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JU 07.03.2003
discrimination salariale

sujet

administration publique action collective profession typiquement féminine

LEg

art 3, art 5, art 6

procédure

20.09.2000Décision sur opposition du Département de l’Education 07.03.2002Arrêt de la Chambre administrative du Tribunal cantonal (arrêt 105/00) 07.03.2003Arrêt du Tribunal fédéral (2A.192/2002)

en fait

Le 5 janvier 2000, 23 maîtresses d’activités créatrices textiles (ACT) ont demandé formellement au Département de l’Education que leur traitement soit fixé en classe 3 comme pour les enseignants de l’école primaire (EP) et les enseignantes en économie familiale (EF), prodiguant le même enseignement et comme pour les maîtresses ACT prodiguant l’enseignement d’activités créatrices manuelles (ACM) et l’éducation visuelle (EV).

Le Département de l’Education a rejeté la requête des 23 maîtresses ACT en date du 12 juillet 2000.

Le 20 septembre 2000, le Département de l’Education rejette l’opposition formée par les 23 maîtresses ACT contre sa décision du 12 juillet 2000.

Le Département a considéré que la formation des enseignantes ACT n’était pas équivalente à celle des enseignants primaires dont elles revendiquaient la classe salariale, relevant par ailleurs que c’était à la suite d’une erreur qu’elles étaient rémunérées en classe 3 pour les leçons ACM et EV et qu’elles bénéficiaient d’un privilège contraire à la légalité.

Le Département a jugé que la différence de classification entre enseignantes ACT et enseignants primaires n’apparaissait d’aucune façon comme illégale ou arbitraire.

Les 23 enseignantes ACT ont recouru auprès de la Chambre administrative du Tribunal cantonal contre la décision du Département de l’Education. Elles ont demandé a être rémunérées en classe 3 pour les leçons ACT et que le canton du Jura soit condamné à leur verser à chacune le montant de l’arriéré correspondant à la différence de traitement entre les classes 2 et 3 pour les leçons ACT dispensées à compter du 1er janvier 1995, avec intérêt à 5%. En substance, les enseignantes ont fait valoir que les leçons ACT et les leçons ACM sont regroupées dans une même rubrique et un même concept, à savoir les activités manuelles (AM) et que ces deux matières font l’objet d’une seule note dans le carnet scolaire. Elles ont relevé qu’elles étaient payées différemment pour deux activités de même valeur et qu’il s’agissait d’une discrimination fondée sur le sexe, les ACT étant un travail typiquement féminin.

Le 7 mars 2002, la Chambre administrative du Tribunal cantonal rejette le recours des intéressées.

Considérants

Les juges ont admis que la profession exercée par les 23 enseignantes ACT était typiquement féminine et qu’elles avaient rendu l’existence d’une discrimination à raison du sexe vraisemblable, étant possible que leurs allégations soient fondées. Les juges ont alors examiné si le Département avait rapporté la preuve que la différence de classe ne défavorisait pas les demanderesses en raison de leur sexe, mais qu’elle avait une justification objective. Après avoir comparé la profession d’enseignante ACT avec celle de maître primaire, les juges sont arrivés à la conclusion que le niveau de formation plus élevé des maîtres primaires, nécessaire compte tenu de l’éventail plus large des disciplines à enseigner, constituait un critère objectif justifiant une différence dans la rémunération.

Selon la Chambre administrative, le Département a rapporté la preuve que la différence de rémunération entre les enseignantes ACT et les enseignants primaires n’était pas basée sur des motifs liés au sexe, mais sur des considérations objectives. Il a donc rejeté le recours à cet égard. Le Tribunal cantonal a aussi écarté les griefs d’inégalité de traitement et d’arbitraire. Il a relevé qu’on ignorait pour quelles raisons les recourantes étaient rémunérées en classe 3 pour les leçons ACM et EV, en précisant que cette mesure s’inscrivait vraisemblablement dans une volonté de préserver la situation des enseignantes ACT qui se dégradait.

