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VD 30.01.2023
congé maternité
licenciement discriminatoire

sujet

Licenciement après un congé de maternité justifié par des raisons économiques liées à la pandémie de Covid-19 ainsi que par des difficultés à s’intégrer dans une équipe.

LEg

art 3, art 6

procédure

5.07.2022 Jugement du Tribunal civil de l’arrondissement de la Broye et du Nord vaudois 30.01.2023 Arrêt de la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal vaudois (HC_2023_28)

résumé

Durant son congé de maternité, une conseillère en personnel négocie sans succès une réduction de son taux d’activité. Ayant finalement trouvé une place à temps plein en garderie pour son enfant, elle accepte de recommencer à travailler au taux de 100 %. Quelques jours avant la date convenue pour la reprise du travail, son employeuse, contrainte de réduire ses effectifs dans le contexte de la pandémie de Covid-19, lui signifie un licenciement pour des raisons économiques. La travailleuse intente une action pour licenciement abusif. Malgré la proximité temporelle entre le retour du congé de maternité et la résiliation, la discrimination n’est pas jugée vraisemblable. Les motifs invoqués par l’employeuse semblent réels et non abusifs. La travailleuse perd son procès.

en fait

Durant l’été 2018, Mme T., conseillère en personnel, démissionne de son emploi auprès de E.

En octobre de la même année, T. et E. concluent un second contrat de travail de durée indéterminée, avec un taux d’activité à 100%.

Le 2 juillet 2020, T. accouche. Durant son congé de maternité, T. rencontre ses responsables hiérarchiques à plusieurs reprises afin de discuter des modalités de son retour et notamment de son taux d’activité.

Lors d’un entretien le 9 septembre 2020, T. demande à réduire son taux à 80 %. Le directeur et l’administrateur de E. sont d’avis qu’un taux inférieur à 100% n’est pas envisageable, compte tenu des tâches à accomplir, et que T. doit trouver une solution de garde pour son enfant.

Le 10 octobre 2020, T. informe son employeuse qu’elle a trouvé une garderie pouvant s’occuper de son enfant à plein temps et qu’elle sera en mesure de recommencer son activité à 100 %. La date de reprise est fixée au 2 novembre 2020.

En raison de la pandémie de Covid-19, le Conseil fédéral a adopté diverses mesures, dont la fermeture d’un grand nombre d’entreprises et de chantiers, qui ont affecté de manière importante le secteur du placement de personnel fixe et temporaire. Active dans ce secteur, E. a dû souscrire un emprunt « Covid-19 » à hauteur de CHF 500’000.- et recourir à la réduction de l’horaire de travail.

À l’occasion d’une séance consacrée au budget, le 22 octobre 2020, E. décide de diminuer ses coûts, de réduire son personnel et de licencier T. Le choix se porte sur elle car cette dernière est « l’employée la moins à même de compléter l’équipe d’[...] et de rapporter des clients ».

Le 26 octobre 2020, soit peu avant la date convenue avec T. pour sa reprise d’activité, E. lui notifie la résiliation de son contrat de travail pour des motifs économiques.

Interrogée en qualité de partie à l’audience du 12 mai 2022, T. « a déclaré que l’entretien s’était bien passé, que, pour elle, leurs motifs étaient clairs et qu’ils s’entendaient bien. Elle a ajouté qu’il ne lui semblait pas qu’elle avait dit à ses interlocuteurs qu’elle était soulagée, mais qu’il était possible qu’elle l’ait dit en sortant, car elle ne se voyait pas revenir à plein temps ».

Le 9 décembre 2020, T. déclare s’opposer à son licenciement, abusif, et requiert sa motivation.

Afin de faire suite à cette demande, E. explique que « pour des raisons économiques et pour stabiliser la situation de la société, il a été décidé de réduire son effectif ». Pour ce motif, l’entreprise a pris la décision de se séparer de T., « qui n’a par ailleurs pas su s’intégrer dans l’équipe depuis son engagement au 1er novembre 2018, ce qui rendait les relations de travail difficiles. Ainsi, [E.] passe de cinq conseillers en placements en janvier 2020 au nombre de trois à la fin de cette année, étant précisé que le poste de [T.] ne sera pas repourvu. ».

La travailleuse intente une action pour licenciement abusif. Le 5 juillet 2022, le Tribunal civil de l’arrondissement de la Broye et du Nord vaudois rejette sa demande. La Cour d’appel civile du Tribunal cantonal statue sur l’appel interjeté par T.

en droit

L’appelante invoque une violation de l’art. 336 CO. Selon elle, son licenciement serait abusif car lié à la maternité et non à des raisons économiques ou des difficultés d’intégration (c. 4).

