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GE 29.03.2021
discrimination salariale

sujet

Vraisemblance de la discrimination. Motifs objectifs justifiant la différence de rémunération.

LEg

art 3, art 5, art 6

procédure

08.01.2019 Échec de la tentative de conciliation, autorisation de procéder 27.04.2020 Jugement du Tribunal des prud’hommes (JTPH/165/2020) 29.03.2021 Arrêt de la Chambre des prud’hommes de la Cour de justice (CAPH/66/2021)

résumé

Une jeune réceptionniste estime avoir été licenciée à titre de représailles, suite à ses doléances relatives aux horaires de travail. Elle allègue en outre avoir été discriminée sur le plan salarial par rapport à un collègue à peine plus âgé qu’elle, occupant la même fonction. Le Tribunal des prud’hommes juge que le caractère abusif du licenciement n’a pas été établi. Quant à la discrimination salariale, elle apparaît vraisemblable. La société employeuse ayant toutefois prouvé les motifs objectifs justifiant la différence salariale, ce grief est finalement aussi écarté. La Cour de justice confirme le jugement du Tribunal et déboute la travailleuse de toutes ses conclusions.

en fait

En 2015, la société E. engage deux réceptionnistes à plein temps, un homme de 27 ans et une femme de 25 ans, tous deux au bénéfice d’un contrat de durée indéterminée.

La différence entre le salaire brut perçu par le jeune homme et celui touché par la jeune femme s’élève mensuellement à CHF 400.- brut à l’embauche (CHF 4’400.- contre CHF 4’000.-, y compris le 13ème) et à CHF 300.- à la fin des rapports de travail (CHF 4’300.- contre CHF 4’600.-).

La jeune femme est licenciée le 30 avril 2018, quelques semaines après son collègue avec lequel elle forme du reste un couple. Les licenciements sont notamment motivés par une dégradation de la qualité des prestations et une incapacité à concilier horaires de travail et vie privée, alors que les deux réceptionnistes ont dans la plupart des cas pu prendre congé en même temps, conformément à leur souhait.

Le 21 juin 2018, la travailleuse écrit à la société E. pour s’opposer à son licenciement. Selon la réceptionniste, la résiliation des rapports de travail est en réalité motivée par le fait qu’elle s’est plainte, lors d’une séance le 12 avril 2018, de l’organisation des horaires de travail et a demandé à ne plus travailler six jours d’affilée. L’employeuse conteste l’existence d’un lien entre les doléances exprimées durant cette réunion et la résiliation notifiée deux semaines plus tard.

Par demande déposée en conciliation le 7 novembre 2018 et portée devant le Tribunal des prud’hommes le 5 avril 2019, la travailleuse conclut à ce que son employeuse soit condamnée à lui verser CHF 13’974.-, au titre d’indemnité pour licenciement abusif (art. 336 al. 1 let. d CO) et CHF 44’438.-, comme différence de salaire en raison d’une discrimination à raison du sexe (art. 3 LEg).

Représentée par le syndicat UNIA, la travailleuse allègue « qu’au vu de la chronologie des évènements et de l’absence d’avertissement relatif à la qualité de son travail qui donnait satisfaction, son licenciement avait pour motif ses revendications fondées sur des violations de la Loi fédérale sur le travail. Elle travaillait souvent jusqu’à dix jours d’affilée, terminant à 23 heures pour recommencer à 7 heures, parfois sans pause. Elle avait dénoncé les faits au syndicat qui avait contacté l’IPE [Inspection paritaire des entreprises]. Par ailleurs, elle a fait valoir être du même âge, disposer de la même formation et avoir occupé le même poste que [son collègue et compagnon], dont les expériences précédentes étaient sans lien avec le travail effectué à la réception d’un hôtel » (CAPH/66/2021, let. D).

Le 27 avril 2020, le Tribunal des prud’hommes a débouté la travailleuse de l’ensemble de ses conclusions. Le 26 mai 2020, la réceptionniste saisit la Cour de justice. Elle persiste à demander le paiement du salaire dû (art. 5 al. 1 let. d LEg) ainsi qu’une indemnité pour congé abusif (art. 336a CO).

en droit

L’art. 336 al. 1 let. d CO prévoit que le congé est abusif lorsqu’il est donné parce que l’autre partie fait valoir de bonne foi des prétentions résultant du contrat de travail. En l’espèce, la travailleuse n’allègue pas avoir été licenciée suite à une plainte pour discrimination salariale mais en raison de ses revendications relatives notamment à une violation des prescriptions de la loi sur le travail sur la durée du travail et du repos. Le grief ne revêtant donc aucun lien avec la LEg, le présent résumé n’expose pas l’argumentation de la Cour de justice sur ce point. Selon la Cour, l’existence d’un congé-représailles n’a pas été établie et « c’est à bon droit que le Tribunal a rejeté les conclusions de l’appelante tendant à l’octroi d’une indemnité pour résiliation abusive » (c. 3).

