Résiliation avec effet immédiat fondée sur de « justes motifs » (art. 337 CO) et, a fortiori, sur un « motif justifié » (art. 10 LEg). Inapplicabilité de la protection contre les congés de rétorsion.
art 3, art 5, art 10
art. 337
2014Proposition de jugement de la Commission de conciliation (CCMES) 2015Autorisation de procéder 2015Jugement du Tribunal des prud’hommes de l’arrondissement de la Gruyère 5.12.2016Arrêt du Tribunal cantonal du canton de Fribourg 31.5.2017Arrêt du Tribunal fédéral (4A_35/2017)
L’enseignante T., devenue mère, est licenciée à trois reprises par son employeur.
Le premier licenciement, nul, est signifié durant les 16 semaines qui suivent l’accouchement.
Le deuxième licenciement – jugé discriminatoire par l’employée et les premières instances cantonales – intervient après la fin du congé de maternité.
Enfin, le troisième licenciement, avec effet immédiat, est notifié suite au refus de la salariée de reprendre le travail jusqu’au terme du contrat.
Le Tribunal cantonal arrive à la conclusion que la résiliation avec effet immédiat repose sur de justes motifs et annule le congé précédent, dont il n’est dès lors pas nécessaire de déterminer s’il est discriminatoire ou non. Le Tribunal fédéral rejette le recours dont il est saisi contre cette décision. Il précise que la résiliation avec effet immédiat, signifiée pendant la procédure de conciliation, ne peut pas être annulée sur la base de l’article 10 LEg. En effet, un congé donné pour de « justes motifs » (art. 337 CO) repose nécessairement sur un « motif justifié » (art. 10, al. 1, LEg). La salariée est condamnée au versement de frais judiciaires et de dépens.
Professeure d’italien, T. donne des cours au sein de l’Institut E. depuis juillet 2013. T se trouve en incapacité totale de travailler du 9 octobre 2013 au 13 janvier 2014, jour où elle accouche d’un petit garçon. Vu l’absence de places en crèche jusqu’à l’été, T. demande à son employeur s’il serait possible de bénéficier d’un congé non payé à l’issue de son congé maternité puis de reprendre son activité professionnelle le 1er juillet 2014. E. accède à la demande de T. le 17 février 2014, puis confirme son accord le 20 mars 2014.
Un mois plus tard, le 22 avril 2014, E. notifie à T. sa décision de mettre fin aux rapports de travail. E. invoque les changements organisationnels qui ont dû être effectués afin de respecter le souhait de T. d’être mise au bénéfice d’un congé sans solde jusqu’au 30 juin 2014. Eu égard à la nullité de cette résiliation, intervenue au cours des 16 semaines suivant l’accouchement, E. résilie à nouveau le contrat de travail, le 15 mai 2014, avec effet au 31 août 2014. Le 30 mai 2014, T. initie une procédure de conciliation.
Le 12 juin 2014, E. convoque T. à un entretien, fixé le 1er juillet 2014, afin d’organiser son travail pour les mois de juillet et août 2014. T. manifeste son incompréhension face à cette convocation. Ayant été remplacée par une autre professeure, elle était persuadée de ne plus avoir à fournir sa prestation de travail jusqu’au terme du contrat. E. lui répond qu’elle reste tenue d’exercer son activité durant la période où elle est salariée, à savoir les mois de juillet et août. T. n’est pas de cet avis et ne se rend pas à l’entretien du 1er juillet. L’employeur fixe un second entretien, le 3 juillet, et avertit T. que son contrat prendra fin avec effet immédiat si elle persiste à ne pas reprendre le travail. L’employée maintient sa position et ne se présente pas au second rendez-vous. Le 7 juillet 2014, E. résilie le contrat de travail avec effet immédiat.
