leg.ch: jurisprudence | arret

TF (GE) 10.02.2022
harcèlement sexuel

sujet

« Humour de caserne ». Harcèlement sexuel. Sanction disciplinaire.

LEg

art 4

procédure

16.12.2019 Arrêté du Département prononçant une sanction (dégradation) 10.08.2021 Arrêt de la Cour de justice du canton de Genève (ATA/809/2021) 10.02.2022 Arrêt du Tribunal fédéral, 1re Cour de droit social (8D_5/2021)

résumé

Une enquête administrative révèle qu’un brigadier a harcelé sexuellement plusieurs subordonnées. Le Département de la sécurité prononce à son encontre une peine disciplinaire consistant en une dégradation pour une durée de trois ans avec diminution du traitement annuel. La Cour de justice puis le Tribunal fédéral rejettent le recours du policier contre cette sanction au motif que les actes de harcèlement sexuel, notamment le fait de tirer le pull-over d’une collaboratrice en vue de plonger son regard dans son décolleté en présence d’autres collègues, apparaissent particulièrement grossiers et offensants. L’argument selon lequel cet incident, ainsi que les propos à connotation sexuelle tenus par le brigadier (tels que « vendredi c’est sodomie » ou « je me ferais bien tirer les huiles »), s’inscrivaient dans le contexte des « blagues de caserne », habituelles au sein de la police, ne lui est d’aucun secours.

en fait

Nommé gendarme en 1997, T. est ensuite promu brigadier remplaçant chef de poste. En cette qualité, il assume depuis 2017 la responsabilité de tout le personnel du poste de police, y compris les assistantes de sécurité publique (ASP).

Le 12 mars 2018, le service juridique de la commandante de la police informe le Département de la sécurité de potentielles violations des devoirs de service de la part de T. Quelques semaines après ce signalement, le département ordonne l’ouverture d’une enquête administrative visant à établir si T. s’est comporté de façon inadéquate à l’égard de plusieurs collaboratrices en leur adressant des « propos désobligeants, injurieux, racistes, grossiers ou à connotation sexuelle ».

A l’issue des auditions, en avril 2019, l’enquêteur nommé par le département retient dans son rapport que T. a « eu un comportement inadéquat à deux reprises. Lors d’une soirée au restaurant avec des collègues en 2016, l’intéressé avait, en faisant le tour de la table pour prendre congé des convives, tiré le pull-over d’une ASP II du poste de V. et plongé son regard dans son décolleté. Il avait en outre tapé sur les fesses d’une autre ASP II du poste de W. avec un dossier ou un agenda. Il était également coutumier de l’usage de propos à caractère sexuel - comme par exemple “vendredi c’est sodomie” et “je me ferais bien prendre les huiles” - dans ses rapports avec des personnes subordonnées, en particulier avec deux ASP II du poste de W., parmi lesquelles celle à qui il avait tapé sur les fesses ».

Par arrêté du 16 décembre 2019, le département prononce à l’encontre de T. une dégradation pour une durée de trois à compter du 1er janvier 2020. L’employé sanctionné passe du grade de sergent-major à celui de sergent-chef avec diminution de son traitement annuel.

Le 10 août 2021, la Chambre administrative de la Cour de justice rejette le recours de T. contre cet arrêté. L’employé interjette un recours constitutionnel subsidiaire au Tribunal fédéral.

en droit

Le recourant se plaint notamment d’une application arbitraire de l’art. 2B de la loi sur le personnel de l’administration cantonale (LPAC) prohibant le harcèlement. Il allègue que ses propos n’étaient pas constitutifs de harcèlement sexuel puisqu’ils n’étaient pas dirigés contre des personnes déterminées mais prononcés « à la cantonade », dans un esprit « d’humour de caserne notoirement répandu au sein de la police genevoise » et accepté par la hiérarchie. En outre, les deux collaboratrices « se seraient prêtées au jeu, ne faisant à aucun moment part d’une gêne quelconque » (c. 6.1). Le département conteste avoir toléré un tel « humour de caserne ».

Après avoir rappelé la définition figurant à l’art. 4 LEg, la Cour cantonale a relevé que le harcèlement sexuel peut prendre la forme de plaisanteries sexistes, dont l’impact négatif peut être important selon la durée et la fréquence des propos. « Le potentiel de nuisance de ce type de harcèlement est également susceptible d’être accru lorsque plusieurs personnes y prennent part. Si une intention de nuire pourrait peser comme facteur de gravité du harcèlement sexuel […], l’absence d’une telle intention ne saurait en atténuer le caractère inadmissible ». En effet, le harcèlement sexuel se caractérise avant tout par le fait qu’il n’est pas souhaité par la personne qui le subit (arrêt cantonal, c. 10).

« Le tribunal cantonal a retenu que le recourant avait dirigé des propos portant sur le sexe - tels que “vendredi c’est sodomie” ou “je me ferais bien tirer les huiles” - contre deux ASP II qui étaient ses subalternes. En outre, il a exposé de manière convaincante que ces dernières avaient répondu à leur supérieur hiérarchique par des boutades en raison de leur gêne et de leur malaise d’être confrontées à de tels propos sexistes, ainsi que par gain de paix. On ajoutera que les intéressées ont exprimé leur malaise en dénonçant spontanément les agissements du recourant à leur employeur. Dans ces conditions, on ne voit pas que les premiers juges aient interprété l’art. 2B al. 1 LPAC de manière insoutenable en considérant que les propos tenus par le recourant avaient une connotation sexuelle et répondaient à la notion de harcèlement sexuel » (c. 6.2).

Par ailleurs, le recourant considère les faits qui lui sont reprochés comme non suffisamment graves pour justifier une dégradation. « Il se prévaut en outre de ses bons états de service et de sa carrière exemplaire, qui n’aurait été émaillée que de quatre incidents isolés s’inscrivant dans un contexte de “blagues de caserne” » (c. 7.1.).

Selon le Tribunal fédéral, « au vu du catalogue de sanctions de l’art. 36 al. 1 LPol et de la casuistique jurisprudentielle présentée dans le recours, on ne voit pas que la juridiction cantonale ait violé le principe de la proportionnalité, en relation avec la protection de l’égalité et celle contre l’arbitraire, en confirmant la sanction prononcée par l’intimé. Les actes répétés du recourant, constitutifs de harcèlement sexuel, ne sont pas anodins et apparaissent particulièrement grossiers et offensants ; tel est en particulier le cas du tirage du pull-over d’une subordonnée en vue de plonger le regard dans son décolleté, effectué devant d’autres collègues. Les juges cantonaux ont en outre retenu que l’intéressé n’avait démontré aucune prise de conscience susceptible de l’amener à modifier son comportement. Ils ont enfin relevé que l’intimé s’était abstenu de prononcer la révocation en tenant compte de ses bons états de service. Leur raisonnement ne prête pas le flanc à la critique » (c. 7.3).

Le recours du policier est rejeté et les frais judiciaires (CHF 1’000.-) sont mis à sa charge (c. 8).

Résumé par Mme Karine Lempen, Professeure à la Faculté de droit de l’Université de Genève
s'abonner au flux rss s'abonner à la newsletter archives des newsletters
retour vers le haut de la page
2010 | binocle.ch