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TF (VD) 21.11.2018
harcèlement sexuel
licenciement abusif

sujet

Propos sexistes et racistes. Plainte interne suivie d’un licenciement. Harcèlement sexuel non prouvé. Licenciement non abusif.

LEg

art 4, art 5, art 10

procédure

26.01.2012Autorisation de procéder suite à l’échec de la conciliation 09.09.2016Jugement du Tribunal civil de l’arrondissement de la Côte 14.11.2017Arrêt du Tribunal cantonal, Cour d’appel civile (PT14.024453-160999-161003) 21.11.2018Arrêt du Tribunal fédéral, Ière Cour de droit civil (4A_18/2018)

résumé

Une comptable d’origine italienne se plaint auprès de son employeuse des propos misogynes et racistes d’un supérieur hiérarchique. Quelques jours après cette réclamation, la travailleuse est licenciée. Les tribunaux considèrent qu’un harcèlement sexuel au sens de l’article 4 LEg n’a pas été prouvé. En outre, il apparaît que la décision de licencier la collaboratrice était antérieure à la plainte interne. Il ne s’agissait donc pas d’une mesure de représailles et le congé n’était pas abusif au sens de l’article 336, al. 1, let. d, CO.

en fait

D’origine italienne, Mme T. travaille comme comptable auprès de la société E. depuis 2008. Jusqu’à fin 2010, son travail est très apprécié. Elle entretient des relations harmonieuses avec ses supérieurs hiérarchiques et ses collègues.

Suite à une réorganisation, un nouveau directeur commercial, Monsieur B., entre en fonction début 2011.

Le 27 mai 2011, Mme T. se plaint, auprès d’un administrateur de la société E., du «comportement totalement inadéquat» de Monsieur B. En particulier, elle reproche à ce dernier d’avoir «toujours utilisé des termes extrêmement offensants et vulgaires» à son sujet, la traitant par exemple de «Mistinguett» en présence de collègues. La comptable signale aussi des commentaires racistes de la part de Monsieur B., qui appelait «ritals» les italiens. Mme T. demande à l’administrateur de «ramener un climat serein, respectueux et éduqué» au sein de la société.

Le 30 mai 2011, l’administrateur de la société répond en manifestant son «étonnement» face à ces réclamations. Il conclut à l’existence «d’une simple incompréhension qui peut se résoudre».

Le lendemain, à savoir le 31 mai 2011, la société résilie le contrat de travail de Mme T., sans indication de motifs. Mme T. intente action pour licenciement abusif. Elle allègue une atteinte à la personnalité et à l’égalité.

Le Tribunal d’arrondissement conclut à l’inexistence d’une violation de l’article 328 CO ou de l’article 4 LEg. En outre, la décision de licencier Mme T. n’a pas été prise en réaction à la plainte de Mme T., mais en raison du fait que T. n’avait plus les compétences nécessaires à l’accomplissement de son travail. Dès lors, le congé n’est pas abusif au sens de l’article 336, al. 1, let. d., CO.

Mme T. forme appel contre ce jugement.

en droit

ARRÊT DU TRIBUNAL CANTONAL DU 14 NOVEMBRE 2017

Dans un premier temps, le Tribunal cantonal examine une éventuelle violation de l’article 328 CO en lien avec les articles 4 et 10 LEg (c. 3.1). Il explicite la notion de harcèlement sexuel au sens de l’article 4 LEg et précise, notamment, que la répétition des actes n’est pas nécessaire (c. 3.2).

En l’espèce, selon le Tribunal, « l’élément sur lequel se base l’appelante à l’appui de son raisonnement tient uniquement dans le fait qu’elle aurait été appelée « Mistinguett » (…) ». Etant donné qu’il « suffit d’un seul acte à connotation sexuelle pour tomber sous le coup de l’art. 4 LEg », peu importe que cette expression ait été prononcée plusieurs fois ou à une seule reprise. En revanche, la question se pose de savoir si le terme « Mistinguett » a véritablement une connotation négative. Le tribunal de première instance, qui s’est appuyé sur le Petit Robert, a retenu que l’expression avait certes pour origine une danseuse de cabaret, mais exprimait aussi « des notions d’esprit et de grâce ». Selon le Tribunal cantonal, qui se fonde en outre sur les explications données dans le Grand Larousse, il est « difficile de retenir que qualifier quelqu’un de « Mistinguett » soit suffisant pour tomber sous le coup de la notion de harcèlement sexuel au sens de l’art. 4 LEg ». Pour le reste, un comportement inadéquat de B. n’a pas été prouvé. Le moyen tiré d’une violation de l’art. 328 CO apparaît mal fondé (c. 3.3).

Dans un second temps, le Tribunal cantonal s’interroge sur l’existence d’un congé représailles au sens de l’article 336, al. 1, let. d, CO (c. 4.1-4.2).

