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VD 08.05.2006
licenciement discriminatoire

sujet

Caractère discriminatoire d’un licenciement notifié au retour du congé de maternité non admis, le véritable motif du congé résidant dans la restructuration de l’entreprise.

LEg

art 3, art 6, art 9

procédure

08.05.2006 Jugement du Tribunal de Prud’hommes (VD)

résumé

Une employée a été licenciée à son retour de congé de maternité. Bien que le motif avancé par l’employeur pour licencier son employée résidait dans la soit disante exigence de celle-ci de diminuer son taux d’activité à 80% à son retour de congé maternité (motif qui, au demeurant ne correspondait pas à la réalité et a servi de prétexte au licenciement, pour masquer les vraies raisons du congé qui résidaient dans la réorganisation du département), la discrimination a été niée, le Tribunal ayant acquis la conviction que le motif réel du congé résidait dans le profond remaniement que subissait le département auquel l’employée était rattachée. Il a ainsi été admis que l’employée aurait été licenciée même si elle n’avait pas été enceinte, puis en congé de maternité. Dans cette affaire, la discrimination à raison du sexe n’est qu’apparente : si le licenciement à la fin du délai de protection contre le licenciement en temps inopportun (cf. art. 336c al. 1 lit. c CO) apparaît a priori comme hautement suspect, il n’est en définitive pas en rapport avec l’accouchement de l’employée ; celui-ci repose sur une raison objective puisqu’il est intervenu en raison du fait que l’employée ne disposait pas des compétences pour remplir les tâches de la nouvelle fonction, telle qu’elle avait été redessinée suite à la réorganisation du département. Le Tribunal exprime tout de même sa réserve quant à l’attitude pour le moins cavalière de l’employeur qui, en plus d’avoir licencié une employée à son retour de congé de maternité, a allégué un motif fallacieux pour justifier le licenciement, ce qui a eu pour effet d’entretenir le paradoxe et de renforcer l’employée dans l’idée qu’elle avait été licenciée en raison de sa grossesse et de son accouchement.

en fait

Du 1er mars 2002 au 28 février 2005, Madame T a travaillé, à plein temps, au sein de E SA, en qualité de Sales Support Trainer, fonction rattachée au département Vente et Marketing. Son certificat de travail indique qu’elle était le bras droit de Monsieur A, le Chef de vente pour la Suisse romande et le Tessin. Madame T avaient principalement pour tâches la gestion du processus de planification annuelle des ventes, la coordination des activités et directives de ventes (campagnes, contrôle des résultats, analyses, communication et relations avec le réseau des agences), la conception et la réalisation de campagnes de publicité et d’actions marketing, ou encore la coordination et la coanimation de cours de vente.

Le 17 novembre 2003, Madame T a informé Monsieur A qu’elle était enceinte. A cette occasion, ils ont discuté d’une réduction du taux d’activité de Madame T, à 80%, à l’échéance de son congé de maternité.

Le 1er mars 2004, Monsieur A a été remplacé dans ses fonctions par Monsieur B. Messieurs A et B se sont entretenus au sujet de la situation du département Vente et Marketing et ont abordé le cas de Madame T.

Lors d’un entretien du 19 mars 2004, confirmé par email du 30 mars 2004, Monsieur B a indiqué à Madame T que l’activité de Sales Support Trainer représentait une activité à temps complet, et qu’il n’était par conséquent pas possible d’exercer cette fonction à 80%. Considérant qu’il n’était pour sa part pas tenu par l’accord que Madame T avait passé avec son prédécesseur, Monsieur A, au sujet de la réduction de son temps de travail à l’issue de son congé de maternité, Monsieur B a expliqué à Madame T qu’il avait dû lui trouver un remplaçant et l’informait que Monsieur C avait été engagé pour lui suppléer définitivement à compter du 1er mai 2004.

Le 25 mars 2004, les collaborateurs de E SA ont à leur tour été informés par courriel de la promotion de Monsieur C au poste de Sales Support Manager avec effet au 1er mai 2004.

Par courrier électronique du 30 mars 2004, Madame T est revenue sur l’entretien qu’elle avait eu avec Monsieur B en date du 19 mars 2004 et sur l’annonce de la nomination de Monsieur C, en faisant part de son étonnement quant à la rapidité de son remplacement, intervenu alors même qu’elle n’avait pas pu s’exprimer sur l’éventualité d’une reprise de son activité à temps plein après son congé de maternité, entendant par-là que cette possibilité aurait pu être envisagée. Elle en concluait que son remplacement était dû au fait que Monsieur B et elle ne pourraient pas collaborer en raison d’une divergence de caractères.

