Discriminations dans la rémunération et lors de la promotion non prouvées. Expertise judiciaire non nécessaire.
art 3, art 5, art 6
22.11.2018 Échec de la tentative de conciliation, autorisation de procéder 05.08.2022 Jugement du Tribunal des prud’hommes (JPTH 248/2022) 03.07.2023 Arrêt de la Cour de justice, Chambre des prud’hommes (CAPH/79/2023) 08.11.2023 Arrêt du Tribunal fédéral, Ire Cour de droit civil (4A_427/2023)
Une femme cadre allègue avoir été discriminée en raison du sexe à la promotion et dans la rémunération. La travailleuse se fonde sur une comparaison de son salaire avec celui touché par un collègue, ses subordonnés et son successeur. Sa requête d’expertise judicaire est rejetée par le Tribunal qui, après avoir instruit la cause de façon approfondie, possède suffisamment d’éléments pour statuer. Une discrimination salariale par rapport aux subordonnés est jugée vraisemblable mais l’employeuse parvient à expliquer la différence salariale, temporaire, par des motifs objectifs tels que la formation, l’expérience, l’âge ou l’ancienneté. Les instances cantonales concluent dès lors à l’absence de discrimination salariale. Une discrimination dans la promotion est également niée. Le recours de la travailleuse au Tribunal fédéral est rejeté et des frais judiciaires à hauteur de CHF 1’000.- sont mis à sa charge.
Entre 2012 et 2018, Mme T. gravit les échelons hiérarchiques au sein d’une société active notamment dans le domaine de la cybersécurité.
En particulier, dès 2014, T. devient cheffe de l’équipe Security Operations Center (SOC) au sein du département Group Information Security (GIS), auquel est aussi rattaché le service Information Risk Assurance (IRA), dirigé par le collègue H.
L’application de gestion des salaires utilisée par la société employeuse indique que les membres de l’équipe SOC ont perçu une rémunération annuelle globale (bonus et parts d’intéressement compris) supérieure à celle de leur cheffe T. au cours des exercices 2014 et 2015. En outre, le collègue H. à la tête du service IRA depuis 2015 a également touché une rémunération globale plus élevée que celle reçue par T. entre 2014 et 2018.
En 2018, T. démissionne. Après une procédure de conciliation infructueuse, elle demande au Tribunal des prud’hommes de condamner son ancienne employeuse à lui verser un montant total de CHF 824’054.-, dont CHF 661’522.- à titre de différence salariale et 19’506.- à titre d’indemnité pour discrimination lors de la promotion.
En mars 2022, le Tribunal des prud’hommes considère avoir recueilli suffisamment d’éléments pour se prononcer sur l’existence des discriminations alléguées et refuse d’ordonner l’expertise judiciaire requise par la travailleuse.
Le 5 août 2022, le Tribunal des prud’hommes admet partiellement la demande de la travailleuse et condamne l’employeuse au versement d’une somme correspondant à la rétribution des heures supplémentaires accomplies. En revanche, le Tribunal considère que T. n’a été discriminée ni sur le plan salarial ni en matière de promotion.
Le 3 juillet 2023, la Chambre des prud’hommes de la Cour de justice rejette l’appel formé par la travailleuse.
L’arrêt du Tribunal fédéral rappelle le principe d’égalité salariale au sens des art. 8 al. 3 Cst. et 3 LEg ainsi que l’allègement du fardeau de la preuve prévu à l’art. 6 LEg. Il procède ensuite à un exposé détaillé de la jurisprudence fédérale en matière de discrimination salariale (c. 4.1).
En l’espèce, la travailleuse estime avoir été discriminée sur le plan salarial tant par rapport à ses subordonnés que par rapport à l’autre chef d’équipe, H. Elle compare aussi sa rémunération à celle du collaborateur ayant repris son poste après son départ.
Le Tribunal fédéral relève que, selon la cour cantonale, T. n’a pas rendu vraisemblable une discrimination salariale par rapport à son collègue H., qui effectuait d’autres tâches et assumait une fonction différente, non comparable. La travailleuse échoue à démontrer le caractère arbitraire de ce constat de non-équivalence (c. 4.3.1).
Par ailleurs, la cour cantonale a considéré que la discrimination salariale avec les subordonnés avait été rendue vraisemblable mais que l’employeuse était parvenue à prouver les motifs objectifs expliquant la différence de traitement, « tels que la formation, l’ancienneté, l’âge et l’expérience professionnelle, tout en relevant que [la différence] s’était rapidement dissipée, la recourante percevant une rémunération supérieure à tous ses subordonnés dès 2017 ». Là encore, la travailleuse « ne parvient pas à établir que l’autorité précédente aurait sombré dans l’arbitraire en retenant l’existence de telles circonstances objectives » (c. 4.3.2).
