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GE 16.04.2020
congé maternité
discrimination salariale

sujet

Prise en compte des absences au niveau salarial. Distinction selon que les absences sont dues à une maladie ou à une grossesse.

LEg

art 3, art 5, art 6

procédure

11.02.2019 Décision des Transports publics genevois 16.04.2020 Arrêt de la Chambre administrative de la Cour de justice (ATA/354/2020)

résumé

Une conductrice auprès des Transports publics genevois (TPG) se trouve en incapacité de travail à diverses reprises. Alors que certaines absences sont dues à une maladie ou un accident, d’autres sont liées à la grossesse et à une période d’allaitement. Un peu plus de cinq ans après son engagement, l’employée se prévaut d’une directive selon laquelle les conducteurs « peuvent accéder à la classe 10 après cinq ans d’activité, pour autant qu’ils remplissent intégralement la description du poste ». En raison des nombreuses absences de la salariée et de ses écarts de comportement ayant donné lieu à un avertissement, les TPG estiment que les conditions posées par la directive ne sont pas réalisées et refusent la demande d’augmentation salariale. Alléguant une discrimination fondée sur la maternité, la salariée recourt contre cette décision. La Cour de justice relève que les TPG « ne sauraient exclure le droit au passage en classe 10 à une employée uniquement en raison des absences liées à ses grossesses ». Tel n’était pas le cas en l’espèce puisque, abstraction faite des absences dues à la grossesse et à l’allaitement, la conductrice n’avait effectivement travaillé dans l’entreprise que durant trois ans environ, soit une période largement inférieure à celle requise pour une évaluation susceptible d’entraîner un changement de classe salariale. Le recours de la salariée est rejeté.

en fait

En décembre 2014, Mme T. est engagée en qualité d’accompagnante à domicile au taux de 100 % par une association humanitaire E., dans le cadre d’un programme destiné à des chômeurs et chômeuses en fin de droits. Son salaire mensuel pour un plein temps s’élève à CHF 3’725.- brut, versés douze fois par an.

Mme T. travaille dans le service de garde d’enfant d’urgence. Les directives de ce service obligent le personnel à être disponible et atteignable aux heures d’ouverture du secrétariat et à le prévenir immédiatement en cas d’absence, notamment pour maladie.

Les premières évaluations du travail de Mme T. sont bonnes. Toutefois, dès le mois de décembre 2015 surviennent divers incidents au cours desquelles Mme T. arrive en retard sans prévenir, s’avère difficile à joindre ou répond qu’elle est indisponible.

Suite aux reproches formulés par des parents d’enfants dont la garde lui avait été confiée, une rencontre a lieu le 3 juin 2016 avec la responsable du service où travaille Mme T. ainsi que l’adjoint de direction de l’association E. Mme T. s’engage à retrouver son professionnalisme, y compris sur le plan administratif.

Le 8 août 2016, Mme T. arrive en retard au domicile de la famille dont elle devait garder les enfants. Quelques jours plus tard, sa responsable de service lui écrit pour lui indiquer qu’elle ne parvient pas à la joindre par téléphone.

Mme T. devient enceinte en septembre 2016. En raison de complications liées à sa grossesse, elle se trouve en incapacité de travailler dès le 3 octobre 2016.

Suite à l’accouchement, le 23 mai 2017, Mme T. est à nouveau en incapacité de travail jusqu’au 15 octobre 2017.

La reprise du travail est prévue le 16 octobre 2017.

Par courriel du 20 octobre 2017, la supérieure hiérarchique de Mme T. lui indique avoir essayé de la joindre sans succès le matin même et souhaiter la rencontrer le 26 octobre 2017. Ce jour-là, Mme T. se voit signifier son licenciement avec effet au 31 janvier 2018.

Le lendemain, Mme T. conteste par écrit son licenciement et demande sa réintégration. En décembre 2017, elle réitère sa demande par l’intermédiaire du syndicat X., relevant que le motif invoqué pour résilier le contrat, soit la perte du lien de confiance, était inexistant.

En janvier 2018, E. confirme sa décision de mettre fin aux rapports de travail.

T. s’étant trouvée en incapacité de travail du jour de son licenciement jusqu’au 19 février 2018, E. indique que les rapports de travail prendront fin le 31 mai 2018.

Quelques jours avant cette échéance, le 14 mai 2018, Mme T. dépose une requête de conciliation. À l’issue de l’audience de conciliation, le 10 juillet 2018, une autorisation de procéder est délivrée à Mme T.

La travailleuse ne demande plus sa réintégration mais assigne son employeuse au paiement de CHF 28’850.- avec intérêts, au titre d’indemnité pour licenciement abusif (CHF 22’350.-) et pour tort moral (CHF 6’500.-).

