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TF (GE) 04.09.2023
harcèlement sexuel

sujet

Fonction publique. Harcèlement sexuel. Propos discriminatoires créant un climat de travail hostile.

LEg

art 4

procédure

25.05.2022 Arrêté du Conseil d’Etat (révocation avec effet immédiat) 17.01.2023 Arrêt de la Cour de justice, Chambre administrative (ATA/30/2023) 04.09.2023 Arrêt du Tribunal fédéral, IVe Cour de droit public (8C_126/2023)

résumé

Un fonctionnaire est révoqué avec effet immédiat à la suite d’une enquête administrative mettant en lumière plusieurs manquements graves et répétés à ses devoirs de service, dont la création d’un climat de travail hostile au sens de l’art. 4 LEg. La Cour de justice puis le Tribunal fédéral rejettent le recours du fonctionnaire. Une surcharge de travail, les dysfonctionnements d’un service, ou encore un « contexte paternaliste ou humoristique », ne sauraient justifier un comportement discriminatoire à l’égard des personnes subordonnées.

en fait

Engagé au Service de protection de l’adulte du canton de Genève en 2014, T. est promu chef de secteur le 1er avril 2019, avec quinze personnes sous sa responsabilité. Il est prévu que le fonctionnaire sera confirmé dans cette nouvelle fonction au terme d’une période d’essai de deux ans, pour autant que ses prestations soient satisfaisantes.

Le 12 novembre 2020, le directeur du service reçoit les doléances de quatre subordonnées de T., qui reprochent à ce dernier plusieurs manquements au niveau de la gestion du secteur et de son comportement.

Un entretien a lieu le 23 février 2021 en présence du directeur, d’une personne responsable RH et de T., qui prend connaissance des dépositions de ses subordonnées. Au vu de la gravité des faits, T. est libéré de son obligation de travailler.

Au terme d’un entretien d’évaluation mené le 30 mars 2021, l’employeur de T. lui indique qu’il envisage de ne pas confirmer sa promotion au poste de chef de secteur.

Par arrêté du 21 avril 2021, le Conseil d’Etat demande l’ouverture d’une enquête administrative à l’encontre de T., provisoirement suspendu.

Le 26 avril 2021, le département compétent informe T. qu’il n’est pas confirmé comme chef de secteur et sera rétrogradé dans sa précédente fonction de gestionnaire.

Fin janvier 2022, l’enquêtrice rend son rapport, dont il ressort que le fonctionnaire a violé ses devoirs de services de manière importante et répétée, notamment en adoptant à l’encontre de ses subordonnées des comportements discriminatoires au sens de la loi fédérale sur l’égalité.

Par arrêté du 25 mai 2022, le Conseil d’Etat révoque T. avec effet immédiat.

Saisie d’un recours contre cet arrêté, la Chambre administrative de la Cour de justice le rejette en date du 17 janvier 2023.

Le fonctionnaire révoqué recourt au Tribunal fédéral et demande notamment à être réintégré dans son poste de chef de secteur, voir dans un poste équivalent ou inférieur.

en droit

Le Tribunal fédéral rappelle qu’en sa qualité de fonctionnaire, T. est soumis à la loi genevoise sur le personnel (LPAC) et à son règlement d’application (RPAC) (c. 3). Le règlement prévoit notamment que les membres du personnel doivent entretenir des relations dignes et correctes avec leurs subordonnés, dont ils doivent protéger la personnalité (c. 3.1.1).

Les fonctionnaires qui enfreignent leurs devoirs de service peuvent faire l’objet de différentes sanctions (c. 3.1.2). Dans le domaine des mesures disciplinaires, la révocation implique une violation grave ou continue des devoirs de service. Vu son « caractère plus ou moins infâmant », la révocation s’impose surtout dans les cas où le comportement de l’agent démontre qu’il n’est plus digne de rester en fonction (c. 3.1.4).

L’arrêt du Tribunal fédéral expose ensuite le dispositif du canton de Genève en matière de protection de la personnalité et de prévention du harcèlement (3.2.1).

Il rappelle la définition du harcèlement sexuel figurant dans la loi fédérale sur l’égalité, qui interdit notamment les remarques sexistes contribuant à rendre le climat de travail hostile. « Selon les procédés utilisés, plusieurs incidents peuvent être nécessaires pour constituer une discrimination au sens de l’art. 4 LEg ; la répétition d’actes ou l’accumulation d’incidents n’est toutefois pas une condition constitutive de cette forme de harcèlement sexuel » (c. 3.2.2).

