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VD 06.06.2023
congé maternité
licenciement discriminatoire

sujet

Congé-modification non discriminatoire après un congé de maternité.

LEg

art 3, art 6, art 10

procédure

21.11.2021 Jugement du Tribunal civil de l’arrondissement de l’Est vaudois 06.06.2023 Arrêt de la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal vaudois (HC_2023_306)

résumé

Une travailleuse obtient d’être engagée à des conditions similaires à celles dont elle jouissait dans son précédent emploi. Elle bénéficie ainsi d’un salaire et d’un statut supérieurs à ceux en principe prévus pour son poste au sein de la nouvelle entité employeuse. Quelques années plus tard, au retour de son deuxième congé de maternité, cette dernière lui donne le choix entre une péjoration de ses conditions de travail ou la résiliation de son contrat. La salariée refuse l’offre et s’oppose à son licenciement qu’elle considère abusif car lié à la maternité. Devant le Tribunal de première instance, elle demande sans succès une indemnité pour licenciement abusif. Saisie de cette affaire, la Cour d’appel applique d’office la LEg, qui n’avait pas été invoquée. Elle écarte toutefois l’existence d’une discrimination fondée sur le sexe au motif que le congé-modification se justifiait par la volonté de l’employeuse de rétablir l’égalité de traitement avec les autres membres de son personnel, volonté déjà manifestée avant et indépendamment des congés de maternité. Déboutée de ses prétentions, la travailleuse doit contribuer aux frais d’avocat de son ancienne employeuse à hauteur de CHF 3’000.-

en fait

Engagée en 2003 par une société du groupe X., Mme T. est promue cadre en 2009 puis transférée en 2011 dans l’entreprise E.

Lors de ce transfert, effectué dans la perspective d’une évolution de sa carrière à l’international, la travailleuse obtient le maintien de ses précédentes conditions de travail. Ainsi, elle bénéfice d’un salaire et d’un statut de cadre supérieurs à ceux correspondant à son nouveau poste.

Après un premier congé de maternité en 2013, T. réintègre son poste chez E. mais réduit son taux d’activité à 80 %.

Fin 2014, E. propose à T. un nouveau poste de cadre avec un taux d’activité inchangé et un salaire similaire au précédent. La travailleuse refuse estimant que la charge de travail liée au poste offert dépasserait 80 %.

T. donne naissance à un second enfant en 2015.

Cette année-là, E. adopte des directives sur la protection de la maternité (directives PPM) précisant que « toutes les travailleuses ont le droit de retourner au même poste, ou d’être affectées à un poste équivalent, à leur retour de congé maternité ». Le règlement du personnel contient une clause similaire.

À son retour de congé maternité, en avril 2016, la travailleuse retrouve son poste. Parallèlement, E. lui propose un autre poste à 80%, dans une équipe internationale, dont plusieurs témoins s’accordent à dire qu’il représente une bonne opportunité vu la proximité du lieu de travail, la présence d’une crèche et une bonne rémunération. T. refuse l’offre.

Quelques jours plus tard, le 19 mai 2016, E. résilie le contrat de travail qui la lie à T. tout en lui offrant de l’engager dans un autre département avec une classe inférieure à celle dont elle avait bénéficié depuis son engagement en 2011 et un taux d’activité augmenté à 100 %.

En effet, selon E., T. avait bénéficié depuis son engagement de « conditions internationales » qui, pour des raisons d’égalité de traitement avec les autres membres du personnel, ne pouvaient être maintenues si elle ne continuait pas sa carrière à l’international et restait en Suisse.

Au printemps 2016, T. décline l’offre.

La travailleuse s’oppose à son congé qu’elle considère abusif. Son conseil relève que, contrairement à la garantie de l’emploi (même place ou poste comparable) figurant dans le règlement du personnel, E. a proposé à T. au retour de son congé de maternité un nouveau contrat de travail impliquant la même activité que par le passé mais avec un salaire moindre et sans statut de cadre. Le taux d’activité prévu était de 100 %, alors même que E. ne pouvait ignorer qu’une telle augmentation d’activité était impossible pour T. compte tenu de la naissance de son enfant.  De toute évidence, le licenciement de T. était intervenu du fait de sa maternité.

Après une tentative de conciliation, la travailleuse saisit le Tribunal civil de l’arrondissement de l’Est vaudois et conclut notamment au versement d’une indemnité pour licenciement abusif. Le 12 novembre 2021, le Tribunal rejette ses prétentions.

En mars 2022, T. interjette appel contre ce jugement en concluant à sa réforme en ce sens que E. soit condamnée notamment à lui payer CHF 30’000.- à titre d’indemnité pour licenciement abusif.

Par avis du 8 septembre 2022, les parties sont informées que la Cour d’appel se réserve d’examiner le bien-fondé des prétentions de l’appelante sous l’angle de la LEg.

en droit

En vertu de l’art. 57 CPC, « le tribunal applique le droit d’office » (c. 3.1).

En l’espèce, la travailleuse reproche essentiellement aux juges de première instance d’avoir violé l’art. 336 al. 1 let. d CO en déclarant licite le congé-modification en la déboutant par conséquent de ses prétentions y relatives. « Dès lors que l’appelante fonde ses conclusions en paiement d’une indemnité sur le fait qu’elle aurait été licenciée parce qu’elle a refusé d’être mutée dans les mois qui suivaient son retour de congé maternité à un poste qui n’était, selon elle, pas équivalent à celui qu’elle occupait avant son congé maternité – soit, à suivre son argumentation, parce qu’elle aurait refusé de perdre sa situation dans l’entreprise du fait de sa grossesse et de l’absence que celle-ci a entraînée – le bien-fondé de ses conclusions doit aussi être examiné au regard de la LEg, qui régit cette question » (c. 3.3).

