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GE 21.02.2021
harcèlement sexuel

sujet

Abus d’un lien de dépendance, chantage sexuel, indemnité maximale pour harcèlement sexuel

LEg

art 4, art 5

procédure

08.10.2018 Échec de la tentative de conciliation, autorisation de procéder 09.01.2020 Jugement du Tribunal des prud’hommes (JTPH/8/2020) 22.02.2021 Arrêt de la Chambre des prud’hommes de la Cour de justice (CAPH/37/2021)

résumé

Une nettoyeuse est licenciée avec effet immédiat après avoir refusé à plusieurs reprises de prodiguer des massages érotiques à son patron. Sur le plan pénal, ce dernier est déclaré coupable de tentative d’abus de détresse (art. 193 al. 1 CP). Les tribunaux civils condamnent la société employeuse au versement d’une indemnité pour licenciement immédiat injustifié (art. 337c al. 3 CO), équivalent à trois mois de salaire, ainsi que d’une indemnité pour harcèlement sexuel (art. 5 al. 3 LEg) correspondant à six mois du salaire médian suisse.

en fait

En 2017, T. est engagée par une société active dans le nettoyage de bureaux et de locaux privés, comme « personnel d’entretien sans qualification ». La travailleuse effectue des heures de ménage au domicile d’un des gérants de la société, E., chez qui elle loge au cours des premiers mois de son engagement.

Au printemps 2018, le gérant et l’employée échangent de nombreux messages, à l’occasion desquels E. demande à T. de lui prodiguer des massages « complets » alors qu’il serait nu. Il sollicite de la tendresse et, à une reprise, réclame une caresse sur le sexe. La travailleuse refuse systématiquement et prie E. de cesser de lui adresser de telles propositions, précisant ne pas vouloir entretenir de relations sexuelles et être seulement son amie.

Par message du 23 avril 2018, E. réclame néanmoins un massage « complet nu sur le lit ». Suite au nouveau refus de T., E. lui indique qu’il va suspendre son activité de ménage chez lui. La travailleuse attire l’attention de son patron sur le fait que, s’il lui retire ses heures de travail, elle n’aura plus de salaire. E. insiste, ajoutant qu’elle pourrait mettre « le gant qui griffe ou [le] fesser ».

Du 25 avril au 2 juillet 2018, T. se trouve partiellement ou totalement en incapacité de travailler. Durant cette période, le 2 mai 2018, la société employeuse indique à T. que son contrat de travail est résilié avec effet immédiat. Le lendemain, le fils du gérant, également habilité à agir pour le compte de la société, menace T. de la dénoncer pour violation du secret professionnel si elle parle de ce qui s’est passé entre elle et E.

Le 22 mai 2018, T. dépose une plainte pénale à l’encontre de E., auquel elle reproche d’avoir abusé de sa position d’employeur et de logeur. Par ordonnance pénale du 9 octobre 2018, E. est déclaré coupable de tentative d’abus de détresse (art. 193 al. 1 CP) à l’encontre de T.

Sur le plan civil, après l’échec d’une tentative de conciliation le 8 octobre 2018, T. porte son cas devant le Tribunal des prud’hommes.

Le 9 janvier 2020, le Tribunal condamne la société employeuse à verser à T., notamment, une indemnité pour licenciement immédiat injustifié (art. 337c al. 3 CO), correspondant à trois mois de salaire, ainsi qu’une indemnité pour harcèlement sexuel d’un montant équivalent à six mois du salaire médian suisse (art. 5 al. 3 et 4 LEg). La société appelle de ce jugement et conclut principalement à que T. soit déboutée de ses conclusions relatives à ces indemnités.

en droit

L’arrêt rendu le 22 février 2021 par la Chambre des prud’hommes rappelle tout d’abord que « la procédure simplifiée s’applique aux affaires patrimoniales dont la valeur litigieuse ne dépasse pas 30’000 fr. (art. 243 al. 1 CPC) et, indépendamment de la valeur litigieuse, aux litiges relevant de la LEg (art. 243 al. 2 let. a CPC) ». En l’espèce, « abstraction faite des conclusions de l’appelante relevant de la LEg, la valeur litigieuse de ses autres prétentions est inférieure à 30’000 fr., de sorte que la procédure simplifiée est applicable à l’ensemble du litige » (c. 1.2).

