Attitude homophobe non prouvée. Licenciement non fondé sur l’orientation sexuelle.
art. 328, art. 336
7.9.2012 Jugement du Tribunal des prud’hommes 5.6.2913 Arrêt de la Cour de Justice, Chambre des prud’hommes (CAPH/48/2013)
Une vendeuse se plaint du comportement homophobe de son employeuse et estime avoir été licenciée en raison de son orientation sexuelle, suite à la conclusion d’un partenariat enregistré. Devant le Tribunal des prud’hommes, elle réclame, notamment, une indemnité pour licenciement abusif et, subsidiairement, la réparation du tort moral. Le Tribunal ne retient pas le caractère abusif du congé mais admet une atteinte illicite à la personnalité et condamne la partie employeuse au versement d’une indemnité pour tort moral. La Chambre des prud’hommes juge, en revanche, que les conditions d’octroi d’une telle indemnité ne sont pas réunies.
Par contrat du 18 avril 2009, Madame T. est engagée en qualité de vendeuse par Madame E., pour une durée indéterminée. Madame T. reçoit des instructions de la part de Madame E. ainsi que de son époux, Monsieur E.
Le 6 août 2010, T. conclut un partenariat enregistré avec sa compagne J.
Du 14 août au 5 septembre 2010, T. est en incapacité de travail, ce dont atteste un certificat médical. Fin août 2010, les époux E. se rendent au cabinet du médecin de T. et tentent – en vain – d’obtenir des renseignements sur l’état de santé de la travailleuse.
Le 24 août 2010, T. informe Y., inspecteur à l’Office cantonal de l’inspection et des relations du travail (OCIRT), de divers problèmes sur son lieu de travail. En particulier, la vendeuse déclare avoir l’impression d’être discriminée en raison de son homosexualité, notamment sur le plan salarial et eu égard au choix des vacances. « Elle n’a toutefois pas mentionné à l’inspecteur d’éléments précis concernant le fait que son employeur était homophobe, tels des propos homophobes. Elle l’a informé qu’elle était liée par un partenariat enregistré. Elle ne lui a pas parlé de craintes liées au fait qu’elle devait fournir un certificat de partenariat à son employeur, ni au fait d’être licenciée du fait de son homosexualité. A l’issue de l’entretien [T.] a fait part à [l’inspecteur Y.] de son souhait de quitter la boutique à moyen terme, car elle ne trouvait plus les conditions de travail acceptables et ressentait un mal-être dans cette entreprise, et lui a demandé de ne pas intervenir immédiatement, de sorte que son dossier a été suspendu » (lettres H. b.).
Le 6 septembre 2010, E. licencie T. avec effet au 30 novembre 2010. La vendeuse est immédiatement libérée de son obligation de travailler.
Le 11 octobre 2010, E. informe T. de son intention de ne pas lui verser les salaires des mois d’octobre et novembre 2010, étant donné que T. a trouvé un nouvel emploi auprès de la société gérée par sa partenaire enregistrée. T. conteste avoir une nouvelle activité lucrative et indique être diposée à reprendre son travail jusqu’à la fin du délai de congé, dans l’hypothèse où son employeuse reviendrait sur sa décision de la libérer de l’obligation de travailler.
Le 9 novembre 2010, T. s’oppose à son licenciement, qu’elle estime abusif au sens de l’art. 336 CO, et demande à en connaître les motifs. Le 1er décembre 2010, la boutique X., par l’intermédiaire de Madame E. et de son époux, indique que la résiliation est intervenue d’un commun accord, T. estimant ne pas être assez payée. La travailleuse réfute ces affirmations. Elle déclare « avoir été licenciée non seulement en raison de ses revendications d’ordre salarial, mais aussi en raison de son orientation sexuelle. Elle avait vécu son licenciement de manière très douloureuse du fait de son caractère discriminatoire […] » (lettres D. c.).
Par demande parvenue au greffe de la Juridiction des prud’hommes le 15 août 2011, T. assigne son employeuse et son époux en paiement de sommes correspondant aux salaires des mois d’octobre et novembre 2010, à un solde de cinq jours de vacances et à une indemnité pour résiliation abusive équivalente à quatre mois de salaire – subsidiarement, à une indemnité pour tort moral – sommes auxquelles s’ajoutent les intérêts moratoires.
Le 23 novembre 2011, jour de son audition en qualité de témoin par le Tribunal, l’inspecteur Y. se rend à la boutique X., afin d’effectuer une inspection de routine. En date du 23 janvier 2012, l’inspecteur informe E. qu’aucun « acte de nature discriminatoire [n’a] été objectivé suite aux discussions avec le personnel de l’entreprise et l’employeur » et que l’entreprise respecte globalement les prescriptions de la loi fédérale sur le travail (lettres H. b.).
Par jugement du 7 septembre 2012, le Tribunal des prud’hommes condamne E. et son époux au paiement, notamment, des deux mois salaires demandés, d’une indemnité pour vacances non prises et d’une indemnité pour tort moral à hauteur de 4’500 fr., plus intérêts. Le congé est toutefois jugé non abusif.
Par acte expédié le 10 octobre 2012 à la Chambre des prud’hommes de la Cour de justice, E. et son époux forment appel de ce jugement. Ils nient, notamment, avoir porté atteinte à la personnalité de T.
La Cour considère que les premiers juges ont admis à juste titre la légitimation passive de l’époux, Monsieur E., auquel T. était dans les faits subordonnée (consid. 4). En outre, la Cour confirme que la salariée a droit à recevoir son salaire des mois d’octobre et novembre 2010 (consid. 5) ainsi qu’une indemnité pour vacances non prises (consid. 6-7).
La question se pose ensuite de savoir si E. a violé son obligation de protéger la personnalité de T. (art. 328 CO) et si cette dernière a droit à une réparation morale (art. 49 CO) (consid. 8.1). A cet égard, la Cour relève que T. maintient, en procédure d’appel, avoir souffert de l’attitude homophobe de E., même si l’employée n’est pas revenue sur le refus des premiers juges de retenir le caractère abusif du licenciement (consid. 8.2.)
A l’instar du Tribunal, la Cour retient que T. « n’a pas démontré avoir entendu ou vu des remarques ou comportements négatifs de la part de ses employeurs au sujet des personnes homosexuelles. Ses allégations sur ce point sont infirmées par les autres vendeuses de la boutique entendues en qualité de témoins ». Seul le docteur de T. a mentionné l’existence de tels propos, mais son témoignage est isolé et le médecin n’a pas pu faire état de termes précis qui lui auraient été rapportés, ni pu entendre lui-même les employeurs prononcer des paroles homophobes. La travailleuse « n’a pas allégué avoir été visée personnellement d’une quelconque manière par les remarques prétendument homophobes des appelants, de sorte que la condition de la gravité de l’atteinte ne saurait en tout état de cause être remplie » (consid. 8.3.).
En outre, les autres circonstances invoquées en lien avec la demande de réparation du tort moral, en particulier le fait que les employeurs se soient rendus sans autorisation au cabinet du médecin de T. et aient attendu plus de deux ans et demi avant de lui remettre son certificat de travail, ne suffisent pas non plus à justifier l’octroi d’une indemnité (consid. 8.3-8.5). Sur ce point, la travailleuse n’obtient donc pas gain de cause.