obligation de diligence de l’employeur
(mesures appropriées, préventives et correctives)
art 4
21.08.2003Jugement du Tribunal des prud’hommes 03.03.2005Arrêt de la Cour d’appel des prud’hommes
Dès le mois de septembre 2006, T a été engagée par l’entreprise ESA en tant que vendeuse de kiosques. Dès le mois de novembre 2007, elle a travaillé, du lundi au vendredi auprès du kiosque A, et durant le week-end au kiosque B, géré par Monsieur C (ci-après C), son supérieur hiérarchique.
T aurait fait l’objet de remarques déplacées, bises, petites fessées de la part de C, dès ses premiers jours de travail au kiosque B [1].
Dès le mois d’avril 2000, T a demandé à réduire son taux d’activité auprès du kiosque B.
C ne conteste pas que dès cette période, il a eu un comportement déplacé à l’égard de T, notamment, par la tenue de propos sexistes, de commentaires sur des revues pornographiques, en les lui exhibant. Il reconnaît également avoir eu des contacts physiques ambigus [2].
Le 19 juillet 2000, le psychiatre de T a diagnostiqué auprès de sa patiente un état dépressif grave et l’a mis en arrêt de travail depuis ce jour.
Selon l’état de fait retenu par la Cour d’appel des prud’hommes, malgré les visites régulières du responsable régional d’ESA, T ne s’est pas plainte, dans un premier temps, du comportement de C à son égard. En juillet 2000, T a fait part au responsable régional des relations difficiles avec son supérieur hiérarchique, sans en préciser la nature [3]. Le responsable régional lui a conseillé de prendre contact avec Madame D (ci-après : D), responsable des ressources humaines.
Le 20 juillet, T a contacté D et s’est plainte pour la première fois auprès de sa hiérarchie du comportement de C, en faisant état de propos et de gestes déplacés. D lui a communiqué les coordonnées de différents organismes pouvant la soutenir, et lui a proposé de la rencontrer, ce que T a refusé. D lui a assuré qu’elle ne serait plus en contact avec son supérieur. D a également proposé une médiation entre T et C.
Convoqué le 26 juillet 2000 aux ressources humaines, C a reconnu avoir eu un comportement déplacé à l’égard de T, et lui a écrit le lendemain une lettre d’excuses.
En date du 28 juillet 2000, ESA a adressé un unique et ultime avertissement à C, le mettant en demeure de cesser immédiatement son comportement déplacé à l’égard de T et «d’adopter des relations professionnelles respectueuses, dans un climat de travail sain» [4].
En août 2000, ESA a proposé, à ses frais, une médiation entre T et C. Après l’avoir accepté, T a refusé finalement d’y prendre part. Après avoir appris que son supérieur hiérarchique travaillait toujours auprès du kiosque B et qu’il n’avait pas été déplacé, T a déposé une plainte, le 17 octobre 2000, pour harcèlement sexuel auprès de l’Office cantonal de l’inspection et des relations du travail (ci-après : OCIRT). Interrogé par l’OCIRT en décembre 2000, C a reconnu avoir tenu des propos déplacés à l’égard de T, tout en contestant que son attitude et ses gestes puissent être qualifiés de harcèlement sexuel.
Par courrier du 9 janvier 2001, ESA a expliqué à l’OCIRT ne plus avoir pris d’autres mesures, vu la multitude des intervenants auprès de T. Celle-ci était en effet défendue par une connaissance dans le cadre de ses rapports de travail, par un avocat pour le litige l’opposant à C. De plus, une association soutenait l’ensemble des démarches de T.
L’OCIRT a condamné C à une amende de 2’500, réduite à 500. — par le Tribunal de police, rendu le 19 décembre 2001.
Dès le mois d’août 2001, T a recommencé à travailler à 50 % auprès du kiosque L, puis a augmenté son taux d’activité à 75 %, dès le mois d’octobre 2001. Ce kiosque était géré par une femme.
Selon la Cour d’appel, ESA aurait suivi les recommandations de médecins et de l’assurance maladie suggérant une reprise de travail à un autre lieu que le kiosque B.
Suite au jugement rendu par le Tribunal de police, ESA a déplacé C au kiosque K, beaucoup moins important que le kiosque B, et générant ainsi un chiffre d’affaires moindre. En raison de son déplacement, C a perçu un revenu moins important [5].
T a déposé une demande en justice devant le Tribunal de prud’hommes, en date du 26 février 2002. Elle a assigné E SA en paiement de CHF 30’420 à titre d’indemnité pour harcèlement sexuel, et CHF 10’000, à titre de tort moral.
Par courrier du 20 mars 2002, ESA a également été informée que T souhaitait reprendre son activité auprès du kiosque B, dont elle avait été déplacée.
Statuant en premier ressort, le Tribunal des prud’hommes a condamné ESA à payer la somme de 5’220, avec intérêts à 5 % dès le 26 février 2002. En substance, le Tribunal des prud’hommes avait estimé que le comportement de C était constitutif d’un harcèlement sexuel, et que les mesures conséquentes prises par ESA, n’avaient pas été suffisantes. Il a également considéré que les mesures préventives prises par ESA en matière de harcèlement sexuel étaient insuffisantes. Au vu de l’absence de gravité suffisante, seule une pénalité d’un mois avait être retenue. Considérant l’absence de causalité adéquate entre la tardivité de la réaction de l’employeur et la dépression de T, l’instance saisie n’a pas retenue de tort moral [6].
