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GE 06.04.2005
aménagement des conditions de travail
attribution des tâches
discrimination salariale
harcèlement sexuel
discrimination à la promotion

sujet

allègement du fardeau de la preuve

LEg

art 4, art 6, art 12

procédure

27.03.2003Jugement du Tribunal des prud'hommes 08.11.2004Arrêt de la Cour d'appel des prud'hommes 06.04.2005Arrêt du Tribunal fédéral (4C.473/2004)

en fait

Dès le mois de mai 1983, X a été engagée par ASA, une entreprise fournissant des services relatifs à la conception et à la conduite de transactions financières et commerciales conformément aux principes, lois et traditions islamiques. X avait pour fonction la coordination des données et la planification de ASA.

Après plusieurs mois d’activité, X a été licenciée pour des raisons d’ordre budgétaire. Dès le mois de novembre 1983, X a été engagée par BSA, une société possédant le même ayant droit que ASA, en tant qu’assistante de direction.

Durant l’été 1988, ASA a décidé de créer une bibliothèque, appelée centre F, destiné à la culture islamique, et ouverte au public. Maîtrisant quatre langues et ayant une bonne connaissance de la culture islamique, X a alors été engagée en tant que bibliothécaire. Occupant ce nouveau poste à mi-temps parallèlement à son poste auprès de BSA, X a ensuite travaillé à plein temps auprès de ASA, dès le mois de septembre 1990.

Le travail de X consistait à la participation dans la mise en place de la bibliothèque de l’entreprise, et à son organisation. Dès le mois de mai 1989, un nouvel employé a été engagé en tant qu’assistant bibliothécaire, sur demande de X. Au début de l’année 1992, les relations entre cet assistant et X se sont détériorées ; selon X, le comportement de celui-ci aurait été différent si elle avait été un homme. Cet employé a été transféré dans un autre département, sans que son poste ne soit repourvu.

En 1999, suite à la nomination d’un nouveau directeur, le centre F a été progressivement abandonné, et la bibliothèque, fermée au public, a été reconvertie en salle de bureaux, sans que X n’ait été consultée. X a été en incapacité de travailler du 13 avril au 2 mai 2000. A son retour, le bureau qu’elle occupait avait été transformé en salle de prières, et on lui a attribué un autre bureau, plus petit, à côté de son supérieur hiérarchique.

X a ensuite été transférée dans un autre département, à une autre poste «évolutif», qui consistait à «assurer les contacts avec les agents de publicité, de faire le suivi de la publicité et d’assurer un certain nombre de tâches de coordination, de contacts divers et de contrôles administratifs et logistiques»[1]. A cette période, d’autres employé-e-s ont été licencié-e-s pour cause de restructuration.

X a été, à nouveau, en congé-maladie du 15 mai au 12 septembre. A son retour, elle a reçu une lettre de licenciement pour le 31 décembre 2000, avec dispense immédiate de l’obligation de travailler. X a refusé de signer l’accusé de réception de la lettre de congé, remise par la cheffe du personnel. X est en congé-maladie depuis le 27 novembre 2000 ; une dépression aigue a été diagnostiquée sur le plan médical, et une rente d’invalidité complète lui est allouée.

Par lettre du 21 décembre 2000, X s’est opposé à son congé.

Saisissant le Tribunal des prud’hommes du canton de Genève, X a assigné ASA en paiement de CHF 263’380.—, se composant de CHF 60’000 pour tort moral, 31’320.—à titre d’indemnité pour discrimination à raison du sexe, et de CHF 172’620 à titre d’indemnité de départ. Elle a également conclu à la délivrance d’un certificat de travail. Par jugement du 27 février 2003, le Tribunal des prud’hommes a condamné ASA à délivrer un certificat de travail, et l’a débouté de toutes ses autres conclusions.

