Licenciement discriminatoire notifié le jour de la reprise du travail après un congé de maternité.
art 3, art 5, art 6, art 9
10.08.2017 Échec de la tentative de conciliation, autorisation de procéder 18.06.2018 Jugement du Tribunal des prud’hommes (JPTH/164/2018) 09.01.2019 Arrêt de la Cour de justice du canton de Genève (CAPH/6/2019) 12.05.2020 Arrêt du Tribunal fédéral, 1re Cour de droit civil (4A_59/2019)
Employée auprès d’une régie immobilière depuis dix ans, Mme T. est abruptement licenciée au retour de son congé de maternité. L’employeuse lui reproche notamment de ne pas avoir « les épaules assez larges » pour occuper la fonction qui lui avait été confiée peu avant. Accompagnée par un syndicat, Mme T. assigne son employeuse en paiement d’une indemnité pour licenciement abusif et discriminatoire équivalent à trois mois de salaire. Selon le Tribunal de première instance, le fait que la résiliation ait été notifiée le jour du retour au travail, ainsi que la réaction du supérieur hiérarchique lors de l’annonce de la grossesse, rendent vraisemblable l’existence d’une discrimination. Toutefois, estimant que l’employeuse a démontré que le licenciement reposait sur un motif objectif, sans lien avec la grossesse, le Tribunal conclut à l’inexistence d’une discrimination. En revanche, la Cour de justice considère que l’employeuse n’a pas prouvé le caractère justifié du licenciement et condamne cette dernière à verser le montant demandé. L’employeuse recourt au Tribunal fédéral, sans succès.
Mme T. travaille depuis 2006 pour une régie immobilière à Genève.
En 2015, la direction nomme Mme T. au poste de responsable de communication nonobstant le fait que cette dernière, auparavant assistante de direction, dispose d’une expérience limitée dans ce domaine.
En octobre 2015, Mme T. informe son supérieur hiérarchique du fait qu’elle est enceinte. Persuadé que Mme T. ne pouvait pas avoir d’enfants, ce dernier est surpris par cette annonce.
À partir du mois de février 2016, Mme T. se trouve en incapacité (partielle puis totale) de travailler. L’accouchement a lieu le 29 avril 2016.
Au cours du même printemps, la régie cherche à engager un ou une nouvelle responsable de communication. Les premières candidatures lui parviennent en avril 2016.
Après un congé de maternité suivi de vacances, Mme T. revient sur son lieu de travail le 19 septembre 2016.
Le jour même, Mme T. est licenciée au motif qu’elle n’est pas assez performante et n’a « pas les épaules assez larges » pour occuper le poste de responsable de communication.
Le 21 septembre 2016, l’employeuse remet à Mme T. un certificat de travail attestant de l’excellente qualité du travail fourni et du fait que le licenciement était justifié par une restructuration interne.
En octobre 2016, une nouvelle collaboratrice est engagée comme responsable de communication.
Mme T. s’oppose à son licenciement qu’elle considère abusif puis dépose une demande au Tribunal des prud’hommes, accompagnée du syndicat UNIA.
La tentative de conciliation échoue le 10 août 2017. Mme T. assigne son employeuse en paiement d’un montant correspondant à trois mois de salaire (CHF 21’303.-, avec intérêts), à titre d’indemnité pour licenciement abusif et discriminatoire.
Le 18 juin 2018, le Tribunal des prud’hommes juge la discrimination vraisemblable (au sens de l’art. 6 LEg) mais retient que l’employeuse a prouvé les motifs objectifs (inaptitude de Mme T. à mener la nouvelle stratégie de l’entreprise en matière de communication) justifiant la résiliation. Par conséquent, le tribunal conclut à l’absence de licenciement discriminatoire et déboute Mme T. de sa prétention y relative.
La travailleuse conteste ce jugement. Statuant sur appel, la Cour de justice lui donne raison et condamne la régie au versement d’une indemnité pour licenciement discriminatoire équivalant à trois mois de salaire. L’employeuse recourt, sans succès, au Tribunal fédéral.
À titre préalable, la Cour note que le litige relève de la LEg. La cause est donc soumise à la procédure simplifiée, indépendamment de la valeur litigieuse (art. 243 al. 2 let. a CPC) (c. 1.4).
Loi spéciale par rapport au Code des obligations, la LEg interdit la discrimination « à raison du sexe » ou de la grossesse, notamment lors de la résiliation des rapports de travail (art. 3 LEg). « L’existence d’une discrimination est présumée pour autant que la personne qui s’en prévaut la rende vraisemblable (art. 6 LEg). L’admission de la vraisemblance de la discrimination a pour effet le renversement du fardeau de la preuve. Dans une telle hypothèse, le degré de la preuve à charge de l’employeur n’est pas réduit à la vraisemblance, mais il doit rapporter la preuve complète que la mesure ordonnée repose sur des motifs objectifs […] » (c. 2.1.2).
À l’instar du Tribunal de première instance, la Cour de justice estime que la notification abrupte du licenciement le jour du retour de congé maternité de la travailleuse constitue un indice rendant la discrimination vraisemblable, « ce d’autant que son supérieur a reconnu avoir été très surpris par l’annonce de sa grossesse, puisqu’il pensait qu’elle ne pouvait pas avoir d’enfants ». Le fardeau de la preuve est donc renversé et le Tribunal a eu raison d’examiner dans quelle mesure l’employeuse avait des raisons objectives de mettre fin aux rapports de travail (c. 2.2.1).