Devant le Tribunal des prud’hommes, Mme T. soutient que son licenciement a été signifié uniquement à cause de sa grossesse. L’employeuse allègue au contraire avoir licencié Mme T. en raison d’une perte de confiance progressive. L’employée n’était pas joignable pendant les heures de bureau et ne respectait pas les règles internes de communication, notamment en cas d’absences.

Le 31 juillet 2019, le Tribunal des prud’hommes déboute Mme T. de l’ensemble de ses conclusions. En effet, le licenciement étant survenu quelques jours après la fin du congé maternité, « la temporalité des événements suffisait en soi à rendre vraisemblable que le congé notifié était discriminatoire à raison du sexe ». Toutefois, l’employeuse avait prouvé que la résiliation reposait sur des motifs objectifs, sans lien avec la grossesse. En conséquence, le licenciement ne peut être qualifié de discriminatoire.

Le 16 septembre 2019, Mme T. forme appel contre ce jugement.

en droit

Dans son arrêt du 16 avril 2020, la Chambre administrative de la Cour de justice examine tout d’abord la question de savoir si T. a qualité pour recourir et y répond par l’affirmative. En effet, malgré sa démission, T. conserve un intérêt à agir dès lors qu’elle a conclu au versement d’arriérés de salaire (c. 2b).

L’arrêt s’interroge ensuite sur l’existence d’une discrimination directe ou indirecte à raison du sexe au sens de l’art. 3 LEg. Après avoir défini ces notions, la Cour cite l’avis doctrinal selon lequel « adopte un comportement prohibé l’employeur qui accorde des augmentations de salaire ou des gratifications sur la base des jours d’absence ou de présence en prenant aussi en considération des absences liées à la grossesse et au congé maternité » (c. 5b).

Référence est aussi faite à la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes (CEDEF), dont l’art. 11 para 2 let. b prévoit qu’afin de prévenir la discrimination fondée sur la maternité et de garantir le droit effectif des femmes au travail, les États s’engagent à instituer des congés de maternité payés « avec la garantie du maintien de l’emploi antérieur, des droits d’ancienneté et des avantages sociaux » (c. 5b).

La Cour relève qu’un arrêt 8C_605/2016 du Tribunal fédéral a laissé ouverte la question de savoir si « la prise en compte des absences liées à la maternité dans la période d’évaluation, en l’occurrence une période de six mois, constituait une discrimination indirecte liée à la qualité de femme enceinte de la salariée » (c. 5c).

La preuve d’une discrimination salariale incombe à la personne qui s’en prévaut mais le fardeau de la preuve est allégé au sens l’art. 6 LEg (c. 5d).

Suite à ce rappel du droit impératif, la Cour se penche sur la directive des TPG selon laquelle les conductrices et conducteurs « peuvent accéder à la classe 10 après cinq ans d’activité, pour autant qu’ils remplissent intégralement la description du poste » (c. 7).

Selon la Cour, « il se justifie que les employés soient évalués sur la base des années d’activité et non pas de présence dans l’entreprise. En effet, les critères fixés ont pour but de permettre une évaluation objective des prestations fournies par les salariés, et font ainsi dépendre l’augmentation salariale de la qualité des prestations et du comportement sur une période de référence suffisamment longue pour assurer une évaluation représentative ». La directive précise que les absences doivent être prises en compte dans l’évaluation (c. 9).

En l’espèce, les absences « hors grossesses et périodes d’allaitement » sont établies : T. a été absente en raison d’une maladie ou d’un accident pendant un total de 467 jours. En outre, elle a bénéficié d’un congé non payé de 253 jours. « Ainsi, depuis son engagement, la recourante a effectivement travaillé au sein de l’entreprise durant trois ans environ, soit une durée largement inférieure à celle de cinq ans fixée pour l’évaluation devant précéder la décision d’un passage en classe supérieure. Par conséquent, la décision querellée est justifiée pour ce seul motif » (c. 9).

La question d’une éventuelle discrimination fondée sur la LEg peut demeurer ouverte « dès lors que même en excluant du calcul les périodes d’absences liées à la grossesse ou l’allaitement, la recourante ne remplit pas la condition des cinq années d’activité ». L’arrêt précise toutefois que les TPG « ne sauraient exclure le droit au passage en classe 10 à une employée uniquement en raison des absences liées à ses grossesses, si sur la base d’une période d’évaluation suffisamment longue mais pour cette raison inférieure à cinq ans et d’[évaluations] favorables, elle remplit les conditions d’une telle promotion » (c. 9).

La décision des TPG est confirmée et le recours de la travailleuse rejeté. Un émolument de CHF 500.- est mis à sa charge. Aucune indemnité n’est accordée aux TPG qui, dotés d’un service juridique, n’ont pas eu à mandater une avocate ou un avocat (c. 10).

Résumé par Mme Karine Lempen, Professeure à la Faculté de droit de l’Université de Genève
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