Sur appel de X, la Cour d’appel des prud’hommes a confirmé le jugement attaqué, pour les motifs suivants. En premier lieu, elle a estimé que A n’avait pas apporté la preuve de propos sexistes à son encontre, donc elle a écarté le grief du harcèlement sexuel. Aucun témoin direct n’en avait confirmé la teneur, et les témoins indirects, la mère et la sœur de X, faisant état de propos rapportés par leur parente X, n’ont pas emporté la conviction de la Cour d’appel des prud’hommes[2].

En outre, selon la juridiction d’appel, les faits ne permettaient pas de retenir une discrimination salariale ou discrimination à la promotion. Quant à la discrimination salariale, X avait contesté le raisonnement du Tribunal des prud’hommes, en ce qu’il ne comparait pas ses fonctions exercées avec celles des autres employé-e-s ; elle estimait qu’il convenait de comparer son salaire avec celui de ses collègues exerçant un travail de valeur égale. En particulier, X a estimé qu’elle devait toucher le même salaire qu’un de ses collègues, X, ayant un salaire supérieur au sien, ayant des responsabilités importantes et 14 personnes sous ses ordres.
La Cour d’appel des prud’hommes a écarté le grief de discrimination salariale, en retenant que les fonctions décrites par X n’étaient comparables à celles d’autres collaborateurs. «Même si son travail nécessitait un sens des responsabilités, de l’organisation, du sens des relations humaines et justifiait plusieurs déplacements, on ne saurait le comparer à celui d’un directeur, ayant de nombreuses personnes sous son ordre. Un titre universitaire n’est pas suffisant à donner droit à un poste dirigeant dans une entreprise, pas plus qu’à un salaire élevé».[3]

Quant au grief de discrimination à la promotion, la Cour d’appel des prud’hommes a retenu que X ne s’était pas opposé à la promotion de son collègue Y, et que pendant sa période d’engagement, elle n’avait pas posé sa candidature à un autre poste. La Cour a donc écarté ce grief, car on ne pouvait soutenir que X avait été écarté de la promotion à une fonction de directrice, liée au fait qu’elle était une femme[4].

La Cour d’appel des prud’hommes a également rejeté les autres conclusions de X (soit une indemnité pour harcèlement moral, une indemnité à titre de prime de licenciement).

Par arrêt du 6 avril 2005, le Tribunal fédéral a rejeté le recours en réforme interjeté par X contre l’arrêt de la Cour d’appel des prud’hommes.

en droit

Sous l’angle de la loi fédérale sur entre femmes et hommes, du 24 mars 1995 (LEg), tous les griefs soulevés par la recourante X ont été rejetés par le Tribunal fédéral.

X a reproché à la cour cantonale de ne pas avoir tenu compte de l’allègement du fardeau de la preuve selon l’article 6 LEg.

L’article 6 LEg introduit certes «un assouplissement du fardeau de la preuve par rapport au principe général de l’article 8 du code civil, du 10 décembre 1907 (CC), dans la mesure où il suffit à la partie demanderesse de rendre vraisemblable l’existence de la discrimination dont elle se prévaut». Lorsqu’une discrimination liée au sexe a été rendue vraisemblable, il incombe alors à l’employeur d’apporter la preuve complète que la différence de traitement repose sur des facteurs objectifs[5].

Il appartient donc à la personne qui se prévaut de la LEg d’apporter des indices sur l’existence d’une discrimination selon l’article 3 LEg. A cet égard, TF a estimé que «le juge n’a pas à être convaincu du bien-fondé des arguments de la partie demanderesse ; il doit simplement disposer d’indices objectifs suffisants pour admettre que les faits allégués présentent une certaine vraisemblance, sans devoir exclure qu’il puisse en aller différemment»[6].

Ainsi, dans le cadre d’un recours en réforme, le TF pouvait donc vérifier si l’autorité cantonale aurait dû ou non admettre la vraisemblance d’une discrimination en vertu de l’article 3 LEg, selon les constatations de fait retenues par l’autorité cantonale. L’article 6 LEg ne permet pas de remettre en cause, par un recours en réforme, les constatations de fait de l’autorité cantonale. La comparaison des salaires de X avec ceux d’autres collaborateurs n’avait pas mis en évidence «le moindre indice objectif de discrimination» salariale, reprenant en substance le raisonnement effectué par la Cour d’appel.