A l’incitation de son employeur, Madame T a postulé à la fonction de Chargée de communication au sein de E SA, en raison de la perte de son emploi de Sales Support Trainer. Bien qu’elle fût intéressée par cette nouvelle fonction, Madame T requérait en parallèle de son employeur une prise de position rapprochée quant aux autres options envisageables à son retour de congé de maternité, pour le cas où le poste brigué ne lui serait pas attribué. E SA lui a répondu qu’elle ne se prononcerait que dans l’éventualité où la démarche entreprise par Madame T n’aboutirait pas.

Par email du 7 mai 2004, Madame T a informé E SA qu’elle n’avait pas obtenu le poste de chargée de communication, ce qu’elle regrettait par ailleurs beaucoup. En conséquence, elle réitérait sa demande tendant à obtenir des déterminations quant à son avenir au sein de E SA à l’issue de son congé de maternité.

Par courriel du 13 mai 2004, E SA signifiait à Madame T ce qui suit : « Aujourd’hui, nous ne sommes pas en mesure de prendre position quant à notre collaboration future, au terme de ton congé grossesse cet automne, compte tenu de l’évolution et des changements constants au sein de la société ouvrant ainsi d’éventuelles opportunités futures ». Le même jour, Madame T a accusé réception du courriel de son employeur, précisant qu’elle ne pouvait pas se satisfaire de sa détermination évasive « notamment pour des questions d’organisation quant à la crèche, et d’éventuelles recherches d’un nouvel emploi ». Cette situation étant psychologiquement difficile à supporter, Madame T enjoignait E SA de prendre position d’ici la fin du moi de mai, également « sur les conditions d’un licenciement ».

Le 14 mai 2004, Madame T a donné naissance à une fille. Elle a bénéficié d’un congé de maternité de 16 semaines, échéant le 13 septembre 2004.

Le 13 septembre 2004, soit à l’issue de son congé maternité, Madame T a reçu de la part du service du personnel de E SA le message électronique suivant : « Chère T je me réfère à notre récent entretien téléphonique et te confirme par la présente que ta demande de réduction du taux d’activité au terme de ta grossesse n’a pu être envisagée dans le cadre de ta fonction et qu’aucune autre proposition de poste de cadre dans ces conditions n’est aujourd’hui envisageable. En conséquence, nous avons décidé de mettre fin à nos rapports de travail pour le 28 février 2005 ». Il était précisé que Madame T était libérée de son obligation de travailler dès le 15 octobre 2004, son salaire lui étant versé jusqu’à la fin du mois de février 2005. Par pli recommandé du 4 octobre 2004, E SA a confirmé les motifs de ce licenciement.

Le 18 octobre 2004, Madame T a accusé réception du courrier de E SA lui signifiant son licenciement, fait part de son étonnement et indiqué que, renseignements pris auprès d’un avocat, son congé était abusif et donc contestable. Toutefois, compte tenu des excellentes relations qu’elle avait toujours entretenues avec son employeur et avant d’envisager une procédure judiciaire, elle proposait à E SA de lui verser CHF 10’954.-, soit le montant équivalent à sa prime 2003, à titre de dédommagement.

Le 18 février 2005, le conseil de Madame T a écrit à E SA, pour lui proposer de trouver un accord à l’amiable, moyennant le versement d’une indemnité nette de CHF 20’000.-. A l’appui de cette prétention, il était notamment invoqué ce qui suit : « En réalité, B a décidé de se séparer de Mme T du fait de sa grossesse et c’est en raison de celle-ci et du congé maternité qui s’en est suivi que vous avez signifié à ma mandante la résiliation de son contrat de travail pour le 28 février 2005. D’ailleurs, vous ne vous êtes jamais positionné officiellement tant que Mme T était protégée par la loi et que vous ne pouviez résilier son contrat de travail. Votre attitude est significative du fait que vous avez évincé Mme T de son poste en raison de sa grossesse et avez nommé C à sa place, avec l’intention de licencier Mme T à l’échéance de son congé maternité, lorsque la loi ne vous l’interdirait plus ». Ce faisant, Madame T estimait avoir été victime d’un licenciement discriminatoire et concluait à une violation de la loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes (LEg).

