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TF (GE) 26.1.2018
discrimination à l'embauche

sujet

Fonction publique. Procédure de nomination à l’université. Discrimination non prouvée.

LEg

art 3, art 5, art 6, art 13

procédure

18.12.2012Décision de l’Université de Genève, refus d’embauche. 01.11.2016Arrêt de la chambre administrative de la Cour de justice (ATA/915/2016), admission partielle du recours. 26.1.2018 Arrêt du Tribunal fédéral (8C_821/2016), annulation de l’arrêt cantonal.

résumé

Une candidate à un poste de professeure à l’Université estime avoir été discriminée en raison du sexe lors de la procédure de nomination. Sur la base d’« indices convergents », la Cour de justice admet l’existence d’une discrimination et condamne l’Université au versement d’une indemnité pour refus d’embauche discriminatoire (art. 5, al. 2 et 4, LEg). Saisi d’un recours contre cet arrêt, le Tribunal fédéral considère qu’une discrimination à l’embauche peut être retenue sur la base d’une « vraisemblance prépondérante ». En revanche, une « simple vraisemblance » (au sens de l’art. 6 LEg) ne suffit pas. Dès lors, c’est à tort que les juges cantonaux ont admis une violation de la règle de préférence prévue par l’article 13 LU/GE en faveur du sexe sous-représenté. L’arrêt cantonal, qui donnait en grande partie raison à la candidate écartée, est annulé.

en fait

En septembre 2010, la Faculté des sciences de l’Université de Genève met au concours un poste de professeur-e en biologie. La Faculté reçoit plusieurs dizaines de candidatures, dont celle de Mme T., ancienne professeure assistante à l’Université de Lausanne et chargée de cours à l’Université de Cambridge. Mme T. est sélectionnée pour donner une conférence et rencontrer la commission de nomination. Suite aux auditions, sa candidature est écartée. La Faculté propose au rectorat la nomination de deux candidats masculins, classés par ordre de préférence.

Le 31 janvier 2012, le Recteur informe Mme T. de son intention de nommer Monsieur C., conformément au premier choix de la Faculté des sciences. Il indique que le corps professoral de cette faculté est composé de 8 % de femmes et de 92 % d’hommes (cf. art. 102, al. 1, let. c, R-pers).

Le 5 mars 2012, Mme T. dépose plainte au rectorat en invoquant, notamment, une violation de la règle selon laquelle « à qualifications équivalentes, la préférence est donnée à la personne qui appartient au sexe sous-représenté » (art. 13, al. 3, LU/GE).

Selon la commission ad hoc chargée d’instruire cette plainte, il n’est « pas exclu que la règle de préférence ait été violée ». En particulier, lors de l’évaluation des dossiers, la commission de nomination a accordé trop d’importance à « l’aptitude du candidat à la recherche » par rapport aux autres critères prévus par le règlement sur le personnel (art. 99 al. 3). En outre, « la commission ne pouvait se dispenser de tenir compte des conséquences des charges familiales sur le dossier des publications d’une candidate » (cf. point 12 de l’arrêt cantonal et art. 99 al. 4 R-pers).

Le rectorat renvoie le dossier à la Faculté des sciences. Après réexamen, la Faculté conclut que la règle de préférence n’a pas été violée et confirme son préavis en faveur de Monsieur C.

Le 18 décembre 2012, le rectorat informe Mme T. de la nomination de Monsieur C.

Mme T. recourt contre cette décision à la chambre administrative de la Cour de justice. Principalement, elle conclut à l’annulation de la nomination, au versement d’une indemnité pour tort moral (CHF 50’000.-) et au remboursement de ses frais d’avocat. Subsidiairement, elle demande en sus une indemnité correspondant à trois mois de salaire d’un professeur associé, soit CHF 38’145.-, ainsi qu’une somme de CHF 1’156’353.-, destinée à compenser la différence entre la rémunération qu’elle aurait touché si elle avait été nommée à l’Université de Genève et son salaire de professeure à l’Université de Cambridge (cf. point 18 de l’arrêt cantonal).

en droit

Arrêt de la chambre administrative de la Cour de justice du 1er novembre 2016

La chambre administrative commence par admettre sa compétence pour traiter d’un recours contre une décision de refus d’embauche au sens de l’art. 5, al. 2, LEg (art. 13, al. 2, LEg) (c. 3b).

