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VD 22.01.2008
discrimination salariale

sujet

Classification salariale prétendument discriminatoire, preuve de la discrimination

LEg

art 3, art 6

procédure

09.05.2007 Jugement du Tribunal de Prud’hommes de l’Administration cantonale 22.01.2008 Jugement de la Chambre des recours du Tribunal cantonal

résumé

La vraisemblance d’une discrimination salariale entre les maîtresses ACT et les maîtres TM avant la mise en place de la nouvelle filière au sein de la Haute école pédagogique du canton de Vaud (HEP) a été admise, ce qui a entraîné le renversement du fardeau de la preuve (art. 6 LEg). Cependant, la Chambre des recours du Tribunal cantonal a retenu, après complètement de l’état de fait, que l’employeur public avait prouvé que la différence salariale reposait sur un motif objectif. Celui-ci consistait principalement dans le fait que les formations permettant d’accéder à ces deux activités étaient différentes, ce qui était de nature à influer sur les prestations concrètes de travail. Dès lors la différence salariale a été jugée non discriminatoire à raison du sexe, contrairement à ce qui avait été retenu en première instance.

en fait

Par jugement du 9 mai 2007, Le Tribunal de Prud’hommes de l’Administration cantonale (ci-après : TRIPAC) a considéré que la classification salariale de la demanderesse, Madame T, en classes 16-19 en sa qualité de maîtresse d’activités créatrices sur textiles (ci-après : maîtresse ACT) était constitutive d’une discrimination (I) ; que Madame T avait droit à une rémunération fondée sur une classification en classes 20-24 pour son activité de maîtresse ACT, calculée conformément aux dispositions légales au vu de son ancienneté (II) ; a rejeté toutes autres et plus amples conclusions (III) ; et a rendu l’arrêt sans frais ni dépens (IV).

L’Etat de Vaud, en sa qualité de défendeur, a recouru contre ce jugement devant la Chambre des recours du Tribunal cantonal.

La Chambre des recours du Tribunal cantonal a repris dans son entier l’état de fait établi par le TRIPAC, dont il ressortait en résumé les éléments suivants :

La demanderesse a suivi, dans le canton de Neuchâtel, un apprentissage de couturière couronné par un certificat fédéral de capacité (ci-après : CFC). En 1980, elle a obtenu un brevet de capacité pour l’enseignement des travaux à l’aiguille délivré par le canton de Neuchâtel. En 1994, ce brevet a fait l’objet d’une reconnaissance d’équivalence avec le brevet vaudois pour l’enseignement des ACT.

La demanderesse a été engagée par l’Etat de Vaud au début de l’année scolaire 1991-1992, en tant que maîtresse ACT. Depuis le 24 juin 2004, elle était au bénéfice d’un contrat de durée indéterminée au sens de la loi du 12 novembre 2001 sur le Personnel de l’Etat de Vaud (LPers-VD ; RSV 172.31), en qualité de maîtresse d’activités manuelles et sur textiles (ci-après : maîtresse ACM-ACT). Son salaire annuel brut était de 69’108 frs., treizième salaire compris, pour un taux d’occupation de 75%. Son taux d’activité est passé à 100 % (soit 28 périodes d’enseignement) dès le 1er août 2004. D’après son contrat d’engagement, la fonction de maîtresse ACM-ACT était colloquée en classes 16-19 au sens de l’échelle des salaires de la fonction publique cantonale vaudoise du mois de janvier 2002.

Le 27 février 2002, peu après la mise en place de la nouvelle filière de formation de la Haute école pédagogique vaudoise (HEP), le Département de la formation et de la jeunesse a décidé que les maîtresses ACM-ACT ne disposant pas du brevet délivré par la HEP auraient la possibilité d’obtenir un certificat HEP pour une deuxième voire une troisième compétence d’enseignement à l’issue d’une formation complémentaire. Dans cette décision, il était précisé que la rémunération pour l’activité de maîtresse ACM-ACT ne serait pas revue ; par contre le niveau de rémunération pour les deuxième et troisième compétences ferait l’objet d’une évaluation ultérieure.

Le 6 février 2004, la demanderesse a demandé le réexamen des conditions d’engagement des maîtresses ACM-ACT non diplômées de la HEP, auprès de la Direction générale de l’enseignement obligatoire, son autorité d’engagement. Elle y faisait notamment remarquer que les maîtresses ACM-ACT faisaient l’objet d’une différence de traitement par rapport aux maîtres de travaux manuels (ci-après : maîtres TM), non bénéficiaires du titre HEP. La Direction générale de l’enseignement obligatoire a rejeté cette demande.

