Définition du harcèlement sexuel au travail.
art 4, art 5
22.8.2007 Rapport du groupe Impact (admission du harcèlement sexuel) 5.9.2007Décision du Département vaudois de la formation (non transmission du rapport au Conseil d’Etat) 23.8.2011Audience de conciliation devant le Tribunal de prud’hommes de l’Administration cantonale (échec de la conciliation) 31.5.2012Jugement du Tribunal de prud’hommes de l’Administration cantonale (admission du harcèlement mais rejet des prétentions relatives au versement d’une indemnité par l’Etat de Vaud) 19.9.2012Arrêt de la Chambre des recours du Tribunal cantonal (rejet du recours formé par le directeur mis en cause) 8.1.2014Arrêt du Tribunal fédéral (8C_981/2012) (irrecevabilité des recours formés par le directeur mis en cause)
Une enseignante se plaint de harcèlement sexuel de la part de son directeur auprès du groupe Impact, chargé de traiter les situations de harcèlement au sein de l’administration cantonale. Suite à une investigation, le groupe Impact conclut à l’existence d’un harcèlement sexuel.
Le Département de la Formation décide de ne pas souscrire aux conclusions du groupe, auquel il est reproché d’avoir violé le droit d’être entendu du directeur accusé. L’enseignante saisit le Tribunal de prud’hommes de l’Administration cantonale. Elle demande que l’autorité d’engagement adhère au rapport du groupe Impact et que l’Etat de Vaud lui verse une indemnité pour harcèlement. Le Tribunal examine si les éléments constitutifs du harcèlement sexuel sont réunis, en particulier, le caractère importun des actes et le lien avec les rapports de travail. Le Tribunal admet l’existence d’un harcèlement sexuel au sens de l’art. 4 LEg mais rejette les conclusions en paiement d’une indemnité au sens de l’art 5 al. 3 LEg. Le directeur accusé recourt – sans succès – contre ce jugement au Tribunal cantonal puis au Tribunal fédéral.
Dès 1997, l’enseignante T. a été, à plusieurs reprises, en incapacité de travail pour cause de maladie. À la suite de ces absences et d’une importante perte de poids durant l’année scolaire 2003-2004, des rumeurs, selon lesquelles T. souffrirait d’un cancer ou serait atteinte du sida, ont circulé parmi ses collègues et les parents d’élèves. À la même époque, T. s’est séparée de son mari. Après qu’elle eut commis une tentative de suicide le 1er juin 2003, le père de T. a reproché au directeur A. de n’avoir rien entrepris pour faire cesser les rumeurs concernant son employée. A. a alors rendu visite à T. hospitalisée.
Depuis lors et jusqu’en avril 2005, le directeur A. et l’enseignante T. se sont rencontrés plusieurs fois, à l’initiative du premier, en-dehors de l’école, notamment au chalet de A.. Ils ont partagé des repas, au restaurant ou chez T., promené leurs chiens ensemble et échangé de nombreux SMS, dont la majorité n’avait aucun contenu professionnel. En outre, A. a offert à T. plusieurs livres, dont la plupart avaient pour thème l’amour (comme « Ulik au pays du désordre amoureux » ou « Au secours, il m’aime ! ») et s’accompagnaient de dédicaces telles que : « Quel plaisir suave que de ne pas se „prendre le chou“ pour des prunes !... et cette petite „robe rouge“ qui vous va à ravir. Bon anniversaire ! ». Début avril 2005, au moment de se séparer après un repas au restaurant, A. a tenté d’embrasser T. sur la bouche. T. a manifesté un refus net. Par la suite, A. a envoyé à T. plusieurs SMS, dont certains avaient un caractère clairement sexuel.
Le 6 février 2007, la demanderesse a déposé plainte pour harcèlement auprès du groupe Impact (instauré par le Règlement relatif à la gestion des conflits du travail et à la lutte contre le harcèlement du 9 décembre 2002). Après avoir mené une enquête, ce groupe a rendu son rapport le 22 août 2007, concluant que T. avait été victime de harcèlement sexuel de la part de A. Le 5 septembre 2007, la Cheffe du Département vaudois de la formation, de la jeunesse et de la culture (DFJC) a informé T. qu’elle émettait de fortes réserves quant à la manière dont l’enquête avait été conduite, en particulier sous l’angle du droit d’être entendu, et qu’elle ne transmettrait donc pas le rapport au Conseil d’Etat pour décider d’éventuelles mesures en application de la loi cantonale sur le personnel de l’Etat de Vaud.
