Propos sexistes sur le lieu de travail et lors d’un pot de départ dans un bar. Résiliation avec effet immédiat, non précédée d’un avertissement, injustifiée.
art 4
12.03.2014Audience de conciliation, autorisation de procéder. 09.12.2015Jugement du Tribunal d’arrondissement de Lausanne. 29.11.2016Arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour d’appel civile. 31.01.2018Arrêt du Tribunal fédéral (4A_124/2017).
Un collaborateur, sans fonction d’encadrement, s’autorise des propos grossiers et sexistes à plusieurs reprises, sur le lieu de travail puis dans un bar, à l’occasion d’un pot de départ. Après avoir mené une enquête et entendu ce dernier, la direction de l’entreprise résilie les rapports de travail avec effet immédiat. L’employé congédié agit en justice. Les tribunaux de première et deuxième instance considèrent que les actes reprochés ne sont pas suffisamment graves pour justifier un licenciement immédiat sans avertissement préalable. Le Tribunal fédéral confirme cette décision. Le collaborateur obtient ainsi le versement du salaire auquel il aurait eu droit si les rapports de travail avaient été résiliés de façon ordinaire (art. 337c, al. 1, CO). En revanche, eu égard à son comportement harcelant (art. 4 LEg), aucune indemnité pour licenciement immédiat injustifié (art. 337c, al. 3, CO) ne lui est due.
Monsieur T., 26 ans, travaille comme assistant auprès de la société E. depuis octobre 2012.
Un an plus tard, lors d’un pot de départ organisé dans un bar lausannois, le jeune homme tient des propos grossiers au sujet d’une collègue, absente ce soir-là. Il souhaite notamment savoir qui, parmi les personnes présentes, « prendrait [cette collègue] à quatre pattes sur la table d’audit ». Bien que des collègues attirent son attention sur le caractère inapproprié de tels propos, T. interpelle à nouveau l’un deux pour qu’il réponde à sa question.
Informée de l’épisode, la collègue visée demande à T. de s’expliquer. Après s’être énervé, T. se résout à présenter ses excuses par courriel. La collègue insultée se plaint au responsable des ressources humaines de l’entreprise.
Une enquête interne révèle que, lors du même pot de départ, T. avait par ailleurs tenu des propos déplacés à un enfant de trois ans, lui disant : « ta maman est très belle, si j’étais à ta place, je lui ferais des bisous tout le temps ». La mère concernée avait demandé à T. d’arrêter. En outre, avant cette soirée, T. avait eu des comportements harcelants à l’égard d’autres collègues, sur le lieu de travail. En particulier, une collaboratrice raconte que T. lui aurait fait du pied sous la table alors qu’elle travaillait dans l’open space de la société et décrit une attitude ambigüe, qui la mettait mal à l’aise.
Le 28 novembre 2013, E. licencie T., avec effet immédiat, en raison de son comportement contraire au contrat de travail, au code de conduite et aux principes éthiques de la société.
T. ouvre action contre son ancienne employeuse.
Dans un jugement du 9 décembre 2015, le Tribunal d’arrondissement de Lausanne considère que la résiliation immédiate n’était pas justifiée au sens de l’art. 337 CO, tout en relevant qu’il s’agit d’un cas limite. En effet, le comportement de T. peut être qualifié de harcèlement sexuel, mais l’épisode le plus important a eu lieu en dehors du cadre strictement professionnel. En outre, T. n’avait pas une fonction de cadre et aucun élément ne permet de retenir qu’un avertissement serait resté sans effet.
Le Tribunal de première instance n’alloue toutefois aucune indemnité fondée sur l’article 337c, al. 3, CO, eu égard à la faute concomitante du collaborateur licencié, à son jeune âge, et à la brièveté des rapports de travail (cf. lettre A et c. 6.3.2 de l’arrêt du Tribunal cantonal).
Les deux parties font appel contre ce jugement.
Le Tribunal cantonal rappelle que la définition du harcèlement sexuel au sens de l’article 4 LEg inclut les comportements qui contribuent à rendre l’environnement de travail hostile, comme des plaisanteries déplacées (c. 5.2.5). En l’espèce, « il ne fait nul doute que les paroles prononcées » sont discriminatoires. Selon le Tribunal, cependant, « il ne faut pas perdre de vue le contexte et le lieu dans lequel ces propos ont été tenus » (c. 5.3.1).
Au vu de l’ensemble des circonstances, le Tribunal conclut qu’il « ne s’agit pas d’un cas où les rapports de confiance étaient irrémédiablement rompus et où un licenciement immédiat, sans aucun avertissement préalable, était justifié ». Le Tribunal ne voit « pas en quoi l’employeur, en réagissant rapidement par un sérieux avertissement avec menace de licenciement immédiat, aurait encouru le risque de voir discréditée sa politique interne » relative au harcèlement (c. 5.3.1).
Le Tribunal condamne la société E. au versement du salaire auquel T. aurait eu droit si les rapports de travail avaient été résilié de façon ordinaire (art. 337c, al. 1, CO). En revanche, à l’instar des premiers juges, il estime qu’une indemnité pour licenciement immédiat injustifié (art. 337c, al. 3, CO) n’est pas due. En effet, l’unique faute de l’employeuse consiste à « avoir cru de bonne foi, dans ce cas limite, qu’un licenciement immédiat était possible sans avertissement préalable » (c. 6.3.2).
L’employeuse recourt au Tribunal fédéral.
Le Tribunal fédéral commence par exposer sa jurisprudence selon laquelle « seul un manquement particulièrement grave peut justifier » une résiliation immédiate des rapports de travail (art. 337 CO). « Lorsqu’il est moins grave, le manquement ne peut entraîner une résiliation immédiate que s’il a été répété malgré un avertissement » (c. 3.1).
Le Tribunal ne revoit qu’avec réserve la décision d’appréciation prise en dernière instance cantonale (c. 3.2)
En l’occurrence, même s’il « ne s’agit pas ici de minimiser les propos grossiers et sexistes tenus » par T., les arguments avancés dans le recours ne justifient pas que le Tribunal fédéral s’écarte de l’appréciation effectuée par la cour cantonale. Le collaborateur « aurait dû être averti formellement par l’employeuse et on ne saurait suivre la recourante lorsqu’elle soutient » qu’un avertissement serait resté vain. En effet, « il n’est pas établi que l’intéressé aurait réitéré des propos grossiers et sexistes postérieurement à l’épisode du bar […], ce d’autant qu’il a présenté des excuses à sa collègue féminine » (c. 4.3).
Le recours est rejeté.