« Bien que la recourante n’ait plus d’intérêt actuel et pratique à requérir l’annulation de l’acte attaqué, puisque le poste a été attribué à son confrère, la même situation est de nature à se reproduire à l’avenir. De plus, la LEg permettant cas échéant de faire constater les cas de discrimination à raison du sexe, cet examen doit pouvoir être également effectué postérieurement aux faits évoqués. Par conséquent, la qualité pour recourir doit être reconnue à la recourante » (c. 3c).

Après avoir rappelé que l’interdiction de discriminer à raison du sexe « s’applique tant à l’embauche que dans les relations de travail (art. 3 al. 2 LEg) », la Cour examine si la procédure de nomination litigieuse a entraîné ou non une discrimination interdite par la loi sur l’égalité (c. 7 et ss).

Au terme de cet examen, la Chambre « constate que des indices convergents et concluants » conduisent à admettre l’existence d’une discrimination en raison du sexe à l’égard de Mme T. (c. 11).

L’Université est condamnée au versement de l’indemnité maximale prévue par l’art. 5, al. 2 et 4, LEg en cas de refus d’embauche discriminatoire, à savoir trois mois du salaire auquel aurait eu droit Mme T. si elle avait été nommée (CHF 38’145.-) (c. 13). En outre, une indemnité de CHF 90’922.- est allouée à Mme T. pour couvrir ses frais de défense (c. 18).

L’Université interjette un recours de droit public contre cet arrêt.

Arrêt du Tribunal fédéral du 26 janvier 2018

La loi sur l’égalité interdit de discriminer à l’embauche en raison du sexe (art. 3, al. 1 et 2, LEg) et autorise l’adoption de mesures positives (art. 3 al. 3 LEg), notamment des « quotas flexibles ou souples qui donnent la préférence aux femmes à qualifications égales ou équivalentes à celles des hommes » (c. 3.1). Ainsi, la règle de préférence prévue par l’article 13 LU/GE « concrétise de manière admissible l’interdiction de la discrimination à l’embauche selon le droit fédéral » (c. 3.2).

L’allègement du fardeau de la preuve prévu par l’article 6 LEg ne s’applique pas au stade de l’embauche. « Il n’en reste pas moins que la preuve d’une discrimination à l’embauche est excessivement difficile à rapporter ». Selon le Tribunal fédéral, qui se réfère à la doctrine, « le juge devra donc le plus souvent se satisfaire d’une vraisemblance prépondérante » (c. 3.3).

En l’espèce, toutefois, les éléments retenus par les juges cantonaux ne suffisent pas à admettre une discrimination, « à tout le moins dans une situation où l’intimée ne pouvait bénéficier du mécanisme allégeant le fardeau de la preuve de l’art. 6 LEg » (c. 4.3).

« Si le rapport de la commission ad hoc établit effectivement des irrégularités dans la procédure de nomination, il ne constitue pas encore la démonstration d’une discrimination » (c. 4.3.1). En particulier, le fait que le rapporteur de la commission de nomination ait déclaré, à l’issue de première journée, qu’il serait difficile de départager Mme T. et Monsieur C., ne suffit pas. Le Tribunal fédéral considère que cet avis isolé, exprimé à un stade précoce de la procédure, ne reflète pas l’avis de l’ensemble de la commission (cf. c. 4.3.3). De même, l’opinion de l’experte externe, selon laquelle le choix entre T. et C. aurait été difficile, représente aussi un « avis isolé dont rien ne peut être déduit pour juger de la crédibilité du travail de la commission de nomination » (c. 4.3.4).

Par conséquent, selon le Tribunal fédéral, « c’est à tort que les juges précédents ont admis une violation de la règle de préférence prévue par l’art. 13, al. 3, LU/GE ». En effet, « il ne suffit pas qu’une discrimination soit présumée sur la base de la simple vraisemblance. Or, le rapport de la commission ad hoc envisage seulement qu’une violation de la règle de préférence ne pouvait être exclue. Cette hypothèse n’a pas été vérifiée par les éléments considérés par la Cour cantonale. Le jugement entrepris doit donc être annulé » (c. 4.3.5).

La candidate, qui succombe, supporte les frais de la cause, fixés à CHF 500.-, selon un tarif réduit (art. 13 al. 5 LEg en relation avec l’art. 65 al. 4 let. b LTF). Bien qu’elle obtienne gain de cause, l’Université n’a pas droit à des dépens (art. 68 al. 3 LTF) (c. 7).

Résumé par Mme Karine Lempen, Professeure à la Faculté de droit de l’Université de Genève
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