Le 2 novembre 2007, T. a ouvert action devant le Tribunal de prud’hommes, considérant que A. devait être sanctionné par l’autorité d’engagement, compte tenu du rapport établi par le groupe Impact. Le 23 août 2011, lors d’une audience à l’issue de laquelle la conciliation a échoué, T. a conclu à ce que la décision rendue par la Cheffe du DFJC soit réformée en ce sens que l’autorité d’engagement adhère totalement au rapport du groupe Impact. En outre, l’enseignante a conclu à ce que l’Etat de Vaud soit condamné à lui verser une indemnité pour harcèlement s’élevant à 29’020 fr., avec intérêts.
L’Etat de Vaud a demandé à appeler en cause le directeur A., afin que le jugement à venir lui soit opposable. La participation de A. à la procédure a été admise, suite à plusieurs recours (cf. arrêt du Tribunal fédéral 8C_624/2009 du 30 juillet 2010).
Le 31 mai 2012, le Tribunal de prud’hommes a constaté que T. avait été victime de harcèlement sexuel de la part de A. mais rejeté les conclusions de T. relatives au versement d’une indemnité par l’Etat de Vaud, qui avait agi conformément à son devoir de diligence. Le 19 septembre 2012, la Chambre des recours du Tribunal cantonal a rejeté le recours formé par A. contre ce jugement. Le 8 janvier 2014, le Tribunal fédéral a jugé irrecevables le recours de droit public et le recours constitutionnel subsidiaire interjetés par A. contre l’arrêt du Tribunal cantonal.
Le Tribunal cantonal rappelle tout d’abord que, selon l’article 4 LEg, le harcèlement sexuel est un comportement discriminatoire, importun, de caractère sexuel ou fondé sur l’appartenance sexuelle, « qui porte atteinte à la dignité de la personne sur son lieu de travail, en particulier le fait de proférer des menaces, de promettre des avantages, d’imposer des contraintes ou d’exercer des pressions de toute nature sur une personne en vue d’obtenir d’elle des faveurs de nature sexuelle » (consid. 6). La définition n’exclut pas d’autres actes portant atteinte à la dignité et ne relevant pas d’un abus d’autorité, mais contribuant à rendre le climat de travail hostile, par exemple des plaisanteries déplacées (consid. 6.1.1).
Selon le Tribunal, les épisodes retenus dans l’état de fait (notamment le baiser tenté, les SMS échangés et les livres offerts) revêtent un caractère sexuel au sens de l’article 4 LEg (consid. 6.2.2). Le recourant soutient que les actes qui lui sont reprochés se sont déroulés dans un cadre exclusivement privé, en dehors du lieu de travail, de sorte qu’ils ne tombent pas sous le coup de la loi sur l’égalité (consid. 6). A cet égard, le Tribunal reconnaît que « le recourant a toujours soutenu avoir agi par amitié. Il importe toutefois peu de savoir de quelle manière l’intéressé a pu percevoir sa relation ou ses contacts avec la demanderesse et de déterminer sa motivation. En effet, l’intention de l’auteur n’est absolument pas déterminante dans le cadre de l’examen de l’art. 4 LEg, les questions à résoudre étant de savoir si les actes en question étaient consentis et s’ils se sont déroulés sur le lieu du travail au sens où l’entend la LEg (…)» (consid. 5.1).
