Licenciement non discriminatoire au retour d’un congé de maternité.
art 3, art 5, art 6
03.04.2019 Echec de la tentative de conciliation, autorisation de procéder 08.06.2020 Jugement du Tribunal de prud’hommes de l’arrondissement de la Côte 08.09.2021 Arrêt de la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal (HC/2021/627) 18.01.2022 Arrêt du Tribunal fédéral, Ière Cour de droit civil (4A_537/2021)
Licenciée au retour d’un congé de maternité, une aide-soignante ne parvient pas à prouver une discrimination. Le Tribunal de prud’hommes puis la Cour d’appel arrivent à la conclusion que la résiliation des rapports de travail était motivée par les difficultés relationnelles rencontrées par la salariée avec ses collègues, et non par sa maternité. La travailleuse est déboutée de sa conclusion relative au versement d’une indemnité pour licenciement discriminatoire et condamnée à verser des dépens à son ancien employeur. Après avoir relevé le caractère « confus » du raisonnement de la Cour cantonale en lien avec l’art. 6 LEg, le Tribunal fédéral juge que cette dernière n’a pas sombré dans l’arbitraire en retenant que la grossesse n’a joué aucun rôle dans la décision de licenciement. Le recours de la travailleuse est rejeté et les frais judiciaires sont mis à sa charge.
Aide-soignante, T. entre en fonction auprès de l’établissement E. le 1er janvier 2017. Par courrier du 5 mai 2017, le service du personnel constate que ses prestations correspondent aux attentes et lui confirme son engagement.
Enceinte au terme de son temps d’essai, fin mars 2017, T. annonce sa grossesse le 13 juin 2017. Du fait de la grossesse, T. se trouve en arrêt de travail complet dès le 20 juillet 2017. Elle donne naissance à sa fille le 23 décembre 2017.
Le 16 avril 2018, à savoir le premier jour ouvrable après l’échéance du délai de protection prévu par l’art. 336c CO, E. licencie la jeune mère avec effet au 31 juillet 2018. La lettre de licenciement précise que la travailleuse est libérée de son obligation de prester jusqu’au terme du contrat et qu’un éventuel solde de vacances et d’heures supplémentaires sera compensé durant cette période.
L’employée se trouvant à nouveau en incapacité de travailler en été 2018, les rapports de travail prennent effectivement fin le 31 octobre 2018. En juillet 2018, son médecin-traitant diagnostique une « dépression réactionnelle ».
Le 30 juillet 2018, l’aide-soignante s’oppose à son licenciement, qu’elle juge abusif. La résiliation n’a été précédée d’aucun avertissement ni mise en garde écrite.
Dans un courrier du 6 août 2018, l’employeur motive sa décision par le comportement de T. qui, déjà durant le temps d’essai, avait rencontré des difficultés relationnelles avec une collègue, difficultés mentionnées dans un rapport d’entretien réalisé au terme de la période probatoire. L’employeur explique que la situation s’est ensuite beaucoup péjorée.
« Cependant, nous n’avons pas eu l’occasion de nous entretenir avec elle à ce sujet, puisque seulement 2 mois se sont écoulés entre son évaluation de fin de temps d’essai et son incapacité de travail totale qui a suivi. Ainsi, à l’issue de son congé maternité, nous n’avons pas souhaité poursuivre notre collaboration avec Madame T., dont l’attitude ne nous donnait pas satisfaction, et qui n’avait finalement travaillé “effectivement” que moins de 6 mois dans notre institution ».
Le 18 février 2019, T. dépose une requête de conciliation. Faute d’accord entre les parties, T. se voit délivrer une autorisation de procéder le 3 avril 2019.
Le 4 juin 2019, T. demande au Tribunal de condamner son employeur à lui verser CHF 13’866.- au titre d’indemnité pour congé discriminatoire (art. 5 al. 2 LEg) subsidiairement abusif (art. 336 CO). Elle fait valoir en outre des prétentions non fondées sur la LEg en lien notamment avec des vacances non prises (et au sujet desquelles elle obtient partiellement gain de cause en première instance).
