, de même que les enveloppes produites par Madame T, viennent le confirmer. Cette attitude est d’autant plus désolante que l’échange d’informations, même s’il n’est pas contraignant, est une pratique connue des avocats vaudois, afin de pallier l’absence de communication des Tribunaux en procédure sommaire.

Il convient en outre de sanctionner le repentir tardif de E SA, qui n’a admis qu’au cours de l’audition de Monsieur B que le motif initial du licenciement de Madame T (à savoir la soit-disante exigence d’avoir à son retour de congé de maternité un taux d’activité à 80%) n’était en réalité qu’un prétexte. Cela a en effet clairement alourdi, si ce n’est allongé la procédure, avec tout le travail supplémentaire qui en a découlé pour le conseil de Madame T. De plus, c’est probablement aussi en grande partie pour ce motif si la première audience qui, à la requête de Madame T, a été consacrée à la conciliation, conformément aux art. 11 LEg et 2 LVLEg, s’est avérée être une totale perte de temps.

Enfin, c’est bien à E SA qu’il faut reprocher la perte de temps liée à l’audience qui s’est déroulée le 26 janvier 2006. En effet, en organisant un cours de formation au Tessin pour ses employés appelés à être entendus comme témoins ce soir-là, elle a sciemment cherché à allonger inutilement le procès. On ne peut en tout cas pas croire à un mauvais concours de circonstances ; E SA n’est au demeurant pas parvenue à démontrer l’urgence de ce cours de formation.

Pour ces raisons, le Tribunal, statuant ex aequo et bono, condamne E SA à verser CHF 2’000.- de dépens à Madame T, qui, en raison du retard pris dans la procédure, a vu ses honoraires d’avocat augmenter dans une proportion qui ne lui est manifestement pas imputable. De plus, le Tribunal a en l’occurrence également tenu compte du fait que le présent litige est fondé sur la LEg. Il en résulte donc, tant de l’esprit que de la lettre de cette loi (cf. en particulier l’art.11 LEg), à la charge de l’employeur, en cas de conflit, des devoirs renforcés d’égards vis-à-vis de son employée, de collaboration (dépassant par ailleurs les simples règles déontologiques de la profession d’avocat susmentionnées) et d’efforts tendant à une conciliation.

 

Résumé par Stéphanie Perrenoud, assistante diplômée à la faculté de droit et des sciences criminelles, Université de Lausanne, IDAT, sous la supervision du Prof. Rémy Wyler.

GE 15.11.2013
harcèlement sexuel
licenciement abusif

sujet

Licenciement d’un travailleur accusé d’avoir imposé des attouchements à une collègue.

CO

art. 336

procédure

15.5.2013 Jugement du Tribunal des prud’hommes 15.11.2013 Arrêt de la Cour de justice, chambre des prud’hommes

résumé

Le licenciement du travailleur n’a pas été jugé abusif puisqu’il était motivé par un comportement importun à connotation sexuelle à l’égard d’une collègue et que les circonstances dans lesquelles il avait été signifié n’entraînaient aucune atteinte grave à la personnalité.

en fait

Monsieur T. a été engagé par la société E. en qualité d’agent de sécurité dès le 1er novembre 2001. Il a été promu Chef de secteur à partir du 11 août 2005. Le 12 novembre 2008, puis le 16 décembre 2010, Monsieur T. s’est vu signifier une rétrogradation, chaque fois au motif d’une restructuration.

Le 28 décembre 2010, Monsieur T. s’est opposé à la décision de rétrogradation qui, selon lui, était due à une mauvaise entente avec son supérieur direct. Le 21 février 2011, la société E. a confirmé que la rétrogradation était liée à une réorganisation. En outre, Monsieur T. avait des difficultés à se remettre en question et à s’intégrer dans une équipe, facteurs qui pouvaient défavoriser une candidature à une fonction supérieure.

