Absence de discrimination salariale (art. 3 LEg). Congé de rétorsion (art. 10 LEg) non admis. Congé-modification abusif (art. 336 al. 1 let. d CO).
art 3, art 5, art 6, art 10
17.9.2012 Audience de conciliation (autorisation de procéder) 5.8.2013 Jugement du Tribunal du travail du canton du Valais (rejet de la demande) 1.9.2015 Jugement du Tribunal cantonal du Valais (admission partielle de l’appel) 28.1.2016 Arrêt du Tribunal fédéral (4A_539/2015)
Une employée de la Caisse valaisanne de chômage est licenciée après s’être plainte de discrimination salariale auprès de la direction et avoir refusé deux propositions successives de mutation. Devant le Tribunal du travail, elle demande, notamment, des arriérés de salaires, une indemnité pour congé de rétorsion (art. 10 LEg) et une indemnité pour licenciement abusif (art. 336a CO). Sa demande est entièrement rejetée. Le Tribunal cantonal admet partiellement l’appel formé par la salariée contre ce jugement et lui alloue une indemnité de CHF 30’000.- pour congé-modification abusif au sens de l’art. 336 al. 1 let. d. CO. Le Tribunal fédéral rejette le recours intenté par la caisse employeuse contre cet arrêt.
Le 10 janvier 1994, Mme T. commence son activité auprès de la Caisse cantonale de chômage du canton du Valais, en qualité de taxatrice dans la section « indemnités de chômage complet » (IC).
En 2007, la salariée conclut avec la Caisse un nouveau contrat, selon lequel l’entrée en fonction a eu lieu le 10 janvier 1994 et le délai de congé est de six mois dès la dixième année de service. Mme T. est désormais engagée comme collaboratrice chargée de l’indexation des documents et de taxatrice des secteurs « réduction de l’horaire de travail »-« indemnité en cas d’intempérie » (RHT-INT) et « indemnité en cas d’insolvabilité » (ICI).
Le 10 septembre 2010, le personnel de la Caisse est informé que les activités dans les secteurs RHT-INT et ICI seront désormais partagées entre Mme T. et M. S. et que l’échelle des salaires va être modifiée. Le 12 novembre 2010, Mme T. se plaint d’une mauvaise entente avec M. S.
Après avoir pris connaissance de la grille salariale destinée à entrer en vigueur au 1er janvier 2012, Mme T. écrit au directeur de la Caisse, le 15 décembre 2011, pour se plaindre d’une discrimination salariale par rapport à M.S. La salariée fait valoir que sa rémunération est prévue en classe 15, alors que celle de son collègue se situe en classe 13 (plus élevée).
Au 1er janvier 2012, le salaire mensuel de Mme T. s’élève à CHF 7’490.-, alors que celui de M. S. se monte à CHF 8’755.-
Le 13 juin 2012, le directeur de la Caisse informe le personnel du fait que Mme T. et M. S., en conflit depuis des années, ne travailleront plus ensemble dans les secteurs RHT-INT et ICI, que ces deux secteurs sont repris par M. S. avec une nouvelle personne et que Mme T. se verra proposer un poste de taxatrice IC à la succursale de Sion.
Le 6 juillet 2012, Mme T. refuse le changement de fonction proposé. Le 31 juillet 2012, le directeur prend acte de ce refus mais lui demande d’y réfléchir encore. Le même jour, la salariée dépose une requête de conciliation en lien avec sa plainte pour discrimination salariale.
Dans une lettre du 17 août 2012, le directeur fait une nouvelle proposition à Mme T. Il lui accorde un second délai de réflexion et l’avise qu’une non-acceptation entraînera la fin de rapports de travail. La salariée ne répond pas à cette lettre.
Tentée le 17 septembre 2012, la conciliation échoue.
Le 24 septembre 2012, la Caisse résilie le contrat de travail pour le 31 mars 2013. Le congé est motivé par le refus de Mme T. d’accepter deux propositions successives de mutation à la suite d’une réorganisation indispensable des secteurs d’activités. Le même jour, Mme T. ouvre action contre la Caisse devant Tribunal du travail du canton du Valais.
Le 5 août 2013, le Tribunal du travail rejette entièrement la demande de Mme T.