Selon l’employeuse, le licenciement se justifiait par l’insuffisance des prestations de la salariée. Or, aucune « pièce ni aucun autre élément probant n’établit que l’employée n’aurait pas été assez performante durant les quelques mois où elle a exercé ses nouvelles fonctions. En effet, le certificat de travail intermédiaire remis à l’appelante, deux jours seulement après son licenciement, est particulièrement élogieux et indique qu’elle a donné pleine et entière satisfaction à son employeur dans les divers postes occupés au sein de la société, notamment celui de responsable de communication […] Même si l’employeur a décidé, dans le cadre de sa nouvelle stratégie de communication, de modifier les objectifs du poste litigieux, rien ne permet de retenir que l’appelante n’aurait pas pu les remplir, étant relevé que l’intimée ne produit aucun document probant faisant état du cahier des charges nouvellement fixé. […] Dès lors et contrairement à ce qu’a succinctement retenu le Tribunal, aucun élément du dossier ne permet de conclure que l’appelante aurait été inapte à mener à bien la nouvelle stratégie de communication mise en place par l’entreprise, dont on ne connaît d’ailleurs ni l’ampleur ni la teneur. […] ». Enfin, dès lors que le poste de responsable de communication existe encore, il n’est pas prouvé que T. ait été licenciée en raison d’une restructuration interne (c. 2.2.1).
Par conséquent, la Cour de justice est d’avis que l’employeuse « échoue à prouver que son employée aurait été licenciée même si elle n’avait pas été enceinte, un doute non négligeable subsistant à cet égard ».
La Cour retient l’existence d’une discrimination et condamne l’employeuse au versement d’une indemnité pour licenciement discriminatoire.
Eu égard au fait que les rapports de travail ont duré plus de dix ans, que la travailleuse « a donné pleine et entière satisfaction à son employeur dans les différents postes occupés, que le congé lui a été donné de manière abrupte le jour de son retour de congé maternité » et que la travailleuse a trouvé un nouvel emploi à compter du 1er mars 2017, une indemnité correspondant à trois mois de salaire, soit le montant demandé de CHF 21’303.-, paraît appropriée (c. 2.2.2.).
Il n’est pas perçu de frais judiciaires ni alloué de dépens (c. 3.2).
Saisi d’un recours en matière civile interjeté par l’employeuse, le Tribunal fédéral commence par exposer la portée des art. 3, 5, 6 et 9 LEg (c. 3).
En particulier, l’arrêt rappelle qu’en vertu de l’art. 6 LEg, « si l’employée parvient à rendre vraisemblable que le motif du congé réside dans sa grossesse ou sa maternité il appartiendra à l’employeur de prouver que cet élément n’a pas été un facteur déterminant dans sa décision de mettre un terme au contrat […], en d’autres termes, que l’employée aurait été licenciée même si elle n’avait pas été enceinte. Pour ce faire, l’employeur pourra chercher à établir que le licenciement a été donné pour un motif objectif, sans lien avec la grossesse ou la maternité […], comme par exemple une réorganisation de l’entreprise […] ou l’insuffisance des prestations de l’intéressée » (c. 3).
En l’espèce, il n’est pas contesté que la discrimination a été rendue vraisemblable. Il « appartenait dès lors à l’employeuse d’apporter la preuve stricte du caractère non-discriminatoire de la résiliation du contrat de travail » (c. 4).
A cet égard, l’employeuse explique avoir « décidé d’un changement dans sa stratégie de communication, ce qui impliquait de confier la responsabilité de la communication à un ou une professionnel (le) du secteur ; or l’employée ne disposait pas des compétences nécessaires, contrairement à la nouvelle responsable engagée pour ce poste » (c. 4.1).
Invoquant une mauvaise application par la Cour cantonale des art. 3 et 6 LEg, l’employeuse allègue que « la comparaison objective des profils des deux titulaires successives du poste est clairement en défaveur de l’intimée ; or, il n’y a pas de discrimination en cas de différence objectivement fondée » (c. 7.1).
Le Tribunal fédéral considère ce raisonnement erroné. Afin d’apporter la preuve stricte requise par l’art. 6 LEg, il ne suffisait pas de démontrer que la nouvelle titulaire du poste est objectivement plus compétente que l’employée licenciée. Il appartenait à l’employeuse d’établir que la grossesse ou la maternité n’avait pas été un facteur déterminant dans la décision de mettre fin au contrat. Or, la Cour cantonale a jugé à juste titre qu’un doute non négligeable subsiste à cet égard (c. 7.2).
Les griefs tirés d’une violation de l’art. 9 Cst. dans l’établissement des faits et l’appréciation des preuves ayant par ailleurs également été écartés (c. 5), le Tribunal fédéral conclut que « c’est à bon droit que la cour cantonale a jugé discriminatoire le licenciement de l’employée » (c. 7 in fine).
Le recours est rejeté. Les frais judiciaires, fixés selon le tarif réduit prévu par l’art. 65 al. 4 LTF, sont mis à charge de l’employeuse, laquelle n’a pas à verser de dépens à la salariée, non représentée par un avocat.