Le 18 avril 2005, E SA, par l’intermédiaire de son conseil, a refusé d’entrer en matière sur la proposition transactionnelle de Madame T, au motif qu’il ne s’agissait pas d’un licenciement discriminatoire. A son avis, le congé résultait au contraire du fait qu’aucun autre poste équivalant à celui de Madame T ne pouvait lui être attribué à 80%.

Le 18 août 2005, Madame T a ouvert action auprès du Tribunal de prud’hommes de l’arrondissement de Lausanne, concluant au paiement, par E SA, de la somme de CHF 30’000.-. Elle invoquait la violation, par E SA, de la loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes et l’application de l’art. 336b CO.

Dans sa réponse du 30 septembre 2005, E SA a confirmé que le licenciement de Madame T était dû à l’impossibilité de réduire son taux d’activité à 80% ainsi qu’à l’absence de poste comparable disponible à son retour de congé de maternité. Par ailleurs, E SA invoquait que le licenciement était également dû à l’attitude et aux compétences de Madame T. Selon E SA, Madame T était mal perçue de ses collègues à l’égard desquels elle avait parfois une attitude arrogante. De plus, ses compétences se situaient davantage dans le domaine du marketing que dans celui de la vente. En conséquence, E SA rejetait l’entier des conclusions prises par Madame T, au motif que le congé ne serait pas discriminatoire.

Le 3 novembre 2005, le Tribunal de prud’hommes a tenu une première audience de conciliation, au cours de laquelle aucun accord n’a pu être trouvé, de sorte que le Président a poursuivi l’instruction.

Quatre audiences de jugement se sont tenues respectivement les 26 janvier, 8 février, 10 avril et 19 avril 2006, durant lesquelles le Tribunal a successivement procédé à l’audition de neuf témoins.

A l’issue de l’audience du 8 février 2006, le Tribunal a confié le dossier de la cause au Bureau de l’égalité entre les femmes et les hommes (BEFH), afin qu’il émette une appréciation conforme à l’art. 4 al. 3 LEg. L’expert a estimé qu’il apparaît « tout à fait vraisemblable que le licenciement de la requérante soit en réalité associé directement à sa grossesse, à son congé maternité et au changement de sa situation familiale », concluant que Madame T a été victime d’une discrimination dans la résiliation des rapports de travail, son licenciement étant discriminatoire « parce qu’il l’a touchée de manière différente que s’il s’agissait d’un employé appartenant à l’autre sexe, sans que cela ne soit justifié ». La résiliation du contrat de travail est par ailleurs également abusive au sens de l’art. 336 al. 1 let. d CO.

en droit

A. Le licenciement discriminatoire (art. 3 LEg)

Madame T invoque une violation de l’art. 3 LEg et l’application des art. 336 ss CO consacrés au licenciement abusif.

Après avoir vérifié la recevabilité de la requête de Madame T (celle-ci a valablement fait opposition au congé qui lui a été notifié par E SA avant la fin du délai de congé et agi en justice dans les 180 jours à compter de la fin du contrat, comme le prescrit l’art. 336b CO, disposition applicable par renvoi de l’art. 9 LEg) et examiné sa compétence ratione materiae (la LEg s’applique notamment aux rapports de travail régis par le CO, comme c’est le cas en l’espèce, et prévoit l’application de l’art. 343 CO, indépendamment de la valeur litigieuse ; cf. art. 2 et 12 al. 2 LEg) et ratione loci (dès lors que Madame T déployait son activité au sein du département Vente et Marketing de E SA, soit un département qui était rattaché aux bureaux régionaux de Lausanne, le Tribunal de prud’hommes de l’arrondissement de Lausanne est compétent ; cf. art. 24 Lfors, abrogé depuis lors ; cf. art. 34 CPC), le Tribunal examine la question au fond.

Le Tribunal de prud’hommes commence par rappeler que l’interdiction de toute discrimination des travailleuses et travailleurs à raison du sexe (art. 3 al. 1 LEg) prohibe tant la discrimination directe (soit une discrimination qui se fonde explicitement sur le critère du sexe, ou sur un critère ne pouvant s’appliquer qu’à l’un des deux sexes, et qui n’est pas justifiée objectivement) que la discrimination indirecte (soit une discrimination qui repose sur un critère qui pourrait s’appliquer à l’un ou l’autre sexe, mais qui a ou peut avoir pour effet de désavantager une plus grande proportion de personnes d’un sexe par rapport à l’autre, sans être justifiée objectivement). Il précise, qu’en l’espèce, le critère de la grossesse crée une discrimination directe puisqu’il s’agit d’un critère qui ne peut s’appliquer qu’à l’un des deux sexes.