En février et juillet 2004, Madame T a obtenu deux certificats de formations complémentaires délivrés par la HEP pour des options de compétences en informatique/bureautique et mathématiques. Ces certificats correspondaient à de nouvelles options de compétence de maître semi-généraliste.

En décembre 2005, l’Etat de Vaud a fait savoir à la société pédagogique vaudoise (SPV) et au syndicat SUD, avec lesquels la question de la classification salariale des maîtresses ACM-ACT non titulaires du titre délivré par la HEP avait été discutée, qu’il n’entendait pas revoir la classification des maîtresses ACM-ACT. Il n’avait en particulier pas l’intention d’assimiler leur situation à celle des maîtres TM. En revanche, il se déclarait prêt à réexaminer leur rémunération concernant les compétences supplémentaires attestées par les certificats de la HEP, dans la mesure où ces compétences seraient effectivement exercées par les intéressées.

Par convention du 6 juillet 2006 entre l’Etat de Vaud et la SPV, que le syndicat SUD a refusé de signer, le premier s’est engagé à rémunérer l’enseignement effectif d’une nouvelle option de compétence pour les maîtresses ACM-ACT sur la base des classes de salaire 21-24 au sens de l’échelle des salaires de la fonction publique vaudoise du mois de janvier 2002. Cette convention devait s’appliquer à 33 maîtresses ACM-ACT, dont la demanderesse, et prendre la forme d’un avenant au contrat d’engagement pour chacune d’entre elles. La demanderesse n’a pas signé l’avenant en question.

Par demande du 6 novembre 2006, Madame T a ouvert action devant le TRIPAC et a conclu à ce qu’il soit reconnu que l’Etat de Vaud s’était rendu coupable d’une discrimination salariale au sens des art. 3, 5 et 6 de la loi fédérale du 24 mars 1995 sur l’égalité entre femmes et hommes (LEg ; RS 151.1). Elle demandait par ailleurs à être colloquée en classes 20-24, avec effet rétroactif au début de son engagement auprès de l’Etat de Vaud et à bénéficier, également avec effet rétroactif, de l’application de tous les mécanismes salariaux dérivant de cette classification (indexation et annuités).

Le défendeur, l’Etat de Vaud, a conclu au rejet des conclusions de la demande.

Il ressort du témoignage de la Présidente de l’association vaudoise des maîtresses d’ACT que la convention conclue avec la SPV n’était pas encore effectivement appliquée. A son avis, les fonctions de maîtresses ACM-ACT et de maîtres TM exigaient le même niveau de compétences. D’ailleurs, dans le nouveau cursus mis en place par la HEP, les maîtres semi-généralistes spécialisés en TM ou en ACM-ACT étaient colloqués de la même manière, à savoir en classes de salaire 21-24.

Le Président de la SPV a confirmé ce témoignage.

Le TRIPAC a admis la demande, considérant qu’il y avait discrimination salariale entre les maîtresses ACM-ACT et les maîtres TM et que la demanderesse devait être colloquée en classes 20-24. En substance, il a retenu que Madame T avait rendu vraisemblable l’existence d’une discrimination. Il s’est fondé sur le fait que la fonction de maîtres TM était quasi exclusivement exercée par des hommes et celle de maîtres ACM-ACT par des femmes, que les cahiers des charges de ces deux activités étaient semblables, en tout cas du point de vue de la nature de l’enseignement et du nombre de périodes d’enseignement pour un plein temps. Le Tribunal de Prud’hommes a retenu que la discrimination concernait les maîtres formés dans le système en vigueur avant que ne soit mise en place la nouvelle filière au sein de la HEP, cette dernière donnant dorénavant lieu, pour l’enseignement des ACM-ACT et des TM, à la même rémunération selon une collocation en classes 21-24. Le Tribunal a considéré que les conditions d’accès aux fonctions en cause résultaient d’une conception discriminatoire de la valeur des deux branches, les TM s’adressant à l’époque exclusivement aux garçons, alors que les ACM-ACT s’adressaient aux filles. Il a enfin retenu que le défendeur, l’Etat de Vaud, n’avait pas apporté la preuve que la différence salariale entre ces deux fonctions reposait sur des motifs objectifs, sans rapports avec le sexe des enseignants.

Le 5 octobre 2007, l’Etat de Vaud a recouru contre ce jugement, en concluant à sa réforme, en ce sens que les conclusions prises par Madame P soient rejetées.

en droit

A. Complètement de l’état de fait, s’agissant de la formation des maîtres de TM

Après avoir constaté la conformité de l’état de fait du jugement de première instance aux pièces du dossier et aux autres preuves administrées, la Chambre des recours du Tribunal cantonal l’a complété de la manière suivante :

.

