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GE 12.02.2021
discrimination salariale

sujet

Vraisemblance de la discrimination non établie. En tout état de cause, existence de motifs objectifs justifiant la différence de rémunération.

LEg

art 3, art 5, art 6

procédure

17.07.2018 Échec de la tentative de conciliation, autorisation de procéder 12.02.2020 Jugement du Tribunal des prud’hommes (JTPH/51/2020) 12.02.2021 Arrêt de la Chambre des prud’hommes de la Cour de justice (CAPH/35/2021)

résumé

Une cadre estime avoir droit à une augmentation salariale et être discriminée sur la base du sexe (par rapport à des collègues masculins), voir même en raison de la nationalité (par rapport à des collègues d’origine étrangère). Son action en justice se solde par un échec. La Chambre des prud’hommes arrive à la conclusion que la vraisemblance de la discrimination n’a pas été établie et que, même si cette étape avait été franchie, plusieurs motifs justifient les différences de rémunération avec les deux cadres auxquels la salariée se compare, notamment des disparités en termes de formation et d’expérience utile au poste. Parmi les motifs objectifs expliquant les écarts salariaux en l’espèce figurent, en outre, l’aide financière accordée aux membres du personnel expatriés à Genève ainsi que le maintien de la rémunération promise aux personnes dont les rapports de travail ont été transférés, quel que soit leur sexe.

en fait

En 2015, la société E. obtient une licence pour exploiter les bureaux de change de l’aéroport de Genève, dont elle doit reprendre le personnel. Mme T. fait partie de l’effectif. La société E. lui propose un poste mieux rémunéré que celui qu’elle occupait avant le transfert des activités.

Ainsi, par contrat du 8 mars 2016, la société E. promeut T. au poste de responsable de l’administration et des finances pour un salaire annuel de CHF 75’000.- brut. Le contrat contient une clause par laquelle la société s’engage, après six mois d’activité satisfaisante de la part de T., à analyser la décision de procéder à une augmentation de salaire.

Six mois plus tard, T. fait remarquer à sa hiérarchie que son salaire ne correspond pas à celui d’un cadre supérieur et demande une augmentation. Sa requête est refusée pour des motifs budgétaires. La travailleuse insiste pour obtenir une amélioration de sa rémunération. En juillet 2017, elle indique au responsable des ressources humaines que son salaire n’a pas été augmenté alors qu’il aurait dû l’être en septembre 2016.

T. évoque une discrimination fondée sur la nationalité (les ressortissants espagnols venus travailler à Genève étant mieux traités que les autres membres du personnel). En outre, elle fait valoir une discrimination à raison du sexe. En particulier, T. estime avoir droit à une rémunération au moins égale à celle de son collègue F. au bénéfice d’une fonction, d’un cahier des charges, d’une expérience et de compétences comparables aux siennes.

Suite à l’échec d’une tentative de conciliation en juillet 2018, T. porte son cas devant le Tribunal des prud’hommes.

Dans un jugement du 12 février 2020, le Tribunal considère que l’employeuse n’a promis aucune augmentation de salaire et que la demanderesse n’a pas été discriminée sur le plan salarial, notamment par rapport à son collègue F. En particulier, les responsabilités assumées par ce dernier et ses compétences diffèrent sensiblement de celles de T. Les cahiers des charges ne sont pas équivalents.

Déboutée de ses conclusions, la travailleuse appelle de ce jugement. Elle conclut notamment à ce que la société E. soit condamnée à lui verser une somme de CHF 76’875.- à titre d’augmentation du salaire du 1er septembre 2016 au 31 janvier 2020, date à laquelle elle considère que le contrat de travail a pris fin, soit un montant correspondant au pro rata temporis à un salaire annuel brut supplémentaire de CHF 22’500.-.

en droit

Dans un arrêt rendu le 12 février 2021, exactement un an après le jugement querellé, la Chambre des prud’hommes de la Cour de justice constate qu’il n’existe aucun indice permettant d’étayer l’allégation selon laquelle l’employeuse se serait, au stade précontractuel ou contractuel, engagée à augmenter le salaire de son employée après une période d’essai de six mois. En particulier, le contrat du 8 mars 2016 indique clairement : « the Company commits on analyse the decision of making a salary increase », ce qui signifie que la société s’est engagée uniquement à examiner la possibilité d’une augmentation. La façon dont les juges de première instance ont apprécié les faits n’est ainsi pas critiquable (c. 5).