La juridiction prud’homale relève ensuite que l’interdiction de la discrimination s’applique notamment à la résiliation des rapports de travail (art. 3 al. 2 LEg), comme c’est le cas en l’espèce.

Quant aux règles régissant le fardeau de la preuve de la discrimination, le Tribunal indique qu’en vertu de l’art. 6 LEg, qui constitue une règle spéciale par rapport à l’art. 8 CC et qui est invocable, notamment, en cas de discrimination dans la résiliation des rapports de travail, l’existence d’une discrimination est présumée pour autant que la personne qui l’allègue la rende vraisemblable. Il en découle que si la travailleuse parvient à rendre la discrimination vraisemblable, le fardeau de la preuve est renversé et l’employeur doit prouver, de manière certaine, l’inexistence de la discrimination. Le Tribunal souligne que l’allègement du fardeau de la preuve consacré par l’art. 6 LEg ne porte cependant que sur la discrimination à raison du sexe ; l’administration et le recueil des preuves concernant les mesures prises par l’employeur (in casu, les motifs du licenciement de Madame T allégués par E SA) obéissent en revanche aux règles générales sur le fardeau de la preuve (art. 8 CC). Dans l’établissement des preuves, est en effet seul déterminant l’élément objectif de la discrimination à raison du sexe ; la preuve ne doit être apportée que sur les effets d’une mesure prise par l’employeur. Il n’y a en revanche pas lieu de recueillir des preuves sur les mobiles de l’employeur. Ainsi, la bonne ou la mauvaise volonté, les intentions et le motif à l’origine du congé ne sont pas pertinents. Enfin, ce que ressent subjectivement la victime n’est pas non plus déterminant.

La jurisprudence a eu l’occasion de préciser qu’un fait est rendu vraisemblable dès que le juge acquiert l’impression, sur la base d’éléments objectifs, que l’existence des faits en cause est hautement probable sans devoir exclure la possibilité que les faits aient pu se présenter autrement (ATF 117 II 374, JT 1995 I 47 ; ATF 103 Ia 413). Si pour rendre un fait vraisemblable, une simple allégation ne suffit pas, une preuve stricte n’est cependant pas nécessaire (ATF 120 II 398, JT 1995 I 571). Pour fixer le degré de preuve, le tribunal doit examiner la vraisemblance des suspicions des deux parties, en pesant les intérêts en présence. Selon le Tribunal fédéral, il découle des règles du droit relatives à la preuve, non seulement un droit à la preuve, mais également un droit à la contre-preuve. Autrement dit, il sied également de recueillir les preuves de la partie adverse pour établir si un fait a été rendu vraisemblable (ATF 116 II 362).

Une fois les preuves administrées, le tribunal peut arriver à quatre conclusions différentes : la discrimination à raison du sexe est prouvée ; la discrimination à raison du sexe est plus vraisemblable que la non-discrimination ; la discrimination à raison du sexe est plutôt improbable, mais il subsiste la possibilité que l’allégation soit fondée ; la discrimination à raison du sexe est totalement douteuse ou a le caractère d’une simple allégation. Alors que dans ce dernier cas, le tribunal peut prononcer son jugement immédiatement, en rejetant les conclusions de la demande, dans les trois premières hypothèses, les faits allégués ont été rendus vraisemblables. La conséquence en est le renversement du fardeau de la preuve en mains de l’employeur, lequel doit alors apporter la preuve complète – et non pas la vraisemblance qui ne s’applique qu’à la discrimination à raison du sexe – que la mesure qu’il a ordonnée ne défavorise pas l’employé (e) en raison de son sexe ou qu’elle repose sur une justification objective. Ainsi, pour que la preuve soit complète, le tribunal doit être convaincu, objectivement et sur la base de son expérience de la vie, de la réalité d’un fait. Autrement dit, la preuve est apportée dès que le doute semble négligeable.