B. Action en cessation et action en constatation de la discrimination (art. 5 al. 1 let. b et c LEg)

La Chambre des recours a rappelé que l’action en constatation de la discrimination prévue par l’art. 5 al. 1 let. c LEg n’a pas de portée indépendante dès lors qu’une action en cessation (art. 5 al. 1 let. b LEg), destinée à mettre fin à une discrimination existante et persistante est ouverte, car la constatation de la discrimination est présupposée dans l’action en cessation (MARGRITH BIGLER-EGGENBERGER, n° 17 ad art. 5 LEg, in : Bigler-Eggenberger/Kaufmann, Commentaire de la loi sur l’égalité, Lausanne 2000).

En l’espèce, la Chambre des recours a constaté que les premiers juges étaient à juste titre entrés en matière sur l’action en cessation (chiffre II du dispositif du jugement) ainsi que sur celle en constatation (chiffre I), leurs conditions d’entrée en matière étant réunies.

C.  Règles de droit applicables

a) Droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale

Après avoir rappelé la teneur de l’art. 8 al. 3, 3ème phrase Cst[1] et celle de l’art. 3 LEg [2], ainsi que les définitions des notions de discriminations directe et indirecte liées au sexe[3], la Chambre des recours a rappelé qu’une discrimination peut exister lorsqu’une profession typiquement féminine est désavantagée par rapport à une profession typiquement masculine (ATF 124 II 409, consid. 8b, JT 2001 I 3). Il y a discrimination en matière de rémunération notamment lorsqu’il existe, au détriment d’une profession identifiée comme typiquement liée au sexe, des différences de salaires qui ne sont pas fondées objectivement sur le travail lui-même. Les différences salariales qui reposent sur des circonstances spécifiquement liées au sexe sont donc interdites (TF, arrêt du 03.09.2007, 2A.730/2006, consid. 4.1 ; ATF 124 II 409, consid. 8a, JT 2001 I 3 ; ATF 117 Ia 270, consid. 2b, JT 1993 I 106). La Chambre des recours a encore cité la jurisprudence du Tribunal fédéral selon laquelle une discrimination directe ou indirecte en matière de rémunération peut résulter non seulement de la comparaison de la rémunération d’une personne précise par rapport à celle d’autres personnes du sexe opposé, mais aussi de la classification générale de fonctions déterminées. Dans l’aménagement d’un système de rémunération de la fonction publique, les autorités cantonales disposent toutefois d’un large pouvoir d’appréciation que la loi sur l’égalité ne restreint en principe pas, en ce sens qu’elle n’impose ni une méthode déterminée d’évaluation des places de travail, ni l’application d’une échelle ; elle prohibe uniquement le choix de critères qui ont un effet discriminatoire direct ou indirect (TF, arrêt du 03.09.2007, 2A.730/2006, consid. 4.1 ; ATF 124 II 409, consid. 8a, JT 2001 I 3). Dans la règle, ne sont pas discriminatoires les différences qui reposent sur des critères objectifs tels que la formation, l’âge, l’ancienneté, les qualifications, l’expérience, le cahier des charges, les prestations et les risques encourus (TF, arrêt du 03.09.2007, 2A.730/2006, consid. 4.1 ; ATF 130 III 145, consid. 5.2 ; ATF 127 III 207, consid. 3c ; ATF 124 II 409, consid. 8a, JT 2001 I 3). En particulier, le critère lié à la différence de formation n’est pas discriminatoire. Certes, derrière des critères formellement neutres peut parfois se cacher une discrimination indirecte, par exemple si l’on donne trop d’importance à l’ancienneté dans l’évaluation des salaires, sans égard à l’interruption de carrière en raison d’obligations familiales, qui est encore de manière typique le fait des femmes. En règle générale cependant, les raisons objectives peuvent justifier une différence de rémunération dans la mesure où elles influent sur la prestation de travail et sa rémunération par l’employeur (ATF 130 III 145, consid. 5.2 ; ATF 125 III 368, consid. 5, JT 2000 I 596 ; ATF 124 II 409, consid. 9c et 9d, JT 2001 I 3). Ainsi le Tribunal fédéral a admis qu’une différence de rémunération, au détriment des maîtresses de travaux manuels, par rapport à des enseignants de l’école primaire ou de l’école ménagère, était justifiée, compte tenu des différences dans la formation et l’activité professionnelle (ATF 117 Ia 270, consid. 2b, JT 1993 I 106).


b) Allègement du fardeau de la preuve (art. 6 LEg)