Le TF a également considéré qu’aucune discrimination dans l’attribution des tâches ne pouvait être relevée ; l’attribution d’une activité moins intéressante à X, dès le mois de mai 2000, ne constituait pas une telle discrimination, compte tenu du contexte dans lequel se trouvait son employeur. A cette époque, la bibliothèque était fermée, et BSA en phase de liquidation, de sorte que le TF a considéré qu’ASA aurait pu licencier X, comme elle l’avait fait avec d’autres. Ainsi, en gardant X au même salaire, mais en en lui offrant un poste certes moins intéressant, mais évolutif, le comportement de ASA ne pouvait être qualifié de discriminatoire, selon le TF. De plus, le déménagement de X dans un bureau plus petit ne constituait pas non plus une discrimination selon l’article 3 LEg, dès lors qu’il s’intégrait dans des mesures de réorganisation générale de l’entreprise, pour la création d’espaces ouverts. Quant à la discrimination à la promotion, à l’instar de la Cour d’appel des prud’hommes, le TF l’a écarté, puisque X elle-même a reconnu n’avoir postulé à aucune fonction différente dans l’entreprise[7].

Compte tenu de ces éléments, les faits retenus par la Cour d’appel ne laissait pas apparaître «la vraisemblance que la demanderesse aurait été discriminée»[8].

Elle a également invoqué une violation de l’article 3 LEg, au motif que la cour cantonale n’a pas admis de discrimination lors de l’attribution des tâches, l’aménagement des conditions de travail, la rémunération et la promotion. Dès lors que ce grief revient à invoquer une violation de l’article 6 LEg, le TF a renvoyé la recourante à son argumentation sur cet article.

La recourante a également soutenu que la cour cantonale avait violé les articles 4 et 5 al.3 LEg, faute d’avoir retenu qu’elle avait été victime de harcèlement sexuel. En ce sens, le TF a estimé que «les règles sur le fardeau de la preuve ne sauraient être invoquées pour faire corriger l’appréciation des preuves, qui ressortit au juge de fait»[9] 4) Enfin, le Tribunal fédéral a rappelé que l’article 12 LEg, renvoyant à l’article 343 al.4 CO, prévoit notamment la règle de l’appréciation libre des preuves. Cette règle n’autorise néanmoins pas la remise en cause en instance fédérale des constatations de fait par l’autorité cantonale[10].

Dans cet arrêt, le TF rappelle l’importance des règles de procédure, prévues aux articles 6 et 12 LEg. C’est en effet par le biais de l’application de l’article 6 LEg que le TF a décidé de ne pas entrer en matière sur la vraisemblance d’une discrimination selon l’article 3 LEg invoquée en recours en réforme par la recourante. D’autre part, conformément à l’article 12 LEg, se considérant lié par les constatations de fait par l’autorité cantonale, le TF a jugé qu’il ne lui appartenait pas d’apprécier des preuves relatives à un harcèlement sexuel, car l’appréciation des preuves, et les constatations de fait sont de la compétence des autorités cantonales.

  • [1]Arrêt de la Cour d’appel des prud’hommes, du 8 novembre 2004, lettre h, page 4.
  • [1]Arrêt de la Cour d’appel des prud’hommes du 8 novembre 2004, cause no. C/5302/2002-4, considérant 5.
  • [3] Ibid., considérant 7.
  • [4] Ibid., considérant 7.
  • [5] ATF du 6 avril 2005, 4C/472/2004/grl, consid. 4.1.
  • [6] Ibid., consid. 4.1.
  • [7] Ibid., consid.4.2.
  • [8] Ibid., consid.4.2.
  • [9] Ibid., consid. 7.
  • [10] Ibid., consid.10
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