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NE 07.02.2022
harcèlement sexuel
discrimination à la promotion

sujet

Discrimination à la promotion non vraisemblable. Propos sexistes hautement vraisemblables. Indemnité pour harcèlement sexuel.

LEg

art 3, art 4, art 5, art 6

procédure

25.08.2020 Tentative de conciliation 07.02.2022 Jugement du Tribunal régional du Littoral et du Val-de-Travers

résumé

Représentée par un syndicat, l’employée d’un établissement de restauration rapide ne réussit pas à rendre vraisemblable une discrimination à la promotion au sens de l’art. 3 LEg. En revanche, elle parvient à établir, avec une vraisemblance prépondérante, avoir été informée par sa supérieure hiérarchique « que sa candidature ne serait pas considérée en raison du fait qu’elle allait se marier et qu’il existait le risque d’une grossesse, et qu’il en serait allé différemment si elle avait été un homme ». Le Tribunal juge de tels propos sexistes contraires à l’art. 4 LEg, qui vise aussi les interactions entre personnes du même sexe et qu’il applique d’office, la travailleuse n’ayant allégué aucun harcèlement sexuel. L’employeur n’ayant pas été en mesure de prouver avoir pris toutes les mesures nécessaires pour prévenir et mettre fin au comportement discriminatoire de la supérieure hiérarchique, il est condamné au versement d’une indemnité fondée sur l’art. 5 al. 3 LEg à hauteur des CHF 6’000.- demandés. Ainsi, bien que la salariée n’ait pas réussi à prouver la discrimination à la promotion dont elle se plaignait, elle obtient l’intégralité de ses prétentions ainsi que CHF 2’500.- au titre de dépens.

en fait

En novembre 2017, T. est engagée dans un restaurant « fast food ». Deux ans plus tard, la collaboratrice est nommée à la fonction de « formateur ». Fin 2019, elle accepte que son contrat de travail soit transféré à E.

Le 28 janvier 2020, T. a un entretien avec sa supérieure hiérarchique X. au sujet d’une éventuelle promotion au poste de manager.

Le 1er février 2020, E. reprend formellement le restaurant.

Selon la collaboratrice, sa supérieure hiérarchique X. l’aurait informée le 5 février 2020 qu’elle n’entrait plus en ligne de compte pour une promotion au poste de manager en raison de son prochain mariage. La supérieure de T. lui aurait donné l’explication suivante : « [le nouveau patron] a peur, après avoir été mariée, que tu tombes enceinte ».

E. conteste avoir tenu de tels propos. Il explique n’avoir « jamais promis ni rétracté une quelconque promotion ».

Par courriel du 7 février 2020, T. demande à E. de clarifier les raisons de ce qu’elle considère être une rétractation de l’offre de promotion au poste de manager.

Le 18 février 2020, T., E. et X. se réunissent en présence du gérant d’un autre établissement. Ce dernier établit un procès-verbal de l’entretien, enregistré par la travailleuse avec l’accord des personnes précitées.

Quelques jours plus tard, le 25 février 2020, l’employée démissionne avec effet au 1er avril 2020.

Représentée par le syndicat Unia, la travailleuse saisit la justice. Elle estime avoir été discriminée sur le plan de la promotion et demande que E. soit condamné à lui verser une indemnité de CHF 6’000.- avec intérêts.

en droit

L’art. 3 LEg interdit de discriminer sur le plan de la promotion en raison du sexe, soit directement, soit indirectement, notamment en se fondant sur l’état civil, la situation familiale ou la grossesse (c. 2).

En l’espèce, E. a nié à plusieurs reprises avoir rétracté une offre de promotion en raison du prochain mariage de son employée et de la probabilité d’une grossesse. Il a indiqué que, sur les 22 ou 24 managers employés au sein de ses cinq établissements, 17 sont des femmes. En outre, le poste de manager litigieux avait été attribué le 1er novembre 2020 à une femme âgée de 32 ans, au bénéfice d’une plus longue expérience (c. 3).

Selon le Tribunal, ces éléments tendent à montrer que T. n’a pas été discriminée et que la désignation d’une autre employée au poste de manager reposait sur des critères objectifs. Au demeurant, l’enregistrement de l’entretien du 18 février 2020 révèle un malentendu. En réalité, aucune offre concrète de promotion n’avait été faite à T. Le nouveau patron et la supérieure hiérarchique X. se trouvaient bien plutôt dans une perspective de référencement des candidatures envisageables. « La demanderesse s’est donc méprise lorsqu’elle a imaginé que, sans avoir jamais rencontré le nouveau propriétaire individuellement et alors que ce dernier n’avait pas encore formellement repris la gestion du restaurant, sa promotion avait été validée par ce dernier, avant d’être rétractée » (c. 3).