L’art. 6 LEg instaure un assouplissement du fardeau de la preuve en matière de discrimination entre femmes et hommes ; il s’applique à l’attribution des tâches, à l’aménagement des conditions de travail, à la rémunération, à la formation et au perfectionnement professionnels, à la promotion et à la résiliation des rapports de travail. Selon cette disposition, dès lors que la prétendue victime d’une discrimination a rendu vraisemblable l’existence d’une discrimination, le fardeau de la preuve est renversé, de sorte qu’il incombe à la partie adverse de démontrer l’inexistence de la discrimination. Cette règle spéciale par rapport à l’art. 8 CC, selon lequel il incombe à la partie qui déduit un droit de certains faits d’apporter la preuve de ces faits, trouve sa justification dans la nécessité de corriger l’inégalité de fait résultant de la concentration des moyens de preuve en mains de l’employeur. Pour que la vraisemblance d’une discrimination soit admise, le juge n’a pas à être convaincu du bien-fondé des arguments du travailleur ; il doit simplement disposer d’indices objectifs suffisants pour que les faits allégués lui paraissent vraisemblables, sans pouvoir exclure qu’il en aille différemment. Selon la jurisprudence, la vraisemblance doit porter sur les conditions effectives de la discrimination, surtout en ce qui concerne la spécification des sexes et le fait que l’échelle de traitement repose sans raison objective sur des critères liés au sexe. Le fait qu’une employée exerçant une profession typiquement féminine gagne moins que dans une autre profession (neutre du point de vue du sexe ou masculine) ne rend pas encore vraisemblable une discrimination. En effet, la question de l’existence d’une discrimination ne peut être tranchée que si la fonction concernée est examinée par rapport à l’ensemble du système salarial. En revanche, lorsque des travailleurs de sexe opposé ont une position semblable avec des cahiers des charges comparables, il est présumé, s’il y a une différence de rémunération entre eux, que celle-ci est de nature sexiste (TF, arrêt du 03.09.2007, 2A.730/2006, consid. 4.2 et les références). Lorsqu’une discrimination est rendue vraisemblable, le fardeau de la preuve incombe à l’employeur. Celui-ci obtiendra gain de cause s’il parvient à établir, preuves à l’appui, que la différence de traitement repose sur des facteurs objectifs (Message LEg, FF 1993 I 1163, pp. 1215-1216 ; TF, arrêt du 03.09.2007, 2A.730/2006, consid. 4.2), soit qu’elle n’est pas discriminatoire. Il faut déduire de l’art. 6 LEg – pour autant qu’une discrimination ait été rendue vraisemblable - que l’employeur doit prouver, d’une part, les faits sur lesquels il fonde sa politique salariale et, d’autre part, les motifs justifiant les différences critiquées comme discriminatoires (TF, arrêt du 03.09.2007, 2A.730/2006, consid. 4.2 ; voir aussi ATF 130 III 145, consid. 5.2).

D. Examen de l’existence d’une discrimination salariale en l’espèce

Le TRIPAC a retenu que la demanderesse avait rendu vraisembable la discrimination salariale, se fondant sur le fait que la différence de salaire était suffisamment importante (classes salariales 16-19 pour les maîtresses ACT, classes 20-24 pour les maîtres TM), que l’enseignement des ACM-ACT était presque exclusivement exercé par des femmes et celui des TM par des hommes et que les cahiers des charges pour ces deux activités étaient semblables, du moins s’agissant de la nature de l’enseignement et du nombre de périodes à enseigner pour un plein temps. Les juges de première instance ont par ailleurs considéré que le défendeur, l’Etat de Vaud, n’avait pas apporté la preuve que la différence salariale entre ces deux fonctions reposait sur des motifs objectifs, sans rapport avec le sexe des enseignants.

La Chambre des recours a également considéré que Madame T avait rendu vraisemblable l’existence de la discrimination salariale entre l’activité de maître ACT et celle de maître TM, selon l’ancien système de formation. Elle a retenu à cet égard les mêmes éléments de faits que l’instance inférieure. Elle a par ailleurs confirmé qu’il incombait au défendeur, l’Etat de Vaud, de prouver que la différence salariale entre les maîtres TM et les maîtresses ACM-ACT n’était pas discriminatoire.

A ce égard, la Chambre des recours a considéré que l’instance inférieure n’avait, à tort, pas tenu compte des éléments de faits contenus dans la note du 6 décembre 2006 émanant de la Direction générale de l’enseignement obligatoire. Cette note concernait les formations respectives à entreprendre pour l’obtention du brevet d’enseignement des ACT et des TM, ceci avant que ne soit mise en place la nouvelle filière au sein de la HEP.

Pour la Chambre des recours, il ressortait de cette note que les exigences quant à la formation à suivre pour l’enseignement des ACM-ACT et des TM étaient différentes. La Chambre des recours a retenu les différences suivantes :

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