Le raisonnement de la cour cantonale écartant une discrimination salariale par rapport au successeur de T. ne saurait davantage être qualifié d’arbitraire (c. 4.3.3).
La recourante allègue avoir été discriminée, non seulement sur le plan salarial, mais aussi en raison du refus de son employeuse de la promouvoir à un poste de sous-directrice.
Le Tribunal fédéral rappelle que l’art. 3 al. 2 LEg réprime notamment la discrimination à la promotion. « Il y a discrimination prohibée en particulier lorsqu’une femme n’est pas retenue pour une promotion, alors qu’elle est mieux qualifiée qu’un collègue masculin ou que les femmes ne sont généralement pas promues à certains postes ». En vertu de l’art. 6 LEg, il suffit dans un premier temps de rendre vraisemblable la discrimination (c. 5.1).
En l’espèce, la cour cantonale a considéré que la recourante n’avait pas rendu vraisemblable l’existence d’une règle selon laquelle « tout chef de service en poste depuis deux ans, sans problème de performance, devait être nommé sous-directeur ». Tout en soulignant les qualités de la travailleuse, les juges cantonaux ont retenu plusieurs éléments attestant du fait que cette dernière manquait encore de maturité au niveau de ses compétences managériales, perfectibles. Sa comparaison avec deux autres collaborateurs de l’entreprise ne permettait pas de rendre vraisemblable une discrimination (c. 5.2).
À ce sujet, le Tribunal fédéral relève que « la recourante se contente, une nouvelle fois, d’exposer sa propre vision des choses et d’opposer son appréciation personnelle des preuves disponibles à celles de la cour cantonale ». Elle s’emploie à démontrer « qu’elle disposait des qualités nécessaires pour occuper la fonction de sous-directrice. Ce faisant, elle ne parvient toutefois pas à établir que la cour cantonale aurait enfreint le droit fédéral en jugeant que la recourante avait échoué à rendre vraisemblable » une discimrnation à la promotion fondée sur le sexe (c. 5.3.).
La travailleuse recourante reproche aux instances cantonales d’avoir enfreint le droit fédéral en refusant de mettre en œuvre l’expertise judiciaire qu’elle avait requise dans le but d’établir l’équivalence entre sa fonction et celles d’autres membres du personnel.
Le Tribunal fédéral rappelle sa jurisprudence selon laquelle « lorsque, à l’intérieur d’une entreprise, l’équivalence des diverses fonctions n’est pas immédiatement évidente ou n’est pas établie par d’autres moyens de preuve, le juge doit ordonner les expertises nécessaires. Les experts doivent alors évaluer si ces fonctions sont comparables entre elles et déterminer les critères propres à mettre en évidence un cas de discrimination. Un refus d’ordonner l’expertise demandée par une partie constitue une violation de l’art. 247 al. 2 let. a CPC, à moins que l’expertise n’apparaisse d’emblée inutile parce que, par exemple, le juge dispose lui-même des connaissances scientifiques nécessaires pour élucider une éventuelle discrimination liée au sexe » (c. 6.1).
« En l’espèce, la cour cantonale n’a pas donné suite à la requête d’expertise judiciaire formulée par la recourante, car elle estimait disposer de suffisamment d’éléments pour statuer sur la question de l’équivalence des fonctions. Au regard de l’ensemble des circonstances du cas concret, pareille solution résiste aux critiques dont elle est la cible de la part de la recourante. Contrairement aux affaires précédemment jugées par le Tribunal fédéral auxquelles se réfère l’intéressée, il faut en effet bien voir que les instances cantonales, avant de se prononcer sur la requête d’expertise, ont procédé à une instruction approfondie de la cause en auditionnant pas moins de dix-neuf témoins, ce qui leur permettait de bénéficier d’une représentation détaillée du fonctionnement des services de la division informatique de l’intimée et des diverses fonctions occupées par les principaux collaborateurs concernés. De plus, les instances cantonales avaient à leur disposition le cahier des charges de la recourante et celui de H. ainsi que les procès-verbaux des entretiens d’évolution de différents collaborateurs de l’entreprise, ce qui leur offrait une image précise des tâches, responsabilités et objectifs des personnes concernées. Eu égard à ces circonstances singulières, la cour cantonale n’a ainsi pas méconnu le droit fédéral en considérant que les éléments recueillis lui permettaient de conclure à l’absence d’équivalence entre les fonctions de la recourante et de H., sans qu’il soit nécessaire de mettre en œuvre une expertise judiciaire » (c. 6.2).
Par conséquent, le Tribunal fédéral rejette le recours de la travailleuse. Les frais judiciaires, arrêtés à CHF 1’000.- selon le plafond prévu à l’art. 65 al. 4 let. b LTF, sont mis à charge de cette dernière, sans dépens (c. 7).