Le 23 septembre 2011, Madame I., agente de sécurité au sein de la société E., s’est plainte par courriel à son supérieur hiérarchique du fait que Monsieur T. l’avait prise dans les bras et lui avait donné une claque sur les fesses, à plusieurs reprises. Madame I. écrit s’être sentie honteuse et très choquée. Elle explique ne pas avoir osé parler de peur de perdre sa place puis conclut qu’il lui est désormais impossible de continuer à faire des services seule avec Monsieur T.

Le 29 septembre 2011, Monsieur K., Chef de département auprès de la société E. a entendu Madame I. à 14h00 puis Monsieur T. à 15h30.

Lors du premier entretien, Madame I. a déclaré que Monsieur T. l’avait, dans un premier temps « prise en grippe », remettant en question sa formation et son travail. En juillet 2011, il avait commencé à discuter de sa vie privée avec elle et à la prendre dans les bras lors de rondes d’observations à l’extérieur. Le 25 août 2011, alors qu’elle se trouvait seule avec lui, il l’avait serrée dans ses bras et lui avait donné une claque sur les fesses. Madame I. avait été très choquée mais n’avait rien dit. Monsieur T. a répété son geste le même jour. Ne pouvant plus « tenir », Madame I. en avait parlé à l’agente M., qui lui avait conseillé d’informer la direction. Madame I. a consenti à ce qu’une confrontation ait lieu avec Monsieur T.

Lors du second entretien, il a été reproché à Monsieur T. un « comportement inapproprié en service » envers une collègue, en violation du règlement de service. Monsieur T. a réfuté ces accusations et déclaré être « d’accord pour une confrontation ». Il s’est vu notifier son congé avec effet au 31 décembre 2011. Une lettre de licenciement datée du 29 septembre 2011 lui a été remise en mains propres après l’entretien.

Le soir du 29 septembre 2011, Monsieur K. a diffusé une note informant le personnel que Monsieur T. avait été retiré de son affectation sur le secteur C. avec effet immédiat et qu’il n’était plus habilité à pénétrer sur ce site sans que la hiérarchie soit avisée et présente. En outre, Monsieur T. devait s’abstenir de prendre contact avec le client ainsi qu’avec les collaborateurs du site.

Monsieur T. a été en incapacité de travail du 5 octobre 2011 au 8 mai 2012. Le 3 novembre 2011, il s’est opposé à son licenciement, qu’il a qualifié d’abusif. Le 8 novembre 2011, la société E. a confirmé le licenciement de Monsieur T., « au motif d’une attitude inappropriée envers une collaboratrice et de l’incapacité de la société à lui proposer un poste similaire en adéquation avec son profil ».

La société E. a refusé de remettre à Monsieur T. une copie du rapport rédigé par Madame I. ainsi que du procès-verbal de l’audition de cette dernière, au motif qu’une lecture de ces documents avait été faite à Monsieur T. lors de son audition et que ceux-ci étaient destinés à un usage interne.

Par demande déposée au Tribunal des prud’hommes le 24 juillet 2012, Monsieur T. a assigné la société E. en paiement de CHF 27’000.- , à titre d’indemnité pour licenciement abusif équivalente à six mois de salaire. Par jugement du 15 mai 2013, le Tribunal a débouté Monsieur T. de sa demande retenant que le licenciement n’était abusif ni dans ses motifs ni dans la manière dont il avait été prononcé.

Par acte expédié au greffe de la Cour de justice le 17 juin 2013, Monsieur T. appelle de ce jugement, dont il sollicite l’annulation. Principalement, l’appelant conclut à la condamnation de la société E. à lui payer une indemnité pour licenciement abusif équivalente à six mois de salaire. Subsidiairement, il sollicite le renvoi de la cause au Tribunal des prud’hommes.

en droit

Monsieur T. reproche au Tribunal des prud’hommes de ne pas avoir retenu le caractère abusif de son licenciement.