Dans le cas d’espèce, après examen du comportement de E SA (tant avant qu’après le congé de maternité de Madame T), le Tribunal admet que Madame T a rendu vraisemblable les conditions d’existence de sa prétention, à savoir qu’elle a été licenciée de manière discriminatoire en raison de sa grossesse (art. 6 LEg) : en particulier, « même s’il n’existe en réalité aucun lien entre le licenciement de la demanderesse et sa grossesse, le simple fait qu’elle ait été licenciée immédiatement à l’issue du délai de protection de l’article 336c CO suffit pour admettre que la discrimination en raison du sexe est plus vraisemblable que la non discrimination ». Ce faisant, le Tribunal rejoint l’appréciation émise le 29 mars 2006 par le Bureau de l’égalité entre les femmes et les hommes, selon laquelle « il apparaît tout à fait vraisemblable que le licenciement de la requérante soit en réalité associé directement à sa grossesse, à son congé maternité et au changement de sa situation familiale ».

Cependant, contrairement à ce que soutient le Bureau de l’égalité, l’examen de la vraisemblance de la discrimination n’a pas permis de trancher le point de savoir si, lors du changement de chef de service, Monsieur B aurait également licencié Madame T, dans l’hypothèse où elle n’aurait pas été enceinte et n’aurait, partant, pas pris de congé de maternité. Dès lors, il appartient désormais à E SA d’apporter la preuve négative complète que le licenciement de Madame T, ne défavorise pas celle-ci en raison de son sexe ou qu’elle repose sur une justification objective (art. 8 CC).

Bien que tout au long de la procédure E SA se soit attachée à démontrer que le licenciement de Madame T était notamment dû à son attitude et à ses réactions, qui engendraient un sentiment de crainte chez ses collègues, le Tribunal ne partage pas les allégations de E SA, considérant qu’il est difficile d’établir les traits de caractère de Madame T a posteriori et sur la base des témoignages des employés de E SA, ce d’autant plus que les reproches formulés par ces derniers lors des audiences ne semblent jamais avoir été invoqués durant la période où Madame T travaillait au sein de la société. Par ailleurs, plusieurs témoins ont déclaré s’être très bien entendus avec Madame T sur le plan professionnel et le certificat de travail intermédiaire de Madame T, établi au départ de Monsieur A, constate que celle-ci, « de par sa personnalité et son comportement agréable, est une collaboratrice très appréciée de ses supérieurs, collègues et clients ». En définitive, le Tribunal estime que E SA n’est pas parvenue à apporter la preuve de la justification du licenciement de Madame T en raison de son caractère, relevant, en passant, que les motifs ont d’ailleurs été invoqués postérieurement au congé et ne paraissent pas probants, comme s’ils relevaient d’une volonté de dépeindre Madame T d’une façon qui soit clairement en sa défaveur.

En revanche, le Tribunal retient que la cause réelle du licenciement de Madame T réside dans le profond remaniement que subissait le département auquel elle était rattachée au sein de E SA. Considérant que l’engagement de Monsieur B au 1er mars 2004 correspondait à une volonté de remaniement de l’entreprise, le département Vente et Marketing nécessitant désormais d’être réorienté en priorité vers le secteur de la vente, le Tribunal estime qu’il a été nécessaire de confier le poste à Monsieur C, qui disposait de capacités professionnelles plus adaptées à la nouvelle orientation du poste (il était employé au sein de E SA depuis près de 20 ans, bénéficiait donc d’une solide expérience au sein de l’entreprise et connaissait la pratique du terrain et les rouages de la vente) par rapport à Madame T qui, certes, avait de grandes compétences dans les domaines du marketing et de la communication, mais ne disposait pas de l’acquis nécessaire pour obtenir des résultats probants dans le domaine de la vente. A ce propos, le Tribunal insiste sur le fait que l’employeur doit pouvoir disposer d’un libre-arbitre dans le choix de ses employés. Cette liberté de décision doit lui être garantie, car il connaît ses collaborateurs et sait lesquels conviennent le mieux pour chacun des postes à repourvoir dans sa structure interne.

