Relation de couple entre un directeur et sa subordonnée. Violences. Licenciement injustifié de la salariée.
art 4
18.03.2019 Échec de la tentative de conciliation, autorisation de procéder 21.12.2020 Jugement du Tribunal des prud’hommes (JPTH/423/2020)
Auprès d’une association d’aide aux victimes, une travailleuse se plaint d’avoir subi des violences psychologiques, économiques et sexuelles dans sa relation de couple avec le directeur de la société qui l’employait. Elle estime avoir été licenciée de façon injustifiée par ce dernier et agit en justice. Au vu de sa demande, le Tribunal des prud’hommes considère que la cause relève de la LEg et entame une procédure simplifiée, nonobstant une valeur litigieuse supérieure à CHF 30’000.-. En cours de procès, il s’avère que la travailleuse ne fait valoir aucune prétention en lien avec la LEg. Malgré cela, la procédure se poursuit sous une forme simplifiée. A son terme, la travailleuse obtient notamment une indemnité pour licenciement immédiat injustifié (art. 337c al. 3 CO) et une autre pour tort moral (art. 49 CO). En effet, si la salariée n’a pas été harcelée sexuellement dans le cadre professionnel, elle a néanmoins été atteinte dans sa personnalité (art. 328 CO). Les frais de procédure sont mis à charge de l’employeuse.
Active dans le domaine du bâtiment, la société E. engage T. pour occuper le poste de secrétaire, assistante administrative, à un taux de 80 % à partir du 1er septembre 2016.
L’engagement fait suite à la publication d’une annonce de recherche d’emploi par T. en juin 2016.
La travailleuse explique que pour « optimiser ses chances d’embauche, elle avait précisé être prête à joindre l’utile à l’agréable ». Le directeur de la société, A., avait répondu à cette annonce, « ce qui avait conduit à un entretien puis à la naissance d’une relation amoureuse et à son embauche au sein de [E.]. Il avait été immédiatement convenu qu’elle serait à disposition de A. pour entretenir des relations sexuelles quand il le souhaiterait, principalement en fin de journée dans les combles de l’entreprise, toujours sur l’initiative de celui-ci. Ce dernier avait progressivement exercé un contrôle et une emprise de plus en plus soutenue sur elle, notamment en la surveillant, lui montrant l’arme à feu qu’il emportait au travail, la harcelant par messages et appels, tantôt en amoureux transi, tantôt injurieux et dénigrant ».
Tous deux mariés, T. et A. admettent avoir noué une relation intime avant que le second ne devienne le supérieur hiérarchique de la première. Leur relation de couple, marquée notamment par une rupture et des réconciliations, a influé sur leurs rapports professionnels.
Du 29 au 31 juillet 2018, T. est hospitalisée. Par courriel du 30 juillet 2018, elle informe son chef de son incapacité de travailler.
Le même jour, A. transmet à T. un courrier de licenciement avec effet immédiat daté du 27 juillet 2018. La société employeuse y indique, en substance, avoir constaté que T. « n’exécutait pas ou plus ses tâches depuis plusieurs mois, situation ayant entraîné une rupture du lien de confiance, comme cela lui avait été clairement expliqué lors de leur conversation du 23 juillet 2018 ».
Par courrier du 2 août 2018, T. conteste les reproches qui lui sont faits et demande le respect de son délai de congé de deux mois, indiquant se tenir à disposition de l’entreprise jusqu’au terme de son contrat.
Une audience de conciliation s’est tenue sans succès le 18 mars 2019.
Le 3 juillet 2019, la travailleuse assigne la société E. en paiement de CHF 101’950.62.- avec intérêts. La somme demandée comprend le salaire (art. 337c al. 1 CO, CHF 13’000.-) et l’indemnité (art. 337a al. 3 CO, CHF 39’000.-, six mois de salaire) dus en cas de licenciement immédiat injustifié. Le montant couvre aussi l’indemnisation pour les jours de vacances non pris, le treizième salaire au pro rata temporis, et la réparation du tort moral (art. 49 CO, CHF 39’000.-).
De son côté, la société employeuse souhaite que la travailleuse soit déboutée de l’ensemble de ses conclusions. Sur demande reconventionnelle, E. conclut à ce que la salariée soit condamnée au paiement de CHF 25’000.- au titre de remboursement du prêt consenti pour l’achat d’une voiture ainsi que CHF 18’300.- en réparation du dommage (art. 321e CO) résultant pour la société des erreurs commises par son ancienne employée.
A titre préliminaire, le Tribunal des prud’hommes juge recevable la demande de la travailleuse (c. 1) et examine la procédure applicable. La valeur litigieuse s’élevant à plus de CHF 30’000.-, la cause devrait être soumise à la procédure ordinaire (art. 243 al. 1 CPC). L’art. 243 al. 2 let. a CPC prévoit cependant une exception pour les litiges relevant de la LEg, qui sont soumis à la procédure simplifiée indépendamment de la valeur litigieuse (c. 2).