Le 15 décembre 2014, la Commission de conciliation en matière d’égalité entre les sexes dans les rapports de travail (CCMES) rend une proposition de jugement. La Commission estime que le premier congé, notifié après le temps d’essai et durant le délai de protection prévu à l’article 336c alinéa 1, lettre c, CO, est nul (art. 336c, al. 2, CO). Le deuxième licenciement, lié à la maternité, est à la fois abusif (art. 336, al. 1, let. a, CO) et discriminatoire (art. 3 LEg). Enfin, le troisième licenciement, signifié durant la procédure de conciliation, est un congé de rétorsion, annulable (art. 10 LEg). La Commission propose que E. verse à T. son salaire jusqu’au 31 août 2014, ainsi qu’une indemnité pour licenciement discriminatoire (art. 5, al. 2 et 4, LEg), correspondant à trois mois de salaire. L’employeur s’étant opposé, la Commission délivre, le 15 janvier 2015, une autorisation de procéder.
Par jugement du 16 novembre 2015, le Tribunal des prud’hommes admet le caractère abusif et discriminatoire du congé signifié le 15 mai 2014 et condamne E. à verser à T. une indemnité équivalent à un mois de salaire (art. 5, al. 2 et 4, LEg). En revanche, le Tribunal juge que la résiliation signifiée le 7 juillet 2014, avec effet immédiat, reposait sur de justes motifs. T. est déboutée de ses prétentions salariales pour les mois de juillet et août 2014. Les deux parties font appel contre cette décision.
Dans un arrêt du 5 décembre 2016, le Tribunal cantonal arrive à la conclusion que la résiliation avec effet immédiat du 7 juillet 2014 était justifiée (art. 337 CO) et annule le congé ordinaire notifié le 15 mai 2014. Dès lors, il convient de rejeter toutes les prétentions de T., y compris celles relatives au versement d’une indemnité pour congé discriminatoire (art. 5, al. 2 et 4, LEg) suite à la résiliation du 15 mai 2014.
L’employée fait recours au Tribunal fédéral afin que l’employeur soit condamné à lui verser la somme de CHF 32’800.-, correspondant à son salaire pour les mois de juillet et août 2014, à une indemnité pour licenciement immédiat injustifié et à une indemnité pour congé abusif et discriminatoire.
Le Tribunal fédéral explique, tout d’abord, que le premier licenciement, signifié le 22 avril 2014, était bel et bien nul dès lors qu’il avait été prononcé au cours des seize semaines suivant l’accouchement (art. 336c CO). En revanche, le deuxième congé, intervenu le 15 mai 2014 à l’issue de la période de protection, était valable. Dès lors, l’employée restait tenue de fournir ses services dès la fin de son congé payé – soit dès le 1er juillet 2014 – jusqu’à la fin du mois d’août (cons. 3).
Selon le Tribunal fédéral, « l’absence injustifiée du travailleur – moyennant avertissement selon les circonstances – peut constituer un juste motif de résiliation par l’employeur » (cons. 4.3). En l’espèce, « la cour cantonale n’a pas enfreint le droit fédéral en retenant que l’employée était tenue de fournir ses services du 1er juillet au 31 août 2014 et qu’en ne se présentant pas aux deux entrevues qui devaient permettre d’organiser son travail jusqu’à l’échéance du contrat, l’employée a commis des manquements suffisamment graves pour que l’employeuse soit fondée à mettre un terme immédiat aux rapports de travail » (cons. 4.5).
La résiliation avec effet immédiat ne peut pas être annulée sur la base de l’article 10 LEg. En effet, pour que cette disposition s’applique, il faut que le licenciement ne repose pas sur un « motif justifié ». En l’occurrence, le congé avec effet immédiat a été signifié pour de « justes motifs » (art. 337 CO), notion qui entre dans celle, plus large, de motif « justifié » (art. 10, al. 1, LEg). Toutes les prétentions fondées sur l’article 10 LEg doivent donc être rejetées (cons. 4.6).
De plus, l’employée n’ayant pas suffisamment expliqué en quoi le Tribunal cantonal aurait violé l’article 5 LEg en considérant qu’une indemnité pour licenciement discriminatoire n’était pas due en l’espèce, le grief relatif à ce point est jugé irrecevable.
En définitive, le recours intenté par T. est rejeté. Des frais judiciaires, fixés à CHF 600.-, sont mis à charge de la recourante (art. 13, al. 5, LEg et art. 65, al. 4, let. b, LTF). En outre, T. doit verser à son ancien employeur une indemnité de CHF 2’500.- à titre de dépens.