Résiliation abusive du contrat de travail et discrimination salariale à raison du sexe.
art 3, art 6
art. 336, art. 336a
03.09.2010 Jugement du Tribunal de prud’hommes
L’employeur ne peut résilier un contrat de travail de façon abusive. Constitue une résiliation abusive, le congé donné en raison de prétentions basées sur l’invocation d’une discrimination salariale fondée sur le sexe. Dans une telle situation la travailleuse bénéficie de l’allègement du fardeau de la preuve de l’article 6 LEg lui permettant de renverser le fardeau de la preuve sitôt que la discrimination invoquée est rendue vraisemblable.
Par contrat du 23 septembre 2008 avec effet au 1er octobre 2008, Madame T a été engagée en qualité de senior advisor moyennant un salaire annuel brut de CHF 250’000.- versé treize fois l’an par E, une banque principalement orientée vers les opérations de gestion de fortune et les opérations commerciales et documentaires, basée à Genève.
Le contrat de travail stipulait notamment qu’un bonus discrétionnaire était versé en janvier pour l’exercice précédent, sous réserve de rupture de contrat.
Madame T a été nommée directrice, avec signature collective à deux, par décision du Conseil d’administration datée de novembre 2008.
Par courrier du 16 février 2009, la Banque E a résilié le contrat de travail de Madame T pour le 31 mai 2009. Cette dernière fut libérée de l’obligation de travailler immédiatement et priée de prendre son solde de vacances durant le délai de congé. La motivation du congé indiquait la nécessité de restructurer et de renforcer la Direction pour permettre à la Banque E de faire face à la situation difficile résultant de la crise financière.
Par courrier du 16 mars 2009, Madame T s’est opposée au congé au motif qu’il était abusif et s’est réservée le droit de réclamer une indemnité à ce titre.
Par demande déposée au greffe de la Juridiction de prud’hommes le 21 juillet 2009, Madame T a assigné la Banque E notamment en paiement de la somme de CHF 228’392.75 bruts à titre de résiliation abusive plus intérêt à 5% l’an.
A l’appui de sa demande, elle exposait que Madame A, CEO de la Banque E, avait mandaté la société E1, dont Madame T était la gérante, pour faire un audit des ressources humaines de la Banque E et établir des cahiers des charges. L’audit en question a permis de révéler de graves dysfonctionnements impliquant une grande charge de travail pour Madame T. Bien que promue directrice de la Banque E lors d’une séance du Conseil d’administration, le 17 octobre 2008, son titre n’avait jamais été modifié, ni son salaire augmenté et ce malgré ses nombreuses relances.
Madame T faisait valoir que ce congé était lié à son sexe et partant abusif. Son travail, mené en collaboration avec Madame A, avait été systématiquement critiqué par Monsieur B, membre du Conseil d’administration. Ce dernier trouvait inacceptable que la direction de la Banque E soit gérée par deux femmes et avait exercé de nombreuses pressions afin que Madame T soit remplacée par un homme, diffusant notamment de nombreuses rumeurs visant à la décrédibiliser et prétendant qu’elle ne possédait aucune expérience en matière bancaire. Madame A fut, par ailleurs, licenciée peu de temps après. Madame T a ajouté que le motif invoqué par la Banque E était erroné puisque son poste avait été repourvu.
L’audience de conciliation a eu lieu le 11 décembre 2009 mais n’a pas abouti.
Par mémoire de réponse du 11 janvier 2010, la Banque E a conclu au déboutement de toutes les conclusions de Madame T. Elle contestait notamment les conclusions auxquelles aboutissait l’audit et prétendait avoir été mise devant le fait accompli quant à la nomination de Madame T en qualité de directrice. Elle avait dès lors été obligée de valider ce choix mais sans pour autant lui accorder d’augmentation de salaire, ce qui figurait clairement sur le tableau des rémunérations. La Banque E a ajouté que le licenciement de Madame T était sans rapport avec son sexe, relevant, par ailleurs, que plusieurs femmes travaillaient en son sein et occupaient des positions de cadres. Elle constatait que Monsieur B n’avait jamais fait l’objet de plainte durant les rapports de travail et qu’aucune gratification n’avait jamais été versée.
A l’audience du 15 mars 2010, la Banque E a confirmé que le poste occupé par Madame T n’avait pas été repourvu.
Madame T réclame CHF 150’000.- à titre d’indemnité pour résiliation abusive.
Aux termes de l’article 335 alinéa 1 CO, le contrat de travail de durée indéterminée peut être résilié unilatéralement par chacune des parties. Ce droit est toutefois limité par les dispositions sur le congé abusif. Est abusif le congé donné pour un des motifs énumérés à l’article 336 CO, qui concrétise avant tout l’interdiction générale de l’abus de droit et y assortit les conséquences juridiques adaptées au contrat de travail.