Après avoir exposé la jurisprudence relative à l’art. 336 CO, la Cour d’appel rappelle que l’art. 3 LEg interdit les licenciements discriminatoires. L’allègement du fardeau de la preuve prévu par l’art. 6 LEg s’applique. « Si l’employée parvient à rendre vraisemblable que le motif du congé réside dans sa grossesse ou sa maternité, il appartiendra à l’employeur de prouver que cet élément n’a pas été un facteur déterminant dans sa décision de mettre un terme au contrat (…), en d’autres termes, que l’employée aurait été licenciée même si elle n’avait pas été enceinte, pour un motif objectif sans lien avec la grossesse ou la maternité, comme la réorganisation de l’entreprise, ou l’insuffisance des prestations de l’intéressée (…) » (c. 4.1.3).

En l’espèce, T. relève que le seul changement intervenu dans sa situation depuis quatre ans au service de E. réside dans le fait d’être devenue mère. « Elle ajoute qu’elle a accepté de reprendre son activité à plein temps au retour de son congé maternité pour garder son poste, alors qu’elle souhaitait réduire son taux d’activité à 80% pour des questions relatives à la garde de son enfant (…) ». A ce propos, la Cour estime que le fait d’exiger de ses conseillers en personnel qu’ils travaillent à plein temps est compréhensible et peut s’expliquer, à tout le moins dans l’entreprise concernée, par le cahier des charges de cette fonction. « Il s’agit par ailleurs d’un choix de l’employeur et on ne saurait y voir une attitude discriminatoire, alors que l’appelante travaillait à un taux d’activité de 100% avant son congé maternité et qu’elle ne pouvait dès lors pas exiger de réduire son horaire de travail » (c. 4.2.1).

La Cour d’appel arrive à la conclusion que « les allégations faites par l’appelante afin d’expliquer que son licenciement lui aurait été signifié en raison de sa maternité ne sont que des suppositions et ne reposent sur aucun fondement. En particulier, l’allégation de l’intéressée, selon laquelle l’intimée était assez retorse pour exiger d’elle qu’elle travaille à plein temps dans le but qu’elle donne son congé est purement gratuite et ne repose sur aucun indice. Il en va de même des autres affirmations toutes générales faites par l’appelante. Celle-ci ne saurait en effet alléguer, sans se baser sur des éléments concrets, que les jeunes mères travaillant à un taux d’activité réduit paraissent souvent poser problème aux employeurs, que l’intimée ne voulait pas continuer à travailler avec une femme en charge d’une famille parce que cette situation ne lui causerait que des difficultés ou qu’on imaginerait mal une société publier une annonce de recherche d’emploi en indiquant « recherche femme sans enfant » pour justifier une attitude prétendue discriminatoire de l’intimée. Dans ces conditions, l’appelante ne rend pas vraisemblable au sens de l’art. 6 LEg que sa maternité serait à l’origine de son licenciement » (c. 4.2.1).

Selon la Cour, « il y a lieu de retenir que l’intimée se trouvait dans une situation économique difficile au cours du dernier trimestre de l’année 2020 à tout le moins. Elle a en effet souscrit un prêt “Covid-19” et a recouru à la RHT. Il est dès lors logique qu’elle ait voulu réduire ses coûts en se séparant d’une partie de son personnel. Le directeur de l’intimée a expliqué que lors de la séance de gestion de budget du 22 octobre 2020, les intervenants avaient décidé de licencier l’appelante parce que selon eux, celle-ci était la moins à même de compléter l’équipe d’[...] et de rapporter des clients, dès lors qu’il s’agissait de la personne qui s’intégrait le moins bien dans la nouvelle équipe. Or, cette affirmation est corroborée par les éléments au dossier. (…) Le choix de licencier l’appelante, motivé par des raisons économiques et par une moins bonne intégration dans l’équipe, repose donc sur des éléments concrets. (…) Dans ces conditions, les motifs invoqués par l’intimée doivent être considérés comme réels et non abusifs » (c. 4.2.2).

L’appel est rejeté et les frais judiciaires, arrêtés à CHF 729.-, sont mis à charge de la travailleuse.

Résumé par Mme Karine Lempen, Professeure à la Faculté de droit de l’Université de Genève
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