Harcèlement sexuel et mobbing non prouvés, malgré un degré de preuve réduit à la haute vraisemblance. Licenciement non signifié au titre de représailles.
art 4, art 5
10.04.2018 Échec de la tentative de conciliation, autorisation de procéder 22.05.2019 Jugement du Tribunal des prud’hommes (JTPH/188/2019) 22.04.2020 Arrêt de la Cour de justice du canton de Genève (CAPH/82/2020)
Une barmaid se plaint de harcèlement sur son lieu de travail. Une semaine plus tard, alors qu’elle se trouve en incapacité de travailler, elle reçoit son congé. En justice, elle demande une indemnité pour licenciement abusif (art. 336 al. 1 let. d CO) et la réparation du tort moral lié au harcèlement allégué (art. 49 et 328 CO). Le Tribunal des prud’hommes puis la Cour de justice constatent la nullité du licenciement signifié en temps inopportun (art. 336c al. 1 let. b CO). Dès lors, la prétention relative à une indemnité pour licenciement abusif est sans objet. En outre, faute d’indices, l’existence d’un harcèlement sexuel ou psychologique ne peut être admise. Les conditions d’octroi d’une indemnité pour tort moral ne sont donc pas réunies et la barmaid est déboutée de ses conclusions. À noter que la travailleuse paraît avoir fondé ses prétentions uniquement sur la base du Code des obligations et que la Cour de justice se prononce dans le cadre d’une procédure ordinaire (et non simplifiée comme prévu par l’art. 243 al. 2 let. a CPC pour les litiges relevant de la LEg).
Depuis le 1er février 2016, Mme T. travaille comme barmaid auxiliaire dans un pub à Genève.
Durant sa deuxième année de service, elle se trouve à trois reprises en incapacité de travail : du 8 février au 2 avril 2017, du 15 mai au 30 juillet 2017 et du 1er août au 30 septembre 2017.
Au printemps 2017, Mme T. se plaint (via un message inscrit au dos de son décompte d’heures et un courriel adressé au gérant du pub) d’actes harcelants « ayant pour unique but de la pousser à partir ».
Par courrier du 7 juin 2017, Mme T. transmet à son employeuse des certificats médicaux attestant de la double hernie discale dont elle souffre. Elle relève que ses conditions de travail ne favorisent pas sa guérison (fûts de bières à porter, comptabilisation erronée de ses heures de travail, mobbing à son encontre).
Mme T. se trouve en incapacité de travail lorsque son employeuse la licencie, le 13 juin 2017, avec effet au 31 juillet 2017. Les motifs invoqués ont trait à la gestion des équipes et à l’organisation. Mme T. est libérée de son obligation de prester jusqu’à la fin des rapports de travail.
Le 29 janvier 2018, Mme T. dépose une requête de conciliation. Suite à l’échec de la tentative de conciliation, le 10 avril 2018, Mme T. se voit délivrer une autorisation de procéder.
Par demande du 27 avril 2018, Mme T. assigne son employeuse en paiement d’une somme supérieure à CHF 30’000.-, comprenant des arriérés de salaire, une indemnité pour licenciement abusif (art. 336 CO) et une au titre de tort moral (à hauteur de CHF 15’000.-, art. 328 et 49 CO).
Mme T. estime que son licenciement lui a été signifié en représailles à son courrier du 7 juin 2017, par lequel elle se plaignait de ses conditions de travail. En outre, elle allègue avoir été harcelée par certains managers du pub (clins d’œil pendant le service, avances insistantes pendant et en-dehors des heures de travail, appels et messages privés durant les heures de congé, multiples invitations à se rendre dans la cave du pub afin d’y consommer de la cocaïne, etc.). Elle considère avoir été sanctionnée, notamment via une diminution drastique de ses heures de travail et la suppression de son accès au groupe Facebook destiné au personnel, suite à son refus de céder aux pressions psychologiques.
L’employeuse admet que le licenciement de Mme T. était nul (art. 336c CO), puisque notifié durant une période d’incapacité de travail. En revanche, elle conteste le harcèlement allégué.