En l’espèce, les juges cantonaux ont retenu, sur la base du rapport d’enquête, que le recourant avait violé ses devoirs de service de manière importante (c. 4.1), notamment à l’occasion du suivi de sept personnes protégées (c. 4.1.1), dans l’organisation et la gestion de son secteur (c. 4.1.4) et lors ses relations avec les membres de son équipe. Concernant ce dernier point, le rapport d’enquête révèle un comportement autoritaire, menaçant et vulgaire (c. 4.1.3).

En outre, il ressort du rapport que le recourant « avait, dans le cadre d’un échange avec une collaboratrice au sujet d’un stylo, fait une plaisanterie ressentie par celle-ci comme une allusion sexuelle ; adressé des remarques à des collaboratrices en lien avec le physique au sujet de leur ressemblance avec un mannequin, de leur minceur, de leur beauté, du fait d’être « jolie aujourd’hui » ou de bien présenter, de leur blondeur ou encore du fait d’utiliser leurs charmes pour obtenir quelque chose, remarques ayant mis mal à l’aise leurs destinataires ; demandé à une collaboratrice si elle draguait ses interlocuteurs ou ce qu’elle faisait pour qu’ils soient sous son charme ; demandé à une collaboratrice avec qui elle passait ses soirées, qui lui payait ses dîners, avec qui elle vivait ou qui partageait son lit ; dit à une collaboratrice de ne pas « faire de bêtises » avec un homme dont elle était chargée de la curatelle ; regardé le décolleté ou d’autres parties du corps de collaboratrices ; adressé à une collaboratrice une remarque selon laquelle elle lui donnait envie d’avoir une maîtresse » (c. 4.1.2).

« Bien que le recourant contestait avoir tenu des propos discriminatoires à l’égard de ses subordonnées, ou à tout le moins ne pas avoir eu conscience de leur portée, les témoignages recueillis à ce sujet s’avéraient concordants et ne révélaient pas un propos isolé qui aurait malencontreusement échappé à son auteur, mais un mode courant d’expression. Même à considérer que le recourant n’aurait pas eu l’intention d’être importun ou que ses propos ou comportements auraient eu lieu dans un contexte paternaliste ou humoristique, il n’en demeurait pas moins que ceux-ci n’étaient pas souhaités par leurs destinataires » (c. 4.1.2).

La cour cantonale a considéré que l’employeur avait à juste titre « retenu une grave violation par le recourant de ses devoirs de service s’agissant du suivi des dossiers de sept personnes protégées, des propos tenus et des comportements discriminatoires –au sens de l’art. 4 LEg– adoptés à l’égard de ses subordonnées, de sa posture autoritaire, méprisante, menaçante et manipulatrice envers ses collaborateurs, ainsi que de l’absence d’accompagnement et de formation de ses subordonnés, d’organisation de séances bilatérales et de disponibilité » (c. 4.2.1). « Seule la révocation du recourant était apte à rétablir la bonne marche de son secteur ainsi que la considération et la confiance dont la fonction publique doit être l’objet […] Aucune autre sanction n’apparaissait envisageable sous l’angle de la proportionnalité » (c. 4.2.2).

Selon le recourant, la cour cantonale a violé de manière crasse le principe de proportionnalité en retenant « qu’aucune autre sanction que la révocation ne pouvait entrer en ligne de compte ». Somme toute, il n’avait adopté « aucun comportement pénalement répréhensible » ou « indigne », « mais s’était trouvé submergé de travail » et avait « fait ce qu’il pouvait avec les moyens dont il disposait » au sein d’un service en proie à des graves dysfonctionnements (c. 6.1).

À ce sujet, le Tribunal fédéral considère que, quelle qu’aient été les conditions de travail du recourant, il n’en demeurait pas moins soumis à ses devoirs de service. En effet, quand « bien même de manière générale, des manquements à ces devoirs peuvent être pondérés par des carences structurelles et/ou organisationnelles non imputables à l’employé, en l’espèce, les dysfonctionnements dénoncés par le recourant n’expliquent pas les graves et multiples défaillances constatées dans l’exécution de son travail. Certains manquements retenus à son encontre sont d’ailleurs, de par leur nature, sans rapport avec les dysfonctionnements dont il se plaint du reste en termes très généraux. Il en va ainsi de son comportement à l’égard de ses subordonnées, plus particulièrement de ses propos et comportements inappropriés voire discriminatoires, ainsi que de sa posture autoritaire, menaçante et manipulatrice, que ne sauraient justifier une surcharge de travail ou des problèmes d’organisation et de fonctionnement du service » (c. 6.2).

Le Tribunal arrive à la conclusion que les premiers juges n’ont pas appliqué le droit cantonal, ni le principe de proportionnalité, de manière arbitraire en confirmant la révocation. Le recours de T. est rejeté et les frais judicaires mis à sa charge.

Résumé par Mme Karine Lempen, Professeure à la Faculté de droit de l’Université de Genève
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