En particulier, l’article 336 alinéa 1 lettre a CO qualifie d’abusif le congé donné par une partie pour une raison inhérente à la personnalité de l’autre partie, à moins que cette raison n’ait un lien avec le rapport de travail ou ne porte, sur un point essentiel, un préjudice grave au travail dans l’entreprise. Cette disposition vise le congé discriminatoire, fondé par exemple sur la race, la nationalité, l’appartenance religieuse, l’âge, l’homosexualité, le statut familial, les antécédents judiciaires, ou encore la maladie, la séropositivité (ATF 127 III 86, c. 2a). Les seuls éléments déterminants pour qu’un congé soit retenu comme abusif sont le motif du congé et la causalité entre ce motif et le congé lui-même : le congé ne peut et ne doit être considéré comme abusif seulement parce qu’il a été prononcé pour un motif qui n’est pas digne de protection.
A teneur de l’article 336a CO, la sanction du congé donné abusivement consiste en le versement d’une indemnité fixée compte tenu de toutes les circonstances et plafonnée à un montant correspondant à six mois de salaire du travailleur ; dès lors le congé n’est ni nul ni annulable.
Selon l’article 3 alinéa 1 LEg, il est interdit de discriminer les travailleurs à raison du sexe, soit directement, soit indirectement, notamment en se fondant sur leur état civil ou leur situation familiale ou, s’agissant de femmes, leur grossesse. L’interdiction de toute discrimination s’applique notamment à l’embauche, à l’attribution des tâches, à l’aménagement des conditions de travail, à la rémunération, à la formation et au perfectionnement professionnels, à la promotion et à la résiliation des rapports de travail (al. 2).
L’article 6 LEg est une règle spéciale par rapport au principe général de l’article 8 CC. Il institue, sauf en ce qui concerne le harcèlement sexuel et la discrimination à l’embauche, un assouplissement du fardeau de la preuve d’une discrimination à raison du sexe, en ce sens qu’il suffit à la partie qui s’en prévaut de rendre vraisemblable l’existence d’une telle discrimination. Avant que le fardeau de la preuve ne soit mis à la charge de l’employeur, le travailleur qui invoque la LEg doit apporter des indices rendant vraisemblable l’existence d’une discrimination. Le juge n’a pas à être convaincu du bien-fondé des arguments du travailleur, il doit simplement disposer d’indices objectifs suffisants pour que les faits allégués présentent une certaine vraisemblance, sans devoir exclure qu’il puisse en aller différemment.
Lorsque l’existence d’une discrimination liée au sexe a été rendue vraisemblable, il incombe à l’employeur d’apporter la preuve complète que la différence de traitement repose sur des facteurs objectifs. Constituent des motifs objectifs ceux qui peuvent influencer la valeur même du travail, comme la formation, l’ancienneté, la qualification, l’expérience, le domaine concret d’activité, les prestations effectuées, les risques encourus ou le cahier des charges. L’employeur doit également démontrer qu’il poursuit un but objectif qui répond à un véritable besoin de l’entreprise et que les mesures discriminatoires adoptées sont propres à atteindre le but recherché, sous l’angle du principe de la proportionnalité (ATF 127 III 207, c. 3c, ATF 125 III 368, c. 5).
Des disparités salariales peuvent se justifier pour des motifs qui ne se rapportent pas immédiatement à l’activité du travailleur mais qui découlent de préoccupations sociales tels que les charges familiales ou l’âge. La position de force d’un travailleur dans la négociation salariale, à l’instar de la situation conjoncturelle, peut aussi conduire à une différence de rémunération pour le même travail. Dans ces deux situations les disparités doivent être compensées dès qu’il est raisonnablement possible de le faire, mais au plus tard dans le délai d’une année.
Une discrimination de nature sexiste peut résulter de la fixation du salaire d’une personne déterminée lorsqu’il est comparé à celui d’autres personnes du sexe opposé ayant une position semblable dans l’entreprise. Le Tribunal fédéral a ainsi considéré qu’une discrimination salariale était vraisemblable dans le cas d’une travailleuse dont le salaire était d’environ 15% à 25% inférieur à celui d’un collègue de sexe masculin qui accomplissait le même travail. Si une femme, présentant des qualifications équivalentes à son prédécesseur de sexe masculin, est engagée à un salaire moins élevé que lui, il est vraisemblable que cette différence de traitement constitue une discrimination à raison du sexe, prohibée par l’article 3 LEg.
Madame T prétend avoir été licenciée en raison d’une discrimination liée au sexe. Le Tribunal de céans constate qu’une discrimination à raison du sexe ne ressort d’aucune pièce et que le motif d’une restructuration paraît plausible. Dès lors, Madame T n’ayant pas réussi à démontrer la vraisemblance d’une discrimination liée au sexe, elle est déboutée de sa prétention en versement d’une indemnité pour résiliation abusive.