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GE 6.12.2017
congé maternité
licenciement discriminatoire
licenciement abusif

sujet

Licenciement abusif et discriminatoire à la fin du congé maternité.

LEg

art 3, art 5, art 6, art 9

procédure

17.05.2016Autorisation de procéder suite à l’échec de la conciliation 15.03.2017Jugement du Tribunal des prud’hommes (JTPH/114/2017) 06.12.2017Arrêt de la Cour de justice, Chambre des prud’hommes (CAPH/200/2017)

résumé

Une salariée qui souhaitait baisser son taux d’occupation suite à son congé maternité est licenciée pour des motifs économiques après la fin de la période de protection prévue à l’art. 336c CO, quelques jours avant la date convenue pour la reprise d’activité. Les tribunaux de première et deuxième instance considèrent que le motif réel du licenciement est la grossesse de la salariée. Le congé est qualifié d’abusif (art. 336 al. 1 let. a CO) et l’employeuse condamnée au versement d’une indemnité (art. 336a CO) correspondant à cinq mois de salaire.

en fait

Mme T. travaille à plein temps pour la société E., active dans la gestion et l’administration de biens mobiliers et immobiliers. Engagée comme assistante administrative en 2010, elle devient assistante de direction en 2012 puis est nommée mandataire commerciale en 2013.

Lors de la première promotion, le salaire mensuel brut de Mme T. passe de CHF 5’500.- à CHF 6’500.-. La nomination au titre de mandataire commerciale, en revanche, n’entraîne aucune rémunération supplémentaire.

Dans une note interne du 29 juillet 2014, le directeur fait part à l’administrateur de la société du fait que Mme T. souhaite une augmentation de salaire. Il se prononce en faveur d’une telle demande eu égard au très bon travail et à l’entière implication de cette dernière.

Durant ce même mois de juillet, Mme T. devient enceinte. L’annonce de cette grossesse, en septembre 2014, entraîne une dégradation des conditions de travail. Le directeur ne transmet pas à l’administrateur la note du 29 juillet 2014. En octobre 2014, la salariée se voit privée de certaines tâches et responsabilités.

Du 3 février 2015 jusqu’au terme de sa grossesse, Mme T. est en incapacité de travailler. L’accouchement a lieu le 18 mars 2015. Quelques jours plus tard, la société E. indique à Mme T. que son congé maternité prend fin le 7 juillet 2015. A la demande de Mme T., la date de reprise est fixée au 1er septembre 2015, après une période de vacances.

Le 22 juin 2015, Mme T. s’entretient avec le directeur de E., qui ne s’oppose pas à ce que la travailleuse reprenne son activité à temps partiel. Il invite cette dernière à lui communiquer ses propositions d’horaire. Durant l’été, Mme T. propose un taux d’occupation de 70% et précise l’horaire souhaité.

Invitée à un entretien le 17 août 2015 « pour discuter de son contrat de travail », Mme T. se voit notifier ce jour-là son licenciement avec effet au 30 novembre 2015. La société invoque des motifs économiques et la nécessité de supprimer le poste.

Le 27 août 2015, la société E. met au concours un poste d’assistante administrative dans le service où travaille Mme T. Cette dernière s’oppose à son licenciement qu’elle qualifie d’abusif.

Suite à l’échec de la tentative de conciliation, le 17 mai 2016, Mme T. assigne E. en paiement d’une indemnité pour licenciement abusif équivalent à six mois de salaire ainsi que d’une somme de CHF 7’000.- représentant la rémunération qui aurait dû lui être versée en raison de sa nomination au titre de mandataire commerciale.

Dans un jugement du 15 mars 2017, le Tribunal des prud’hommes retient que Mme T. aurait eu droit à une augmentation de salaire lors de sa promotion comme mandataire commerciale et condamne E. à payer les CHF 7’000.- demandés à ce titre. En outre, le Tribunal condamne la société au versement d’une indemnité pour licenciement abusif correspondant à cinq mois de salaire.

L’employeuse forme appel contre ce jugement.

en droit

A. Arriérés de salaire

La société E. reproche au Tribunal d’avoir violé les art. 322 et 328 CO en retenant que Mme T. avait droit, du fait de sa nomination comme mandataire commerciale, à une augmentation de salaire, à l’instar de toutes les personnes nommées à ce titre au sein de la société (c. 3).

La Cour de justice considère que le devoir d’égalité de traitement déduit de l’art. 328 CO « est un concrétisation de l’interdiction de l’abus de droit ». Sa portée ne doit « pas être surestimée » dans la mesure où, en matière de rémunération, la liberté contractuelle prévaut (c. 3.1).