Au sujet du licenciement avec effet immédiat (art. 337 CO), l’arrêt retient que la travailleuse a en réalité été congédiée pour avoir refusé une énième fois la demande de son gérant visant à obtenir un massage à caractère érotique. Dans ces circonstances, la faute de la société employeuse doit être considérée comme particulièrement grave, de sorte que le versement d’une indemnité (art. 337c al. 3 CO) est justifié, nonobstant que le faible taux d’activité (environ 25 %) de l’employée. En fixant l’indemnité pour licenciement immédiat injustifié à trois mois de salaire, le Tribunal des prud’hommes a fait correctement usage de son pouvoir d’appréciation. Le jugement de première instance est dès lors confirmé sur point (c. 4.2)

S’agissant du harcèlement sexuel, l’arrêt se réfère à la doctrine expliquant que la définition donnée par l’art. 4 LEg n’exige pas que ce comportement « se produise effectivement sur le lieu de travail, mais simplement qu’il puisse avoir un effet sur les relations de travail » (c. 5.1.1).

En l’espèce, la société employeuse ne conteste pas que le comportement de son gérant soit constitutif de harcèlement sexuel - ce qui ne fait effectivement aucun doute - mais allègue que les actes ne sont pas intervenus dans le cadre des relations de travail. Selon la Chambre des prud’hommes, toutefois, le fait que les protagonistes aient entretenu une relation empreinte d’une certaine amitié ne change rien au fait qu’ils étaient unis par un lien hiérarchique. La travailleuse a été engagée par la société pour effectuer des heures de ménage notamment au domicile de son gérant. Abusant de sa position, ce dernier a exercé des pressions sur la salariée afin d’obtenir des faveurs à caractère sexuel. Pareille situation était de nature à rendre le climat de travail difficile pour la nettoyeuse, comme en atteste son incapacité de travail. En outre, le gérant a suspendu l’activité professionnelle de la travailleuse à son domicile suite à son refus de lui prodiguer un massage à caractère sexuel. Dans ces circonstances, le harcèlement sexuel s’est produit dans le cadre professionnel et non amical (c. 5.2.1).

L’auteur du harcèlement étant le gérant de la société employeuse, celle-ci ne dispose pas de la preuve libératoire instituée par l’art. 5 al. 3 LEg. Le versement d’une indemnité au sens de cet article est par conséquent fondé (c. 5.2.1).

Concernant les éléments à prendre en considération pour fixer le montant de l’indemnité (art. 5 al. 3 LEg), l’arrêt de la Chambre des prud’hommes relève notamment que la travailleuse se trouvait dans une situation sociale difficile et de dépendance économique vis-à-vis du gérant, condamné pénalement pour avoir abusé de sa position afin de tenter d’obtenir des faveurs d’ordre sexuel. Les pressions subies par la salariée ont eu des conséquences sur sa santé physique et psychique. A cela s’ajoute que la société employeuse a menacé la travailleuse de la dénoncer si elle parlait de ce qui s’était passé. Le fait que le gérant ne soit pas comparu aux audiences de première instance, ni n’ait présenté des excuses à cette dernière, doit aussi être pris en compte (c. 5.2.2).

Au regard de l’ensemble des circonstances, la Chambre arrive à la conclusion que le Tribunal n’a pas abusé de son pouvoir d’appréciation en condamnant la société employeuse à verser à son ancienne salariée une indemnité pour harcèlement sexuel correspondant à six mois du salaire médian suisse (étant précisé que l’indemnité maximale prévue par l’art. 5 al. 3 LEg est de six mois du salaire moyen suisse). Le jugement de première instance est par conséquent également confirmé sur ce point (c. 5.2.2).

La valeur litigieuse étant inférieure à 50’000 fr., la procédure d’appel est gratuite (art. 19 al. 3 let.c LaCC) et il n’est pas alloué de dépens (art. 22 al. 2 LaCC) (c. 6).

Résumé par Mme Karine Lempen, Professeure à la Faculté de droit de l’Université de Genève
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