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TF (VD) 29.04.2022
congé maternité
licenciement discriminatoire

sujet

Licenciement non discriminatoire au retour d’un congé de maternité.

LEg

art 3, art 6

procédure

12.01.2021 Jugement du Tribunal civil de l’arrondissement de Lausanne 06.07.2021 Arrêt de la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal 26.08.2021 Arrêt du Tribunal fédéral, 1re Cour de droit civil (4A_389/2021, irrecevabilité) 29.04.2022 Arrêt du Tribunal fédéral, 1re Cour de droit civil (4A_479/2021, rejet)

résumé

Une enseignante ayant donné vie à son quatrième enfant estime avoir été licenciée en temps inopportun, durant les seize semaines suivant l’accouchement, en raison de sa maternité. La travailleuse qualifie son licenciement de nul, respectivement discriminatoire. Les tribunaux vaudois puis le Tribunal fédéral lui donnent tort. Selon les juges, le licenciement a été valablement notifié à l’échéance de la période de protection contre les licenciements en temps inopportun. La recourante n’est pas parvenue à prouver la nature discriminatoire du congé, malgré l’allègement prévu à l’art. 6 LEg. L’enseignante déboutée doit payer des frais de procédure et participer aux frais d’avocat de son ancienne employeuse.

en fait

Afin de remplacer une employée en congé de maternité, T. est engagée pour enseigner durant l’année scolaire 2015-2016 dans une école privée E. où sont scolarisés ses trois enfants. Au terme de cette année, en juin 2016, T. est mise au bénéfice d’un contrat de durée indéterminée.

Son salaire mensuel brut pour un plein temps s’élève à CHF 5’000.-. En outre, T. est dispensée du paiement des frais d’écolage pour ses enfants. La question de savoir si cette dispense concerne aussi leurs frais de cantine fait l’objet de discussions entre T. et E.

Le 12 avril 2017, T. accouche de son quatrième enfant.

Le 1er août 2017, T. sollicite par courriel un rendez-vous avec la directrice afin de clarifier la question des frais de cantine.

Le lendemain, 2 août 2017, la directrice adresse à T. un message électronique intitulé « vos courriers - prise de position et fin du contrat ». Le courriel a la teneur suivante :

« J’ai aussi longuement réfléchi à la réorganisation de notre enseignement dès l’année prochaine pour l’équipe des Enfantines. Je dois donc vous annoncer que vous allez recevoir un courrier de licenciement d’ici demain. Vous serez libérée de l’obligation de travailler jusqu’à la fin du délai de congé de trois mois, ce qui vous permettra de vous organiser. J’ai pris cette décision, qui n’a rien à voir avec votre maternité, parce que la démission de [...] me met de nouveau face à la nécessité de reformer une équipe dans laquelle je souhaite cette fois que la communication fonctionne et où la coopération soit la règle. […] Par ailleurs, et comme déjà constaté à plusieurs reprises, l’entente entre vous et les autres membres de l’équipe – en Enfantine comme en Primaire – n’a pas bien fonctionné. Lorsque je vous ai demandé de passer de la Grande Section à la Petite Section, j’avais espéré que les difficultés iraient en s’amoindrissant et que la coopération serait meilleure. Malheureusement, cela n’a pas été le cas. En outre, la communication avec moi et avec le doyen n’a pas fonctionné non plus ».

Le soir de ce même 2 août 2017, l’employeuse envoie à T. un courrier recommandé formulé comme suit :

« Par la présente je vous confirme votre licenciement avec un préavis de trois mois. Par ailleurs, vous êtes libérée de l’obligation de travailler durant cette période. Comme expliqué, il est nécessaire de procéder à une réorganisation de l’équipe des classes enfantines suite au départ de D. Malheureusement, cela implique de ne plus pouvoir continuer la collaboration avec vous […] ».

L’enseignante reçoit le courrier le lendemain, 3 août 2017, à savoir le jour suivant l’échéance du délai de protection contre les licenciements en temps inopportun (protection au cours des seize semaines qui suivent l’accouchement selon l’art. 336c al. 1 let. c CO).

La travailleuse s’oppose à ce congé. De son point de vue, le licenciement a été notifié le 2 août 2017, durant la période de protection susmentionnée, et ne déploie dès lors aucun effet (art. 336c al. 2 CO).

L’enseignante offre ses services. A ce sujet, l’employeuse lui adresse le 31 janvier 2018 un courriel indiquant notamment :

« Il est inutile de nous proposer vos services, notre équipe a été complètement réorganisée. Par ailleurs, nous nous réservons le droit de vous poursuivre pour calomnie et diffamation, au vu du tort que vous avez causé dans les médias par une communication mensongère et des allégations destinées à nuire à l’image de [...]. Et cela, en sachant parfaitement clairement que votre licenciement n’avait pas le moindre rapport avec votre maternité, mais bien avec la réorganisation du secteur. Enfin, vous devrez répondre de votre refus de régler les frais – et les frais seulement ! – de vos trois enfants à [...] ; alors que ce montant serait également dû à l’école publique pour des frais identiques. Nous vous avons donc mis aux poursuites afin de récupérer ces montants. ».

Le 27 février 2018, l’école licencie à nouveau l’enseignante, au cas où le premier licenciement serait considéré nul.