Dans le cas d’espèce, il est établi que les autres personnes nommées mandataires commerciales ont perçu une augmentation de salaire à cette occasion. Toutefois, avant la promotion, ces dernières bénéficiaient d’un salaire inférieur à celui de Mme T.

La rémunération de Mme T. paraissant au final avoir été supérieure – ou en tous cas égale – à celle des autres mandataires commerciaux, le Tribunal conclut à l’absence de discrimination interdite pas l’art. 328 CO. Il admet l’appel sur ce point (c. 3.2).

B. Licenciement abusif et discriminatoire

L’employeuse reproche au Tribunal de première instance d’avoir retenu que le congé « était abusif tant sur le fond que sur la forme, celui-ci ayant été donné en raison de la grossesse de l’intimée, le motif économique invoqué étant fictif » (c. 4).

La Cour de justice indique que, selon l’art. 336 al. 1 let. a CO, le congé est abusif notamment lorsqu’il est donné pour une raison inhérente à la personnalité de l’autre partie. En particulier, l’art. 3 LEg interdit les discriminations fondées sur la grossesse, notamment lors de la résiliation des rapports de travail.

De plus, d’après la jurisprudence, « pour déterminer si un congé est abusif, il convient de se fonder sur son motif réel ». Par ailleurs, « il faut que le motif illicite ait joué un rôle déterminant dans la décision de résilier le contrat » (c. 4.1).

« Selon le Tribunal fédéral, le juge peut présumer en fait l’existence d’un congé abusif lorsque l’employé parvient à présenter des indices suffisants pour faire apparaître comme non réel le motif avancé par l’employeur » (c. 4.1).

En l’espèce, le Tribunal « a procédé à une analyse de la situation et des témoignages recueillis qui ne prête « aucun flanc à la critique et que la Cour fait sienne ». Les difficultés économiques alléguées par la société E. n’ont pas été démontrées. En effet, le nombre de personnes employées au sein du service concerné n’a pas évolué, Mme T. ayant été remplacée par la personne qui avait assumé ses fonctions lors de son congé maternité (c. 4.2).

Par ailleurs, l’instruction a permis d’établir que Mme T., « alors qu’elle était appréciée de ses collègues et supérieurs tant pour son caractère que pour son travail », avait été « déchargée petit à petit des tâches qui étaient les siennes dès l’annonce de la grossesse, les relations entre le directeur et elle s’étant tendues » à partir de ce moment (c. 4.2).

Ainsi, la grossesse a joué un rôle déterminant dans la décision de licencier. Le licenciement signifié pour ce motif (caché) est abusif et donne droit à une indemnité au sens de l’art. 336a CO (c. 4.2).

C. Montant de l’indemnité pour licenciement abusif

L’employeuse critique le montant de l’indemnité allouée à Mme T. sur la base de l’art. 336a CO.

La société « conteste essentiellement le fait que le Tribunal ait retenu contre elle une politique discriminatoire envers les collaboratrices ayant eu des grossesses ».

Lors de la fixation de l’indemnité, le Tribunal a aussi considéré que « le licenciement était abusif tant au fond qu’à la forme, et qu’il avait eu un impact économique négatif sur la demanderesse et sa famille, celle-ci n’ayant retrouvé un poste qu’à 40% à l’issue de son instruction. Il a par ailleurs retenu un impact sur la santé psychologique de l’intimée, le licenciement ayant entraîné une incapacité de travail totale pendant un mois ».

Même si la Cour de justice ne retient pas l’existence d’une « politique » discriminatoire, elle admet que l’employeuse a commis une « faute importante » avec des conséquences négatives sur la situation économique et la santé de Mme T.

La Cour tient compte du fait que les rapports de travail ont duré cinq ans et que la salariée « donnait pleine satisfaction et avait des rapports cordiaux tant avec ses collègues qu’avec son directeur ». Elle « partage l’analyse du Tribunal quant à la manière abusive dont le congé a été donné » . En effet, alors que pendant son congé maternité l’employée s’était entendue avec le directeur pour reprendre le travail à un pourcentage moins élevé, « celui-ci l’a convoquée pour “discuter de son contrat” à une séance lors de laquelle » il a mis un terme aux rapports de travail.

Eu égard à l’ensemble de ces circonstances, la Cour de justice estime que l’indemnité correspondant à cinq mois de salaire allouée par le Tribunal se justifie. Sur ce point, l’appel est rejeté.

La société est condamnée à verser à son ancienne employée la somme de CHF 32’500.- plus intérêts. La procédure est gratuite et il n’est pas alloué de dépens.

Résumé par Mme Karine Lempen, Professeure à la Faculté de droit de l’Université de Genève
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