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GE 16.6.2016
harcèlement sexuel
licenciement abusif

sujet

Licenciement abusif, fondé sur l’orientation sexuelle. Harcèlement sexuel homophobe non prouvé.

LEg

art 4

procédure

7.05.2015Audience de conciliation (autorisation de procéder) 16.06.2016Jugement du Tribunal des prud’hommes (JTPH/233/2016)

résumé

Le Conseil de fondation d’un foyer apprend que le directeur de l’établissement a eu des relations homosexuelles avec un ancien employé. Le Président et le Vice-Président du Conseil signent avec le directeur une convention intitulée « fin consensuelle des rapports de travail ». Le directeur conteste la validité de cet accord. Il demande au Tribunal des prud’hommes de constater la continuation des rapports de travail. Subsidiairement, il réclame une indemnité pour licenciement abusif. Par ailleurs, il fait valoir son droit à une indemnité pour harcèlement sexuel.

Le Tribunal considère que le directeur a été licencié pour des motifs homophobes. Il condamne la fondation au versement d’une indemnité pour licenciement abusif. En revanche, l’existence de propos ou attitudes homophobes, préalables au licenciement, n’ont pas été prouvées. Le Tribunal déboute le directeur de ses conclusions relatives à un harcèlement sexuel.

en fait

Âgé de 59 ans, T. dirige depuis vingt ans un foyer exploité, selon le registre du commerce, « dans un esprit œcuménique avec le caractère d’une œuvre d’utilité publique ».

Le 3 octobre 2014, D., directeur adjoint du foyer, réceptionne un courrier envoyé par un ex-employé, C., licencié l’été précédent. L’envoi contient une clé USB sur laquelle se trouvent des images révélant des relations homosexuelles entre le directeur T. et son ancien subordonné, C. Ce dernier menace de divulguer l’information lors d’une cérémonie officielle prévue le 9 octobre 2014.

Le 7 octobre 2014, D. remet une copie de la lettre et de la clé USB au Président et au Vice-président du Conseil de fondation du foyer. Le lendemain (soit la veille de la cérémonie officielle), ceux-ci soumettent pour signature à T. un document intitulé « Convention d’accord (fin consensuelle des rapports de travail) ». T. s’exécute. La fin des rapports de travail est prévue pour le 31 octobre 2014.

Le 9 juillet 2015, T. saisit le Tribunal des prud’hommes. Outre diverses prétentions salariales, T. fait valoir son droit à des indemnités pour tort moral et pour harcèlement sexuel. T. conclut, notamment, à ce que le Tribunal constate la nullité de la « Convention d’accord » et la continuation des rapports de travail. Subsidiairement, il requiert le paiement d’une indemnité pour licenciement abusif. Le présent résumé n’aborde que les aspects du jugement en lien avec la LEg.

en droit

Le Tribunal rappelle tout d’abord que la procédure simplifiée (art. 243 ss CPC) s’applique aux litiges relevant de la LEg, indépendamment de la valeur litigieuse. Dans le cas d’espèce, toutefois, « le demandeur a émis une seule prétention LEg, réclamant une indemnité pour harcèlement sexuel de fr. 36’708.- Outre que cette prétention ne représente qu’un cinquième de la valeur litigieuse totale de fr. 187’147.30, elle n’a pas été émise de façon pertinente […] C’est ainsi la procédure ordinaire qui s’applique dans le cadre de la présente cause » (cons. 2b).

Les juges constatent la nullité de la convention signée par les parties. En effet, il n’y avait pas volonté concordante de mettre fin aux rapports de travail. De plus, le document prévoyait un régime défavorable au salarié, sans concessions réciproques (cons. 5).

Le « Tribunal a acquis la conviction que la défenderesse a licencié le demandeur par crainte que ne soit révélées […] les pratiques homosexuelles du demandeur, soit sa “véritable nature” selon les termes mêmes de l’employeur. Dans son courrier de licenciement, l’employeur n’hésite pas à qualifier ces pratiques de “choquantes”, de “comportement incompatible avec une institution religieuse” […] ». Ainsi, « c’est bien l’aversion pour l’orientation sexuelle de leur directeur et la crainte qu’elle ne soit connue publiquement lors de l’inauguration, soit leur homophobie, qui a poussé » le Président et le Vice-président du Conseil de fondation à licencier le directeur. « Abusif quant à ses motifs, le licenciement du demandeur l’est également quant à la manière ». Eu égard, notamment, à la longue durée des rapports de travail, à l’âge avancé de l’employé, aux atteintes à la personnalité commises par l’employeur et aux souffrances qui ont en découlé, le Tribunal condamne la Fondation au paiement de CHF 80’000.-, à titre d’indemnité pour licenciement abusif (cons. 12).

En revanche, selon le Tribunal, le directeur n’a « pas établi avoir subi des atteintes à sa personnalité justifiant l’octroi d’une indemnité pour tort moral supplémentaire » (cons. 13).

Le Tribunal s’interroge sur l’existence d’un harcèlement sexuel, qui peut prendre la forme de remarques homophobes. Citant la doctrine, il explique que « le harcèlement au travail entre personnes du même sexe tombe dans le champ d’application de l’article 4 LEg. Deux types de situations peuvent être envisagés. D’une part, celle où une personne homosexuelle harcèle une personne de même sexe homosexuelle ou non, dans le but d’obtenir des faveurs sexuelles. D’autre part, celle où une personne, hétérosexuelle ou non, harcèle une personne de même sexe, homosexuelle ou non, qui s’écarte du rôle attribué à son sexe » (cons. 14).

Le Tribunal rappelle ensuite que l’allègement du fardeau de la preuve prévu par l’article 6 LEg ne s’applique pas au harcèlement sexuel. Se référant à la jurisprudence fédérale, le Tribunal précise toutefois que « vu la difficulté de prouver ce type d’atteinte à la personnalité, il est possible de l’admettre sur la base d’un faisceau d’indices convergents » (cons. 14).

En l’occurrence, « alors que le fardeau lui en incombait, le demandeur n’a pas prouvé, par indice suffisant, qu’il aurait été victime de harcèlement sexuel du fait de son orientation sexuelle ». En effet, « dès que l’employeur a eu connaissance de l’orientation sexuelle de son directeur, il a immédiatement licencié ce dernier, résiliation abusive sanctionnée par le Tribunal. L’instruction du dossier n’a pas permis de retenir que l’employeur aurait préalablement au licenciement, émis des propos ou eu des attitudes homophobes à l’encontre du demandeur, ou l’aurait harcelé sexuellement d’une quelconque autre manière ».

Le directeur est dès lors débouté de ses prétentions relatives au harcèlement sexuel.

Résumé par Mme Karine Lempen, Professeure à la Faculté de droit de l’Université de Genève
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