En mai 2018, la travailleuse saisit le Tribunal civil de l’arrondissement de Lausanne. Elle conclut notamment au versement d’arriérés de salaire et d’une indemnité pour tort moral. En outre, elle demande à ce que soit constatée la nullité des congés qui lui ont été signifiés. Subsidiairement, elle sollicite une indemnité pour licenciement abusif à hauteur de CHF 25’000.-. Le Tribunal civil condamne l’employeuse au versement de CHF 6’200.- au titre d’arriérés de salaire et rejette toutes les autres conclusions.

Le 6 juillet 2021, la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal vaudois confirme le jugement de première instance.

Par la suite, T. porte son cas devant le Tribunal fédéral. Son premier recours est jugé irrecevable au motif qu’il conclut uniquement à la constatation de la nullité du licenciement, alors que la recourante aurait dû présenter des conclusions chiffrées concernant les conséquences du congé prétendument nul (arrêt 4A_389/2021 du 26 août 2021).

Avant l’échéance du délai de recours contre la décision de dernière instance cantonale, l’enseignante dépose un second recours au Tribunal fédéral exigeant le versement de CHF 90’000.- bruts, tout en invitant les juges à constater la nullité des congés. Subsidiairement, la travailleuse demande une indemnité de CHF 25’000.-.

 

en droit

Le Tribunal fédéral juge le second recours recevable, à l’exception des conclusions en constatation de droit (c. 1).

Dans un premier temps, l’arrêt aborde la question de l’éventuelle nullité du licenciement.

Le Tribunal commence par rappeler la règle selon laquelle un licenciement notifié durant les seize semaines qui suivent l’accouchement est frappé de nullité (art. 336c CO). La résiliation déploie ses effets dès qu’elle « parvient au destinataire : le principe de réception fait foi » (c. 4.1).

En l’espèce, la travailleuse a accouché le 12 avril 2017. Elle était protégée par l’art. 336c al. 1 let. c CO durant seize semaines, à savoir jusqu’au 2 août 2017 inclus (c. 4.2). La question se pose de savoir si le licenciement a été notifié via le courriel du 2 août 2017, durant le délai de protection (nullité), ou le lendemain, 3 août 2017, date de réception du courrier recommandé suivant l’échéance du délai de protection (validité).

A l’instar des autorités précédentes, le Tribunal fédéral considère que le courriel du 2 août 2017 ne saurait être objectivement interprété comme un licenciement. Il ne « constituait pas l’exercice (anticipé) du droit de résilier le contrat, mais un simple avis, une communication d’intention [...] ». Le grief de nullité se révèle infondé (c. 4.4. et 4.5).

Dans un second temps, l’arrêt examine les allégations de licenciement abusif et/ou discriminatoire (c. 5). A cet égard, il convient de s’interroger sur les motifs réels du congé pour ensuite se prononcer sur sa nature abusive et/ou discriminatoire (c. 5.2).

« La cour cantonale s’est référée aux explications données par l’employeuse: celle-ci avait notamment invoqué la nécessité de réorganiser l’école après le départ du doyen ainsi que des problèmes d’entente, de communication et de coopération avec la direction et des enseignants; ces difficultés avaient persisté malgré un changement de section.  La cour a confronté ces motivations aux moyens de preuve, soit les courriers de recommandation produits par l’employée (établis après l’ouverture du procès, et de ce fait sujets à caution) et les témoignages recueillis, dont ceux des auteurs desdits courriers, qui s’étaient montrés plus nuancés. L’un d’eux avait concédé qu’il n’y avait pas de satisfaction générale au sujet du travail de l’employée. Il avait aussi mentionné des critiques sur la manière dont la recourante suivait le programme - ce dernier élément ressortant du jugement de première instance. La cour a conclu que l’employeuse/intimée n’avait pas articulé de faux motifs et que la décision de résiliation n’était liée ni à la grossesse de l’employée/recourante, ni aux revendications qu’elle avait émises » (c. 5.3.1).

Au regard des constatations figurant dans l’arrêt attaqué, il n’était pas insoutenable, selon le Tribunal fédéral, « de conclure à la réalité des motifs invoqués par l’employeuse [...], respectivement d’exclure un lien avec la maternité de la recourante et les revendications émises » au sujet notamment des frais de cantine (c. 5.3.2.).

L’enchaînement des évènements (licenciement quelques semaines après l’accouchement) ne suffit pas à lui seul à rendre vraisemblable, au sens de l’art. 6 LEg, que le congé était motivé par la maternité de l’employée et partant discriminatoire selon l’art. 3 LEg. « Sans enfreindre le droit fédéral, l’autorité précédente pouvait inférer que la recourante n’avait pas fourni des indices suffisant à fonder la vraisemblance de sa thèse ou, à tout le moins, que la partie adverse avait apporté la preuve stricte du contraire ». Les moyens tirés de la LEg sont donc écartés (c. 5.3.3 et 5.4.).

Par conséquent, le recours de la travailleuse est rejeté. Les frais de procédure, fixés à CHF 1’000.- (art. 65 al. 4 let. b LTF) sont mis à sa charge. En outre, la recourante doit contribuer à hauteur de CHF 2’500.- aux frais d’avocat de son ancienne employeuse.

Résumé par Mme Karine Lempen, Professeure à la Faculté de droit de l’Université de Genève
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