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GE 17.11.2017
congé maternité
licenciement discriminatoire

sujet

Licenciement en temps inopportun (art. 336c CO) et discriminatoire (art. 3 LEg) d’une employée enceinte.

LEg

art 3, art 5, art 6

procédure

22.06.2016Autorisation de procéder suite à l’échec de la conciliation 17.11.2017Jugement du Tribunal des prud’hommes (JTPH/436/2017)

résumé

Une vendeuse est congédiée durant sa grossesse. Elle invoque la nullité du licenciement et offre ses services. La société employeuse estime pour sa part que la travailleuse se trouvait en période d’essai et que la résiliation déploie donc ses effets. Le Tribunal des prud’hommes juge le licenciement à la fois nul (art. 336c al. 2 CO) et discriminatoire (art. 3 LEg). En demeure d’accepter l’offre de services, l’employeuse doit rétribuer la salariée et lui verser en outre une indemnité pour licenciement discriminatoire d’un montant équivalent environ à un mois de salaire.

en fait

Le 6 juillet 2015, Madame T. est engagée par Monsieur G. pour la société E., dont un des buts est la vente d’appareils électroménagers. Le contrat de travail est conclu verbalement. Le temps d’essai légal d’une durée d’un mois (art. 335b al. 1 CO) prend fin le 6 août 2015.

Le 23 septembre 2015, T. se rend compte qu’elle est enceinte.

Le 1er octobre 2015, T. et E. signent un contrat de travail prévoyant un temps d’essai d’une durée de trois mois, durant lequel une résiliation est possible moyennant un bref préavis de trois jours ouvrables.

Au matin du 27 octobre 2015, T. annonce sa grossesse à l’ancienne directrice administrative de la société E., qui est au demeurant la fille de G.. Le soir même, G. signifie à T. son licenciement pour le 2 novembre 2015 et lui verse son salaire jusqu’à cette date.

Par courrier du 8 décembre 2015, T. s’oppose à son licenciement qu’elle considère nul (au sens de l’art. 336c al. 2 CO). En effet, la résiliation avait été notifiée pendant la grossesse, alors que la période probatoire avait pris fin. La vendeuse précise se tenir à disposition du magasin pour reprendre le travail.

La société E. refuse cette offre de services. Selon elle, la résiliation a été notifiée durant le temps d’essai et déploie donc ses effets. Le licenciement a été signifié en raison des aptitudes insuffisantes de Mme T.

La fille de T. naît le 6 avril 2016.

Une tentative de conciliation échoue en juin 2016. En septembre 2016, T. intente action au Tribunal des prud’hommes. Mme T. alléguant un licenciement fondé sur la grossesse, le Tribunal informe les parties que la procédure est soumise à la LEg et par conséquent simplifiée.

en droit

Tout d’abord, Mme T. conclut à ce que la nullité du licenciement soit constatée. Cette action est jugée irrecevable puisque subsidiaire à l’action condamnatoire intentée de surcroît par Mme T. (c. 2).

A1. Versement du salaire

Mme T. réclame le versement de son salaire à compter du 3 novembre 2015 jusqu’au mois de décembre 2016. A cet égard, le Tribunal constate que le contrat a été conclu le 6 juillet (et non le 1er octobre) 2015. Le jour de la notification de la résiliation (27 octobre 2015) se situe donc après la durée maximale de trois mois prévue à l’art. 335b al. 2 CO. Mme T. n’était donc plus en période d’essai au moment de son licenciement et l’art. 336c CO trouve application. Mme T. ayant été enceinte depuis le mois de juillet 2015, son licenciement est nul (c. 3g).

La société E. s’est trouvée en demeure d’accepter les services offerts par Mme T. Partant, elle est tenue de verser le salaire de celle-ci pour la période du 3 novembre 2015 au 5 avril 2016, veille de l’accouchement, ce qui représente une somme de CHF 20’848.- (c. 3g).

« S’agissant de la période s’étendant du jour de l’accouchement de la demanderesse à la fin du congé maternité, soit du 6 avril au 27 juillet 2016, correspondant aux seize semaines, soit cent douze jours du congé maternité, le Tribunal considère que n’ayant pas respecté ses obligations légales de déclarer le salaire de son ancienne employée auprès de l’AVS et de la Caisse de compensation compétente en matière d’allocations maternité, la défenderesse a empêché la demanderesse de pouvoir prétendre aux allocations maternité pendant la durée du congé maternité et d’exercer son droit au versement de telles prestations sociales. Dès lors, il incombe à la société de supporter le dommage en résultant causé à la travailleuse et de payer à celle-ci le montant correspondant à 80% de son salaire brut garanti pendant son congé maternité », soit CHF 12’078.- (c. 3g).

En ce qui concerne la période postérieure à l’expiration du congé maternité, le Tribunal retient que les rapports de travail ont été résiliés par actes concluants après la fin de la période de protection de seize semaines suivant l’accouchement (art. 336c al. 1 let. c CO), soit le 28 juillet 2016 avec un délai de congé de deux mois. Le contrat a donc pris fin le 30 septembre 2016. Ainsi, pour la période du 28 juillet au 30 septembre 2016, Mme. T a droit en outre à CHF 8’739.- (c. 3g).

Au total, la société est condamnée à verser à Mme T. un salaire à hauteur de CHF 41’665.- (c. 3g).

La salariée est en revanche déboutée de ses conclusions relatives au versement additionnel d’une commission (c. 4).

B. Indemnité pour licenciement discriminatoire

Le Tribunal rappelle qu’il est interdit de discriminer à raison du sexe ou de la grossesse notamment lors de la résiliation des rapports de travail (art. 3 LEg). En cas de licenciement discriminatoire, la partie employeuse peut être condamnée au versement d’une indemnité, fixée sur la base de toutes les circonstances (art. 5 al. 2 LEg) et plafonnée à six mois de salaire (art. 5 al. 4 LEg). L’existence d’une discrimination est présumée pour autant que la personne qui s’en prévaut la rende vraisemblable (art. 6 LEg) (c. 5a).

En l’espèce, la « proximité temporelle » entre l’annonce de la grossesse à D. (fille de G.) et la résiliation (le jour même) rend vraisemblable un licenciement discriminatoire. Un autre indice « réside dans le fait que, de la bouche même de D., cette dernière avait averti G. qu’en engageant des jeunes femmes il prenait le risque que certaines d’entre elles tombent enceintes ».

De son côté, la société E. « n’a pas apporté la preuve qu’elle avait un motif réel et sérieux de mettre fin aux rapports de travail qui la liaient à son ancienne employée ».

Par conséquent, eu égard à la durée relativement brève des rapports de travail, le Tribunal alloue à Mme T. une indemnité à hauteur de CHF 4’100.-, correspondant à environ un mois de salaire (c. 5b).

En définitive, la société E. est condamnée à verser à Mme T. un salaire à hauteur d’environ 41’000.- ainsi qu’une indemnité pour licenciement discriminatoire d’un montant de 4’100.-. , plus intérêts. En outre, elle doit délivrer à Mme T. un certificat de travail complet.

La procédure étant gratuite, il n’est pas perçu de frais judiciaire (art. 114 let. a CPC), ni alloué de dépens (art. 116 al. 1 CPC et art. 22 al. 2 LaCC).

Résumé par Mme Karine Lempen, Professeure à la Faculté de droit de l’Université de Genève
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