La Cour de justice rappelle que l’art. 336 al. 1 et 2 CO énumère de façon non exhaustive les cas dans lesquels une résiliation est abusive. Un congé peut être considéré comme abusif en raison de la manière dont il est donné. En vertu de l’art. 328 al. 1 CO, l’employeur doit protéger la personnalité du travailleur. Partant, l’employeur ne doit pas stigmatiser, de manière inutilement vexatoire et au delà du cercle des intéressés, le comportement du travailleur. En particulier, il y a atteinte grave aux droits de la personnalité lorsque l’employeur formule des accusations lourdes, alors qu’il ne disposait d’aucun indice sérieux ou n’avait fait aucune recherche en vue d’établir les faits. Le Tribunal peut présumer l’existence d’un congé abusif lorsque l’employé parvient à présenter des indices suffisants pour faire apparaître comme non réel le motif avancé par l’employeur (consid. 3.1).

1. Le motif du licenciement

En l’espèce, Monsieur T. reproche au Tribunal de première instance d’avoir considéré à tort qu’il s’était comporté de manière inadéquate et déplacée à l’égard de Madame I.

Selon la Cour de justice, au vu du témoignage de Madame I., le Tribunal pouvait parfaitement considérer comme établis les faits reprochés à Monsieur T., sans verser dans l’arbitraire. Les incohérences que Monsieur T. prétend voir dans le témoignage de Madame I. ne permettent pas de remettre en cause la véracité des faits rapportés. Le fait que, dans son témoignage, le supérieur de Madame I. n’ait pas indiqué que la travailleuse s’était plainte d’avoir reçu des tapes sur les fesses de la part de son collègue peut notamment s’expliquer par le fait que Madame I. n’avait alors pas nécessairement détaillé oralement devant son supérieur immédiat les attouchements dont elle disait être victime, compte tenu de la nature délicate du sujet. Par ailleurs, le fait que Madame I. ait admis avoir eu un léger différend avec Monsieur T. ne permet pas de retenir qu’elle en aurait gardé une rancune l’ayant conduite à proférer, une année plus tard, de fausses accusations contre son collègue. Madame T. a toujours indiqué avoir été incapable de réagir, étant paralysée par la gêne et par la honte. Elle a aussi expliqué son absence de réaction par la peur de perdre son travail, ce qui paraît plausible. Le fait que les autres collègues féminines de Monsieur T. ne se soient jamais plaintes du comportement « tactile » de Monsieur T. n’enlève rien à la force probante du témoignage de Madame I. (consid. 3.2.)

La Cour considère qu’il n’y a pas lieu d’admettre que Madame I. aurait d’une quelconque manière suscité un comportement inadéquat de la part de Monsieur T. Au demeurant, les juges expriment des doutes quant au fait qu’une incitation ou un éventuel consentement de Madame I. puisse suffire à rendre abusif le congé ordinaire donné à Monsieur T., le comportement de ce dernier étant à l’évidence inadéquat et inadmissible sur le lieu de travail (consid. 3.2.).

Les juges ne retiennent pas davantage l’argument de Monsieur T. selon lequel le licenciement aurait été en réalité motivé par une volonté de son employeuse de l’humilier et de le mettre à l’écart, après l’avoir rétrogradé injustement à deux reprises. En effet, la procédure a permis de vérifier que les rétrogradations se justifiaient non seulement par des restructurations, mais aussi par les difficultés de Monsieur T. à se remettre en question et à s’intégrer dans une équipe (consid. 3.3.).

Au vu de ce qui précède, la Cour considère que Monsieur T. n’a pas apporté des indices suffisants permettant de retenir que son licenciement est abusif dans ses motifs.

2. La manière dont le licenciement a été notifié

Monsieur T. soutient que son licenciement est abusif en raison de la manière dont il lui a été signifié.

Selon la Cour, il est établi que la note interne concernant la mise à l’écart de Monsieur T. du secteur C. n’a pas été communiquée au personnel avant que Monsieur T. ne soit informé de la décision de le licencier. La diffusion de cette note peut certes paraître abrupte et son ton rigoureux. Toutefois, la société E. était tenue de protéger la personnalité de Madame I. et des autres membres du personnel contre d’éventuels autres gestes déplacés. De plus, il apparaît que les autres employés de la société E. n’ont pas été informés du motif du congé et que certains n’ont même pas compris que Monsieur T. avait été licencié, croyant simplement qu’il était affecté à un autre service (consid. 3.4.)