Les 23 enseignantes ACT ont déposé un recours de droit administratif au Tribunal fédéral. Elles ont conclu à l’annulation de l’arrêt attaqué et demandé au Tribunal fédéral de dire qu’elles devaient être rémunérées en classe 3 pour les leçons ACT et de condamner le canton du Jura à les rémunérer en classe 3 depuis le 1er janvier 1995, ainsi qu’à leur payer l’arriéré correspondant à la différence de traitement entre les classes 2 et 3 avec un intérêt au taux de 5%. Subsidiairement, les recourantes ont demandé le renvoi de la cause au Tribunal cantonal pour nouvelle décision.

Le 7 mars 2003, le Tribunal fédéral rejette le recours des 23 enseignantes ACT

en droit

Le Tribunal fédéral a considéré que le Tribunal cantonal n’avait pas violé le droit d’être entendues des intéressées et que le moyen tiré par ces dernières d’une prétendue violation de l’article 29 Cst. devait être écarté. Les juges ont constaté que l’autorité intimée avait examiné le grief soulevé par les recourantes d’une discrimination salariale liée au sexe résultant des rémunérations différentes qu’elles-mêmes touchaient selon qu’elles enseignaient les ACT ou une autre branche sous l’angle de la violation des principes de l’égalité au sens de l’article 8 alinéa 1 Cst. et de l’interdiction de l’arbitraire au sens de l’article 9 Cst.. Le Tribunal fédéral a ainsi considéré qu’on ne pouvait reprocher au Tribunal cantonal d’avoir commis un déni de justice formel. Par ailleurs, le Tribunal fédéral a considéré qu’il ressortait de la comparaison des formations respectives des enseignantes ACT et des enseignants primaires que ces derniers avaient acquis une formation plus poussée. Ils ont estimé que ces qualifications supérieures constituaient une formation utile à l’enseignement de toutes les disciplines confiées aux enseignants primaires et que ceux-ci pouvaient en tirer parti lorsqu’ils donnaient des cours ACT. Selon le Tribunal fédéral, le fait que les enseignants primaires reçoivent une rémunération supérieure à celle des enseignantes ACT même quand ils enseignent les ACT repose sur une justification objective. En outre, il a constaté que la différence de traitement était de l’ordre de 6%, soit dans les limites admises par la jurisprudence. Le Tribunal fédéral a enfin considéré qu’il n’y avait pas une discrimination fondée sur le sexe dans le fait que les enseignantes obtenaient un salaire plus élevé pour les leçons ACM et EV que pour les leçons ACT. Il a constaté que la rémunération des recourantes en classe 3 pour les cours ACM et EV était contraire à l’article 18 de l’ordonnance jurassienne du 6 octobre 1992 concernant le passage de maîtres primaires dans l’enseignement secondaire et vice-versa et l’accès des maîtresses ACT à l’enseignement des activités manuelles, tout en relevant que cet article 18 paraissait contestable au regard du principe de l’égalité et de l’interprétation qui en a été donnée, alors que la pratique plus généreuse du Département cantonal apparaissait sensée.

Le Tribunal fédéral a relevé qu’à l’époque où les recourantes avaient entrepris leur formation de base, on avait tendance à orienter les jeunes filles vers une formation de durée courte ou moyenne, soit en apprentissage. Selon les juges, une telle orientation a des répercutions sur toute la carrière professionnelle car les personnes n’ayant pu faire des études sont souvent cantonnées dans des postes inférieurs. Ils ont constaté que cette orientation était discriminatoire, mais que tel n’était pas le cas de la situation professionnelle et du salaire des intéressées qui en découlent, ceux-ci correspondant à une différence objective. Les juges ont conclu en indiquant que cet état de fait ne pouvait changer qu’avec l’évolution des mentalités.

Le Tribunal fédéral a rejeté le recours. Il a jugé que le Tribunal cantonal avait constaté les faits ni de manière manifestement inexacte ou incomplète ni au mépris de règles essentielles de procédure. Il a également jugé que le Tribunal cantonal n’avait pas violé le droit fédéral, en particulier la loi sur l’égalité.

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