« En l’espèce, au vu de la requête de conciliation et de la demande, le Tribunal de céans a considéré que la cause relevait, au moins partiellement, de la LEg de sorte qu’elle a été soumise à la procédure simplifiée, bien que la valeur litigieuse se monte à CHF 101’950.62. Au cours de la procédure, il s’est avéré que la demanderesse ne faisait pas valoir de prétentions en lien avec la LEg. Toutefois, dans la mesure où la procédure avait débuté sous la forme simplifiée, il se justifiait de la poursuivre ainsi ». L’application de la procédure simplifiée paraît fondée (c. 2).
Le Tribunal s’interroge ensuite sur la recevabilité de la demande reconventionnelle formulée par l’employeuse, à savoir une demande soumise à la procédure ordinaire (en l’espèce CHF 25’000.- + CHF 18’300.- = montant supérieur à CHF 30’000.-) mais formée dans le cadre d’un litige (relevant de la LEg) soumis à la procédure simplifiée. La question peut toutefois rester ouverte puisque le Tribunal n’est matériellement pas compétent pour statuer sur les prétentions (CHF 25’000.-) relatives au remboursement du prêt allégué par la société en lien avec l’achat de la voiture de son ancienne employée. Seule la conclusion en paiement de la somme de CHF 18’300.- (art. 321e CO) est recevable. Compte tenu de son montant, cette prétention se trouve soumise à la procédure simplifiée (c. 3).
Sur le fond, la travailleuse allègue le caractère injustifié du licenciement avec effet immédiat (art. 337 CO) notifié le 30 juillet 2018, alors qu’elle se trouvait hospitalisée. Le Tribunal rappelle que le licenciement immédiat est une mesure exceptionnelle et qu’un manquement de gravité moyenne ne saurait justifier le recours à ce moyen que s’il a été répété malgré un ou plusieurs avertissements (c. 4a).
En l’espèce, les manquements reprochés à la salariée n’ont pas été établis. Il ressort au contraire des enquêtes que la secrétaire travaillait bien et que son comportement n’avait donné lieu à aucune plainte. La société employeuse n’a pas démontré avoir signifié un avertissement à la travailleuse avant son licenciement. La résiliation avec effet immédiat s’avère injustifiée (c. 4b).
Par conséquent, l’employée obtient les deux mois de salaire auxquels elle aurait eu droit si le contrat avait pris fin de façon ordinaire (art. 337c al. 1 CO) (c. 5). En outre, eu égard à l’ensemble des circonstances du cas d’espèce (notamment le contexte relationnel privé, la notification du congé durant une période d’incapacité de travailler et les quatre enfants à charge de la salariée), l’employeuse est condamnée à verser l’équivalent d’un mois de salaire (CHF 6’500.-) au titre d’indemnité pour licenciement immédiat injustifié (art. 337c al. 3 CO), en lieu et place des six mois (CHF 39’000.-) demandés (c. 8).
Suivie par une association d’aide aux victimes, la travailleuse relate des violences psychologiques, économiques et sexuelles dans sa relation de couple avec le directeur de la société. En justice, la salariée n’allègue toutefois pas avoir subi un harcèlement sexuel au sens de l’art. 4 LEg.
Les juges s’interrogent néanmoins sur l’existence d’un harcèlement sexuel puis écartent cette hypothèse. En effet, T. et A. formaient déjà un couple au moment où le second est devenu le chef de la première. Les actes de harcèlement se sont essentiellement déroulés hors de l’entreprise ou du contexte professionnel.
Cela étant, le directeur A., organe de la société E., s’est immiscé de manière inadmissible dans la vie privée de T. et a tenu des propos insultants à son égard. La société n’a rien entrepris pour protéger la personnalité de son employée contrairement à son devoir (art. 328 CO). L’atteinte à la personnalité de la travailleuse justifie de condamner l’employeuse au versement d’une indemnité pour tort moral (art. 49 CO) à hauteur de CHF 3’000.- (au lieu des CHF 39’000.- demandés) (c. 9).
Enfin, les manquements de la salariée n’ayant pas été démontrés, la société est déboutée de sa conclusion reconventionnelle en dommages-intérêts fondée sur l’art. 321e CO (c. 10).
En définitive, la travailleuse obtient gain de cause quant au principe des violations alléguées. Le Tribunal l’a non seulement suivie quant au caractère injustifié du licenciement immédiat, mais encore quant à l’existence d’un tort moral, chacun de ces faits droit à une indemnité. Partant, il se justifie de mettre les frais de la procédure entièrement à charge de l’employeuse (c. 11).
L’appel formé contre ce jugement a été retiré suite à la faillite de la société employeuse.