En outre, Monsieur T. n’a pas été licencié sans que l’occasion lui soit donnée de se déterminer sur les accusations dont il faisait l’objet. Il est certes regrettable qu’avant de signifier son licenciement à Monsieur T., les représentants de la société E. n’aient pas organisé de confrontation entre celui-ci et Madame I. – les deux protagonistes ayant donné leur accord – ni qu’ils aient cherché à vérifier préalablement auprès de l’employée M. la teneur des confidences que Madame I. indiquait lui avoir faites. Toutefois, la société E. avait procédé à l’audition des personnes directement concernées et disposait d’indices sérieux au moment où elle a résilié, sans effets immédiats, les rapports de travail avec Monsieur T. La société n’était pas nécessairement tenue de procéder à des investigations complémentaires avant de notifier un tel congé ordinaire (consid. 3.4.).

Ainsi, la Cour considère que la société E. n’a pas porté une atteinte disproportionnée à la personnalité de Monsieur T. en lui signifiant son licenciement comme elle l’a fait le 29 septembre 2011. « Toute autre conclusion reviendrait à admettre que puisse être considéré comme abusif un licenciement donné en raison d’un comportement répréhensible que l’employé à réellement adopté, mais que l’employeur ne pouvait strictement démontrer au moment du licenciement, ce qui n’est pas admissible » (cons. 3.4).

Au vu des motifs qui précèdent, c’est à bon droit que le Tribunal a jugé non abusif le congé signifié à Monsieur T.

Résumé par Mme Karine Lempen, Professeure à la Faculté de droit de l’Université de Genève

TF (GE) 6.6.2012, 19.6.2014 et 14.6.2016
licenciement discriminatoire

sujet

Droit de la fonction publique. Non-renouvellement. Discrimination dans l’évaluation des prestations de travail. Mesures provisionnelles. Réintégration. Indemnisation.

LEg

art 2, art 3, art 5, art 6, art 13

procédure

A) Sur la requête de mesures provisionnelles

27.7.2011 Arrêté du Conseil d’Etat (rejet de la demande) 30.8.2011 Arrêt de la Chambre administrative de la Cour de justice (ATA 537/2011) (rejet confirmé) 6.6.2012 Arrêt du Tribunal fédéral (8C_745/2011) (recours sans objet)

B) Sur la nature discriminatoire du non-renouvellement

7.3.2012 Arrêté du Conseil d’Etat (rejet du recours) 18.6.2013 Arrêt de la Chambre administrative de la Cour de justice (ATA/377/2013) (admission du recours) 19.6.2014 Arrêt du Tribunal fédéral (8C_587/2013) (irrecevabilité du recours)

C) Sur l’indemnisation suite à la non-réintégration

11.8.2015 Arrêt de la Chambre administrative de la Cour de justice (ATA/805/2015) (admission partielle de la demande) 14.6.2016 Arrêt du Tribunal fédéral (8C_703/2015) (rejet du recours)

résumé

Le contrat d’engagement d’une professeure HES n’est pas renouvelé au motif que ses prestations sont jugées insuffisantes. Madame T fait valoir une discrimination fondée sur le sexe. Selon elle,  le directeur de l’école aurait apprécié ses prestations avec une sévérité beaucoup plus grande que celle dont il avait fait preuve à l’égard de ses collègues, tous de sexe masculin. Madame T conclut, sur mesures provisionnelles, à pouvoir rester à son poste de travail pendant la durée de la procédure et, sur le fond, à ce que la nullité de la décision de non-renouvellement soit constatée.
En ce qui concerne la demande de réintégration provisoire, le Conseil d’Etat, puis la Chambre administrative de la Cour de justice rejettent cette requête, au motif que son acceptation reviendrait à accorder à la recourante le plein de ses conclusions sur le fond. Madame T recourt au Tribunal fédéral. L’affaire ayant été entre-temps tranchée sur le fond, le recours est déclaré sans objet.
Sur le fond, la Chambre ad