La salariée fait appel devant le Tribunal cantonal. Elle conclut principalement au versement par la Caisse des indemnités suivantes : CHF 30’000.- pour licenciement abusif (art. 336a al. 2 CO), CHF 47’832.35.- pour congé de représailles (art. 10 LEg) et CHF 4’000.- pour tort moral.
Après avoir rappelé qu’une discrimination salariale au sens des articles 8 al. 3 Cst. et 3 LEg est « présumée pour autant que la personne qui s’en prévaut la rende vraisemblable » (art. 6 LEg), le Tribunal cantonal explique que la vraisemblance a été admise, par exemple, « dans le cas d’une travailleuse dont le salaire était de 15 à 25% inférieur à celui d’un collègue masculin qui accomplissait le même travail ». Lorsque la discrimination a été rendue vraisemblable, il appartient à la partie employeuse « d’apporter la preuve stricte qu’il n’existe pas de différence de traitement ou, si celle-ci existe, qu’elle repose sur des facteurs objectifs ». Le motif objectif doit influer « véritablement de manière importante sur la prestation de travail et sa rémunération par l’employeur » (consid. 3.1.2).
En l’espèce, Mme T. n’a pas chiffré ses prétentions résultant de la prétendue discrimination salariale par rapport à son collègue. « Tout au plus a-t-elle fait allusion au fait que le collaborateur devrait être condamné “à rembourser la différence entre son salaire de Frs 8’755.- et le salaire qu’il aurait réellement dû percevoir durant son activité de spécialiste” […], prétention d’emblée mal fondée, dans la mesure où, d’une part, elle est dirigée contre une personne qui n’est nullement partie à la procédure » et, d’autre part, en matière de discrimination salariale, seul l’employeur dispose de la qualité pour défendre. Dès lors, selon l’arrêt, il n’y a pas lieu d’entrer en matière (cons. 3.2.1)
Le Tribunal ajoute que, même si les prétentions liées à une discrimination salariale avaient été recevables, elles « auraient de toutes manières dû être rejetées, car non fondées ». En effet, l’écart salarial invoqué (14,4%) se trouve en-dessous de la limite inférieure (de 15%) « posée par la jurisprudence fédérale pour permettre de retenir d’emblée la vraisemblance d’une discrimination salariale, imposant à l’employeur de retenir la preuve stricte du bien-fondé de la différence ». En tout état de cause, même si Mme T. et son collègue portaient le même titre de « spécialiste ICI – RHT-INT », seul le second maîtrisait parfaitement le secteur ICI et assumait la fonction de responsable qualité au sein de la Caisse, tout en donnant des cours dans le domaine des différentes indemnités. Partant, « l’écart de salaire est objectivement justifié » et les juges de première instance n’ont pas violé le droit fédéral en niant l’existence d’une discrimination salariale (consid. 3.2.1).
Selon le Tribunal, pour que la protection prévue par l’article 10 LEg s’applique, il doit exister un lien de causalité entre la réclamation relative à l’application de la loi sur l’égalité et le licenciement. Le lien de causalité est présumé lorsque le congé est donné « alors que la réclamation présentée à l’employeur n’a pas été traitée, lorsque la procédure est pendante auprès de l’autorité de conciliation ou devant le tribunal, ainsi que dans les six mois suivant l’achèvement de la procédure » (consid. 4.1.1). Le fardeau de la preuve est alors renversé : le licenciement est présumé abusif sauf si l’employeur apporte la preuve d’un motif justifié de résiliation (consid. 4.1.2).
En l’espèce, la Caisse a résilié les rapports de travail avec Mme T, le 24 septembre 2012, alors qu’elle savait qu’une procédure de conciliation avait cours. L’existence d’un lien de causalité entre les prétentions salariales fondées sur la LEg et le licenciement devait donc être présumée, contrairement à ce qui a été retenu en première instance. La Caisse employeuse ayant renversé cette présomption en démontrant que le licenciement était sans lien avec la plainte pour discrimination salariale formulée par Mme T., les prétentions fondées sur l’article 10 LEg sont néanmoins écartées (4.2).
