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GE 11.11.2009 (C/16319/2008)
discrimination salariale

LEg

art 3, art 5, art 6

procédure

27.03.2009Jugement du Tribunal des prud’hommes 11.11.2009Arrêt de la Cour d’appel des prud’hommes

en fait

En date du 1er janvier 2004, T a été engagée par E SA, ci-après E, en qualité de nettoyeuse. Les rapports de travail entre T et E ont pris fin le 31 décembre 2006.

A, époux de T, a également été engagé par E le 1er janvier 2004 en qualité de nettoyeur.

Les contrats signés par les deux époux étaient absolument identiques à l’exception du salaire. Un salaire horaire brut de CHF 20.- était prévu pour T alors que le salaire convenu pour A était de CHF 23.15 brut. Les activités de A et T ont consisté en un travail de plusieurs conciergeries.

Ainsi, par courrier du 13 août 2007, le syndicat a indiqué à E qu’il considérait qu’en ne payant pas A et T de la même manière, elle violait la loi fédérale sur l’égalité (ci-après LEg) et revendiquait la différence de salaire pour T pour l’ensemble des heures effectuées.

E a répondu que les taux horaires appliqués à T et à A étaient tous deux supérieurs à la CCT du secteur et que la différence de taux horaires entre les deux employés était due à une différence de responsabilité. En effet, A avait, en plus de T, les tâches de conduite et de maintenance d’un véhicule d’entreprise, de contact avec les responsables de régie et de compte rendu sur les anomalies rencontrées dans les immeubles entretenus. E soutient ainsi que la différence de salaire entre A et T était justifiée par la différence de responsabilité et de qualification entre les époux.

Par courrier du 31 janvier 2008, le conseil de T et de A a à nouveau affirmé qu’ils effectuaient le même travail au sein de E, les époux étant appelés à se remplacer dans les immeubles où ils intervenaient. La seule différence était que A disposait d’un véhicule d’entreprise pour faire ses tournées, véhicule qu’il n’utilisait que pour se rendre dans les immeubles dont il avait la charge et dont il n’assurait pas la maintenance, alors que T se déplaçait en bus, dès lors qu’elle n’avait pas le permis de conduire. Ainsi, la différence de salaire entre T et A avait pour origine une discrimination fondée sur le sexe.

En date du 3 juillet 2008, T a saisi la juridiction des prud’hommes d’une demande en paiement de la somme de CHF 15’423.40 à titre de salaire dû en raison de la discrimination salariale subie pour la période du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2006, avec intérêts à 5% l’an dès le 1er juillet 2005. 1

Par jugement du 27 mars 2009, le Tribunal des prud’hommes a condamné E à payer à T la somme de CHF 15’423.40 à titre de différence de salaire due en raison de la discrimination salariale subie.

Le Tribunal des prud’hommes relève: «Des disparités salariales peuvent se justifier pour des motifs qui ne se rapportent pas immédiatement à l’activité de la travailleuse ou du travailleur, mais qui découlent de préoccupations sociales, comme les charges de famille ou l’âge. La position de force d’un travailleur dans la négociation salariale, à l’instar de la situation conjoncturelle, peut aussi conduire à une différence de rémunération pour le même travail; mais les disparités de salaire qui ont été négociées à des occasions différentes ou qui résultent de fluctuations conjoncturelles doivent être compensées dès qu’il est raisonnablement possible de le faire, le cas échéant dans le délai d’une année.

Une discrimination de nature sexiste peut résulter de la fixation du salaire d’une personne déterminée lorsqu’il est comparé à celui d’autres personnes du sexe opposé ayant une position semblable dans l’entreprise. Le Tribunal fédéral a ainsi considéré qu’une discrimination salariale était vraisemblable dans le cas d’une travailleuse dont le salaire était d’environ 15% à 25% inférieur à celui d’un collègue masculin qui accomplissait le même travail. Et si une femme, qui présente des qualifications équivalentes à son prédécesseur de sexe masculin, est engagée à un salaire moins élevé qui lui, il est vraisemblable que cette différence de traitement constitue une discrimination à raison du sexe, prohibée par l’article 3 LEg.» 2

En vertu de l’article 5 al. 1 let. d LEg, quiconque subit ou risque de subir une discrimination au sens des articles 3 et 4 peut requérir du tribunal ou de l’autorité administrative d’ordonner le paiement du salaire dû.