Dans un jugement du 22 mai 2019, le Tribunal des prud’hommes juge que le licenciement notifié le 13 juin était nul puisqu’il était intervenu dans une période de protection relative à une incapacité de travail. Dès lors, la conclusion portant sur l’allocation d’une indemnité pour licenciement abusif est sans objet. Le fait que Mme T. se soit inscrite au chômage, en lieu et place d’offrir ses services à son employeuse une fois son incapacité de travail terminée le 30 septembre 2017, indique qu’elle avait de facto renoncé à occuper son emploi dès le 1er octobre 2017 (c. 4b). En outre, l’administration des preuves n’a pas permis de démontrer, même par un faisceau d’indices, la réalité du harcèlement sexuel ou psychologique. Par conséquent, bien que l’employeuse ait traité de façon « superficielle » et « laxiste » les plaintes qui lui avaient été adressées, les conditions d’octroi d’une indemnité pour tort moral ne sont pas réunies (c. 5b).
Le 24 juin 2019, Mme. T forme appel contre ce jugement.
La Chambre des prud’hommes de la Cour de justice commence par relever que « la valeur litigieuse étant supérieure à 30’000 fr. (art. 91 CPC), la cause est soumise à la procédure ordinaire (art. 219 et 243 al. 1 CPC a contrario) » (c. 1.2).
À l’instar du tribunal de première instance, la Cour de justice estime que l’indemnité pour licenciement abusif au sens de l’art. 336 al. 1 let. d CO est sans objet, dès lors que la résiliation, signifiée en temps inopportun au sens de l’art. 336c al. 1 let. b CO, est frappée de nullité. Selon la Cour, en effet, seul un licenciement effectif peut être qualifié d’abusif au sens du CO ou de la LEg (c. 2.1.4).
Au demeurant, même si la résiliation avait déployé ses effets, celle-ci ne saurait être considérée abusive, faute pour Mme T. d’avoir démontré que ses doléances (et non les manquements qui lui étaient reprochés) constituaient le motif déterminant du licenciement (c. 2.2.).
Alors que le Tribunal de première instance avait qualifié de « laxiste » la façon dont l’employeuse avait géré les accusations de harcèlement portées à sa connaissance (c. 5b du jugement du Tribunal), la Cour de justice estime que l’employeuse a procédé aux vérifications nécessaires. « En l’absence de tout indice susceptible d’étayer les propos de l’appelante, l’intimée n’a pas pris de mesures particulières, ce qui ne peut lui être reproché » (c. 2.2 de l’arrêt de la Cour).
Après avoir énoncé les définitions du mobbing (art. 328 CO) et du harcèlement sexuel (art. 4 LEg), la Cour de justice rappelle que « le harcèlement est généralement difficile à prouver, si bien qu’il faut savoir admettre son existence sur la base d’un faisceau d’indices convergents » (c. 3.1 qui se réfère à notamment à TF, 8C_41/2017).
Toutefois, en l’espèce, aucun « des témoins entendus, notamment les serveuses et barmaids ayant travaillé avec l’appelante, n’a corroboré les faits dénoncés par cette dernière, en particulier les prétendues avances consistant en des clins d’œil et en des invitations à sortir ou à consommer de la drogue, personne n’ayant remarqué ce genre de gestes ou entendu l’appelante se plaindre de tels comportements. Aucun élément ne permet de remettre en cause les déclarations des témoins, lesquelles sont cohérentes et concordantes. Bien que l’appelante conteste longuement certaines déclarations dans la partie EN FAIT de son mémoire d’appel, elle ne fait qu’exposer sa propre version des faits, sans étayer ses propos par un début de preuve » (c. 3.2).
Par ailleurs, les fiches de salaire de Mme T. ne font apparaître aucune diminution des heures de travail qui s’apparenterait à une sanction injustifiée (c. 3.2).
Le seul acte établi, à savoir l’éviction du groupe Facebook destiné à communiquer avec le personnel du pub, ne suffit pas en tant que tel à admettre l’existence d’un harcèlement (c. 3.2).
Le jugement de première instance est confirmé et Mme T. déboutée de ses conclusions.
« Au regard de la valeur litigieuse inférieure à 50’000 fr., il n’y a pas lieu de percevoir des frais judiciaires d’appel (art. 116 CPC, art. 19 al. 3 let. c LaCC). Par ailleurs, s’agissant d’une cause soumise à la juridiction prud’homale, il n’est pas alloué de dépens (art. 22 al. 2 LaCC) » (c. 5).