L’existence d’une discrimination à la promotion n’est pas rendue vraisemblable et ne peut donc être présumée (art. 6 LEg) (c. 4).

En revanche, le comportement de la supérieure hiérarchique X. est susceptible d’entrer dans le champ d’application de l’art. 4 LEg, que le Tribunal applique d’office (art. 57 CPC), T. ne s’étant pas prévalue de cette disposition (c. 4).

Dans son message relatif à la LEg, le Conseil fédéral indique que le harcèlement sexuel peut prendre la forme de remarques sexistes et le définit comme tout « comportement basé sur le sexe qui est imposé à la personne contre sa volonté ». L’art. 4 LEg présuppose une atteinte à la personnalité, qui peut résulter « d’un comportement d’éviction par un supérieur hiérarchique, et est donné déjà par le fait de créer un climat de travail hostile, ressenti comme tel par la victime ». Au surplus, l’art. 4 LEg vise aussi les « interactions entre personnes du même sexe ». Une « personne peut harceler une personne du même sexe “qui s’écarterait du rôle attribué à son sexe” […]» (c. 5).

Partant, l’art. 4 LEg trouve application s’il s’avère que la supérieure hiérarchique X. a indiqué à T. « qu’elle n’aurait pas la place de manager en raison du fait qu’elle risquait de se marier et que si elle était un homme, les choses seraient différentes » (c. 5).

L’allègement du fardeau de la preuve prévu à l’art. 6 LEg ne s’applique pas au harcèlement sexuel. Toutefois, la jurisprudence admet qu’un harcèlement sexuel puisse être retenu sur la base d’un « faisceau d’indices convergents » et donc d’une « vraisemblance prépondérante » (la simple vraisemblance n’étant en revanche pas suffisante) (c. 9).

Au vu des différents témoignages, le Tribunal retient que T. « a établi au degré de la vraisemblance prépondérante » avoir été informée par la supérieure hiérarchique X. « que sa candidature ne serait pas considérée en raison du fait qu’elle allait se marier et qu’il existait le risque d’une grossesse, et qu’il en serait allé différemment si elle avait été un homme » (c. 10). De tels propos ne pouvaient être ressentis par T. « que comme une atteinte grave à sa dignité de femme », entrent dans la définition du harcèlement sexuel au sens de l’art. 4 LEg et justifient l’octroi d’une indemnité (c. 11).

Selon l’art. 5 al. 3 LEg, en cas de harcèlement sexuel « le tribunal peut condamner l’employeur à verser au travailleur une indemnité, à moins que l’employeur ne prouve qu’il a pris les mesures que l’expérience commande, qui sont appropriées aux circonstances et que l’on peut raisonnablement exiger de lui pour prévenir ces actes ou y mettre fin » (c. 12).

En l’espèce, E. n’est pas parvenu à apporter une telle preuve. En particulier, il « ne démontre pas avoir investigué plus profondément la piste selon laquelle [la supérieure X.] aurait tenu des propos blessants et discriminants, ni avoir pris de quelconques mesures pour que cela ne se reproduise pas à l’avenir ». Il doit donc l’indemnité prévue par l’art. 5 al. 3 LEg (c. 13).

Selon une analyse jurisprudentielle couvrant les années 2004 à 2019 et publiée par le Bureau fédéral de l’égalité en 2021, les prétentions fondées sur l’art. 5 al. 3 LEg se sont élevées en moyenne à CHF 28’938.-, « à savoir près de 4 mois de salaire moyen suisse ». Par conséquent, l’indemnité de CHF 6’000.- requise par T. « est raisonnable, et lui sera intégralement allouée ».

« Pour ce qui est de la procédure simplifiée au fond, les tribunaux cantonaux ne perçoivent aucun frais judiciaires (art. 114 let. a CPC) » (c. 15).

Représentée par un mandataire professionnel (art. 68 CPC), la demanderesse obtient intégralement gain de cause. Ayant conclu avec suite de frais et dépens, elle n’a toutefois déposé aucun document à l’appui de ces dépens. Il lui sera octroyé un montant de CHF 2’500.- à ce titre (c. 15).

Résumé par Mme Karine Lempen, Professeure à la Faculté de droit de l’Université de Genève
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