Harcèlement sexuel non prouvé. Indemnité pour « congé représailles » au sens du code des obligations (art. 336 al. 1 let. d).
art 4, art 5, art 10
3.3.2014 Audience de conciliation, autorisation de procéder. 25.9.2015 Jugement du Tribunal des prud’hommes (JTPH/401/2015).
Une employée de banque se plaint, auprès du département des ressources humaines, d’actes de harcèlement sexuel de la part de son supérieur hiérarchique. Deux jours plus tard, la banque licencie la travailleuse. Devant le Tribunal des prud’hommes, cette dernière ne parvient pas à prouver le harcèlement sexuel. En revanche, le Tribunal retient un congé représailles (art. 336 al. 1 let. d CO) et condamne l’employeuse au versement d’une indemnité pour licenciement abusif à hauteur de CHF 10’000.-. L’existence d’un congé de rétorsion (art. 10 LEg), pouvant donner lieu à une annulation du licenciement, n’est ni invoquée, ni examinée d’office. Le Tribunal laisse les frais de procédure à charge de l’Etat et n’alloue aucuns dépens.
En février 2013, Mme T. commence son travail d’assistante exécutive auprès de la banque E. Quelques mois plus tard, le 23 septembre 2013, Monsieur B. est nommé au poste de head of private banking et devient le supérieur hiérarchique de Mme T.
Le 7 octobre 2013, T. se plaint auprès des ressources humaines d’actes de harcèlement sexuel de la part de son nouveau supérieur hiérarchique. Suite à cet entretien, la banque mène une enquête interne et arrive à la conclusion que les accusations de harcèlement sont dénuées de fondement.
Par courrier du 10 octobre 2013, la banque licencie T. avec effet au 30 novembre 2013. La travailleuse s’oppose au congé, qu’elle considère abusif.
Suite à l’échec d’une tentative de conciliation, au printemps 2014, T. assigne la banque en paiement d’indemnités pour harcèlement sexuel (CHF 35’874.-) et licenciement abusif (CHF 36’000.-).
Après avoir rappelé la définition qui figure à l’article 4 LEg, le Tribunal relève que la personne salariée « doit prouver cette atteinte conformément à l’article 8 CC ».
Dans le cas d’espèce, « la demanderesse allègue avoir été sexuellement harcelée par son supérieur hiérarchique, ceci dès le premier jour où il a pris ses fonctions, le 23 septembre 2013. Immédiatement, son supérieur lui aurait tenu des propos déplacés, l’interrogeant notamment sur la jalousie de son époux ou déplorant de la savoir mariée. Il lui aurait encore montré des photos d’événements mondains auxquels il avait participé, laissant entendre qu’elle pourrait l’y accompagner si elle n’était pas mariée. Finalement, il l’avait invitée à l’opéra et avait réitéré son invitation à plusieurs reprises la même journée, malgré son refus, ce qui l’avait fortement mise mal à l’aise. Lorsqu’il avait enfin compris que son refus était catégorique, son comportement avait subitement changé ; il lui avait dès lors fait des reproches sur son travail et lui avait imputé des erreurs qu’elle n’avait pas commises ».
De son côté, la banque « soutient que l’enquête diligentée par elle-même n’a pas permis de retenir le moindre harcèlement. De telles accusations étaient d’ailleurs apparues en totale contradiction avec le fait que la demanderesse avait souhaité a lovely evening à son supérieur le jour où elle avait refusé son invitation à l’opéra. Il était en outre inconcevable que, si elle se sentait harcelée, elle l’ait invité à déjeuner. De l’avis de la défenderesse, l’employée voulait changer de poste et avait répandu des rumeurs de harcèlement afin d’être déplacée, sans se soucier du tort qu’elle causait à son responsable ».
Le Tribunal ajoute que les témoignages de l’amie et de l’époux de la travailleuse ont corroboré les dires de cette dernière. « Toutefois, aucun témoin n’a directement assisté à une quelconque scène où le supérieur de la demanderesse lui aurait tenu des propos déplacés et aucun élément au dossier ne permet d’abonder dans ce sens ». Selon le Tribunal, il « apparaît bien plutôt que les deux protagonistes ne s’entendaient pas et ne se sont manifestement pas compris ».
La demanderesse n’a pas prouvé avoir été harcelée sexuellement par son supérieur hiérarchique. Elle est par conséquent déboutée de sa conclusion en paiement d’une indemnité pour harcèlement sexuel (art. 5 al. 3 LEg).
Le Tribunal rappelle qu’un congé est abusif lorsqu’il est donné « parce que l’autre partie fait valoir de bonne foi des prétentions résultant du contrat de travail » (art. 336 al. 1 let. d CO). Il n’est pas nécessaire que les prétentions soient réellement fondées, « il suffit que le travailleur soit légitimé, de bonne foi, à penser qu’elles l’étaient ».
Par ailleurs, le Tribunal se réfère à une jurisprudence (ATF 132 III 115), selon laquelle l’employeur agit de manière abusive lorsqu’il licencie « un collaborateur en raison d’une mésentente avec le chef de service, sans avoir cherché au préalable à désamorcer le conflit ».
Selon l’article 336a CO, « la partie qui résilie abusivement le contrat doit verser à l’autre une indemnité ». Le tribunal fixe l’indemnité « compte tenu de toutes les circonstances ».
En l’espèce, l’employeuse soutient que le licenciement n’a pas été motivé par les doléances de la travailleuse, mais par son incompétence et par le fait que, « pour accéder à un autre poste, elle n’a pas hésité à propager de fausses rumeurs sur un directeur de la banque ». Selon le Tribunal, « il ne ressort pas des faits de la cause que le travail de la demanderesse au sein de la banque n’emportait pas satisfaction ». En outre, concernant les prétendues rumeurs, le Tribunal relève « qu’il est selon le cours ordinaire des choses qu’une personne se sentant harcelée en réfère à son entourage et à ses collègues proches ». La banque n’a pas prouvé que la travailleuse « aurait inventé des histoires dans le dessin d’être déplacée. Selon toute vraisemblance, la demanderesse s’est au contraire contentée de faire part, de bonne foi, de son sentiment de malaise par rapport à son directeur. Que le grief de harcèlement sexuel n’ait pas abouti dans le cadre de la présente procédure, ne signifie pas encore que cette critique a été soulevée en violation du devoir de fidélité de l’employée, voire du principe de la bonne foi ».
Le tribunal a aussi tenu compte du fait que la banque, au lieu de prendre les mesures nécessaires pour apaiser le conflit entre le supérieur hiérarchique et la collaboratrice, s’était empressée de licencier cette dernière.
Partant, l’employeuse est condamnée au versement d’une indemnité pour licenciement abusif à hauteur de CHF 10’000.-.
Le Tribunal laisse les frais de procédure à charge de l’Etat (art. 114 let. a et c CPC, art. 19 al. 2 LaCC) et n’alloue aucuns dépens.