Devant le Tribunal, plusieurs témoins attestent des difficultés relationnelles rencontrées par T. avec le reste de l’équipe. En outre, la directrice de l’établissement indique que, depuis 2015, vingt-huit collaboratrices ont donné naissance à trente-trois enfants. En 2019, dix employées ont repris leur emploi à la fin de leur congé maternité. Par ailleurs, l’instruction révèle que l’établissement a notifié en 2018 un autre licenciement au retour du congé maternité, apparemment non contesté par l’employée concernée.
En définitive, s’agissant des prétentions fondées sur la LEg, les premiers juges ont considéré que la travailleuse « n’avait apporté aucun indice probant de ce que son licenciement lui aurait été donné en raison de sa maternité, expression d’une politique discriminatoire à l’endroit des femmes enceintes. Ils ont ainsi constaté que [E.] n’avait pas abusé de sa liberté contractuelle en mettant un terme aux rapports de travail dès le retour [de T.] de son congé maternité et qu’il n’y avait donc pas lieu de donner droit à ses prétentions au versement d’une indemnité pour congé discriminatoire ».
Le 18 décembre 2020, T. interjette appel contre ce jugement du 8 juin 2020.
L’art. 3 LEg interdit toute discrimination fondée sur le sexe lors de la résiliation des rapports de travail. En pareille hypothèse, l’allègement du fardeau de la preuve prévu par l’art. 6 LEg trouve application.
La Cour d’appel explique le mécanisme prévu par cette disposition, à savoir que si l’employée parvient à rendre vraisemblable que le motif du congé réside dans sa grossesse ou sa maternité (étape 1), « il appartiendra à l’employeur de prouver que cet élément n’a pas été un facteur déterminant dans sa décision de mettre un terme au contrat […], en d’autres termes, que l’employée aurait été licenciée même si elle n’avait pas été enceinte, pour un motif objectif sans lien avec la grossesse ou la maternité, comme la réorganisation de l’entreprise, ou l’insuffisance des prestations de l’intéressée […] » (étape 2) (c. 4.1).
En l’espèce, le raisonnement de la Cour civile ne suit toutefois pas les deux étapes indiquées. En effet, au lieu de commencer par se prononcer sur la vraisemblance de la discrimination alléguée, l’arrêt aborde d’emblée la question des motifs justificatifs invoqués par l’employeur et semble les admettre sur la base d’une simple vraisemblance (alors qu’une preuve complète est requise dans le cadre de l’étape 2).
Ainsi, la Cour relève que « la susceptibilité importante de l’appelante, qui a pu compliquer les rapports de travail au sein de l’équipe, ressort déjà de l’évaluation de fin de temps d’essai […]. En outre, le courriel du 8 juin 2017 de l’infirmière cheffe adjointe […] atteste qu’à cette date, le personnel d’encadrement de l’intimée s’attendait à ce que l’appelante donne sa démission, ce qui corrobore la version de l’employeuse selon laquelle les rapports de travail ne donnaient pas toute satisfaction à cette période. Le caractère nuancé et factuel des témoignages des infirmières S. et B. permet leur prise en compte sans restriction ; or ces témoignages rendent compte globalement de ce que la susceptibilité de l’appelante et sa difficulté à recevoir des remarques était jugée problématique au sein de l’équipe dès avant que celle-ci n’ait informé son employeuse qu’elle était enceinte » (c. 4.2.2).
« Dans ces circonstances, il est parfaitement vraisemblable que l’annonce de la grossesse le 13 juin 2017 ait pris de court l’employeuse, qui n’a ainsi pas eu le temps de licencier l’appelante avant que ne courre le délai de protection. L’absence d’un avertissement ou d’un entretien fixé à cette fin n’est dans ce contexte pas déterminante, dans la mesure où le fait que le délai entre l’entretien de fin de temps d’essai et l’annonce de la grossesse n’ait pas été suffisant pour permettre à l’employeuse de prendre les mesures envisagées est corroboré par la lettre du 6 août 2018 explicitant le motif du licenciement. Ainsi, si l’intention de l’intimée de licencier l’appelante le 12 juin 2017 ne peut pas être considérée comme formellement prouvée, elle est rendue suffisamment vraisemblable pour faire obstacle à un renversement du fardeau de la preuve en faveur de l’appelante » (c. 4.2.2, italiques ajoutés).
