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GE 27.02.2023
harcèlement sexuel
licenciement discriminatoire

sujet

Licenciement consécutif à une plainte pour harcèlement sexuel mais sans rapport avec celle-ci. Absence de discrimination.

LEg

art 4, art 5, art 6, art 10

procédure

15.07.2020 Echec de la tentative de conciliation, autorisation de procéder 25.02.2022 Jugement du Tribunal des prud’hommes (JTPH 50/2022) 27.02.2023 Arrêt de la Cour de justice, Chambre des prud’hommes (CAPH/25/2023)

résumé

Une travailleuse dans le secteur hôtelier est licenciée quelques mois après s’être plainte pour la première fois d’un harcèlement sexuel de la part d’un collègue. Elle agit en justice pour que son employeuse soit condamnée au versement d’indemnités pour licenciement discriminatoire et pour harcèlement sexuel. Le Tribunal, puis la Cour de justice, rejettent ses prétentions. En effet, les pièces versées au dossier et les divers témoignages attestent du fait que le licenciement était motivé par plusieurs manquements professionnels de la part de l’employée, sans rapport avec sa plainte. De plus, l’employeuse avait réagi de façon adéquate aux allégations de harcèlement, de sorte qu’aucune violation de son devoir de diligence ne pouvait lui être reprochée.

en fait

Directrice d’exploitation d’un hôtel, T. travaille pour la société E. depuis le mois de décembre 2017.

Dès sa première année de service, T. se voit reprocher divers manquements professionnels par son employeuse. Lors d’un entretien de « recadrage » le 14 septembre 2018, il lui est notamment reproché un « reporting » insuffisant et des résultats insatisfaisants.

Le 12 novembre 2018, le chef comptable constate que les rapports de bouclement établis par T. contiennent des erreurs et se plaint de devoir encore corriger ses documents après onze mois de présence.

Durant une séance du Conseil d’administration le 21 décembre 2018, D., administrateur-directeur de la société, préconise de remplacer T., qui ne donne pas satisfaction au niveau de ses performances et de son attitude. Un autre participant relève toutefois que des mouvements dans les directions d’hôtel ne sont pas souhaitables.

Le 21 février 2019, le chef comptable signale à T. que ses rapports de rendement contiennent à nouveau des erreurs. Le 2 mai 2019, il rédige une note à son intention pour lui indiquer que le montant du solde de la caisse principale est beaucoup trop élevé et s’étonne qu’elle se soit encore si peu renseignée sur les procédures à suivre.

A l’occasion d’une discussion le 3 mai 2019, T. informe la directrice des ressources humaines qu’elle rencontre des problèmes relationnels avec son collègue M.

Le 8 mai 2019, la directrice des ressources humaines organise un entretien avec T. en présence de l’administrateur D. La travailleuse reproche à M. de l’avoir harcelée par ses blagues à connotation sexuelle. Un jour, il aurait même été jusqu’à l’empoigner par le col et lui aurait dit « toi je vais te prendre ».

Entendu le lendemain, le collègue M. réfute les accusations de harcèlement sexuel mais reconnait avoir pris une fois T. par le col pour la repousser car « elle l’avait provoqué avec une attitude inadéquate ». Selon M., T serait entrée dans son bureau en soulevant sa jupe tout en disant « ça vous excite les mecs ».

La note établie par la directrice des ressources humains à la suite de ces rencontres conclut à l’absence de harcèlement mais à l’existence d’une « relation malsaine avec une responsabilité partagée ». Une enquête interne ne paraît pas nécessaire et le dossier est clos.

Le 20 août 2019, le Conseil d’administration décide de se séparer de T.

Le 23 août 2019, un nouvel incident survient. Selon la version alléguée par T., le collègue M. aurait demandé à la cheffe de réception son avis sur un poster. Celle-ci aurait répondu qu’à la place des deux montagnards sur l’image elle verrait plutôt des vaches. Le collègue M. aurait alors répliqué : « Tu veux quoi, une photo de ta directrice à quatre pattes ? ». Informée de cette allusion la concernant, T. rapporte les évènements au service des ressources humaines. Le lendemain, M. est convoqué à un entretien puis reçoit un avertissement en raison de son comportement.

Le 30 août 2019, la société E. résilie le contrat de travail qui la lie à T. avec effet au 30 novembre 2019. Sur demande de T., E. lui envoie une liste de manquements professionnels ayant motivé le licenciement.

Le 29 novembre 2019, T. s’oppose à son licenciement en expliquant que la résiliation fait en réalité suite à ses plaintes concernant le comportement inadéquat du collègue M.

La tentative de conciliation échoue. La travailleuse demande au Tribunal des prud’hommes notamment de condamner son employeuse au versement d’indemnités pour licenciement discriminatoire (CHF 53’950.-) et pour harcèlement sexuel (CHF 10’000.-).

Par jugement du 25 février 2022, le Tribunal rejette ces prétentions. Il retient que le congé ne reposait pas sur un motif abusif et n’était pas lié aux plaintes de la travailleuse. En outre, une indemnité pour harcèlement sexuel (art. 5 al. 3 LEg) ne se justifie pas dans la mesure où la directrice des ressources humaines a agi assez rapidement lorsqu’elle a été informée des allégations de harcèlement sexuel.

Le 22 mars 2022, la travailleuse forme appel contre ce jugement.

en droit

Tout d’abord, l’appelante reproche au Tribunal de première instance une constatation inexacte des faits, en alléguant que l’épisode de la « directrice à quatre pattes » et sa plainte y relative ont eu lieu avant que le Conseil d’administration ne décide de la licencier. La travailleuse ne fournit toutefois aucun élément permettant de corroborer ses dires. Il ressort bien plutôt des pièces versées au dossier, ainsi que des témoignages, que l’épisode litigieux s’est produit le 23 août 2019, trois jours après la décision de licenciement le 20 août 2019 (c. 4.3). De surcroît, il ressort des pièces que la question du licenciement avait déjà été discutée le 21 décembre 2018 au sein du Conseil d’administration, plusieurs mois avant les premières allégations de harcèlement sexuel début mai 2019. « Le Tribunal des prud’hommes a correctement tenu compte de la chronologie des faits » (c. 4.4.).

Ensuite, la travailleuse reproche aux premiers juges d’avoir violé le droit en retenant que le licenciement n’était ni discriminatoire, ni abusif. Après avoir rappelé qu’un licenciement consécutif à une réclamation est présumé être un congé de rétorsion au sens de l’art. 10 LEg (c. 6.2), puis exposé l’allègement du fardeau de la preuve prévu à l’art. 6 LEg, la Chambre de prud’hommes considère que l’employeuse a valablement démontré les manquements professionnels qui l’ont conduite à licencier l’appelante, indépendamment des plaintes pour harcèlement sexuel. « Par conséquent, le licenciement n’est pas discriminatoire » (c. 6.5).

Enfin, l’appelante reproche à l’instance précédente d’avoir violé l’art. 5 al. 3 LEg en n’allouant aucune indemnité pour harcèlement sexuel. Or, la direction de la société a rapidement réagi après avoir eu connaissance des plaintes. Elle a notamment organisé une réunion le 8 mai 2019 et a proposé de procéder à une enquête interne, qui n’était toutefois pas souhaitée par l’appelante. « L’on ne peut ainsi lui reprocher un manque de diligence » (c. 7.2).

Les prétentions de la travailleuse en paiement d’indemnités sont rejetées. Il n’est pas perçu de frais judiciaires, ni alloué de dépens.

Résumé par Mme Karine Lempen, Professeure à la Faculté de droit de l’Université de Genève
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