Aux termes de l’art. 3 LEg, il est interdit de discriminer les travailleurs à raison du sexe, notamment lors de la résiliation des rapports de travail (c. 4.2.1). La loi sur l’égalité prohibe non seulement les licenciements discriminatoires liés au genre au sens de l’art. 5 al. 2 LEg, mais aussi les congés-représailles en raison d’une plainte pour discrimination.

En effet, l’art. 10 LEg protège « les travailleurs contre les licenciements prononcés parce qu’ils ont fait valoir de bonne foi des prétentions découlant de la LEg (…). Ces dispositions renforcent, mais ne remplacent pas, la protection déjà ancrée aux art. 336 ss CO, dès lors que l’art. 10 al. 4 LEg prévoit que le travailleur qui renonce en cours de procès à la protection renforcée (annulation du licenciement) peut conclure au paiement d’une indemnité au sens de l’art. 336a CO. Il s’ensuit que le travailleur qui, sans être victime d’un licenciement discriminatoire, est licencié parce qu’il a fait valoir de bonne foi des prétentions découlant de la LEg peut réclamer une indemnité fondée sur l’art. 336a CO, applicable par renvoi de la LEg » (c. 4.2.2).

« L’art. 336 al. 1 let. d CO prévoit que le congé est également abusif lorsqu’il est donné parce que l’autre partie fait valoir de bonne foi des prétentions résultant du contrat de travail (…) Il importe peu qu’en réalité, sa prétention n’existe pas ; il suffit qu’il soit légitimé, de bonne foi, à penser qu’elle est fondée (…) » (c. 4.2.2).

En l’occurrence, la travailleuse bénéficiait depuis 2011 d’un salaire et d’un statut de cadre supérieurs à ceux correspondant à sa position. L’employeuse « avait déjà cherché à corriger cette anomalie en offrant à l’appelante, en 2014, un poste avec un salaire proche et un statut identique à ceux dont elle bénéficiait depuis 2011, mais avec les responsabilités correspondantes selon la classification du groupe (…), cette offre démontre qu’en 2014 déjà, l’intimée souhaitait mettre un terme aux relations de travail telles qu’elles résultaient du contrat de 2011 – et ce pour un motif légitime, à savoir dans le but de rétablir l’égalité de traitement entre tous ses salariés » (c. 4.3.1).

Les directives PPM n’ont pas pour objectif « de transformer en rente de situation à vie tout emploi interrompu par un congé-maternité. Leur but est de supprimer les désavantages qui peuvent résulter pour la travailleuse de son absence pendant le congé-maternité et des tâches parentales accrues qui vont lui incomber pendant les premiers mois de vie de l’enfant ». Si, avant le congé de maternité « l’employeuse avait déjà manifesté sa volonté de modifier les rapports de travail pour corriger un ratio responsabilités-salaire qui ne lui convenait pas – ce qui est son droit pourvu qu’elle respecte le délai de congé – les directives PPM ne l’empêchent pas de le faire après le congé-maternité : la modification était un thème avant et le reste après la maternité. Dans ces conditions, l’appelante n’était pas fondée, ni au regard de la LEg, ni au regard des directives PPM, à exiger d’être maintenue définitivement dans son poste ou à obtenir un poste équivalent à celui-ci : elle devait accepter soit de prendre plus de responsabilités pour conserver son salaire et son statut de cadre 3, soit de réduire ceux-ci » (c. 4.3.1).

Ainsi, il n’est « pas établi, ni même rendu vraisemblable au sens de l’art. 6 LEg, que le congé signifié à l’appelante était discriminatoire, que ce soit au regard de la LEg ou des directives PPM » (c. 4.3.1).

Après avoir écarté l’existence d’un congé discriminatoire, la Cour s’interroge sur l’existence d’un congé-représailles (art. 336 al. 1 let. d CO, 10 LEg) et répond par la négative. En effet, la travailleuse « a refusé, en prenant le prétexte des directives PPM, de revoir le ratio entre les responsabilités qui lui étaient confiées et le salaire qui lui était servi, alors qu’elle savait que sa situation était privilégiée et qu’elle ne pouvait ignorer que l’employeuse cherchait à rétablir l’égalité entre les salariés. Partant, le congé n’a pas été donné parce que l’appelante aurait fait valoir de bonne foi des prétentions découlant de la LEg ou du contrat de travail » (c. 4.3.2).

Faute d’être discriminatoire ou abusif, le licenciement ne peut donner lieu à aucune indemnité (c. 4.4.).

L’appel est rejeté (c. 5.1). La cause relevant de la LEg, il n’y a pas lieu de prélever des frais judiciaires de deuxième instance (art. 114 let. a CPC). La charge des frais d’avocat de l’intimée pouvant être estimée à CHF 3’000.-, la travailleuse est condamnée à verser ce montant à son ancienne employeuse à titre de dépens de deuxième instance (c. 5.3.2).

Résumé par Mme Karine Lempen, Professeure à la Faculté de droit de l’Université de Genève
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