Par son appel, l’entreprise ESA demande à la Cour d’appel d’annuler le jugement rendu, en ce qu’il le condamne à payer la somme de 5’220. Interjetant un appel incident, T a conclu à l’annulation du jugement, et conclut à ce qu’ESA soit condamnée à lui payer la somme de CHF 28’710, avec intérêts à 5 % dès le 26 février 2002.
La Cour d’appel a fait droit à l’appel interjeté par ESA, en déboutant T de toutes ses conclusions.
La Cour d’appel des prud’hommes (ci-après : la Cour d’appel) a retenu que le comportement de C était certes constitutif de harcèlement sexuel.
Conformément à la jurisprudence fédérale, elle a rappelé que la définition de l’article 4 LEg, englobe tous les comportements importuns de caractère sexuel, soit également ceux qui contribuent à créer un climat de travail hostile, tels que des plaisanteries déplacées, des commentaires grossiers ou embarrassants, et pas seulement de cas d’abus d’autorité.
C a admis eu les gestes suivants à l’égard de T : l’avoir embrassé sur la joue à plusieurs reprises, l’avoir touché à la taille, l’avoir appelé «chouchou», s’être frotté à T dans l’espace restreint du kiosque et avoir commenté des revues à connotation sexuelle. De tels actes constituent des comportements discriminatoires selon l’article 4 LEg.
Ensuite, la Cour a examiné si l’entreprise ESA avait rempli son obligation de diligence, en examinant les deux aspects suivants.
Premièrement, elle s’est demandée si l’entreprise ESA avait pris les mesures appropriées aux circonstances et raisonnablement exigibles pour mettre fin au cas de harcèlement sexuel subi par T. A cet égard, la Cour d’appel a relevé que trois mesures ont été prises par ESA : a) une proposition de médiation, b) la réinsertion de T dans un autre kiosque que le kiosque A, et c) enfin la mutation de C, plus d’une année après la dénonciation des faits.
a) Contrairement au tribunal des prud’hommes, la Cour d’appel a jugé que la médiation constituait une mesure adéquate, permettant à la victime «d’une part, d’exprimer ses souffrances et ses reproches sans crainte, et d’autre part de les faire entendre à son agresseur pour qu’il les reconnaisse et en prenne conscience»[7]. L’employeur se devait donc de la proposer, et le fait qu’elle n’ait finalement pas eu lieu ne constitue pas un élément déterminant pour juger de l’opportunité de la mesure.
b) Quant à la reprise du travail de T, la Cour a estimé qu’il ne fallait pas, pour des raisons d’ordre psychologique, «réintégrer l’intimée dans le kiosque où elle avait été harcelée, même en l’absence de son supérieur»[8]. En outre, pour des motifs de santé, alors que T devait reprendre, le travail de façon thérapeutique, il n’aurait pas été indiqué de la soumettre à un rythme de travail très soutenu, vu la grande fréquentabilité du kiosque A.
c) le déplacement de C à un autre kiosque que le kiosque A a certes eu lieu, mais seulement une fois le jugement du Tribunal de police rendu. Aurait-il fallu déplacer C plus tôt, soit dès le dépôt de la plainte de T, en juillet 2000? A cette question, la Cour d’appel répond par la négative, considérant que des mesures moins incisives, telles que l’avertissement unique ultime, avait été prises. De plus, le déplacement ne s’imposait pas, vu que T était en congé-maladie.
En outre, avant de décider du déplacement de C en kiosque moins fréquenté, la Cour a considéré que l’employeur devait attendre l’issue de la procédure pendante devant le Tribunal de police avant de prendre une telle sanction.
Ainsi, sous ces trois aspects, la Cour a jugé qu’ESA avait pris les mesures suffisantes pour mettre fin au harcèlement sexuel.
Deuxièmement, la Cour d’appel a vérifié si des mesures préventives ont été prises, de façon générale dans le cadre du travail, par l’entreprise ESA.
Mentionnant l’existence du département des ressources humaines au sein d’ESA, et que l’information est fournie aux vendeurs et aux vendeuses de kiosques de la disponibilité de celles-ci, la Cour d’appel a constaté que seule «une information très générale est donnée»[9].
Néanmoins, elle a retenu qu’ «il est notoire que tout travailleur connaît l’existence du service du personnel et des ressources humaines, parce qu’il intervient dans le recrutement et l’élaboration du contrat de travail. Il est en outre notoire que l’une de ses activités est de répondre aux préoccupations des travailleurs et des travailleuses et de les aiguiller vers la bonne personne.»[10]. Se basant sur un tel raisonnement, la Cour a alors considéré que T «savait ou devait raisonnablement savoir, qu’elle pouvait contacter les ressources humaines ou le service du personnel si elle avait un problème».
Au vu de ces motifs, la Cour d’appel a donc considéré qu’ESA avait rempli son obligation de diligence à l’égard de T, et qu’aucun reproche ne pouvait lui être imputé.