Harcèlement sexuel. Sanction disciplinaire.
art 4
10.05.2021 Décision des Hôpitaux universitaires genevois (HUG), révocation 12.04.2022 Arrêt de la Chambre administrative de la Cour de justice (ATA/390/2022)
À la suite de plusieurs dénonciations, le conseil d’administration des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) ordonne une enquête administrative afin d’établir si un collaborateur se comporte de façon contraire à ses devoirs de service. Le rapport d’enquête retient un comportement agressif et relevant du harcèlement sexuel à l’égard de plusieurs collègues. Une décision de révocation est notifiée au collaborateur concerné. Saisie d’un recours contre cette décision, la Chambre administrative de la Cour de justice considère que les faits établis justifiaient le prononcé d’une révocation, à savoir la sanction disciplinaire la plus lourde prévue par la loi sur le personnel.
Depuis 2013, T. travaille aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). En 2020, l’employé est convoqué à un entretien de service à la suite de plaintes formulées par plusieurs collègues « faisant état d’un comportement irrespectueux à leur égard, se manifestant par un langage et une attitude inappropriés ». T. conteste les accusations formulées à son encontre.
Le 23 novembre 2020, le conseil d’administration des HUG ordonne l’ouverture d’une enquête administrative et suspend provisoirement T. de ses fonctions.
L’enquêtrice chargée de procéder aux auditions du personnel rend son rapport en février 2021. Elle retient comme établis notamment les faits suivants :
T. « avait cogné trois fois le sein droit de Mme L et posé ses mains sur le côté gauche et droit de la ceinture de cette dernière ; il avait donné un coup de pied aux fesses de Mme P ; il avait touché les seins et fesses de plusieurs femmes, selon les propos rapportés par Mme I ; il avait, selon Mme M, tenu plusieurs fois des propos déplacés sur le corps de certaines collègues tels que « elle a un beau cul » ou « elle est bonne », cela accompagné de gestes, cette dernière l’ayant également entendu parler avec un autre collègue de la manière dont ils couchaient avec leurs femmes ; il avait dit à Mme N « Mmmmhh t’as un beau cul » ; il avait demandé à M. J, en parlant de Mme I et en présence de cette dernière, « elle est bien foutue tu ne trouves pas ? » ; il appelait Mme L « mon petit canard » ou « mon petit poussin », et avait réagi par le son « Mmmmh » alors que cette dernière avait réajusté sa bretelle de soutien-gorge ».
Par décision du 10 mai 2021 intitulée « révocation », les HUG mettent fin aux rapports de travail avec T. en raison de son comportement contraire aux devoirs du personnel. Le travailleur interjette un recours contre cette décision auprès de la Chambre administrative de la Cour de justice.
Après avoir rappelé la définition du harcèlement sexuel figurant à l’art. 4 LEg et la façon dont cette disposition est interprétée par la jurisprudence et la doctrine (c. 6), la Chambre administrative précise que, puisque le litige porte sur la sanction disciplinaire notifiée au recourant, la qualification des actes n’est pas déterminante, « la question essentielle étant de savoir si le recourant a eu des comportements problématiques, et par là enfreint ses devoirs de service » (c. 7a).
L’enquêtrice a considéré comme établis divers actes importuns, dont des attouchements, dénoncés par quatre employées. Le recourant conteste les faits qui lui sont reprochés. « Il est vrai que plusieurs des collègues interrogés, que cela soit par l’enquêtrice ou par le juge délégué, ont affirmé n’avoir jamais constaté de comportements déplacés de la part du recourant à l’égard des quatre précitées » (c. 7a).
Toutefois, « le fait que la plupart des collègues tiers interrogés n’aient pas remarqué de comportements déplacés du recourant à l’égard des quatre précitées ne suffit à exclure qu’il ait existé. Vu la nature des faits reprochés, lesquels sont très rarement susceptibles d’intervenir devant témoins, il n’est pas surprenant qu’il n’y ait que peu de témoins de ceux-ci. En outre, le fait que le recourant ait eu des relations empreintes de courtoisie et de respect avec certaines collègues féminines n’exclut pas le fait qu’il ait eu des comportements problématiques avec d’autres. Par ailleurs, il ressort du dossier mais également des auditions de M. D et de Mme G par la chambre de céans, que Mme L principalement, ainsi que Mmes I et M dans une moindre mesure, se trouvaient dans un état de détresse important lorsqu’elles ont dénoncé les faits dont elles s’estimaient victimes (pleurs et tremblements notamment). Cette situation semble avoir perduré pour Mme L, dont il a été constaté par sa hiérarchie qu’elle se trouvait dans un état alarmant les semaines qui ont suivi, celle-ci apparaissant perdue, tétanisée et même en train de suffoquer. Par ailleurs, il convient de relever que deux des quatre dénonciatrices, soit Mmes N et L, ne se trouvaient pas dans une situation pérenne quant à leur emploi, étant respectivement intérimaire et en période probatoire. Ces éléments, non décisifs à eux seuls, sont toutefois susceptibles de renforcer la crédibilité des déclarations des précitées » (c. 7a).
La Chambre administrative passe en revue chacun des actes allégués susceptibles d’être constitutifs de harcèlement sexuel (c. 7a.) ainsi que différents autres comportements agressifs considérés comme établis par l’enquêtrice (c. 7b.), avant de retenir que le recourant a eu des comportements inadéquats à l’égard de plusieurs collègues au sein du même service (c. 7c).
« Même s’il ne saurait être retenu l’existence d’un véritable lien de subordination comme le retient l’enquêtrice, il est vrai qu’une partie des comportements reprochés se sont produits alors que le recourant était le formateur de deux des dénonciatrices à leur arrivée, soit Mmes L et N. Cette position vis-à-vis de ces deux personnes était de nature à rendre plus difficile pour celles-ci de s’opposer, voire de dénoncer les faits litigieux » (c. 7c.).
La Chambre administrative conclut que le recourant a manqué aux devoirs du personnel des HUG et qu’il se justifiait de prononcer à son encontre une sanction disciplinaire (c. 7c).
La révocation constituait une sanction disciplinaire proportionnée. En effet, « vu l’accumulation de comportements inappropriés, la durée sur laquelle ceux-ci se sont étendus, le fait que le recourant était le formateur de certaines des dénonciatrices, l’intérêt public important à ce que les personnes exerçant une fonction au sein de l’administration aient un comportement correct envers leurs collègues, il apparaît que l’intérêt public au bon fonctionnement du service l’emporte sur les intérêts personnels contraires du recourant, engagé en 2013, de continuer à exercer une activité au sein des HUG. Dans ces conditions, la révocation du recourant est une mesure permettant d’éviter toute éventuelle réitération de son comportement importun » (c. 8).
Le recours du collaborateur révoqué est rejeté.