Dans le cas présent, il ressort de la procédure de première instance et des différents témoignages que les époux exerçaient la même activité. Le fait qu’ils pouvaient se remplacer en cas de maladie ou s’échanger les immeubles pour des raisons d’accès en est la preuve.

S’agissant de la différence de qualification entre les époux alléguée par E afin de justifier la différence de salaire, aucune preuve n’a été fournie.

Au vu de ces éléments, le Tribunal des prud’hommes a conclu qu’en accordant à A un salaire plus élevé sans qu’aucune différence n’ait pu être établie entre les tâches, l’expérience et les qualifications des deux époux, E a discriminé T à raison de son sexe. Le Tribunal a dès lors condamné E à payer à T la somme de CHF 15’423.40 à titre de différence de salaire dû en raison de la discrimination.

E a fait appel de ce jugement devant la Cour d’appel de la juridiction des prud’hommes de Genève et conclut à l’annulation de ce jugement sur ce point. T conclut au rejet de cet appel et à la confirmation du jugement attaqué.

Par arrêt du 11 novembre 2009, la Cour d’appel a annulé le jugement du Tribunal des prud’hommes en tant qu’il condamnait E à payer à T la somme de CHF 15’423.40, à titre de différence de salaire.

en droit

«Il découle de l’article 8 al. 3 Cst et de l’article 3 LEg que les travailleuses et travailleurs ont droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale. Si la personne qui se prévaut d’une discrimination à raison du sexe dans les rapports de travail rend l’existence de celle-ci vraisemblable, l’article 6 LEg renverse le fardeau de la preuve, si bien qu’il incombe désormais à l’employeur d’établir l’inexistence de la discrimination. Cette vraisemblance est rapportée lorsque des travailleurs de sexe opposé ont une position semblable dans l’entreprise avec des cahiers des charges comparables. Il est alors présumé, s’il y a une différence de rémunération entre eux, que celle-ci est de nature sexiste et l’employeur devra apporter la preuve de la non-discrimination.

La jurisprudence considère comme non discriminatoires les différences de salaire qui reposent sur des motifs objectifs. Parmi ceux-ci figurent d’abord les motifs qui peuvent influencer la valeur même du travail, comme la formation, l’ancienneté, la qualification, l’expérience, le domaine concret d’activité, les prestations et les risques encourus. En règle générale, des motifs objectifs ne peuvent légitimer une différence de rémunération que s’ils jouent un rôle véritablement important au regard de la prestation de travail et s’ils influent par conséquent sur les salaires versés par le même employeur.» 3

Dans le cas présent, la Cour relève qu’il ne suffit pas, pour rendre une discrimination salariale vraisemblable, de se borner, comme le fait T, au constat de cette différence et à l’affirmation qu’elle effectuait le même travail que son mari. En effet, il ressort des informations fournies par E que le cahier des charges de T et celui de son mari, A, n’étaient pas les mêmes. A effectuait, en plus des tâches de concierge, d’autres activités non équivalentes, telles que la responsabilité de conduire le véhicule de l’entreprise et le nettoyage sur les chantiers, activités qui supposent des nuisances et des risques accrus. La Cour retient encore que depuis 2002, A a une expérience dans le domaine du nettoyage des chantiers, ce qui n’est pas le cas de T, et ce qui explique le fait que E l’ait assimilé à un employé qualifié.

En conclusion, la Cour retient que, malgré le fait que E n’a pas rapporté la preuve d’une non discrimination, il ressort des pièces produites par E, notamment la grille salariale et les contrats d’autres employés masculins, que le salaire versé à T était conforme aux minima conventionnels et que la différence entre le salaire de T et celui de A ne s’expliquait pas pour des motifs liés au sexe.

Le jugement du Tribunal des prud’hommes sera ainsi réformé sur ce point et T ne touchera aucun montant à titre de différence de salaire.

1 T a demandé le paiement d’autres prétentions dont nous ne traiterons pas ici dès lors qu’elles ne sont pas en lien avec la LEg.
2 Jugement du tribunal des prud’hommes du 27 mars 2009, TRPH/207/2009, p. 6
3 Arrêt de la Cour d’appel des prud’hommes, CAPH/160/2009, p.4

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