Au vu de ce qui précède, le Tribunal est d’avis, du point de vue du rapport de causalité, que Madame T n’a pas été licenciée parce qu’elle était enceinte, mais bien en raison du fait que le département auquel elle était rattachée subissait une profonde réorientation. Le Tribunal indique avoir acquis la conviction que E SA n’aurait pas entrepris les démarches nécessaires pour remplacer Madame T durant son congé de maternité, si elle avait été certaine que celle-ci était la personne apte à remplir les tâches de la nouvelle fonction d’adjoint, telle qu’elle avait été redessinée par Monsieur B. Par la force des choses, les charges du poste de Madame T ont également été revues, à tel point qu’elles ne correspondaient désormais plus à ses compétences. En conséquence, E SA n’a pas engagé Monsieur C pour remplacer Madame T en raison des problèmes que causait le congé de maternité, mais bien en raison du fait qu’il correspondait mieux au nouveau poste. Sur ce point, le Tribunal confirme donc qu’il s’agit bien d’un nouveau poste et non du poste qu’occupait Madame T jusqu’alors. Il souligne également que le fait que le cahier des charges de Monsieur C ait été défini après coup n’entre par ailleurs pas en ligne de compte. En effet, d’une manière générale, il est possible pour un employeur d’établir les tâches d’un nouvel employé avec son appui, d’autant plus s’il s’agit d’un nouveau poste que cet employé est le premier à intégrer ou s’il s’agit d’un poste qui doit être complètement remodelé.

En outre, bien que E SA ait finalement reconnu que le motif initialement allégué pour licencier Madame T (à savoir la soit-disante exigence de Madame T de diminuer son taux d’activité à 80% à son retour de congé de maternité) ne correspondait pas à la réalité (ce motif a servi de prétexte au licenciement de Madame T, pour masquer les vraies raisons de son congé qui résidaient dans la réorganisation du département), le Tribunal estime que ce repentir tardif peut malgré tout être porté à son crédit dès lors que celui-ci a permis de mieux comprendre ce qui s’était réellement passé, tant les non-dits entre E SA et Madame T étaient lourds auparavant.

En conclusion, au vu de l’ensemble des points développés ci-dessus, le Tribunal admet que Madame T aurait été licenciée par E SA même si elle n’avait pas été enceinte. Les éléments invoqués par E SA l’ont prouvé de façon certaine. La discrimination à raison du sexe n’a donc été qu’apparente : le licenciement de Madame T à la fin du délai de protection contre le licenciement en temps inopportun (cf. art. 336c al. 1 lit. c CO), même s’il apparaissait a priori comme hautement suspect, n’est en définitive pas en rapport avec son accouchement. A ce sujet, le Tribunal se permet tout de même d’exprimer sa réserve quant à l’attitude pour le moins cavalière de E SA. De même, le fait d’alléguer un motif fallacieux pour justifier le licenciement n’a fait qu’entretenir le paradoxe et renforcer Madame T dans l’idée qu’elle avait été licenciée en raison de sa grossesse et de son accouchement. Enfin, il faut reconnaître que cette dernière n’a pu ni savoir, ni discuter de façon approfondie les motifs réels de son congé, ce qui lui a, de manière compréhensible, donné l’impression qu’elle subissait une discrimination à raison de son sexe. Sur ces points, le comportement de E SA a été déontologiquement critiquable.

Le Tribunal s’écarte donc finalement du préavis émis par le Bureau de l’égalité entre les femmes et les hommes. La vraisemblance d’une discrimination a certes dans un premier temps été établie par Madame T, mais l’examen des éléments invoqués par E SA, étayés par les pièces versées au dossier et par les témoignages recueillis, a emporté la conviction du Tribunal quant au vrai motif ayant justifié le licenciement de Madame T. A cet égard, le préavis du Bureau de l’égalité n’est donc pas suivi par le Tribunal, qui rejette les conclusions prises par Madame T.

B. Les dépens

Durant sa plaidoirie, Madame T a égalemant conclu à ce que des dépens lui soient alloués par E SA, en raison des faits suivants : antérieurement à la séance de conciliation, E SA ne lui a pas remis les allégués de sa réponse, de sorte qu’elle n’en a finalement eu connaissance que le jour de l’audience, ce qui a eu pour effet de compromettre l’audience de conciliation (ce d’autant plus que E SA était représentée par une personne à laquelle elle n’avait conféré aucun pouvoir pour agir en son nom et transiger) ; suite à la réponse de E SA, invoquant de nouveaux éléments à l’appui du licenciement, le conseil de Madame T a été contraint de revoir une partie des allégués de sa requête, engendrant un travail supplémentaire, à la charge de sa mandante ; bien qu’il eût été convenu entre les parties que l’audition des témoins se ferait de façon paritaire, à savoir qu’une séance de jugement permettrait d’entendre à la fois les témoins de la Madame T et ceux de E SA, cette dernière n’a pas respecté cet accord lors de l’audience du 26 janvier 2006 (elle n’a pas informé le Tribunal que ses témoins ne pourraient être présents à cette date, en raison d’un cours de formation dispensé au Tessin, ce qui a eu pour conséquence de devoir reporter l’audience et donc de retarder la procédure) ; tout au long de la procédure, E SA a enfreint les règles de la déontologie, qui prévoient, en particulier en procédure sommaire, que les conseils des parties se transmettent mutuellement des copies des allégués et correspondances diverses qu’ils adressent au Tribunal, Madame T ayant dû, à plusieurs reprises, insister pour que E SA s’exécute, et même aller jusqu’à requérir du Tribunal qu’il ait la bienveillance de lui fournir les pièces nécessaires.