Si l’on reprend la chronologie des faits, il apparaît que le supérieur hiérarchique direct de Mme T. avait constaté début 2011 que cette dernière « ne parvenait pas à établir les clôtures mensuelles de comptes, malgré l’appui d’abord d’un comptable externe mis à disposition par la fiduciaire ». La situation s’est encore aggravée par la suite, à tel point qu’un expert-comptable « a été chargé d’émettre un diagnostic sur le fonctionnement du processus de comptabilisation et sur la qualité du travail de l’appelante. Son rapport concluait que l’appelante ne disposait pas des compétences nécessaires et qu’il était impératif de réagir rapidement pour éviter une péjoration plus importante de la situation ». Sur la base de cet état de fait, le Tribunal cantonal considère, à l’instar des premiers juges, que la décision de licencier Mme T. avait en réalité déjà été prise à mi-mai 2011, soit avant que celle-ci se soit plainte auprès d’un administrateur de la société. Le licenciement signifié à Mme T. n’était donc pas abusif (c. 4.3).

Malgré le principe de la gratuité de la procédure dans les litiges relevant de la loi sur l’égalité (art 114, let. a, CPC), Mme T. doit supporter une partie des frais judiciaires. En effet, selon le Tribunal, « on ne saurait soutenir que la cause relevait totalement, voir essentiellement de la LEg. Au contraire, après une estimation globale, le litige relevant exclusivement de la LEg peut être estimé à environ 10 % de la totalité des conclusions ».

En définitive, Mme T. est déboutée de ses prétentions fondées sur les articles 328 CO, 4 LEg et 336 CO. Les frais judiciaire de première instance mis à sa charge s’élèvent à CHF 15’143.-. Les frais de seconde instance mis à sa charge sont fixés à CHF 705.- (c. 5-6).

Mme T. recourt au Tribunal fédéral.

ARRÊT DU TRIBUNAL FEDERAL DU 21 NOVEMBRE 2018 (4A_18/2018)

Après avoir énoncé la teneur de l’art. 4 LEg, le Tribunal fédéral rappelle sa jurisprudence selon laquelle « les remarques sexistes et les commentaires grossiers ou embarrassants entrent dans la définition du harcèlement sexuel » (c. 3.1).

En l’espèce, de tous les comportements agressifs, hostiles ou humiliants allégués par Mme T., la désignation par le surnom « Mistinguett » est l’unique acte à avoir été considéré comme établi par la cour cantonale (c. 3.2). Le Tribunal fédéral se penche donc sur la biographie de ce personnage (c. 3.4) et n’y perçoit aucune connotation négative. « Certes, le nom évoqué était celui d’une danseuse de cabaret, mais celle-ci s’était distinguée par son esprit et sa grâce » (c. 3.3.).

Le Tribunal concède que le directeur commercial connaissait sans doute mal l’œuvre de Mistinguett lorsqu’il a utilisé son nom. « Certainement ne le faisait-il pas pour manifester une quelconque admiration. Cependant, même s’il n’entrevoyait pas la richesse de ce personnage et s’il n’avait en tête qu’une figure empanachée sur des jambes effilées, ce qui serait la marque d’une inculture certaine, la comparaison qu’il a faite, à une seule reprise et sans que l’on connaisse la teneur précise de son propos, ne saurait s’apparenter à du harcèlement sexuel. Il n’y a en effet pas de raison de placer à un niveau si bas, où celui qui parle n’est guère plus érudit que ceux qu’amuserait l’évocation d’une figure historique qu’ils entrevoient uniquement par un prisme, le seuil du harcèlement sexuel. Certes, la différence – elle est de taille – entre une meneuse de revue, respectivement une artiste de cabaret de la Belle Epoque, et une « artiste de cabaret » telle qu’elle peut se concevoir aujourd’hui (là où il n’y a plus ni véritable artiste, ni cabaret-théâtre d’ailleurs), peut échapper à l’ignorant. Cela étant, face à un tel glissement sémantique, la recourante pourrait tout au plus s’offusquer du manque de savoir de son interlocuteur, dès lors que cette carence est en définitive préjudiciable à lui seul » (c. 3.4).

À5 l’instar des juges cantonaux, le Tribunal fédéral conclut à l’inexistence d’un harcèlement sexuel au sens de l’art. 4 LEg (c. 3.4).

En outre, le Tribunal fédéral estime que la cour cantonale n’a pas fait preuve d’arbitraire en niant l’existence d’un lien de causalité entre la plainte pour harcèlement sexuel et la décision de mettre fin aux rapports de travail. Motivé par la qualité insuffisante du travail fourni par Mme T., le licenciement n’était pas abusif au sens de l’art. 336 al. 1 let. d CO (c. 4-5).

En définitive, le recours de Mme T. est rejeté et des frais judiciaires à hauteur de CHF 2’000.- sont mis à sa charge.

Le Tribunal explique que les frais sont réduits eu égard au « fait que le litige relève partiellement – mais pas essentiellement – de la LEg » (art. 65 al. 4 let. b LTF). Aucune des parties ne doit payer des dépens (c. 6).

Résumé par Mme Karine Lempen, Professeure à la Faculté de droit de l’Université de Genève
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