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NE 20.01.2003
discrimination salariale

sujet

Inégalité salariale admise en raison de motifs objectifs

LEg

art 3, art 5, art 6

Cst.

art. 8

procédure

20.01.2003 Jugement du Tribunal cantonal de la République et du Canton de Neuchâtel

résumé

Une inégalité de traitement entre une femme et un homme relative à une rémunération n’est pas discriminatoire si elle repose sur des motifs objectifs, tels que l’organisation des postes imposée par la Direction de l’instruction publique de la ville de Neuchâtel et le maintien de droits acquis résultant de l’application du statut du personnel de l’école en question.

en fait

Madame T1 a été engagée le 23 juin 1978, avec entrée en fonction le 1er août 1978, en qualité d’employée du secrétariat par l’Ecole secondaire régionale de Neuchâtel (ESRN) et a bénéficié de la classe 8B. Monsieur T2 a été engagé le 28 mai 1978, avec entrée en fonction le 1er juin 1978, en qualité de responsable du secrétariat et colloqué en classe 7C.

Par courrier du 4 avril 2001 à la présidente du Comité scolaire de l’ESRN, Madame T1 a requis la reconsidération de son salaire, motivée notamment par l’égalité de traitement entre hommes et femmes en rapport avec son collègue Monsieur T2, colloqué en classe 7C.

Par courrier du 2 mai 2001 puis par décision du 25 juin 2001, le Comité scolaire de l’ESRN a répondu défavorablement à sa demande, relevant que Madame T1 avait eu la chance d’être engagée directement avec le maximum qui pouvait lui être offert. Monsieur T2 a bénéficié d’un statut qui n’a plus correspondu à la réalité de son travail, depuis 1987, mais sans être déclassé par la suite, en vertu du principe des droits acquis. Il n’y avait donc ni discrimination liée au sexe, ni erreur. Il a précisé qu’il n’y avait pas d’égalité dans l’illégalité.

Madame T1 a interjeté recours devant le Tribunal administratif, concluant à l’annulation de la décision du 25 juin 2001, à ce que son traitement soit aligné sur celui de son collègue masculin avec effet rétroactif au 1er juillet 1996 et à ce qu’aucun frais de procédure ne soit mis à sa charge. Elle estimait pouvoir être considérée l’égale d’un collègue masculin.

Le comité scolaire a conclu au rejet du recours en se référant aux arguments développés dans sa décision du 25 juin 2001, précisant que la collocation des différents postes correspondait au tableau des fonctions.

Dans sa réplique, Madame T1 a précisé qu’à son engagement Monsieur T2 a obtenu une rémunération mensuelle supérieure de CHF 150.- à la sienne, différence s’élevant maintenant à CHF 511.20. Elle a relevé que, selon la jurisprudence et la doctrine, ni une carence, ni même une faute de l’employeur ne peuvent constituer en un motif libératoire de l’obligation d’égalité. Elle a demandé l’application des art. 3 et 5 LEg afin de faire cesser toute discrimination en lui octroyant la différence de traitement entre sa rémunération et celle de Monsieur T2 dès le 1er janvier 1996. Elle a également conclu à ce que l’ESRN soit condamnée à verser à la caisse de pension du personnel de la Ville de Neuchâtel la somme correspondant à la différence de la part LPP-employeur, sous suite de frais et dépens.

Dans sa duplique, l’ESRN a mentionné que la composition du secrétariat en 1978 comprenait trois postes, à savoir un employé IA et deux employés IB. Monsieur T2 a été engagé en classe IA, dès lors, Madame T1, engagée postérieurement, n’a pu être engagée que dans la classe IB. Seule la structure des postes de l’époque a justifié cette classification, à l’exclusion de tout élément discriminatoire. Sa collocation n’était en aucune mesure liée à son appartenance sexuelle, si bien que l’on ne peut faire application de la loi sur l’égalité. Par la suite en 1987, chaque centre a été doté d’une administration propre composée notamment d’un secrétaire. Monsieur T2 a ainsi perdu la fonction de responsable du secrétariat central mais n’a pu être déclassé en raison de l’art. 9 du statut du personnel de l’ESRN qui prévoyait qu’en cas de réorganisation d’un service, la collocation était garantie, créant ainsi un droit acquis à Monsieur T2. L’absence d’augmentation de rémunération de Madame T1 ne procédait d’aucune intention de maintenir une discrimination à son préjudice, mais résultait de l’application objective de la réglementation en vigueur. Il a précisé que même si la collocation de Monsieur T2 avait constitué une erreur, cela n’empêchait pas l’application du principe selon lequel il n’y a pas d’égalité dans l’illégalité. Il a conclu au rejet de l’action dans toutes ses conclusions, sous suite de frais et dépens.

en droit

Madame T1 ne conteste pas avoir été colloquée conformément au statut du personnel, à l’arrêté et au tableau de fonction. Elle fait valoir l’égalité de traitement avec son collègue masculin. Il convient donc d’examiner s’il y a eu discrimination à raison du sexe, tout en relevant que les autres secrétaires de l’ESRN sont colloquées dans la même classe que Madame T1.