Après avoir rappelé que l’art. 3 LEg interdit la discrimination salariale directement fondée sur le sexe (c. 6.1.1.), l’arrêt expose de façon détaillée les deux étapes du mécanisme instauré par l’art. 6 LEg, qui ne prévoit un renversement du fardeau de la preuve que dans un second temps, lorsque la partie salariée a rendu vraisemblable la discrimination (c. 6.1.2. à 6.1.4).

En l’espèce, cette première étape n’est pas franchie puisque T. ne parvient pas à rendre vraisemblable une discrimination par rapport à ses deux collègues cadres supérieurs, Monsieur F. et Monsieur L. Selon l’arrêt de la Chambre des prud’hommes en effet (c. 6.2.1.) :

« Il ne peut y avoir de discrimination que si les postes occupés sont comparables. Or, contrairement à ce que plaide l’appelante, il ne suffit pas qu’elle soit considérée comme cadre, au même titre que ses collègues, pour percevoir une rémunération similaire. Il existe en effet différents postes de cadres […]. L’appelante […] ne gérait pas des équipes et ses objectifs ne comprenaient pas l’augmentation des revenus. A l’inverse, F. devait superviser plusieurs dizaines de personnes et aussi contribuer à augmenter les revenus de la société. Ses responsabilités étaient ainsi bien différentes de celles de l’appelante et, à certains égards, plus lourdes en termes de pression. Bien que tous deux cadres, l’appelante et F. n’avaient pas des postes comparables. Il en va de même du poste occupé par L., lequel devait notamment veiller à ce que les règles légales soient respectées. Or, tout manquement dans la surveillance des activités du bureau, particulièrement en matière de blanchiment d’argent, était susceptible d’avoir des répercussions graves pour la société, qui pouvait perdre la place qu’elle avait acquise au sein de l’aéroport de Genève. Sans minimiser le rôle de l’appelante, qui était de veiller à ce que les détaxes soient correctement calculées, le poste de L. était plus exposé que celui de l’appelante et, en tout état de cause, bien différent. Par conséquent, l’existence d’une discrimination n’a pas été rendue vraisemblable sous l’angle de l’art. 6 LEg, ce qui conduit à la confirmation du jugement attaqué ».

La Chambre des prud’hommes ajoute « par surabondance » que, même si les trois postes en question avaient été jugés comparables, l’existence d’une discrimination salariale n’aurait de toutes façons pas été admise. En effet, des motifs objectifs justifiaient des rémunérations différentes, notamment des disparités en termes de formation et d’expérience utile au poste (c. 6.2.2).

Parmi les motifs objectifs propres à justifier une différence de traitement, l’arrêt mentionne également le fait que F. ait bénéficié d’une aide financière accordée aux personnes, femmes ou hommes, ayant accepté de travailler à Genève, loin de leur centre de vie en Espagne (c. 6.2.2.).

En outre, le fait que L. bénéficie d’un salaire trop élevé par rapport à son cahier des charges actuel s’explique par le changement de société employeuse. Lors de la reprise de l’exploitation des bureaux de change de l’aéroport, la société E. a dû garantir au personnel le maintien de ses conditions salariales. Ainsi, L. a conservé son ancienne rémunération malgré la modification de de son cahier des charges. Si le poste avait été occupé par une femme, il en aurait été de même. Dès lors, selon la Chambre des prud’hommes, T. « ne peut rient tirer de la comparaison avec un employé dont le salaire a été repris tel quel à la suite d’une reprise du personnel et d’une réorganisation de la société. Mal fondé, l’appel sera ainsi rejeté » (c. 6.2.2.).

L’arrêt précise qu’il n’est pas perçu de frais judiciaires (art. 114 let. a CPC). Ainsi, l’avance de frais versée par la travailleuse à hauteur de CHF 500.- lui sera restituée. Par ailleurs, il n’est pas alloué de dépens d’appel ni d’indemnité pour la représentation en justice dans les causes soumises à la juridiction des prud’hommes (art. 22 al. 2 LaCC) (c. 7).

Résumé par Mme Karine Lempen, Professeure à la Faculté de droit de l’Université de Genève
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