L’article 336 al. 1 let. d. CO prévoit que le congé est abusif lorsqu’il est donné « parce que l’autre partie fait valoir de bonne-foi des prétentions résultant du contrat de travail » (consid. 5.1.3). Le congé-modification « vise une résiliation prononcée à la suite du refus du salarié d’accepter une modification de ses conditions de travail ». Un congé-modification est en principe licite. Toutefois, dans certaines circonstances, il peut y avoir abus. « Tel est notamment le cas lorsque l’employeur propose des modifications qui doivent entrer en vigueur immédiatement, soit avant l’expiration du délai de licenciement, et qu’il congédie le salarié qui n’a pas accepté. La pratique considère que le licenciement est abusif au sens de l’art. 336 al. 1 let. d CO, car, en refusant une modification du contrat avant l’échéance, l’employé fait valoir de bonne foi une prétention découlant de son contrat de travail et c’est ce refus qui est à l’origine du licenciement » (consid. 5.1.3.2. avec les références).
En l’occurrence, alors que Mme T. exerçait une fonction donnant droit à une rémunération en classe 15 à tout le moins, la Caisse « a informé tout de go l’ensemble du personnel » que la salariée n’occuperait plus ce poste « en raison de ses bisbilles » avec M.S. et qu’il lui était proposé de « réintégrer le secteur de taxation IC ». Destinée à prendre effet avant l’échéance du délai ordinaire de congé, cette proposition était « objectivement perceptible » comme une « rétrogradation ». Mme T. s’est, de bonne-foi, opposée à ce « déclassement ». Selon le Tribunal, le licenciement a « bien été motivé par le refus de la travailleuse d’accepter une modification, à son désavantage, des relations contractuelles, devant prendre effet avant l’échéance du délai de congé ordinaire […] » (consid. 5.2.2). Le congé doit donc être qualifié d’abusif au sens de l’art. 336 al. 1 let. d. CO (consid. 5.2.3).
Au regard des circonstances du cas d’espèce, notamment de la façon peu élégante dont le déplacement de Mme T. avait été communiqué, il se justifie d’allouer à cette dernière une somme de CHF 30’000.-, correspondant à un peu plus de trois mois et demi de salaire, au titre d’indemnité pour congé abusif sur la base de l’article 336a CO (consid. 6.2.2.). Sur ce point, l’appel est admis et le jugement de première instance réformé (consid. 8).
Mme T. n’a pas montré avoir subi « une atteinte exceptionnelle qui ne serait pas déjà couverte par l’indemnité », à la fois punitive et réparatrice, prévue à l’article 336a CO. Sa prétention tendant au versement d’une indemnité à titre de tort moral est donc écartée (consid. 7.2).
Le Tribunal cantonal rappelle que, conformément à l’article 114 let. a CPC, il n’est pas perçu de frais judiciaires pour les litiges relevant de la loi sur l’égalité (consid. 9.1.1.).
L’arrêt s’intéresse ensuite aux dépens auxquels peut prétendre Mme T., étant donné l’admission partielle de l’appel. Sur les CHF 168’612.80.- initialement demandés, Mme T. n’obtient au final que CHF 30’000.-, soit environ 17.8% de ses prétentions. « Le caractère élevé de la valeur litigieuse énoncée ci-dessus tient cependant pour partie au fait que la demanderesse, qui n’était pas assistée, officiellement à tout le moins, d’un juriste en première instance, a réclamé de manière distincte des indemnités fondée sur l’art. 10 LEg et 336a CO, alors que le cumul entre celles-ci n’est pas admis ». Mme T. « a finalement eu gain de cause quant au principe même du licenciement abusif » selon l’art. 336 CO. Le Tribunal retient que Mme T. a eu gain de cause « à raison de moitié » et succombe pour le solde (consid. 9.1.3.). Vu le sort de la cause et les principes relatifs à la réparation des frais, la Caisse est condamnée à verser à Mme T. des dépens à hauteur de CHF 2’500.- (consid. 9.2.2).
La Caisse cantonale valaisanne de chômage recourt au Tribunal fédéral contre ce jugement.
Le Tribunal fédéral écarte l’argument selon lequel les faits auraient été établis de façon arbitraire (consid. 2). En outre, l’instance cantonale n’a pas violé le droit fédéral en qualifiant d’abusif, au sens de l’art. 336 al. 1 let. d. CO, le congé-modification signifié à Mme T. (consid. 3). Le recours est rejeté.