En ce qui concerne la première question, le Tribunal considère que « l’existence d’un consentement librement donné doit être admise avec prudence » et qu’il « faut apprécier la nature du refus en fonction de la conduite non désirée et du cadre dans lequel elle se produit » (consid. 6.1.2.). En l’occurrence, le caractère inopportun des évènements est avéré. T. « a clairement refusé le baiser et n’a pas répondu aux premiers sms qui ont suivi cet épisode. S’agissant des rencontres à l’extérieur de l’établissement scolaire, elle ne pouvait que difficilement s’y opposer compte tenu de la position dirigeante de son directeur et des motifs professionnels invoqués pour fixer ces rencontres. Quant aux livres, ils étaient difficilement refusables, dès lors qu’il s’agissait de présents, la jeune femme ayant au demeurant affirmé à plusieurs reprises qu’elle ne les souhaitait pas et ne les avait d’ailleurs pas lus (…) Par ailleurs, à l’époque des faits, l’intimée se trouvait dans une situation de grande fragilité physique et psychique. En effet, elle était récemment séparée de son mari, avait fait une tentative de suicide, souffrait d’une maladie évolutive douloureuse, était la cible de rumeurs chez les parents d’élèves et craignait de perdre son poste en raison de ses nombreuses absences. (…) Dès lors, il ne fait aucun doute qu’une femme de sensibilité moyenne mise dans la même situation se serait sentie importunée par l’ensemble de ces événements » (cons. 6.2.2).
Au sujet de la deuxième question, consistant à savoir si les actes se sont déroulés dans un contexte professionnel ou privé, le Tribunal y répond de la manière suivante : « Lorsqu’un harcèlement sexuel commis par un collègue ou un supérieur se produit hors de l’entreprise, pendant le temps libre, l’art. 4 LEg trouve application si le comportement a pour effet de rendre l’exécution du travail plus difficile pour la personne harcelée (Kaufmann, op. cit., n. 64 ad art. 4 LEg; Aubert/Lempen, op. cit., n. 120 ad art. 4 LEg). (…) Il s’agit de prouver que ce comportement, bien que survenu à l’extérieur de l’entreprise, rend les conditions de travail plus difficiles. Le contact avec l’auteur du comportement dans le cadre de l’exécution du travail est à cet égard un élément important. C’est le cas par exemple si l’auteur est un supérieur ou un collègue avec lequel la victime doit étroitement collaborer (Audrey Leuba, Harcèlement sexuel : plaidoyer pour une application raisonnable de la loi, Mélanges en l’honneur de Pierre-Robert Schüpbach, Bâle, 2000, p. 136). Afin d’apprécier les conséquences du harcèlement sur les rapports de travail, il convient d’examiner le lien hiérarchique qui unit les personnes concernées, les modalités plus ou moins étroites de collaboration entre elles, ainsi que la gravité des actes incriminés (Aubert/Lempen, op. cit.., n. 19 ss ad art. 4 LEg). Ainsi, une détérioration des relations de travail pourra être retenue lorsqu’un supérieur hiérarchique se livre à un chantage sexuel au domicile d’une collaboratrice (Aubert/Lempen, ibid., n. 20 ad art. 4 LEg) » (consid. 6.1.3).
En l’espèce, il est « clair que la succession des événements précités était de nature à rendre le travail plus difficile pour l’intimée » (consid. 6.2.2 in fine). Le Tribunal estime que ces événements « se sont déroulés dans le cadre des rapports de travail et non pas d’amitié » (consid. 6.2.3).
Ainsi, à l’instar du Tribunal de première instance, le Tribunal cantonal admet l’existence d’un harcèlement sexuel au sens de l’article 4 LEg (consid. 6.2.1). Le Tribunal relève, cependant, « que la constatation du caractère illicite du comportement du recourant devrait suffire à le sanctionner, sans autre sanction disciplinaire (…) » (consid. 6.3.).
Le Tribunal conclut au rejet du recours et confirme le jugement attaqué (consid. 9).
Amené à se prononcer sur les recours de droit public et de droit constitutionnel subsidiaire formés par A., le Tribunal fédéral considère que le recourant ne peut pas se prévaloir d’un intérêt digne de protection (au sens des art. 89 al. 1 ou 115 let. LTF), étant donné qu’il n’encourt aucune sanction de la part de son employeur et qu’il n’est pas non plus exposé à une action récursoire de ce dernier, les conclusions en indemnisation de T. ayant été rejetées.
Le Tribunal fédéral juge les recours irrecevables.