Selon la Cour, « le fait que le congé a été donné à l’échéance du délai de protection ne doit pas automatiquement emporter la vraisemblance du caractère discriminatoire du congé, mais seulement constituer un indice en ce sens, faute de conférer à l’art. 336c CO une portée qu’il n’a pas » (c. 4.2.2).
En l’occurrence, la travailleuse « ne parvient pas à rendre vraisemblable que le motif du congé aurait résidé dans sa grossesse ou sa maternité et donc à renverser le fardeau de la preuve. Il ne se justifie dès lors pas d’entrer en matière sur une quelconque indemnité pour licenciement discriminatoire au sens de l’art. 5 al. 2 et 4 LEg » (c. 4.2.2).
Les autres griefs avancés par la travailleuse (relatifs à l’indemnisation due au titre de vacances non prises et au remboursement des frais d’avocat avant procès) sont également écartés par la Cour (c. 5 et 6).
Par conséquent, la Cour rejette l’appel et confirme le jugement du Tribunal. La procédure de deuxième instance ne donne lieu à aucun frais judiciaire (art. 114 let. a et c CPC). Bénéficiaire de l’assistance judiciaire, la travailleuse devra en revanche rembourser à l’Etat l’indemnité due à l’avocat commis d’office (CHF 2’372.-) dès qu’elle sera en mesure de le faire (art. 123 CPC). En outre, elle est condamnée à verser à son ancien employeur la somme de CHF 1’500.- à titre de dépens de deuxième instance (c. 7).
La travailleuse fait recours auprès du Tribunal fédéral.
L’employée se prévaut notamment « d’une appréciation des preuves arbitraire et d’une violation de l’art. 6 LEg, dans la mesure où les juges cantonaux ont retenu qu’elle n’avait pas rendu suffisamment vraisemblable le caractère discriminatoire du congé » (c. 4).
« Lorsqu’une discrimination liée au sexe est […] présumée au degré de la vraisemblance (cf. art. 6 LEg), il appartient « à l’employeur d’apporter la preuve stricte du contraire […] » (c. 4.1.1).
« En l’espèce, le raisonnement de la cour cantonale prête à confusion, surtout lorsqu’elle retient que l’intention de l’intimée de licencier l’employée le 12 juin 2017 était “rendue suffisamment vraisemblable pour faire obstacle à un renversement du fardeau de la preuve” en faveur de l’employée ». Au vu des indices fournis par la travailleuse (licenciement le premier jour ouvrable suivant la fin du délai de protection, appréciations positives figurant dans son dossier, etc.) et compte tenu du degré de preuve requis (simple vraisemblance), « il convient d’admettre la présomption de discrimination ». Ainsi, il appartenait à l’employeur d’apporter la preuve du contraire (c. 4.3.).
Pour arriver à la conclusion que la salariée aurait été licenciée même si elle n’avait pas annoncé sa grossesse, la cour cantonale s’est fondée, à l’instar des premiers juges, sur les déclarations mettant notamment en évidence le manque d’intégration de la travailleuse dans l’équipe, sa propension à vouloir imposer son point de vue et sa susceptibilité importante propre à créer des difficultés au sein de l’équipe. « Ainsi, malgré le raisonnement confus de la cour cantonale et l’utilisation de termes impropres (cf. consid. 4.3 supra), on doit admettre qu’elle a en réalité considéré que l’intimée avait apporté la preuve d’un licenciement non discriminatoire ». La recourante ne parvient pas à démontrer que l’appréciation des preuves opérée par la cour cantonale serait arbitraire (c. 5.2.).
En définitive, le recours doit être rejeté. « Selon l’art. 64 al. 1 LTF, le Tribunal fédéral peut accorder l’assistance judiciaire à une partie à condition que celle-ci ne dispose pas de ressources suffisantes et que ses conclusions ne paraissent pas d’emblées vouées à l’échec. En l’occurrence, la procédure entreprise devant la Cour de céans était dépourvue de chances de succès, ce qui entraîne le rejet de la demande d’assistance judiciaire de la recourante ». Par ailleurs, la travailleuse doit supporter les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF) arrêtés à CHF 600.-, selon un tarif réduit (art. 65 al. 4 let. b et c LTF) (c. 7).