Résiliation abusive et discriminatoire des rapports de travail communiquée à une employée le jour de son retour de congé de maternité.
art 3
art. 336, art. 336a
13.02.2009Jugement du Tribunal des prud’hommes 16.03.2010Arrêt de la Cour d’appel des prud’hommes
La Cour d’appel considère en l’espèce qu’un licenciement ordinaire notifié à une travailleuse le jour de son retour de congé de maternité est abusif et discriminatoire au sens des articles 336 CO et 3 LEg, ledit licenciement reflétant la volonté de l’employeur de se séparer d’une travailleuse en raison de sa situation familiale.
Par contrat écrit signé le 15 avril 2004, Madame X., domiciliée en France, a été engagée par Y. SA –une société anonyme sise à Genève et active dans le commerce de bijoux, de pierres précieuses et semi-précieuses, d’objets d’art et d’articles cadeaux– en qualité de collaboratrice au département comptabilité, avec entrée en fonctions le 10 mai 2004.
Le contrat de travail fixait le salaire mensuel brut de Madame X. à CHF 5’200.-, versé treize fois l’an, jusqu’au 31 mars 2005 ; à compter du 1er avril 2005, le salaire mensuel brut de Madame X., toujours versé treize fois l’an, devait être porté à CHF 5’500.-. Le contrat stipulait en outre un temps d’essai de trois mois, un horaire hebdomadaire de 40 heures ainsi que quatre semaines de vacances annuelles.
En date du 13 décembre 2005, Y. SA et Madame X. ont établi, à la demande de cette dernière, un avenant à son contrat de travail qui réduisait, à compter du 1er janvier 2006, son horaire hebdomadaire à 32 heures, réparties les lundi, mardi, jeudi et vendredi. À cette occasion, le salaire mensuel brut de Madame X., versé treize fois l’an, a été réduit à CHF 4’400.-.
Sur requête de Madame X., un avenant du 21 mai 2007, lui permit de quitter la fonction qu’elle occupait au département comptabilité pour occuper, dès 1er avril 2007, un poste d’assistante dans le département Contrôle qualité horloger, à un pourcentage de 80% et pour un salaire mensuel brut, versé treize fois l’an, de CHF 4’550.-.
Au début de l’année 2007, Madame X. est tombée enceinte et a accouché de son deuxième enfant le 14 décembre 2007.
Par lettre du 26 février 2008, Monsieur B., employé de Y. SA en qualité de Human Resources Manager, a indiqué à Madame X. que son congé de maternité se terminerait le jeudi 3 avril 2008 inclus.
Par courrier électronique du 27 février 2008, Madame X. a prié Monsieur B. de l’informer des tâches qui seraient les siennes une fois son congé de maternité achevé.
Par courriel du 26 mars 2008, Monsieur B. a précisé à Madame X. que le détail de ses tâches lui serait communiqué le jour de son retour, soit le vendredi 4 avril 2008.
En date du 4 avril 2008, Madame X. a repris son travail auprès de Y. SA. Ce même jour, une lettre lui notifiant qu’elle était licenciée avec effet au 30 juin 2008, lui a été remise en mains propres. Madame X. a refusé de signer dite lettre.
Par pli recommandé du 4 avril 2008, Y. SA a confirmé à Madame X. qu’elle résiliait son contrat de travail avec effet au 30 juin 2008 et qu’elle la libérait de son obligation de travailler dès cette date. La lettre n’indiquait aucun motif de licenciement, Y. SA faisant uniquement référence à «des motifs évoqués par oral».
Dès le 8 avril 2008, Madame X. a été en incapacité totale de travailler.
En date du 8 mai 2008, Madame X. a reçu un certificat de travail intermédiaire de son employeur qui attestait de ses capacités à effectuer toutes les missions qui lui avaient été confiées de manière autonome, rigoureuse et efficace, ceci à l’entière satisfaction de Y. SA, ainsi que de son caractère calme et posé qui lui avait permis d’entretenir d’excellentes relations avec ses collègues et avec les clients dont elle s’occupait.
Par lettre du syndicat UNIA du 30 juin 2008, Madame X. a contesté son licenciement.
Par demande formée au greffe de la Juridiction des prud’hommes en date du 12 août 2008, Madame X. a assigné Y. SA en paiement de la somme de CHF 27’300.-, plus intérêts moratoires au taux de 5% l’an dès le 12 août 2008, soit six mois de salaire à titre d’indemnité pour licenciement abusif au sens des articles 336a CO et 3 LEg. Madame X. alléguait que la cause de son licenciement résidait, compte tenu qu’il était intervenu le jour de son retour de congé de maternité et qu’elle avait émis le désir de réduire son taux d’occupation afin de pouvoir se consacrer davantage à ses deux enfants, dans sa maternité. Y. SA a contesté le motif de licenciement avancé par Madame X. et précisé que celle-ci avait été licenciée pour des raisons d’ordre économique et à cause du manque d’intérêt qu’elle témoignait à son travail. Y. SA a ajouté que la remplaçante de Madame X., une femme âgée de 27 ans qui allait sûrement devenir mère, avait été nommée au poste jusqu’alors occupé par Madame X. car elle était plus polyvalente que cette dernière dans la mesure où elle était à la fois assistante administrative et contrôleuse de pièces.