S’agissant des allégations de discrimination salariale (art. 3 LEg), la Cour de justice rappelle la jurisprudence selon laquelle lorsque « des travailleurs de sexe opposé ont une position semblable dans l’entreprise avec des cahiers des charges comparables, il est présumé, s’il y a une différence de rémunération entre eux, que celle-ci est de nature sexiste, l’employeur devant apporter la preuve de la non-discrimination » (c. 4.1.1). En l’occurrence, pour le même poste de réceptionniste au sein de la société employeuse, le salaire mensuel brut perçu par la travailleuse était de 9% et 6,5% inférieur à celui de son collègue masculin lors de l’embauche, respectivement à la fin des rapports de travail. « Comme l’a relevé le Tribunal, une discrimination salariale à raison du sexe peut ainsi être présumée » (art. 6 LEg) (c. 4.2.1).

Lorsque, comme en l’espèce, la discrimination salariale est « rendue vraisemblable, il incombe à l’employeur d’apporter la preuve complète du fait que la différence de traitement repose sur des facteurs objectifs. Parmi les raisons pouvant justifier une différence de salaire, on trouve notamment la valeur effective du travail, la formation, les années de service, la qualification, les risques encourus, le cahier des charges, l’expérience, les prestations et les responsabilités ». Les facteurs invoqués doivent avoir une réelle influence sur la prestation de travail et sa rémunération. En outre, si la partie défenderesse apporte la preuve d’un facteur objectif justifiant une différence de traitement, l’ampleur de cette différence doit respecter le principe de la proportionnalité et ne pas apparaître inéquitable (c. 4.1.2. avec les références).

Dans le cas concret, l’employeuse a apporté la preuve que la travailleuse « présentait un profil classique d’une jeune diplômée sans expériences professionnelles autres que celles liées aux stages obligatoires réalisés pendant sa formation hôtelière et l’année passée dans le restaurant de son père en qualité de serveuse avant ses études. L’absence d’activité professionnelle pendant une année entre l’obtention de son diplôme et sa candidature auprès de l’intimée, durant laquelle elle s’était trouvée au chômage, ne pouvait, par ailleurs, être considérée que comme un élément négatif, étant relevé que son curriculum vitae passait sous silence les dates des formations et expériences professionnelles […] En outre, son niveau d’anglais était intermédiaire » (c. 4.2.1).

En revanche, son collègue « disposait de véritables expériences professionnelles (trois ans et trois mois auprès de deux employeurs après l’obtention de son diplôme) et de compétences mises en avant dans les domaines administratif (deux ans et cinq mois d’expérience en qualité d’assistant manager), informatique (dépannage) et linguistique (niveau le plus élevé d’anglais). A cela s’ajoutait que le précité était âgé de deux ans de plus que l’appelante (qu’il avait mis au maximum à profit), ce qui, en présence de jeunes candidats fraichement diplômés, peut s’avérer important lors de la fixation du salaire à l’embauche. Enfin, le niveau de formation préalable à l’Ecole Hôtelière de […] (Baccalauréat) pouvait être considéré d’un certain point de vue supérieur à celui de l’appelante (diplôme de l’ECG) » (c. 4.2.1).

De telles différences dans les profils ont eu, pour l’essentiel d’entre elles, une véritable incidence sur l’activité concernée, le jeune homme s’étant au demeurant vu attribuer des tâches additionnelles à celles confiées à la jeune femme. A l’instar du Tribunal de première instance, la Cour conclut à l’existence de facteurs objectifs, sans lien avec le sexe, justifiant « notamment sous l’angle de la proportionnalité et de l’équité », une différence salariale de 9% à l’embauche, l’écart s’étant du reste réduit à 6,5% au fil des années (c. 4.2.1. et 4.2.2).

En définitive, l’appel est rejeté et la travailleuse déboutée de toutes ses conclusions. Il n’est pas alloué de dépens (c. 5).

Résumé par Mme Karine Lempen, Professeure à la Faculté de droit de l’Université de Genève
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