Conformément à l’art. 41 de la loi sur la juridiction du travail (LJT), la partie qui agit de façon téméraire ou qui complique inutilement le procès peut être astreinte à payer à l’autre partie des dépens d’un montant maximum de CHF 2’000.-.

Dans le cas d’espèce, le Tribunal reprend à son compte la plupart des éléments soulevés par Madame T à l’appui de sa conclusion tendant à l’allocation de dépens. Il retient que l’attitude de E SA a empêché la bonne marche du procès. Mentionnant, à ce sujet, un arrêt du Tribunal fédéral qui exige que la partie condamnée au versement de dépens ait fait preuve d’une apparente mauvaise foi (JT 1960 III 60), le Tribunal constate que telle a été l’attitude de E SA qui elle-même, ou par l’intermédiaire de son conseil, a multiplié les actions pour retarder le procès, sans doute dans le but de décourager Madame T. En particulier, le Tribunal considère que le refus systématique du conseil de E SA de produire copie de ses courriers au conseil de Madame T ou de ne les lui adresser qu’au tout dernier moment est le reflet marquant de l’absence de bonne foi, dès lors qu’il ne s’agit nullement d’oublis épisodiques dus à une inadvertance, mais bien d’une attitude systématique, et par-là volontaire, de retarder la procédure. Le nombre important d’annotations, établies par le greffe à ce sujet et versées au dossier de la cause, de même que les enveloppes produites par Madame T, viennent le confirmer. Cette attitude est d’autant plus désolante que l’échange d’informations, même s’il n’est pas contraignant, est une pratique connue des avocats vaudois, afin de pallier l’absence de communication des Tribunaux en procédure sommaire.

Il convient en outre de sanctionner le repentir tardif de E SA, qui n’a admis qu’au cours de l’audition de Monsieur B que le motif initial du licenciement de Madame T (à savoir la soit-disante exigence d’avoir à son retour de congé de maternité un taux d’activité à 80%) n’était en réalité qu’un prétexte. Cela a en effet clairement alourdi, si ce n’est allongé la procédure, avec tout le travail supplémentaire qui en a découlé pour le conseil de Madame T. De plus, c’est probablement aussi en grande partie pour ce motif si la première audience qui, à la requête de Madame T, a été consacrée à la conciliation, conformément aux art. 11 LEg et 2 LVLEg, s’est avérée être une totale perte de temps.

Enfin, c’est bien à E SA qu’il faut reprocher la perte de temps liée à l’audience qui s’est déroulée le 26 janvier 2006. En effet, en organisant un cours de formation au Tessin pour ses employés appelés à être entendus comme témoins ce soir-là, elle a sciemment cherché à allonger inutilement le procès. On ne peut en tout cas pas croire à un mauvais concours de circonstances ; E SA n’est au demeurant pas parvenue à démontrer l’urgence de ce cours de formation.

Pour ces raisons, le Tribunal, statuant ex aequo et bono, condamne E SA à verser CHF 2’000.- de dépens à Madame T, qui, en raison du retard pris dans la procédure, a vu ses honoraires d’avocat augmenter dans une proportion qui ne lui est manifestement pas imputable. De plus, le Tribunal a en l’occurrence également tenu compte du fait que le présent litige est fondé sur la LEg. Il en résulte donc, tant de l’esprit que de la lettre de cette loi (cf. en particulier l’art.11 LEg), à la charge de l’employeur, en cas de conflit, des devoirs renforcés d’égards vis-à-vis de son employée, de collaboration (dépassant par ailleurs les simples règles déontologiques de la profession d’avocat susmentionnées) et d’efforts tendant à une conciliation.

 

Résumé par Stéphanie Perrenoud, assistante diplômée à la faculté de droit et des sciences criminelles, Université de Lausanne, IDAT, sous la supervision du Prof. Rémy Wyler.
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