Selon l’al. 3 de l’art. 8 Cst., l’homme et la femme sont égaux en droit et la loi pourvoit à l’égalité de droit et de fait, en particulier dans les domaines de la famille, de la formation et du travail. L’homme et la femme ont droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale. L’art. 3 LEg prévoit qu’il est interdit de discriminer les travailleurs à raison du sexe, soit directement soit indirectement, notamment en se fondant sur leur état civil ou leur situation familiale et que l’interdiction de toute discrimination s’applique notamment à la rémunération.

L’art. 5 al. 1 litt. d LEg permet d’ordonner le paiement du salaire dû.

Selon l’art. 6 LEg, l’existence d’une discrimination est présumée pour autant que la personne qui s’en prévaut la rende vraisemblable. La présente disposition s’applique à l’attribution des tâches, à l’aménagement des conditions de travail, à la rémunération, à la formation et au perfectionnement professionnel, à la promotion et à la résiliation des rapports de travail.

Lors du jugement de prétentions découlant de la loi sur l’égalité, deux types de preuve principaux coexistent : il convient de recueillir la preuve que l’entreprise a pris ou non une mesure et que cette mesure constitue ou non une discrimination à raison du sexe. L’allègement du fardeau de la preuve prévu par l’art. 6 LEg ne porte que sur le deuxième thème de preuve, à savoir la discrimination à raison du sexe. Il s’agit d’une règle spéciale par rapport à l’art. 8 CC facilitant l’apport de la preuve d’une discrimination directe ou indirecte à raison du sexe dans les cas d’application énumérés. Le terme discrimination implique une comparaison entre plusieurs faits. La preuve doit donc toujours analyser à la fois l’impact négatif des deux faits (par exemple salaire inférieur) et leur rapport avec le sexe concerné. C’est ainsi qu’en général, il y a quatre thèmes de preuve concernant la discrimination.

L’inégalité de traitement doit être fondée sur le sexe. Le thème de la preuve est exclusivement l’élément objectif de la discrimination à raison du sexe. Il n’y a pas lieu de recueillir des preuves sur les mobiles de l’employeur. Seul compte le fait objectif de la mesure. Dans l’examen de la vraisemblance d’une discrimination, le tribunal peut arriver à quatre conclusions différentes :
- La discrimination à raison du sexe est prouvée.
- La discrimination à raison du sexe est plus vraisemblable que l’absence de discrimination.
- La discrimination à raison du sexe est plutôt improbable, mais il subsiste la possibilité que l’allégation soit fondée.
- La discrimination à raison du sexe est totalement douteuse ou a le caractère d’une simple allégation.

Dans les trois premiers cas seulement, les faits allégués sont considérés comme rendus vraisemblables et le fardeau de la preuve est renversé en vertu de l’art. 6 LEg. L’employeur peut alors apporter la preuve complète que la mesure qu’il a ordonnée ou qu’il a omise d’ordonner ne défavorise pas la travailleuse ou le travailleur en raison de son sexe ou qu’elle a une justification objective.

En l’occurrence, Madame T1 et Monsieur T2 réalisent le même travail pour une rémunération différente. Il convient de rendre vraisemblable le fait que l’inégalité de traitement soit fondée sur le sexe. Or, il est peu vraisemblable que tel soit le cas en raison de la vraisemblance des documents déposés par l’ESRN dont un courrier de la Direction de l’instruction publique de la Ville de Neuchâtel à l’ESRN du 29 mai 1978 selon lequel le secrétariat ne pouvait comprendre qu’un employé IA et deux employés IB.  Madame T1 ayant été engagée postérieurement à Monsieur T2 ne pouvait qu’être colloquée en classe IB. Ainsi, seule la structure du secrétariat de l’époque a justifié la différence de rémunération à l’exclusion de l’appartenance sexuelle de Madame T1. À la suite de la réorganisation de 1987, Monsieur T2 a perdu la fonction de responsable du secrétariat pour exercer une activité équivalente à celle de Madame T1. Néanmoins, l’ESRN a démontré que le maintien d’une inégalité de traitement n’a pas non plus été dicté par des considérations relatives à l’appartenance sexuelle mais par le fait qu’au sens des règlements applicables, le Comité ESRN considérait que Monsieur T2 bénéficiait de droits acquis.

Il peut donc être considéré que la question des droits acquis a motivé le maintien de cette inégalité de traitement et qu’il n’y a pas eu de discrimination à raison du sexe. Il en résulte que la discrimination à raison du sexe est douteuse et qu’il se justifie de rejeter la demande de Madame T1. Si l’on devait estimer que la discrimination à raison du sexe était comprise dans l’une des trois situations, exposées ci-dessus, permettant d’admettre une vraisemblance, il faudrait alors considérer que l’ESRN a démontré l’existence de motifs objectifs ne réalisant pas une discrimination à raison du sexe.

Pour ces motifs, aucune inégalité de traitement ne peut être retenue et la demande de Madame T1 doit être entièrement rejetée.

Résumé par Virginie Mika-Panchaud, assistante diplômée à la faculté de droit et des sciences criminelles, Université de Lausanne, IDAT, sous la supervision du Prof. Rémy Wyler.
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