Le Tribunal des prud’hommes, par jugement rendu suite à la délibération du 13 février 2009 et notifié aux parties le 16 février 2009, a condamné Y. SA à verser à Madame X. la somme de CHF 9’000.-, plus intérêts moratoires à 5% l’an dès le 12 août 2008.
Par acte déposé au greffe de la Juridiction prud’homale le 19 mars 2009, Y. SA a conclu à l’annulation du jugement rendu par le Tribunal des prud’hommes et au déboutement de Madame X. de toutes ses conclusions. Madame X. a, quant à elle, requis la confirmation du jugement attaqué par Y. SA, ainsi que la condamnation de cette dernière à lui octroyer la somme de CHF 27’300.-, soit six mois de salaire, à titre d’indemnité pour licenciement abusif étant donné la gravité des faits.
La Cour d’appel de la juridiction des prud’hommes (ci-après, la Cour) indique que le fardeau de la preuve du caractère abusif du motif du licenciement au sens de l’article 336 CO incombe au travailleur. Elle précise que le juge peut retenir qu’une résiliation est abusive lorsque le travailleur apporte des indices suffisants en ce sens mais réfute toutefois qu’une motivation inexacte du congé constitue en soi déjà un motif de licenciement abusif (TF, arrêt 4A_346/2009 du 20 octobre 2009, consid. 3.2).
En l’espèce, la Cour estime que Madame X. a été victime d’un licenciement abusif. Elle juge le comportement de Y. SA contraire à la plus élémentaire bonne foi étant donné qu’elle a notifié à Madame X. son licenciement le jour de son retour de congé de maternité, ce d’autant plus que Y. SA n’avait pas accusé réception de la demande de Madame X. de continuer à occuper, à son retour de congé de maternité, son poste de travail à un taux d’activité réduit et avait toujours éludé les questions que celle-ci lui avait adressées durant son absence au sujet des attributions qui seraient les siennes à son retour le 4 avril 2008.
La Cour rappelle que l’interdiction de toute discrimination des travailleuses et travailleurs à raison de leur situation familiale, expressément consacrée à l’article 3 alinéa 1 LEg, s’applique notamment à la résiliation des rapports de travail (art. 3 al. 2 LEg) et qu’en vertu de l’article 6 LEg, disposition également invocable à ce moment-là, l’existence d’une discrimination est présumée pour autant que la personne qui l’allègue la rende vraisemblable, ce qui signifie que lorsque le travailleur rend la discrimination vraisemblable, le fardeau de la preuve est alors renversé et l’employeur doit prouver, de manière certaine, l’inexistence de dite discrimination.
La Cour considère que Madame X. a rendu vraisemblable la discrimination et estime que Y. SA n’est pas parvenue à établir ni qu’elle avait été contrainte de licencier Madame X. en raison de difficultés d’ordre économique, ni que le licenciement de Madame X. résultait du comportement de cette dernière. Par conséquent, la Cour admet le caractère discriminatoire du licenciement prononcé par Y. SA à l’encontre de Madame X. en date du 4 avril 2008, Y. SA ayant licencié Madame X. en raison de sa situation familiale.
La Cour applique l’article 336a CO, selon lequel la partie qui résilie abusivement le contrat de travail doit verser à l’autre une indemnité punitive et réparatrice, dont le montant maximal ne peut excéder six mois de salaire du travailleur et qu’il incombe au juge de fixer compte tenu de toutes les circonstances, parmi lesquelles figurent notamment la situation sociale et économique des deux parties, la gravité de l’atteinte portée à la personnalité de la partie congédiée, la commission éventuelle d’une faute concomitante de la personne licenciée, l’intensité et la durée des relations de travail et la manière dont le congé a été signifié.
Dans le cas d’espèce, la Cour condamne Y. SA à allouer à Madame X. une indemnité à titre de licenciement abusif de CHF 9’000.-, statuant que la dite somme est équitable eu égard à la situation de Y. SA, à la durée des relations de travail (4 ans), au comportement contraire à la bonne foi adopté par Y. SA lorsqu’elle a licencié Madame X., à la facilité avec laquelle Madame X. a trouvé un nouvel emploi (au 1er septembre 2008) et au fait qu’aucune faute concomitante ne peut être reprochée à cette dernière.